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Critiques de Galien Sarde (29)
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Trafic

Court roman extrêmement bien écrit. De superbes phrases, élégamment tournées, qui, m'ont beaucoup plu. Parfois courtes, souvent longues comme celle-ci : "A la sortie du terminal, ils louèrent une voiture dans une agence concurrencée par d'autres à bout portant, une Chrysler, à bord de laquelle ils traversèrent une bonne partie de la nouvelle ville, toute en hauteur, mirage gris-vert, avant de déposer leurs bagages dans un hôtel bien placé mais mollement sordide, interlope -un jeune homme caressait de manière aguicheuse celle qui pouvait être sa copine dans une petite pièce donnant sur l'escalier qui conduisait aux chambres, l'ascenseur ne fonctionnait pas, resté bloqué dans les années 70, tout comme les meubles et la décoration (inox, formica et velours), la climatisation, très mal." (p.70/71) Cette phrase a en elle pas mal de choses que l'on retrouve tout au long du livre. Je l'ai écrit plus haut, une certaine élégance, une beauté évidente, un rythme chaloupé et quelques jeux avec les mots, que j'aime bien : l'ascenseur et les meubles bloqués dans les années 70, la concurrence "à bout portant" et l'hôtel "mollement sordide" et qui ont l'avantage d'être très visuels (pour ceux qui, comme moi visualisent leurs lectures).



J'ai aussi aimé l'intrigue, on sent qu'un drame se joue sans vraiment savoir lequel ni de quoi il retourne. Galien Sarde distille les indices à dose homéopathique, joue avec nos nerfs et notre patience. Il use de retours en arrière pour expliquer la situation des deux amants, de zones de flou pour maintenir la tension. Le tout est habilement et subtilement mené.



Dans ce roman très beau, l'histoire tient le lecteur de bout en bout, mais je dois dire que ce qui m'a totalement charmé et convaincu, notamment que Galien Sarde est un auteur très talentueux, c'est son écriture. Je vais peut-être faire vieux con -comme dirait l'autre, j'ai l'âge-, mais lire de si belles lignes, en un français irréprochable, bien que trituré, bouleversé, dansé, agrémenté de mots rares, de nos jours où le vocabulaire a tendance à se simplifier voire m'est parfois devenu totalement abscons -surtout s'il emprunte sans intérêt pour la qualité ou la finesse à d'autres langues-, fait un bien fou. Alors merci Galien et merci Fables fertiles, éditeur que je découvre.
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Echec, et mat

Après la lecture de « Échec, et Mat » de Galien SARDE ( Éditions Fables fertiles )



Le livre de Galien Sarde, « Échec et Mat », ne se feuillette ni ne se lit en diagonale ; il est prévisible d’ailleurs que le lecteur moyen qui d’aventure tenterait de le découvrir en espérant suivre son bonhomme de chemin ne soit guère payé en retour. Car ce livre dense, qui se cabre continuellement et vous oblige à la relecture se mérite. L’auteur dont on devine au fil des pages le goût pour la langue française classique qu’il ose en des temps où nombre d’entre nous se disposant à lire redoutent l’ennui ne s’interdit aucune complexité, ni syntaxique ni lexicale. Au début, vous vous surprenez à reprendre le paragraphe que vous venez d’achever et puis le pas du cheval se fait plus lourd, la lenteur s’impose ; il faut donc y céder sans barguigner. Il s’agit bien en effet d’une prise de risque mais il faut vite accepter son parti pris et faire crédit à Galien Sarde de ne s’être pas embarqué sans raisons dans l’aventure. Rarement comme ici, une langue vous est offerte comme aide à la composition littéraire. Belle langue, souvent baroque – ‘’vénusté ‘’, ‘’ alenti ‘’ ,‘’fulgurer ‘’ – , parfois elliptique qui vous déstabilise au point que pour un peu vous la prendriez pour un parler nouveau savamment ouvragé par un artisan amoureux des mots et de leur agencement. Des images poétiques surgissent comme étincelles des énigmes et avec elles l’incertitude et le malaise, les écorchures à l’esprit. Le décor est brossé qui porte l’inquiétude et l’intranquillité ; lentement voilà que la focale s’élargit, que s’accélère la valse des évocations ; maintenant vous croyez comprendre ce qu’il y a de compréhensible à saisir là, dans ce chaos sublime. C’est la question de l’eau que l’on devine centrale dans cette nouvelle société, fragmentée, un monde d’eau, primitif. C’est la vie dont nous aurions grand tort de ne pas nous souvenir qu’aucune décision, aucune invention humaine, ne saurait peser plus qu’elle pour les humains qui n’ont eu foi qu’en le progrès, ce temps linéaire épuisant, progrès auquel nous ne cessons et n’avons depuis des siècles cessé de nous abandonner. S’agirait-il après la traversée du miroir d’eau, de l’espérance en une renaissance dont il serait fortuitement question, comme une apocalypse ?

Et puis, au détour du chemin, cette phrase : «  Mat (l’un des protagonistes ), si inapte à être clair. » Comme une clé qui se camoufle dans le trousseau tintant. Ce pourrait donc être un jeu auquel nous serions conviés ? C’est donc bien la singularité de l’expression qui à la fois donne au récit son atmosphère entre mystère et réalité, et égraine peu à peu les faits qui charpentent l’action à mesure dévoilée. Et d’un point de vue écologiste, la critique philosophique et politique aussi. Ce texte porté par des jeunes gens, s’adresse évidemment à des jeunes gens pour qui la question de l’eau révèle et chaque jour davantage combien la vie même est menacée. Prétendre être clair en ces temps plombé relève de l’arrogance. Quand la réalité de la situation après inventaire éclate et que par centaines ou par milliers les vérités des uns et des autres s’entrechoquent et donnent à voir de quoi peindre en couleurs sombres le désespoir, qu’advient-il de nous ? Qu’adviendra-t-il de nos enfants ? Ne sommes-nous pas dans une période post-effondrement que restructurent compulsivement les nababs sur des schémas totalitaires ?

On comprend ou l’on croit comprendre comment peu à peu s’est organisé ce nouveau monde écrasé de chaleur et ravagé par les guerres. Nul sans doute ne peut y parvenir et ce n’est pas Galien Sarde qui vous y aidera «  Il est vrai que depuis le début, rien n’est probable, que tout semble soumis à une logique qui saute, surréelle, (…). Je laisse couler, rien à comprendre. En un sens tout est clair. » Il faut comprendre soi-même, l’effort exigé étant à la hauteur du bonheur suprême qui serait de soumettre au monde des prophéties de belles factures pour une spiritualité concluante.

À travers les cas particuliers de cinq protagonistes longtemps nous déplorons qu’avant la fin, l’humanité ne soit ‘’’mat ‘’ ou ne l’est déjà été, mais le sera-t-elle ? Paraphrasons Paul Valéry dans Le cimetière marin pour affirmer que le vent s’est levé et qu’il faut tenter de vivre. Alors, l’usage compulsif du haschich auquel filles et garçons se livrent trace-t-il une voie et laquelle ? La découverte de la force du désir précédant celle du plaisir, la puissance du ressentir dominant enfin l’agir, est-elle le truchement vers la résolution ultime ? Vers l’hypothèse d’un monde nouveau. « Eurydice (…) hésitait entre deux mondes – entre celui de l’oracle et celui du réel, devenu immonde – , nous glissa la route à suivre, sans un mot : qu’on courre sans s’occuper d’elle, au plus vite, qu’on prenne la voie la plus simple et la plus directe, tout au bout s’ouvrirait un tunnel pour s’enfuir. Un diversion avant s’offrirait à nos yeux. » Laisse-t-elle entrevoir l’hypothèse d’une issue dont la mort serait une sublime transition? Et ce que j’ai cru être un temps circulaire qui se substituerait au temps linéaire, un retour incessant,‘’ un retour … maté ‘’, au présent du début du livre l’est-il bien ? Et cette histoire bouclée avec lenteur – où se mêlent rêves et vérités, 4ème dimension et pourquoi pas multivers ? – s’insinue-t-elle inopinément entre‘’ la tempe qui saigne ‘’ à la page 13 et ‘’l’arcade ouverte ‘’ à la page 162 ?

Nous sommes entrés dans un Univers complexe qu’ il convient de rendre intelligible ; le livre de Galien Sarde ne se contente pas de nous y inviter, il nous offre outils et bagages pour la longue route, l’éternelle promenade. Nous étions des voyageurs ; nous pourrions être des nomades bienheureux.

Y – a – t’il tout cela dans «  Échec, et Mat » ? Bien sûr et plus encore.



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Echec, et mat

Fable post-apocalyptique, Echec, et Mat se refuse à cette classification sommaire, tant il est porté par une inspiration poétique, faisant de cette thématique comme un substrat, une basse continue sur lequel se déploie un univers sensuel, singulier, assez éloigné somme toute des récits de genre qu’il épouse tant on les conjurant.

Récit mené avant tout par les désirs de ses protagonistes, Echec, et Mat est une relecture d’un des plus beaux mythes qui soient, celui d’Orphée.et d’Eurydice, dans lequel les deux amants ne peuvent se libérer des chaînes des enfers qu’à leurs dépens. Que choisir ? Le confort lénifiant et soporifique du « monde d’en bas », sous le jougs d’une implacable gouvernement, énième avatar d’une société totalitaire, placée sous le contrôle absolu et mystificateur d’une pénurie d’eau ? Ou la fuite, périlleuse, par où renouer avec ses désirs signifie aussi côtoyer la mort de près ?

Le roman de Galien Sarde met en jeu cette tension, et la crise que traverse le narrateur, à travers de belles pages introspectives :

« Depuis quelques mois, j’arrivais au bout d’un cycle, me débattais pour trouver de l’air, ne pas trembler. Je le faisais souvent , trembler, sans savoir pourquoi, quand venaient en moi des changements, que quelque chose bougeait dont j’aimais la puissance d’impression fulgurante, au-delà de ses effets. Je tremblais et je frissonnais, mais ça ne se voyait pas – les écarts intérieurs ne se sont jamais vus. »

Il choisit l’échappée, accompagné de Mat, figure sécurisante, inamovible, et porté qu’il sera par le regard d’Eurydice -ainsi que par une gangue de paradis artificiels dont il s’entoure. Narrativement, le découpage des chapitres est constitué d’allers-retours entre le monde souterrain et le désert, qui ajoute à la tension nerveuse du récit.

C’est un livre sur les choix que l’on fait -que l’on doit faire ?- et sur les rencontres : celles-ci qui nous changent et peuvent nous mener, comme dit le narrateur, « au cœur de l’être ». Sur le chemin il y aura aussi des scorpions, des murènes, des rêves et des cauchemars, et la peur, omniprésente. Mais surtout, il y aura le regard d’Eurydice, ce regard qui aiguillonne les autres et qui les oriente bien loin du « réel immonde ».

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Echec, et mat

Dans son contexte, le roman de Galien Sarde parle de notre futur si rien n'est fait pour limiter notre impact sur la planète, il est l'un de ces romans SF que l'on n'a pas envie de voir se réaliser, mais qui le pourraient tout à fait : "Des hommes y ont vécu, dans ces villes, là comme ailleurs, avec cour ou jardin privé, il existait alors plusieurs firmes, plusieurs marques et plusieurs filières, le monde était encore grand ouvert, qu'irriguaient des réseaux, avant qu'on ne le rétracte, par faiblesse et affiliation -c'était l'époque des fleuves et des mers, des vagues et des icebergs, dont l'épuisement fut précipité par des choix coupables et une sécheresse historique : plus d'un an sans précipitations sur la majeure partie du monde, l'eau venant soudain à manquer, refusant de tomber du ciel dans un déluge inversé, engendrant le pire." (p.14/15) Et dans ce contexte angoissant parce que réalisable, il met deux jeunes gens sur la route pour une vie meilleure. Théo, qui subit plus qu'il ne vit sa fuite : il suit Mat, s'abrutit de haschich. Il n'est pas habitué à une sorte de liberté fût-elle avec le risque de se faire reprendre par la Milice. Et Mat qui a tout organisé, qui mène le duo et conduit la voiture, qui tient à cette évasion et veut absolument voir l'océan.



Superbement écrit avec de longues phrases, très ponctuées, des mots rares ou inattendus : "Avec des clients, je jouais aux dés et fumais pour lasser le temps, déliant au mieux leurs humeurs, déjeunais sur le pouce, buvais des cafés, dormais debout, en corybante." (p.88), dans cette phrase, je ne m'attendais pas à "lasser le temps" ni à "corybante" (prêtre phrygien de Cybèle, pratiquant des danses extatiques selon le Larousse). Galien Sarde use d'autres vocables dont je ne sais s'ils existent réellement ou s'il néologise : "Mes doigts sont engourdis, mon esprit se disperse -ma tempe fulgure de nouveau." (p.42/43), "Quoi qu'il en soit, la vue de ce site en plein désert est pour nous franchement sidérante, effrène notre imagination sans borne..." (p.42) ou des images (ou figures de style qui ont sûrement un nom précis) : "Je n'intervenais pas, j'écoutais, transporté. Mon verre avait un goût de foudre, tout un monde de possibles affluait, qui me traversait." (p.53).



Tout cela fait de ce roman un texte fin, littéraire, d'une écriture soignée qui sonne délicatement à l'oreille. Une formidable histoire, un road-trip -en bon français- ou une odyssée onirique, avec des héros en pleines interrogations qui fuient une vie morne et étroitement surveillée pour une vie autrement plus libre mais avec de gros risques. Ce premier roman de Galien Sarde est une réussite, comme l'est son deuxième récemment lu et chroniqué : Trafic.
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Echec, et mat

Une claque littéraire.

La fièvre vous gagne dès les premières lignes, la peur aussi. J'ai eu soif, j'ai eu chaud, j'ai ressenti la peur, j'ai crains la mort.

Une lecture haletante qu'on a du mal à quitter. Les pages s'agitent, virevoltent et s'échappent. on vole, on s'enfuit avec Echec et Mat jusqu'à la dernière page où j'ai eu le souffle coupé.

Écriture Divine, épopée délirante dans un monde assoiffé de haines et de représailles.

Un air suffocant flotte, des incendies étouffent, " la mort gagne le ciel".

Une course poursuite contre le temps, la vie, la soif. On se croirait dans un film de Scorcese de fin du monde. Sciences fiction, pas tant que ça. Car si on y regarde bien, nous pourrions être Échec et Mat, Doris et Phèdre appelés par Eurydice.

Fuir la guerre, le chaos, la cité perverse.

Joindre l'ouest, l'Eldorado jusqu'au canyon.

Nous sommes assoiffés et nous roulons à tombeaux ouverts à la recherche de liberté et de Paix.

Vous allez être transportés par cette fable apocalyptique, brillamment mené et maîtrisé par l'écriture fantastique de Galien Sarde.

Auteur à suivre.
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Echec, et mat

Entrer dans un nouveau livre, on le sait bien, est déjà une aventure en soi. Entrez donc dans Echec, et Mat, de Galien Sarde ; vous ne le regretterez pas. Sans trop la dévoiler, sachez que vous apprécierez la fine élégance de la couverture, annonciatrice d’un texte de qualité, semblable à ceux proposés par Fables Fertiles, cette maison d’édition naissante, prometteuse, si l’on en croit les trois ouvrages publiés, de pépites littéraires.

Le titre : virgule après « échec », majuscule à « Mat » ? Etonnant…

Vous en viendrez ensuite à l’épigraphe, toujours un peu énigmatique. Tiens, ici, une citation des Rolling Stones, de « Gimme Shelter »… Alors vous vient en tête, s’insinuant, le souvenir d’une guitare à la fois planante et angoissante, qui vous survole, comme les bras du chanteur sur scène, semblable aux ailes d’un oiseau maléfique. A quelle aventure nous introduit-on ? A quel voyage ? Vers quel envol ? Vous êtes prêt ? Tournez la page. La rythmique se met en route, implacable, aussi efficace que celle du groupe de rock, aussi percutante et inéluctable que celle de la caisse claire de Charlie Watts : « Mat vient de me réveiller.

"Vite, suis-moi ! "

Confusion, bruits métalliques, voix lointaines. Le moteur entendu n’était pas dans mon rêve.

"Dépêche-toi, il faut qu’on file !" »

Ça y est, vous êtes partis. Vous allez filer vous aussi. Vous ne vous arrêterez plus. Ce livre n’est pas à choisir le soir avant de s’endormir, si l’on veut se lever tôt le matin. Vous allez avoir des cernes. L’objet que vous avez entre vos mains est hautement et jubilatoirement addictif, et nullement nocif. Impossible de le refermer. Car Galien Sarde a ce pouvoir magique de vous embarquer aux côtés des deux protagonistes et de vous faire vivre, tant intellectuellement que physiquement, tout ce qu’ils vivent et ressentent. Vous allez fuir avec eux une ville où règne un pouvoir totalitaire, rouler pendant des heures dans le désert, écrasés de chaleur. Vous allez croire, comme Théo, à la fiction fabriquée par ce pouvoir et, peu à peu, briser vos représentations et ouvrir vos yeux à une autre réalité, tout au long de ce récit initiatique au style vif et trépidant, aux phrases parfois disloquées. Vous allez pénétrer les souvenirs du personnage et vous enfoncer dans les couloirs obscurs et moites de la ville souterraine. Puis, vous allez rêver, désirer, jouir ou être frustrés. Vous allez craindre la répression, vouloir vous en dégager, briser cette gangue, ce rôle qu’on vous a assigné, refuser le déterminisme. Y parviendrez-vous ?

Et puis vous aurez soif.

Soif de liberté bien sûr, d’un ailleurs, d’une nouvelle vie dans un monde nouveau, au-delà de « la ligne rouge », au-delà du désert, où à nouveau « le pétrole [vaudra] plus que l’eau claire », où cet élément vital ne sera plus exploité pour mieux asservir les populations. Mais pas seulement ; vous aurez soif, vraiment, au sens propre. A en avoir mal, à ne pouvoir avaler, et vous sentirez alors l’eau bienfaisante passer de la gourde à vos lèvres sèches, apaiser votre gorge et vous emplir de vie, tout comme le pain, simple et bon, que l’on mâche doucement, rare moment de répit.

Alors vous vous méfierez. Une inquiétude pointera en vous. Roman d’anticipation… Et si le monde décrit dans ce livre était notre avenir ? Depuis le temps que nous nous y employons les yeux fermés mais sciemment, nous l’avons bien mérité notre petite apocalypse.

Vous l’aurez compris, ce roman polysémique pointe plusieurs thèmes en résonance particulière avec notre époque : l’écologie, la liberté, le déterminisme, la fiction, et (c’est peut-être sa plus grande richesse) tout un champ de possibles selon la sensibilité de chacun des lecteurs.

L’eau (vie), la liberté, la fiction (imagination, création…), trois éléments liés, interagissant les uns sur les autres comme les éléments d’une chaîne alimentaire, d’une chaîne de vie. Trois éléments précieux et fragiles, périssables ou jamais définitivement acquis, à protéger.

Alors, après avoir lu ce roman, nul doute que vous irez, lentement, précautionneusement, sans en perdre une goutte, vous servir un verre d’eau. Vous la savourerez, doucement, à petite gorgées, en toute liberté. L’eau, la liberté ; vous savourerez l’une et l’autre, vous chérirez l’une et l’autre ; et vous retournerez lire Galien Sarde.

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Echec, et mat

Un récit fort et addictif. A lire si possible d'une traite pour rester connecté au rythme envoûtant de cette traversée du... désert ? L'écriture peut surprendre, mais elle est au service, toujours, de cet univers, et excellement maîtrisée. Mat est une figure typique de l'homme fort et déterminé. Cela suffit-il a tracer une autre voie à une destinée tracée ?

A découvrir...

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Echec, et mat

Au bout du tunnel, la lumière.

Échec, et Mat de Galien Sarde



Très loin, au-delà du canyon, pulse l’océan. Il suffirait pour y plonger d’arriver au bout de la route.

Le point de départ est la Cité, réprimée sans fin par la Milice. Pour y échapper, il faut échapper au mythe entretenu par ses dirigeants : moyennant soumission aveugle et restrictions consenties, elle serait, sur une planète brûlante et dévastée, l’unique système et l’ultime refuge des survivants d’une guerre apocalyptique.

Pour concevoir qu’ailleurs, l’eau abonde encore, que d’autres sociétés, libres et ouvertes, ont survécu, le narrateur doit d’abord descendre aux enfers, dans le labyrinthe des sous-sols où grouillent les opposants : trafiquants, poètes, joueurs, buveurs d’espoir, rêveurs sous acide. Il est guidé par Mat qui a entrepris de le sauver et qui, contrairement à lui, semble évoluer, là comme partout, dans son milieu naturel. Après cette descente initiatique, c’est sans Eurydice, puissance sacrificielle à peine entrevue, mais toujours rivé à Mat, qu’il connaîtra la grâce de l’évasion dans un monde désertique, incandescent, où s’accrochent malgré tout de robustes traces de vie animale et végétale, un monde où les miracles sont possibles – appelons-les Phèdre, Doris – jusqu’à cet échec qui plane, tel un condor, du titre au point final.

Galien Sarde assemble tous les éléments d’une dystopie classique avec un sens aiguisé de la narration, éclatée en flash-backs alternant l’horizontalité flamboyante de la cavale avec la verticalité obscure de la planque. Mais bien sûr, comme le vrai dans la Cité, le vrai du récit est hors les murs, enfoui ou projeté. « L’effroi confine à la joie, à la splendeur… les deux se touchent et communiquent, franchement indissolubles. »

Il y a d’abord Mat, sauveur surgi de l’incendie, robuste, rassurant, tutélaire. Pourquoi Mat a-t-il étendu sa main protectrice sur ce narrateur fragile et désemparé, pourquoi l’entraîne-t-il, lui, dans sa quête éperdue de liberté ? Mystère : le salut est toujours aléatoire. Mat est le guide. Le meneur. Il détient la carte, s’accroche au volant, ne s’endort épuisé à même le sol que pour s’éveiller régénéré, tel un géant mythologique. Pourtant son élan, comme celui de ses passagers, se brise net dans le canyon. En dystopie, le sauveur lui-même est aléatoire.

Ensuite, il y a l’eau : celle, accaparée par les puissants, qui fait l’objet de restrictions drastiques, celle qu’ils stockent, qu’on leur arrache, qu’on économise ou qu’on boit avidement et enfin celle, généreuse, où l’on plonge dans la vie.

Lové au creux d’un Eden pétrifié, un lac accueille les fugitifs dans ses eaux lustrales, tendrement matricielles, baptême de fraîcheur avant l’ultime étape. Enfin, à l’autre bout du canyon roule le flot salé, le sérum originel. Moins heureux qu’Icare, le narrateur l’entrevoit dans sa chute, mais retombe durement sans pouvoir s’y diluer. Inaccessible, il ne sera pour lui qu’une vibration lumineuse, le « voile bleu-vert immense de l’océan ».

Galien Sarde décrit, construit son univers comme on peint un tableau, ligne d’horizon, lignes de fuite, grands aplats de couleurs qui évoquent parfois Nicolas de Staël. Entre les eaux amniotiques du lac et l’océan aérien s’étire le canyon, concentré d’existence. La vision finale du narrateur évoque irrésistiblement une EMI, une expérience de mort imminente, telle qu’on la rapporte en Occident – car, on le sait, les visions diffèrent en fonction des cultures : un long tunnel, ouvert au loin sur un infini éblouissant.

Mat a-t-il vraiment failli ? Le sauveur n’était-il qu’un imposteur conduisant ses disciples à leur perte ? Ou savait-il que la trajectoire, celle qui tend toujours vers le but qu’elle n’atteint jamais, se suffit à elle-même, et que l’océan n’est en vérité qu’un ultime mirage de chaleur ?

La réponse est au bout du canyon.

















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Echec, et mat

Une lecture haletante qui nous mène de contrée en contrée à la recherche de ce Moi , à la fois Echec et Mat ; à la recherche de cette contrée nous menant vers ...Quoi en fait ? Ce récit, symbiose entre fiction et réalité est une épopée qui déclenche une introspection fabuleuse et inquiétante à la fois ... à lire absolument
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Echec, et mat

Surtout, ne résistez pas à l’écriture de Galien Sarde, laissez vous séduire par le rythme et les mots choisis, poétiques. C’est une mélodie. Le souffle de lecture à l’allure d’un coureur de fond, une fable d'aujourd'hui, sur les traces ethno-archéologiques d’une cité tentaculaire aux portes du désert, de demain, peut-être. L’eau essentielle. Mat et Théo. Comment ne pas lire Mathéo ? Et qu’en penser ? ... Table des matières faite de chiffres repères sans titre. La subtilité jusque dans les détails qui donnent lecture à foison et à imagination.

Il a piqué ma curiosité du premier au dernier mot ce récit. En toute liberté offerte par l’auteur, son univers n’a rien empêché de la création du mien. C’est fort ça, très fort! Entre réel et fiction, la magie opère au long cours.

Mais, qu’en pensez-vous futurs lecteurs, le réel existe-t-il vraiment ou est-il le fruit de nos songes en veille et contre veille?

Allez, faites comme moi, laissez vous emporter par l'épopée, l’alternance des phrases courtes, des silences écrits, des enjambées au souffle long, courez chez votre libraire !

On ne revient pas indemne de « Échec, et Mat », la virgule au bon endroit.

C’est chez « Fables fertiles », les éditions aux bons choix littéraires. Neuves et prometteuses ces éditions là !
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Echec, et mat

Les lecteurs curieux de découvrir un nouvel écrivain pourront apprécier ce récit haletant, très bien écrit , au final dramatique et déconcertant.Le livre de G. Sarde plonge immédiatement dans l'action. Théo rencontre Mat qui lui propose de fuir la Cité où règnent la violence physique et psychique. Au cours de cette fuite Théo est assailli de doutes et de peurs mais il poursuit sa quête de liberté et de bonheur grâce à l'opiniâtreté et la force de caractère de Mat. Le but est atteint mais un ultime rebondissement se produit.G Sarde maîtrise son récit de bout en bout par la qualité et la force de sa narration. En un mot : un roman "épopée" à dévorer sans modération.
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Trafic



La tectonique des fluides



Une nuit de fête, Vincent croise Manon sur un balcon, et il se noie.

Innombrables sont les récits autour de la femme fatale ; la baptiser Manon, c’est se référer d’emblée à un archétype. Que broder sur ce thème, qui ne soit pas galvaudé ?

Galien Sarde relève le défi.

Outre son héroïne, "Trafic" recèle tous les accessoires, les décors du roman noir : s’identifiant à Vincent, le lecteur y partira en quête d’un film mystérieux, puis d’un trésor en billets verts, objet de toutes les convoitises. Sans surprise, il se verra remettre de faux papiers d’identité. L’indispensable pistolet sera tout prêt dans la boîte à gants. Virevoltant d’un hôtel louche de la Nouvelle-Orléans à un palace monégasque, il traversera au passage, via le tube d’espace-temps d’un avion en détresse, un Paris nocturne et festif où la narration, quand elle s’aventure hors d’un appartement au luxe feutré, se faufile d’escaliers de secours en parkings souterrains. Il croisera des types douteux auteurs de sourdes violences, et beaucoup de chemises hawaïennes. Il s’éprendra de Manon si belle, à chaque page plus fragile, désorientée, évanescente et cependant, infiniment libre. Le narrateur omniscient ne consent que bien peu d’indices mais, bon prince, dispense libéralement le kit complet du parfait petit polar, à assembler au fil des pages.

Heureusement, Galien Sarde fait partie de ces auteurs qui présupposent que le lecteur possède une certaine dose d’intelligence (il faut lui en être reconnaissant, car ils se font rares). Oui, il offre en kit ce roman hitchcockien en diable… mais sans notice de montage.

Pourquoi hitchcockien ? Le grand Hitch, dès les années 30, pose le principe du Mc Guffin. Il désigne ainsi l’objet, clé de coffre, bijou ou document secret qui permet d’élaborer le scénario mais dont tout le monde, dans le fond, se fout complètement, ce même scénario étant au service d’un objet filmique virtuose destiné à envoûter et égarer le spectateur. "Trafic", qui n’est pas (encore ?) un objet filmique, regorge de Mc Guffin : copie de film, sac de billets… mais pas que. En réalité, le Mc Guffin, c’est tout le kit.

Qu’est-ce qui fait, alors, la mystérieuse attraction de ce roman fourmillant de codes, revendiqués par l’auteur dans le seul but de les détourner ?

Est-ce le temps suspendu quand, dès l’incipit, le trafic annoncé par le titre se coagule brusquement sur une nationale en guise d’artère bouchée, immobilisant d’un coup de frein le récit, les protagonistes et le lecteur ? "Ascenseur pour l’échafaud" repose tout entier sur un principe similaire.

Est-ce le retournement final, la chronologie bouleversée ? A priori, là non plus, rien de neuf. Le retournement fait partie des procédés classiques. Et nombre de polars cheminent d’un flash-back à l’autre, chacun apportant son lot de révélations qui font avancer l’intrigue.

Mais lorsque Vincent se procure enfin la fameuse copie de ce film dans lequel a joué Manon, il passe des heures devant l’écran, acharné à découvrir au fil des images un indice (de quoi ? même cela, il l’ignore), à jamais fuyant. Copie numérique, immatérielle, « rien de tangible », Mc Guffin idéal car sans existence concrète : les révélations dans "Trafic" ne révèlent chaque fois que de nouvelles brumes, électriques, colorées, mais indéchiffrables. "Trafic" ne se réduit pas à une mécanique solide et finalement décevante, comme ces poupées gigognes qui donnent envie, quand on a extrait la petite dernière, de l’écrabouiller pour savoir ce qu’elle aussi a dans le ventre. L’essence du roman est ailleurs.

"Trafic" est un espace de flux et de fluides, d’ailleurs plus sensoriels que sensuels. Fluide verbal, sémantique, d’abord : ainsi, quel sens donner au titre, selon l’écoulement des mots qu’il engendre ? Flux sonore : éclats feutrés de fêtes à Paris comme en Louisiane, « bruit de fond roulant » en guise de basse continue car, même imprégné de Méditerranée, le roman reste résolument urbain et routier. Flux olfactif : « La chaleur le saisit, l’environne. Son odeur jaune, chargée de sel et de relents de gazole, d’un peu de gomme, aussi (résine et caoutchouc brûlé) l’assiège cotonneusement, comme un vide. » Enfin et surtout, flux visuel d’un roman noir tout en couleurs : « Il pressa graduellement le pas, dérivant dans des zones de lumière chaude, communicantes, dans un long fondu rougeoyant troublé d’éclats blancs plus puissants tels des essaims d’incandescence où lui revenaient les mots de Manon. » Flux et fluides qui se dédoublent, se fondent parfois, comme des volutes anisées troublent lentement la limpidité d’un verre d’eau glacée. Les indices semés par l’auteur s’y infiltrent, translucides, laissant par instants entrevoir un monde au-delà du monde où la vérité, quand elle cristallise, déchaîne un raz-de-marée aveuglant. Mais la quête de l’auteur ne peut se résoudre à ce finale brillant.

Galien Sarde est tout à l’écriture ; l’écriture, dans "Trafic", est tout. Un mot de trop ferait que les flux se contrarient, que virent les couleurs, que s’opacifie la lecture.

Aucun risque. "Trafic" démontre, et au-delà, la maîtrise absolue qu’a son auteur d’une science dont il pose les bases : la tectonique des fluides.

AC BLANC

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Trafic

Trafic est le deuxième roman de Galien Sarde, publié également aux Fables Fertiles, après Echec, et Mat. Comme je l’avais été par celui-ci, j’ai été happé par les premières lignes de ce deuxième ouvrage.



Une ouverture frappante



L’incipit a en effet ceci d’original et d’intéressant qu’il commence par une fin, créant ainsi une sorte de trouble: on s’attend à un envol, et on passe en réalité de 140 km/h à un arrêt, on se retrouve bloqué dans un embouteillage causé par un accident, cloîtré dans une voiture au milieu des sirènes, en pleine chaleur. Comme dans Echec, et Mat l’identification à l’un des deux protagonistes, Vincent, est immédiate. La description de ses sensations nous plonge avec lui dans son malaise : « son pouls s’est mis à enfler, tandis qu’une vague de chaleur envahissait son visage, avant de refluer, glaciale ». Vincent est donc « sous le choc ». A ses côtés, c’est tout le contraire : Manon, la femme qui l’accompagne, semble d’un calme imperturbable. Que se joue-t-il entre ces deux personnages pour qu’existe un tel contraste, une telle tension ? Et ce pistolet, rapidement évoqué, dans la boite à gants ? C’est ce que l’on va découvrir tout au long du roman, au gré de va-et-vient entre des flash-back et le présent immobile de cet embouteillage, alors qu’on se situe dès cet incipit très proche du dénouement.



Un thriller psychologique



Ces retours en arrière nous feront découvrir toutes les péripéties de la relation complexe entre Vincent et Manon, depuis cette première rencontre « à Paris, sur un balcon, de nuit », jusqu’à ce huis-clos, et l’on assistera à l’évolution de cette relation et de ces personnages sans que l’on sache trop à certains moments qui mène la danse, qui manipule qui, qui tend le piège et qui est la proie. Car Galien Sarde nous distille peu à peu des amorces nous laissant présager, ou pas, le dénouement de ce roman plein de suspens. C’est là que réside une grande partie du plaisir de lecture : assister à l’évolution psychologique des personnages, tenter d’en identifier tous les ressorts et essayer de déceler, comme dans un roman policier ou un thriller (car ce livre en est un) les éléments qui nous mettent sur la voie du dénouement et ceux qui nous trompent, nous mystifient comme l’est l’un des protagonistes, amorces que l’on identifiera mieux et avec un plaisir décuplé lors des lectures suivantes.



Un chapitre clé



A cet égard, le chapitre 11 est fascinant. C’est l’un des chapitres où l’on est bloqué dans l’embouteillage mais, les heures passant, les automobilistes se sont relâchés, sont sortis de leurs voitures, et une sorte de vie reprend dans cette bulle à deux pas de l’horrible accident qui est la cause de ce blocage. On y voit innocemment des enfants qui jouent à cache-cache parmi les voitures arrêtées, une femme qui les aide, un homme qui consulte des billets d’avion, un canadair qui lutte contre un incendie… Cependant, à y regarder de plus près, on observe une aide et une trahison, un homme qui a raté son avion… ou qui se rend compte qu’il est encore temps, un feu (intérieur ?) et une énorme douche froide propre à vous assommer à jamais, soit, selon la lecture que l’on fait de ces lignes, un condensé du roman et une annonce de ce que sera la fin.



Un film envoûtant



On sait que Manon a participé à un film dont le tournage l’a amenée bien au-delà du simple rôle d’actrice. Aux côtés de Vincent, quel rôle joue-t-elle vraiment ? En joue-t-elle seulement un ou est-elle encore empêtrée dans un des « trafics » dont il est question ? Et ce film qui fascine Vincent, qu’y cherche-t-il ? Il semble vouloir y découvrir toutes les facettes d’une Manon idéalisée, connaitre chaque parcelle de son passé, connaitre tout d’elle, toute son histoire, la posséder tout entière. Désir du film, désir de Manon. Ce film est comme un aimant qui l’attire, semble œuvrer comme un objet maudit, envoûté et envoûtant. Qu’advient-il si l’on franchit la limite qu’il semble signifier, si l’on passe de l’autre côté du miroir ? La lecture des passages où Vincent regarde et regarde encore le film, coupe bue jusqu’à la lie, et les conséquences qui en résultent sont d’ailleurs fascinantes et offrent l’occasion d’une belle réflexion sur la réalité et la fiction, sur l’image et son pouvoir, sur nos rêves et leur réalisation, nos mystification, les rôles que nous jouons.



Un écho de Manon Lescaut



On savourera également les parallèles avec d’autres œuvres de la littérature, Manon Lescaut au premier plan. Un conseil, d’ailleurs, si vous n’avez pas lu ce roman de l’Abbé Prévost. Lisez d’abord Trafic afin de n’avoir aucune indication sur le dénouement, afin d’être aussi naïf qu’un des deux protagonistes. Lisez ensuite Manon Lescaut, puis relisez Trafic. Vous en savourerez tous les parallèles et la maestria de cette réécriture.



Je n’ose aller plus loin de peur de trop en dire, de trop dévoiler. Je vous laisse découvrir Manon et Vincent, les suivre au gré des mots, des phrases, du style brillant de Galien Sarde capable d’embrasser d’une phrase plusieurs éléments dans un seul et même mouvement (p.17). Capable, aussi, de modeler son matériau linguistique afin de mieux centrer votre attention sur tel sentiment, tel doute, de porter votre regard sur tel objet (p. 122), de vous faire pénétrer un personnage lors de plans subjectifs, vous faisant ainsi partager l’objet de son désir (p. 120-121 ; 123). Capable, enfin, de vous enchanter. Dans tous les sens du terme ? Oui, sans doute. Je vous invite donc à vous laisser enchanter, fasciner (le dénouement !) par Trafic de Galien Sarde. Enchanter, mais nullement envoûter. Pas de crainte à avoir : je vais très bien et en suis déjà à ma troisième lecture.



Vous retrouverez dans mes "citations" certains extraits des pages que je cite.

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Trafic

Sidérant. Une écriture d’énergie pure, dénudée, sans filtre, sans habillage bienséant. En prise directe dans le cours de l’âme-matière, comme modelée dans l’argile existentielle du cursus humain. Et l’on est emporté dans le cours du fleuve étincelant, le poids, la couleur, la consistance, la relativité, l’épaisseur, la respiration- et en cela la fragilité crépusculaire du vivant- Une écriture du penser actif. Quand l’écrit devient matière vivante, objet réel existant tel un être incarné. Certes le goût et la forme d’un thriller-au premier degré-(mais) j’y vois d’emblée une chronique entre-deux-eaux; la juste mesure esthétique, ou même éthique, de la lente combustion d’une passion: comme elle est relatée par le seul narrateur, c’est au lecteur/spectateur de combler les vides si le cœur lui en dit- si son besoin cartésien de trouver des raisons et de conclure est trop impératif.Sinon rester dans la masse de cette puissante colonne d’énergie semblable au Vortex des grands cataclysmes. Car il s’agit avant tout d’une colossale histoire d’amour. Et c’ est dans cette réalité que réside la source d’énergie créatrice:l’on veut s’y désaltérer -soit- nous y contemplerons notre propre reflet, un instant nimbé d’éternelle jeunesse, celle de l’Amant.
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Trafic

Trafic est le deuxième roman de Galien Sarde et une belle réussite, là encore, si l'auteur, après avoir investi la dimension mythique dans Echec, et Mat, investit ici les codes du polar, sans que l'on lise un polar. L'histoire est celle de Vincent et e Manon, à la beauté fatale, d'une trajectoire tendue, haletante, aux issues opaques, incertaines. Une écriture et une univers résolument singuliers.
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Trafic

"Avec son style fondé sur le discours indirect libre, l’hypallage, les rythmes binaires et ternaires, les comparaisons, Trafic rappelle un certain style des éditions de Minuit dans les années 1980-1990."



"Pris dans le trafic routier au hasard d’un grave accident loin devant eux, leur voiture immobilisée au milieu des autres, Vincent et Manon attendent que le flux reprenne. Quand ils se sont rencontrés, quelques mois auparavant, Manon venait de tourner un film, remplaçant au débotté une actrice blessée. Tout semble aller au mieux, mais des commentaires du narrateur, ainsi que de nombreuses annonces proleptiques, indiquent que quelque chose cloche, qu’un drame couve qui ne manquera pas d’empoisonner leur vie."



Samuel Minne, le 14 avril 2023, Diacritik.
Lien : https://diacritik.com/2023/0..
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Trafic

J’ai lu, par curiosité d’écriture contemporaine, ce second roman de Galien Sarde, un auteur dont je ne manquerai pas de lire le précédent roman et de suivre les futurs écrits : j’ai vécu au final – comme si j’avais grimpé dans un bus dont la destination était laissée au hasard –, une escapade originale, menée incontestablement par une plume de choix.



Trafic, roman épuré de 135 pages pouvant se lire d’une traite, est un court thriller doublement attrayant (forme et fond) dont le titre se révèle multisens.



J’en ai relevé trois.



Non sans originalité (style et fond), j’ai été balancée à partir de l’incipit (un embouteillage provoqué par un accident) entre un film, les réminiscences d’un autre accident non survenu, Vincent & Manon, les deux protagonistes dont les mœurs et les sentiments sont quelque peu atypiques. Et des billets verts ! (deuxième sens du mot « trafic » : la source dudit « pactole »), ceci au rythme d’une tension dirigée par une plume fort plaisante, fleurant bon les beaux mots, joliment et savamment tournés (chose relativement rare aujourd’hui).



Et selon une épure stylistique haut de gamme – part aussi importante du roman contribuant au plaisir de la lecture – magnifiquement réussie.



La fin est exaltante, et le chapitre 13, l’avant-dernier, carrément excellent !



Subjectivement, hélas, sur le plan humain, mon œil féminin (âgé) a été déçu, non attiré par les personnages peu réalistes ni convaincants qui m’ont laissée de marbre froid : une « pulsion désirante… » obsessionnelle… tristement intéressée.



Des protagonistes aux mœurs et sentiments quelque peu atypiques.



Vincent, un jeune homme actif qui réussit bien dans sa carrière, protagoniste n° 1, a rencontré Manon (n° 2) à Paris, il y a quatre mois – où précisément, comment, quelle idylle ont-ils partagée ?



Le roman est muet, nous plongeant immédiatement – et pour le tout peut-on dire – dans l’attraction sur lui provoquée par Manon (citations sur mon site)



… et le film qu’elle a tourné juste avant leur rencontre, attraction concomitante à l’urgence soudaine de Vincent de changer d’air, s’accrochant « parasitairement » aux facilités offertes par le train de vie de Manon, dans un milieu arrosé où les fêtes et les verres se succèdent…



Pulsion désirante, soit, mais Amour où es-tu ?



Vincent tente de se disculper (détails sur mon site).



De Manon, présentée dans une parité qui s’effritera vite – tout tournant autour de la « pulsion » de Vincent, objet de démonstration du livre –, on ne connaîtra, en dehors de sa plastique et de son attrait rayonnants décrits par Vincent, qu’un être misérablement froid, plus préoccupé d’expédients… (détails sur mon site).



Quels sont ses sentiments, au moins pour Vincent ? On ne le saura pas…



Un seul passage me l’a rendue véritablement humaine :



« Après un regard à l’une des fenêtres, où la nuit prenait corps, Manon se leva calmement, fit quelques pas en direction de la zone la plus sombre du salon où, mains dans le dos et yeux levés vers les moulures du plafond, elle s’appuya contre la double porte vitrée pour respirer. »



De manière tout aussi épurée, l’histoire nous dit peu de choses sur les protagonistes (qui m’ont été d’emblée antipathiques) : j’ai appréhendé Vincent comme un mâle égoïste, et Manon, une calculatrice froide dont le comportement fournira, dans l’épilogue, le 3e sens du mot « trafic » – à tout le moins nous le laissera interpréter – déboulant dans l’oralité du mot : « trafiquer » ou « traficoter ».



Peut-être y-a-t-il là un phénomène générationnel qui a interféré ? Ou n’est-ce, tout simplement, parce que je suis une fan invétérée de Duras : « à Calcutta, non, à aucun moment à Calcutta la nourriture ne se confond avec la poussière, les choses triées avec précision, l’esprit n’est plus là pour le faire, autre chose trie pour lui ce qui se présente. » (Le Vice-Consul).



Cet avis sur le fond du livre (qui vaut la peine d’en débattre) est totalement subjectif. Je n’ai également fourni que quelques extraits (le choix était large) qui attestent néanmoins d’une plume talentueuse, méritant manifestement d’être suivie. Assurément lirai-je Échec & mat, son premier roman encensé, publié chez le même éditeur.



À suivre…




Lien : https://zoegilles.net/trafic..
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Trafic

Trafic , l'art du contrepoint



Si le nouveau roman de Galien Sarde retrace la trajectoire d'une relation amoureuse, celle entre Vincent et Manon, depuis sa naissance jusqu'à sa fin, il le fait d'une manière non-linéaire, sinueuse, en alternant deux récits, deux temporalités, empruntant sa manière à celle, musicale, du contrepoint.

Ces alternances dans la narration, déjà présentes lors de son précédent opus, Echec, et mat, assurent une fois encore tension et nervosité dans la matière narrative, le lecteur suivant deux lignes directrices, situées géographiquement d'une part entre Paris et La Nouvelle Orléans, d'autre part sur une autoroute et à Monaco. Mais ces deux lignes ne cessent de se répondre, et l'accident autoroutier provoque comme une stase dans l'enchainement des évènements, et fournit donc un contrepoint à cette forme de fuite en avant que représente la relation amoureuse entre Vincent et Marion.

C'est suite à la rencontre avec Manon, personnage captivant mais entourée de mystère, que la vie de Vincent, dont le point de vue organise le récit, s'emballe, change définitivement de trajectoire. Un grande partie du sel de Trafic réside dans cet halo de mystère autour de Manon, qui aiguise le désir de Vincent, l'obsède au point de lui faire prendre des risques inconsidérés. Ce parfum d'étrangeté ne semble plus se départir de Manon depuis son séjour à La Nouvelle Orléans et son rôle dans un film : « Deux semaines et demie plus tôt, elle était allée au bout d'un rôle dans un film aux Etats-Unis, rôle dont son corps vibrait encore quand ses yeux croisèrent ceux de Vincent, sur un balcon , de nuit. »



Le film, machine à fantasme



L'intérêt de l'irruption de ce film dans la trame narrative est la potentialité subversive, n'hésitons pas à le dire, dont il est chargé : les repères de Vincent vont en être durablement bouleversés, ainsi que, dans un sens premier, l'écriture. C'est par le film, à travers lui que le roman se constitue, se densifie, devient autre chose qu'une belle histoire d'amour avec un début et une fin. Y trouve un souffle dans ses phrases rappelant par moments celui de Jean-Philippe Toussaint, à mes yeux un grand compliment. Trafic puise dans cette matrice cinématographique, s'y nourrit, ce qui lui donne par instants des allures de roman noir. Manon, par exemple, doit remplacer l'actrice du film, « dont le visage bandé respirait au bloc de réanimation ». Il y a donc eu le film, puis tout ce qui s'y est joué autour : un jeu de masques tout aussi bien devant que derrière la caméra.

Vincent est un être en quête d'absolu, mais aussi de tranquillité dans sa vie, de « sphères qui échappent sans réserve à la mesure du quotidien ».

Le jeu de masques devient vite un jeu de dupes à ses yeux, et il cherche à s'en défaire, tout comme il a cherché – et réussi- à se défaire d'un métier vide de sens : « En désespoir de cause, Vincent souhaita ne s'être jamais rien rappelé, revenir à un stade antérieur. Puis il voulut parler à Manon du film, dont il continuait de s'éloigner. Néanmoins pour des raisons similaires à celles qui l'avaient fait l'éviter pour avoir une copie, il s'abstint finalement. »



Un paquet de nerfs



Trafic vaut aussi pour les ambiances qu'il décrit, mais aussi et surtout pour la gamme des états émotionnels ( torpeur, stupeur, passion, joie, peur, désir, extase, angoisse, jalousie , bien sûr, et la fatigue, très présente) qu'il fait parcourir à ses protagonistes. D'ailleurs, les deux vont ensemble, tant les événements et les lieux semblent peser sur les organismes. Il faut dire que le roman est nimbé de soleil, d'une chaleur tantôt libératrice, tantôt étouffante. Ses effets sur les nerfs, combinés avec le « bruit de fond » de la vie évoqué à plusieurs endroits, sont décrits avec un talent d'observation, mais aussi de compassion : la passion de Vincent, chacun peut s'y identifier, hypocrite lecteur – mon semblable, mon frère !

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Trafic

"Galien Sarde : Manon fait son cinéma



Deuxième roman de Galien Sarde, Trafic est paru le 7 avril aux éditions Fables Fertiles. Roman singulier qui déploie avec finesse le pouvoir de l’image, qui place le lecteur au seuil du doute et du questionnement, qui nous emmène dans les rouages de la fiction, et de l’histoire qui lie Vincent, le narrateur, et Manon.



Véritable ode à la fiction que ce deuxième et beau roman de Galien Sarde, à la fiction comme génératrice d’images, comme lieu de l’histoire et des histoires. Manon, actrice, et sa beauté interminable, le désir qu’elle suscite et ses propres désirs. Manon et les plateaux, les voyages, et les failles du récit. Singulier texte que celui qui s’ouvre sur ce couple, empêtré dans un embouteillage – bordel du trafic – à attendre, dans une tension toute en images qui intrigue. [...]"



Rodolphe Perez, le 13 avril 2023, Zone-critique.


Lien : https://zone-critique.com/20..
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Trafic

Tout acquise au style de Galien Sarde, j'ai abordé la lecture de ce second roman avec la certitude de retrouver des émotions aussi intenses que celles éprouvées pour "Échec et, Mat " son premier récit.

Et le plaisir a été au rendez-vous.

Vincent et Manon sont les personnages de cette nouvelle histoire. Ils évoluent dans des milieux différents.

Manon attise le désir de Vincent sans pour autant livrer beaucoup d'elle même.

Elle saura manœuvrer pour le capturer dans ses filets sans qu'il s'en aperçoive. Manipulatrice et machiavélique elle utilisera son amant pour satisfaire des fins très personnelles.

Tel un thriller le récit tient en haleine , la puissance stylistique y participe grandement, constituant un des nombreux attraits de ce roman flamboyant et sombre à la fois.

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