Puis, décordés, nous descendons la voie normale en courant : aujourd'hui nous n'avons pas à bivouaquer. Les étoiles, c'est en nous-mêmes qu'elles brillent.
Comme le torrent, le sentier qui conduit aux sommets creuse son passage dans la forêt touffue et odoriférante. Dès que l'on a franchi les gorges moussues, on accède à un vaste cirque, royaume de paix. Seul rumeur, seul mouvement, des torrents, des cascades, nés du ventre des glaciers éternels, courent comme des gens pressés dans un monde de silence qui vit au rythme des saisons. Par-ci, par-là, de chaque côté du torrent, s'ouvrent des thalwegs sauvages, profonds, tortueux, usés, rabotés chaque printemps par l'avalanche ; des arbres gisent parmi les arbustes qui ressucitent chaque été.
Paysage infiniment romantique... On s'assoit, on regarde, on respire. L'air a une odeur délicate de verdure, de résine et de vent vif. L'homme oublie tout, même qu'il est venu pour grimper.
Nous grimpons dans un léger brouillrd. Mais nous éprouvons tout de même une grande joie, une joie un peu sauvage, celle qui correspond, je crois, à ce besoin que chaque homme porte en lui-même : le besoin, au moins une fois dans sa vie, de se surpasser.
A bien des points de vue, une ascension, c'est un espace à traverser, en rêve. Rêver, attendre, c'est déjà être en marche.
Nous ne sommes pas prêts d'oublier la beauté de certains couchers de soleil ; dans la nuit, la fraternité des étoiles ; au matin, l'aurore qui redonne la vie.
Nous ne sommes pas prêts d'oublier le plaisir de grimper, de neutraliser la pesanteur, l'impression de quitter sa carcasse pesante pour évoluer en plein ciel.
Nous ne sommes pas prêts d'oublier l'amitié de la cordée, la victoire sur soi-même, et, pour le guide, la joie de partager ce qu'il a de meilleur.
Celui qui ne fait des courses que par beau temps, au départ de refuge, sans jamais bivouaquer, connaît la splendeur de la montagne, mais il en ignore le mystère, la nuit, dans la profondeur du ciel.