Gaston de Pawlowski : Inventions nouvelles, dernières nouveautés
Dans un salon de la fondation Deutsch de la Meurthe, à la Cité internationale universitaire de Paris,
Olivier Barrot présente le livre "Inventions nouvelles et dernières nouveautés" de Gaston de PAWLOWSKI publié aux editions de la finitude. L'oeuvre de Gaston de PAWLOWSKI, datant des années1900, comme celle d'
Alphonse Allais ou de
Tristan Bernard est classée dans la catégorie délaissée...
Un savant qui, dans son laboratoire, analyse la nature des choses, ignorera toujours ce que peut être la répugnance ou le dégoût. Quelle que soit l’infection du composé qu’il examine, il le goûtera, si cela est nécessaire, le plus tranquillement du monde. Ce ne sont pour lui que des corps simples juxtaposés, toujours les mêmes.
À la suite des progrès considérables de la science, les hommes finirent par tout considérer sous cet angle scientifique spécial et, pour eux, tous les phénomènes de la nature devinrent également intéressants, sans qu’aucune distinction pût être établie utilement entre une réaction chimique, par exemple, et une passion violente éprouvée pour le bien ou pour le mal.
L’ÂME SILENCIEUSE
Moi qui suis parvenu depuis quelque temps déjà au pays de la quatrième dimension, j'éprouve, au moment d'écrire mes souvenirs anticipés, une peine étrange à les traduire en langue vulgaire.
Le vocabulaire est en effet conçu d'après les données de l'espace à trois dimensions. Il n'existe pas de mots capables de définir exactement les impressions bizarres que l'on ressent lorsque l'on s'élève pour toujours au-dessus du monde des sensations habituelles. La vision de la quatrième dimension nous découvre des horizons absolument nouveaux. Elle complète notre compréhension du monde; elle permet de réaliser la synthèse définitive de nos connaissances; elle les justifie toutes, même lorsqu'elles paraissent contradictoires, et l'on comprend que ce soit là une idée totale que des expressions partielles ne sauraient contenir. Du fait que l'on énonce une idée au moyen des mots en usage, on la limite par là même au préjugé de l'espace à trois dimensions. Or, si nous savons que les trois dimensions géométriques : largeur, hauteur et profondeur peuvent toujours être contenues dans une idée, ces trois dimensions, par contre, ne peuvent jamais suffire à construire intégralement une qualité, que ce soit une courbe dans l'espace ou un raisonnement de l'esprit. Et de cette différence non mesurable par des quantités, que faute de mieux nous appelons quatrième dimension, de cette différence entre le contenant et le contenu, entre l'idée et la matière, entre l'art et la science, ni les chiffres, ni les mots construits à trois dimensions ne peuvent rendre compte.
Que dirait-on d’un orfèvre qui refuserait désormais de travailler l’or brut qu’il possède et qui voudrait le vendre à ses clients en leur persuadant que cette matière est la vérité toute nue, sans fard, sans artifice, et que rien ne vaut la matière brute telle que la nature nous l’offre dans toute son authenticité ?
Que dirait-on également d’un orfèvre qui prétendrait nous vendre un bijou finement ciselé, mais dont la matière ne serait point authentique ? Nous aurions pour lui toutes les sévérités du roi Hiéron.
Que dirions-nous également d’un orfèvre qui prétendrait nous vendre son travail dégagé de toute espèce de matière et nous faire acheter le rêve qu’il a conçu d’une œuvre d’art ?
Le premier serait pour nous une brute grossière, le second un voleur et le troisième un fou.
Ce furent cependant, en matière d’art, à ces différents marchands que le vingtième siècle donna sa clientèle. Avec bon sens, toutefois, il repoussa presque tout aussitôt les fous et les voleurs : mais il se confia définitivement aux marchands de matière brute. Pas un instant, il ne se dit qu’en dehors de ces trois catégories pouvait en exister une quatrième, composée d’artistes véritables, puisant dans la nature de la matière vraie et la transformant ensuite, par l’intermédiaire de leur pensée, en objets d’art d’un prix inestimable
Dépourvus de tous principes intérieurs, ayant rejeté toute croyance en une substance éternelle et immuable, les hommes n’avaient plus admis, pour règle morale, que le déterminisme le plus absolu. Si, véritablement, les idées humaines ne dépendaient que de combinaisons extérieures, si la pensée n’était que le résultat de rencontres purement matérielles, il était ridicule d’admettre plus longtemps le libre-arbitre et la responsabilité individuelle.
Comment expliquer par exemple sans préméditation intelligente la construction raisonnée du mécanisme de l’œil ou de l’oreille ? Aux premiers temps de l’histoire animale, la sensation visuelle ne se distinguait pas de la sensation tactile et dans l’univers incolore et informe, l’être primitif ne percevait que de vagues sensations. Ce fut ensuite par le désir de se rapprocher toujours davantage de la vision complète à quatre dimensions proposée par l’Idée, que le sens de la vue ajouta aux impressions à deux dimensions les impressions à trois dimensions, puis sépara les différences d’intensité des différences qualitatives suivant les besoins particuliers de chaque espèce. C’est ainsi par exemple que dans la couche sensible de la rétine, les oiseaux de nuit n’ont que des bâtonnets qui donnent uniquement les valeurs comparatives de noir et de blanc et manquent complètement de cônes qui seuls fournissent les sensations de couleur, puisque, dans l’obscurité, il est impossible de distinguer les couleurs. Par contre, les oiseaux diurnes qui recherchent des insectes aux couleurs brillantes ont plus de cônes que tous les autres animaux.
Je savais aussi comment on avait expliqué que les théorèmes de Lobatchewsky, de Riemann, de Helmoltz et de Beltrani étaient les seules bases logiques de toute théorie juste du parallélisme ; mais il ne m’avait pas été donné de constater par moi-même la possibilité de pareilles démonstrations expérimentales, jusqu’au jour où, désirant, conserver quelques lettres auxquelles je tenais, je m’avisai de vouloir lier, avec un ruban, un petit coffret de bois qui venait, m’avait-on dit, des Indes. Le nœud une fois fait, il me souvint que j’avais oublié de placer une lettre dans le coffret et, instinctivement, en songeant à autre chose, je l’ouvris, je mis la lettre en place, et je refermai le coffret. À ce moment-là seulement, je m’aperçus que j’avais oublié de défaire la ligature.
J’eus beau reconstituer les faits, je fus bien forcé de constater, par le cachet de cire, que le nœud que j’avais fait et qui empêchait absolument l’ouverture du coffret, n’avait pas été touché. Cet objet échappait indéniablement aux règles ordinaires de notre espace à trois dimensions.
Il me souvint alors que Félix Klein avait démontré que les nœuds ne pourraient pas durer dans un espace à quatre dimensions et je compris que le coffret que j’avais là, devant les yeux, avait été construit en dehors de toute loi euclidienne, que ce curieux objet d’exportation hindou avait dû être conçu par d’habiles asiatiques et réalisé en France sans aucune nécessité de transport matériel.
L’histoire des sociétés nous prouve, en effet, que, de tout temps, l’homme s’est efforcé, non point de travailler, mais bien, au contraire, de se délivrer de tout souci matériel en faisant travailler les autres hommes ou des machines à sa place. De même, lorsque l’homme accepte le contrat social qui le groupe en société, il ne cède qu’à un simple mouvement de paresse, il cherche à se spécialiser, à ne plus accomplir qu’une partie de l’effort général, à ne répéter jamais que le même geste, et à suivre en cela la loi du moindre effort.
Déjà, aux premiers temps de la civilisation, on avait remarqué combien les formes nouvelles des machines rompaient violemment avec les traditions artistiques du passé et rappelaient, au contraire, les créations de la nature.
L’automobile avait été le premier instrument d’usage courant donnant quelques indications en ce sens. Aux temps barbares on s’était imaginé de concevoir l’automobile un peu à la manière d’un temple grec ou d’un meuble Louis XV ; volontiers, on eût dissimulé ses parties mécaniques sous une carrosserie de style rappelant un navire romain ou une chaise à porteurs, et les projets les plus fantastiques furent alors réalisés. Il fallut l’ intervention de la nécessité pour que l’on comprît combien cette conception était vieillotte et s’appliquait mal aux idées nouvelles.
Les voitures de course, aux prises avec les exigences immédiates de la vitesse, furent les premières à indiquer la voie qu’il fallait suivre ; les artistes les qualifièrent tout d’abord de monstres ; puis, petit à petit, se dégageant des préjugés anciens, ils en célébrèrent l’harmonie nouvelle et l’impérieuse beauté.
Et bientôt, lorsque l’automobile eut conquis sa forme nouvelle, grâce aux seules indications de l’empirisme, on comprit un beau jour, qu’elle réalisait tout simplement, sans que l’on y prît garde, la structure logique et complète d’un animal nouveau.
Je suis revenu irrésistiblement à ce livre, parce que si la matière à trois dimensions ne conduit qu’à la mort vulgaire, l’intelligence complète à quatre dimensions demeure comme morte si elle ne s’applique pas au rachat de la matière, si l’amour ne se développe pas dans la peine ; et les chaînes de Prométhée sont parfois plus belles à porter que le feu triomphant.
Augmentez maintenant par l’imagination cette vitesse d’une façon infinie, vous constaterez logiquement que si cet accroissement de vitesse était possible, la même et unique voiture finirait par être présente à tous les endroits de la route, à tous les moments de la journée. Ceci, pratiquement, ne paraît pas réalisable, parce que nos forces matérielles sont insuffisantes et que nous ne pouvons concevoir le mouvement, que dans un espace à trois dimensions, c’est-à-dire comme une succession de situations. Dès que nous avons, au contraire, une conception totale de l’univers à quatre dimensions, ce qui était absurde jusque-là devient aisément réalisable, et nous comprenons clairement que la même voiture pourrait se trouver simultanément dans toutes les situations différentes, à tous les moments de la journée.