Enfance ...
Enfance aux yeux de cristal,
Aux paupières de corail,
Enfance aux mains de rivière,
Enfance aux pieds de lumière,
Enfance aux paroles tues,
Enfance aux paroles bues,
Enfance aux lèvres légères,
Aux couleurs de primevères,
Toute proche, pour la vie.
Le temps des contes...
S'il était encore une fois
Nous partirions à l'aventure,
Moi, je serais Robin des Bois,
Et toi, tu mettrais ton armure.
Nous irions sur nos alezans
Animaux de belle prestance,
Nous serions armés jusqu'aux dents
Parcourant les forêts immenses.
S'il était encore une fois
Vers le château des contes bleus
Je serais le beau-fils du roi
Et toi tu cracherais le feu.
Nous irions trouver Blanche-neige
Dormant dans son cercueil de verre,
Nous pourrions croiser le cortège
De Malbrough revenant de guerre.
S'il était encore une fois
Au balcon de Monsieur Perrault,
Nous irions voir ma Mère l'Oye
Qui me prendrait pour un héros.
Et je dirais à ces gens-là :
Moi qui suis allé dans la lune,
Moi qui vois ce qu'on ne voit pas
Quand la télé le soir s'allume ;
Je vous le dis, vos fées, vos bêtes,
Font encore rêver mes copains
Et mon grand-père le poète
Quand nous marchons main dans la main.
Le passé
La pluie
Dans le bois du portail une marque est restée
Des cris demeurent dans les pierres
Le jardin est immobile sous l'été
Mon visage d'enfant écrasé de reflets
Ici nous avons couru vers des sources
Dans l'odeur des tilleuls
Les choses rouillent
Et des vagues remontent
De ces paupières mortes
Bruits de l'aube
Matins de lait
Maintenant les persiennes sont fermées
Pour construire un poème
Il faut briser le temps.
Il faut prendre les mots
Dans un autre panier
Écouter les épées
Des oiseaux de l’aurore
Passer le lourd portail
Qui s’ouvre sur la mer
Enfoncer son talon
Dans l’argile du monde
Attendre que le froid
Gèle les bruits du cœur
Et contempler le mur
Où les signes regardent...
Dans le silence des maisons
Où restent des poussières d'enfance
J'attends le retour des saisons
Et les fillettes des vacances
Je prendai leurs mains dans mes mains
Nous irons cueillir des feuillages
Et mordre l'écorce du temps
Nous traverserons des villages
Coupés en deux par le soleil
Et des forêts où s'ensommeillent
Les griffes légères du vent.
Les enfants, la poésie
Avec des mots que je trouve
Dans le panier de mes rêves
Je m'amuse à écouter
Les musiques qui s'élèvent
Dans vos yeux émerveillés
Petits enfants d'aujourd'hui
Enfants de l'âge de l'espace
Et des machines compliquées !
Mais je sais bien que les paroles
Qui naissent depuis longtemps sur les lèvres des poètes
Battent au rythme de votre cœur
Et ouvrent vos paupières sur le monde et sur les hommes
Sur le plaisir et sur le chagrin
Car la poésie est notre sang commun notre sang nouveau
Et par vous elle va sans cesse en avant pour crier notre espérance.
(Georges Jean)
[p. 86]
Dans la forêt sans heures
On abat un grand arbre.
Un vide vertical
Tremble en forme de fût
Près du tronc étendu.
Cherchez, cherchez, oiseaux,
La place de vos nids
Dans ce haut souvenir
Tant qu'il murmure encore.
(p.136)
Jules Supervielle
Il y a des mots
Il y a des mots, c'est pour les dire,
C'est pour les faire frire
C'est pour rire
Il y a des mots, c'est pour les chanter,
C'est pour rêver,
C'est pour les manger.
Il y a des mots, que l'on ramasse,
Des mots qui passent,
Des mots qui se cassent
Il y a des mots pour le matin,
Des mots métropolitains,
Ou lointains.
Il y a des mots épais et noirs,
Des mots légers pour les histoires,
Des mots à boire.
Il y a des mots pour toutes les choses,
Pour les lèvres, pour les roses,
Des mots pour les métamorphoses
Si l'on ose...
Les ruisseaux suivent mes routes
Pour consoler les pieds du voyageur
L'oiseau sautillant d'arbre en arbre
Mange le mil de mes pensées
Tout à l'heure
Le vrai chemin
Les lèvres rèches
Les pieds ensanglantés
Et les pensées trop sèches
Qui s'éboulent dans les ravins
Là-haut le vent
Sera ma récompense
Pierre-Emmanuel (1916-1984)
LE BATEAU DES EXILES
Le bateau est dans le port,
En partance pour la France.
Enfants formulez des voeux
L'exil lacère le foie.
Le bateau jette son cri,
Son amer, son acide
Enfants formulez des voeux,
Que patiente la plaie vive
Le bateau au quai s'arrache,
Mon coeur s'en trouve atterré.
Enfants formulez des voeux,
Tant en engloutit l'exil.
Le bateau est sur les vagues,
Qui le battent derrière, devant.
Enfants formulez des voeux
La maison est gavée de peines.
Le bateau maintenant penche
Il berce les pauvres gens.
Enfants formulez des voeux.
Quitter son pays, quelle peine!
Le bateau touche l'horizon
La maison se trouve froide
Enfants formulez des voeux
Des coeurs la tristesse déborde.
O bateau, ô compagnon,
Si je pouvais, te suivrais.
Enfants formulez des voeux
Que reviennent les exilés.
Malek Ouary