Gérard de Villiers

A chaque courbe, il y avait la carcasse rouillée d'une voiture dans le fossé.

Vous ignorez beaucoup de choses sur les Bahamas. C'est en train de de devenir un nouveau La Havane. Avec à peine moins de gangsters au mètre carré qu'il n'y a d'orchidées...

Flavia donna un coup de volant désespéré pour tenter d’éviter la collision, mais la « 404 » dérapa et s’écrasa de flanc sur l’engin, dans un terrifiant bruit de tôles froissées. Malko, accroché à ses palonniers, faillit être désarçonné. D’un geste sec, il tira la manette commandant la lame. L’énorme masse d’acier s’abattit sur le toit de la « 404 », la coupant en deux comme un sandwich. Un concert de cris horribles monta de la voiture déchiquetée. Les lépreux coincés dans les tôles tordues, essayaient de se dégager. L’un d’eux avait eu un bras sectionné à l’épaule, comme à la hache. Son sang éclaboussait les autres, augmentant la panique.
Au moment où un des lépreux arrivait à ouvrir la portière arrière, la seconde « 404 » arriva à tombeau ouvert, freina trop tard et s’écrasa sur la première. Le crâne du lépreux en train de sortir s’ouvrit comme une noix de cajou. Sous le choc, le réservoir d’essence de la première voiture explosa. Instantanément, les deux véhicules furent entourés de flammes d’où sortaient des cris horribles.
De la bouillie de lépreux.

— Je croyais que les bonzes respectaient la vie, sous toutes ses formes, remarqua Malko. — Mais ils ne la tuent pas, fit paisiblement Ubol. Ils attendent qu’elle meure. C’est comme les poissons. Ils se contentent de les sortir de l’eau. Ce n’est pas de leur faute s’ils meurent ensuite… Ce qu’on appelle une interprétation large de la loi.

La vitrine était crasseuse et la plupart des vitres remplacées par du carton. Mais Sérieux entra sans hésiter.
Le tapage assourdit Malko. Toutes les tables étaient occupées par des marchands qui parlaient et riaient bruyamment. C'était d'une saleté indescriptible. Une odeur aigrelette flottait dans l'atmosphère.

– Il serait content, maintenant, il est comme les autres, murmura Swanee.
Les embaumeurs avaient fait des miracles. Non seulement, ils avaient remodelé la poitrine broyée de Pitti-Pitti, mais ils lui avaient refait des jambes.
Sur ces membres de cire, on avait enfilé des mocassins noirs et un pantalon. Pour la première fois depuis vingt ans, Pitti-Pitti ressemblait à un homme normal. L’embaumeur n’avait pas compris pourquoi on se donnait tant de mal pour un mendiant cul-de-jatte. Il voulait l’enterrer dans un cercueil d’enfant où il aurait tenu à l’aise. Malko s’était mis en colère et avait exigé un vrai cercueil, un cercueil d’homme entier.

Un jour peut-être, on pourrait régler tous les comptes. En attendant, il était obligé de servir son pays. Et de se salir les mains.

A la façon dont il tenait l'arme, l'Autrichien vit tout de suite qu'il avait affaire à un professionnel. Il essayait de frapper de bas en haut, vers le cœur. Avec la force du tueur, il allait être épinglé comme un papillon.

De jour, La Havane offrait un spectacle déprimant, malgré la végétation tropicale jaillissant de millier de jardins laissés à l'abandon.