Citations de Gilles Lipovetsky (73)
(...) dans les sociétés impulsant le bien-être et l'accomplissement de soi, les individus, à l'évidence, sont plus désireux de se retrouver eux-mêmes, de s'ausculter, de se "défoncer" en voyages, musique, sports, spectacles que de s'affronter physiquement.
Et c'est précisément ce renversement du rapport immémorial de l'homme à la communauté qui va fonctionner comme l'agent par excellence de pacification des comportements. Dès lors que la priorité de l'ensemble social s'efface au profit de l'intérêt et des volontés des parties individuelles, les codes sociaux qui rivaient l'homme aux solidarités de groupe ne peuvent subsister : de plus en plus indépendant par rapport aux contraintes collectives, l'individu ne reconnait plus comme devoir sacré la vengeance du sang, qui pendant des millénaires a permis de souder l'homme à son lignage.
Il n’y a plus d’antagonisme entre hédonisme et désintéressement, individualisme et altruisme, idéalisme et spectaclisme, consumérisme et générosité.
[Des études sociologiques] ont montré que si la vie conjugale s'accompagnait d'une accélération de la carrière professionnelle masculine, elle se traduisait par un ralentissement de celle des femmes.
La liberté de se diriger soi-même s'applique désormais indistinctement aux deux genres, mais elle se construit toujours ''en situation'', à partir de normes et de rôles sociaux différenciés, dont rien n'indique qu'ils soient voués à une future disparition.
Véhiculant les stéréotypes de la femme victime désirant être dominée, soumise ou violée, la pornographie constituerait une entreprise d'infériorisation du féminin.Qu'exprime la pornographie dans cette perspective ? Moins une morale des plaisirs qu'une politique du mâle destinée à consacrer la domination masculine en reconduisant l'image de la femme putain, de la femme servile et vulnérable, de la femme stupide, abusée, objet des hommes. Les malaise des femmes face au hard résulterait de ces représentations humiliantes et infamantes du deuxième sexe.
L'idéal n'est plus de dissoudre le Moi dans des iconoclasties enivrantes mais de trouver le bonheur dans l'équilibre, accéder à l'harmonie intérieure, vivre en paix, sainement et en forme.
Nous sommes à l'heure où, dans toutes les sphères, s'impose peu ou prou le principe du libre-service et l'éphéméralité des liens, l'instrumentalisation utilitariste des institutions, le calcul individualiste des coûts et des bénéfices.
Quels que soient les pays, la base du système du luxe est d'être désirable, d'entretenir une certaine distance, de devoir être mérité ; c'est une aura immatérielle qui tire au-dessus de l'ordinaire et au-dessus de la simple qualité de la vie pour être une forme d'accomplissement et d'offrande qu'on se fait à soi-même et aux autres.
Tel est le sexy, lequel se définit par un style aguicheur et décomplexé, une érotisation appuyée du corps délivrée des anciennes condamnations morales.
Se substituant aux longues et larges tuniques, le vêtement de mode exalte les formes féminines, suggère le corps sans le montrer, incite au voyeurisme en laissant deviner les parties cachées du corps.
Lors des festivités, la danse rend possible les exhibitions personnelles et favorise le rapprochement sexuel.
Avec le développement du capitalisme artiste les frontières traditionnelles qui séparaient culture et économie, art et industrie, se sont estompées : la culture devient une industrie mondiale et l’industrie se mixte avec le culturel. De plus en plus l’économie est dans la culture et celle-ci dans l’économie : à l’économisation croissante de la culture répond la culturalisation de la marchandise.
Le monde qui vient s’annonce comme une accumulation de spectacles fonctionnant au sensationnalisme, à l’intimisation et à l’émotionalisation des écrans, de l’information et de la politique.
les constructions hypermodernes sont marquées par des référentiels faibles, délestés de grandeur et de transcendance : non plus la célébration du divin et le règne triomphal du monarque, mais la recherche pure de l’originalité et de la singularité, l’affirmation d’une image de marque dans la concurrence entre les villes. À l’hypertrophie de la forme ou du volume répond le minimalisme du contenu et des messages véhiculés : excroissance de l’image, rétraction du sens.
Il s’agit de créer un spectacle à ce point prégnant qu’il en vient à capter l’attention plus que les œuvres réelles elles-mêmes, dans des visites qui, ajoutant du spectacle au spectacle, proposent proprement un hyperspectacle. L’expression symbolique de l’art et son aura ne sont plus suffisants : il faut élaborer une « ambiance » de séduction, un environnement distrayant, un spectacle complet, théâtralisé par excès.
Exposant social, la consommation était empreinte de gravité, de sérieux, de rivalité symbolique. Au travers de l’achat des objets et de la décoration, il s’agissait non tant de s’amuser que de s’affirmer socialement. Avec l’escalade individualiste et hédoniste, ce modèle est en voie de régression. En s’émancipant des normes et culture de classe, l’ordre de la consommation s’est largement hédonisé et intimisé ; désormais, ce qui est acheté, c’est du plaisir, des émotions, du délassement : il s’agit moins de parader que de « s’éclater ».
[à propos du kitsch] dans toute cette chantilly pâtissière et ces sucreries colorées passe quelque chose comme une part de nostalgie, de plaisir de l’enfance, de cocon douillet et de jubilation à retrouver des images enchantées. Il n’y a pas que les enfants qui adorent : les adultes aussi, qui y trouvent comme un univers enchanté qui se prolonge, un Noël d’autrefois qui se perpétue. D’où la stigmatisation immédiate : régression infantile et superficialité abêtissante.
L’idéal moderne de subordination de l’individuel aux règles rationnelles collectives a été pulvérisé, le procès de personnalisation a promu et incarné massivement une valeur fondamentale, celle de l’accomplissement personnel, celle du respect de la singularité subjective, de la personnalité incomparable quelles que soient par ailleurs les nouvelles formes de contrôle et d’homogénéisation qui sont réalisées simultanément.
Avec le progrès historique de dissociation du sexe de la morale, Éros a coupé les liens qui l'unissait au vice, acquérant une valeur intrinsèquement morale du fait même de son rôle dans l'équilibre et l'épanouissement intime des individus.