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Critiques de Grégoire Bouillier (128)
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Le coeur ne cède pas

De l'art de partir d'un fait divers pour broder tout autour une oeuvre magistrale...



Un fait divers particulièrement glaçant qui plus est, se déroulant en août 1985 à Paris. Une femme s'est laissée mourir de faim chez elle pendant quarante-cinq jours en tenant le journal de son agonie, notant de façon clinique et glacial, dans ce cahier d'écolier à spirale et à petits carreaux, la détérioration de son corps, les effets de la privation de nourriture, l'horreur que c'est de mourir ainsi. Quarante-cinq jours interminables avant de mourir durant lesquels « le coeur ne cède pas, hélas ». Son cadavre n'a été découvert que dix mois plus tard. Momifiée.



Ce n'est pas Grégoire Bouillier qui est venu à ce fait divers, c'est le fait divers qui est venu à lui. Comme si Marcelle Pichon, c'est le nom de cette femme, l'avait choisi, lui, Grégoire Bouillier, pour raconter son histoire, pour la sortir des limbes de l'invisibilité. Invisibilité totale car même aujourd'hui son nom n'est pas gravé sur sa tombe. Ce fait divers est venu le hanter il y a des décennies, lors d'une « nuit magnétique », une des émissions phare de France Culture à l'époque, qui présente ce jour-là un livre écrit par un certain Alain Arnaud sur ce suicide étonnant, petit livre intitulé « Rue Championnet », de quarante-cinq pages à l'image des quarante-cinq jours d'agonie de Marcelle Pichon. Plus de trente ans après, cette histoire sidérante continue de visiter Grégoire Bouillier, d'exercer une emprise sur son imagination, une attraction irrésistible, « comme le vertige appelle le vide ». Il ne sait plus quelle était la radio, quelle était l'émission, quel était l'auteur, quel était le titre du livre, juste le souvenir marquant et troublant de cette histoire.

Grâce à une discussion fortuite avec quelqu'un qui travaille à l'INA, l'auteur va pouvoir retrouver cette vieille émission de radio diffusée ce jour-là, et grâce à la magie d'internet (et notamment des archives de Paris), il va plonger dans une quête effrénée et obsessionnelle pour comprendre la femme qui se cache derrière le fait divers sordide.



Deux questions en particulier taraudent l'auteur, en plus de la sempiternelle question de la solitude dans les villes sur laquelle tous les journaux et reportages alors ont seulement braqué leur projecteur : Qui se suicide ainsi en y mettant un temps fou ? Qui se suicide et écrit en plus son agonie dans un cahier à spirale ? Au-delà de la sidération provoquée par ce geste, dont il va creuser et creuser la signification, c'est l'écrit qui est la clé de voute de cette histoire tragique. Pour l'auteur cela interroge la littérature. Écrire au moment de mourir : que signifie écrire son agonie ? Est-ce toujours la vie qui écrit ? Est-ce la mort qui déjà commence à écrire ? Quelle utilité a ce journal monstrueux de la vie face à la mort ? « Est-ce pour qu'on le lise ? Qu'on s'en rende compte ? S'épouvante ? La pleure ? Faire honte à ceux qui liraient ? ». le statut de la littérature, voilà ce que cette façon de mourir interroge profondément.



« À l'antenne, un passage du cahier avait été lu : "Mardi : la langue dégorge comme un escargot". Ce n'était peut-être pas "mardi" mais, trente-trois ans plus tard, je me rappelais encore cette phrase. Je me la rappelais comme si c'était hier. En moi elle s'était gravée. Ces mots, je l'avais vue les écrire dans son cahier. J'avais vu l'escargot ! J'avais vu sa langue dégorger dans sa bouche et je l'avais sentie enfler et boursoufler et déglutir dans ma propre bouche et cette sensation m'avait poursuivi. Cette vision m'avait glacé. Comme une énigme sans fin. Une tentation ? ».

La « langue-escargot », incroyable flèche surréaliste, qui se fiche avec brutalité, fascination, dégout, dans notre imaginaire. Oui, l'auteur, et nous le comprenons, prête une grande qualité littéraire à ce journal, s'interrogeant profondément sur sa valeur, notamment lorsqu'il va lire durant son enquête « Les carnets de la momie » de Masahiko Shimada racontant le suicide par inanition d'un inconnu, de même suicide à petit feu raconté dans un journal intime. Sauf que Masahiko Shimada ne fait qu'inventer et n'a pas vécu cette agonie. La réalité versus la fiction.



De ces deux questions, clés de voute de la recherche de l'auteur, deux enquêtes forment les piliers du livre :

D'une part savoir quelle a été la vie de cette femme pour en arriver, en 1984, à se laisser mourir de faim. Est-il possible de retracer sa biographie, de comprendre quelque chose à cet acte sidérant ?

D'autre part retrouver le fameux journal dont une seule page a été arrachée par la presse au moment des faits, unique page connue donc.

Ces deux objectifs ont amené l'auteur dans une enquête au long cours tout à fait vertigineuse, haletante et passionnante. Cette enquête convoque la généalogie, ainsi que la psychogénéalogie, en remontant l'histoire de cette femme sur quatre générations ; elle fait appel à la psychiatrie ; elle convoque la sociologie en nous racontant la vie dans le Berry, à Bommiers précisément (et la fameuse angine couenneuse qui fit rage à cette période), au 19ème siècle et en nous expliquant comment certains membres de cette famille, à commencer par le grand-père de Marcelle, se sont extraits de ce lieu et de la condition précaire de journalier qui se situe au plus bas de l'échelle sociale dans le monde paysan ; cette enquête fouille l'histoire personnelle de Marcelle Pichon qui a vécu son enfance dans les années 20 dans le 15ème arrondissement, élevée par son père seul, sa mère les ayant abandonné tous deux alors qu'elle était petite fille, histoire personnelle qu'il entremêle à la grande Histoire avec un h majuscule, notamment les années folles, la colonisation, la période de l'occupation puis l'après-guerre.



N'ayant pas le droit de se baser uniquement sur le réel (le livre démarre par la non-autorisation de la part de la petite fille de Marcelle Pichon pour l'auteur de parler de sa grand-mère), Grégoire Bouillier place ce réel dans une fiction. L'histoire de deux détectives, Bmore et Penny enquêtant sur cette Marcelle P. pour le compte du client Grégoire Bouillier. Les chapitres montrant leurs échanges et leurs interrogations sont très cocasses et drôles, Penny valant son pesant de cacahouètes. Que de fous rires à des moments où je ne m'y attendais pas; cette relation apporte beaucoup de fraicheur et de légèreté au récit. Ainsi au lieu de déformer la réalité, cette fiction apporte à la réalité qui reste bien la matière première unique du récit de Grégoire Bouillier, la réalité étant elle-même une construction, la meilleure des constructions pour l'auteur.



Rien, aucune piste n'est écartée par le duo d'enquêteurs, même les plus surprenantes (comme cet appel aux sciences occultes, cette référence au cinéma avec notamment Shining, voire le recours à la psychomorphologie et à la graphologie). Tout est sérieusement envisagé, depuis le choix du prénom Marcelle, en passant par les conséquences psychologiques de l'abandon de sa mère alors qu'elle avait sept ans (et il est de notoriété publique qu'il existe un lien entre la nourriture et la relation à la mère), la présence dans notre ADN des famines vécues par nos ancêtres, notamment des ancêtres de Marcelle Pichon au fin fond du Berry, la vie des femmes mannequins dans les années 40 (car Marcelle a été un petit laps de temps mannequin dans une grande maison de couture), l'influence architecturale et géographique de cet appartement dans lequel elle s'est laissée mourir de faim, les relations avec ses maris, son père et ses deux enfants, l'étude des rares cas de suicide par inanition dans l'histoire, le rôle des religions... L'invisibilité en filigrane, tout le temps. Invisibilité de cette petite fille que la maman va abandonner, invisibilité de la condition sociale de la lignée de Marcelle Pichon, invisibilité de cette femme objet en tant que mannequin, invisibilité d'une maman dont les liens avec ses enfants sont ténus, invisibilité d'une femme sous les coups, invisibilité de l'amante en tant que maitresse, invisibilité de la tombe sans nom.

Ce suicide en revanche est tout sauf un acte invisible. Il étire, dilate le temps. Une réclusion choisie, comme celle vécue par certaines femmes au Moyen-Age dans des réclusoirs battis à cet effet, qui nécessite temps, endurance et souffrance. Un cri. le cri d'une victime… ou bien d'un bourreau d'ailleurs ?



Tous les éléments de cette enquête, archives, coupures de presse, photos de Marcelle Pichon, photos de l'appartement rue Championnet, photos jaunies du Berry, actes de naissance, de divorce, de décès, arbre généalogique, registre du recensement, vidéos et même une pétition (si si), sont regroupés sur un site internet sur lequel le lecteur est convié s'il le désire. C'est troublant d'y aller en cours de lecture mais il ne faut pas y aller trop tôt, certains éléments pouvant être dévoilés indirectement.



Grégoire Bouillier tire ainsi tous les fils de l'histoire, il ne rate aucun élément, aucun angle d'attaque, puisant dans chaque piste jusqu'à sa substantifique moelle, étonné parfois par les incroyables coïncidences et signes qu'il arrive à déceler, il mène l'enquête avec passion et abnégation, avec humour et autodérision aussi. Chaque élément visité n'apporte pas de réponses mais met en lumière sans cesse de nouvelles interrogations. « Ainsi l'histoire ne finit jamais. La mort est vaincue ». Il se base sur trois facultés essentielles à la base de « l'arbre du savoir » selon lui : la mémoire, la raison et l'imagination. Sa recherche est ainsi complète et infinie. Cela rappelle, dans la méthode et le ton, un Philippe Jaenada écrivant sur Pauline Dubuisson ou encore, mais de façon plus éloignée, un Modiano écrivant sur Dora Bruder.



Ce livre rend ainsi grâce au pouvoir de la littérature. le vrai sujet du livre est la littérature, le coeur de l'enquête est non de savoir précisément qui était Marcelle Pichon, « insaisissable est la réalité d'un seul individu », mais juste d'avoir le désir fou d'écrire sur elle.



« de sa naissance à sa mort, l'existence de Marcelle ressemble à une longue et lente éclipse. Et, à la fin, elle-même s'éclipsa du monde, la mort passant quarante-cinq jours durant devant sa vie pour l'obscurcir complètement. Ce pourquoi on ne peut la regarder en face car on s'y brûlerait les yeux, mais seulement au travers de verres teintés, cet autre nom de la littérature ».



Les références et liens à de multiples livres (et à de nombreux films aussi) constituent d'ailleurs une vraie richesse colorant le récit, et sont sources d'hypothèses pour l'enquête, voire parfois de solutions. « L'histoire n'est pas seulement affaire de dates et de faits, de généalogie familiale et de pratiques sociales, mais également celle d'oeuvres de l'imagination ». Parmi les romans, il y a notamment (il y en a beaucoup, je cite ceux que je veux absolument lire en priorité suite à ce livre) Kafka et son « Un champion de jeûne », Roland Topor et « le locataire chimérique » publié en 1964, ou encore Oscar Wilde et « le portrait de Dorian Gray, et, comme cité précédemment, « Les carnets de la momie » de Masahiko Shimada racontant un suicide par inanition en 1989. Ces références passionnantes sont développées au coeur du texte pour certaines d'entre elles, évoquées via les citations qui démarrent chaque chapitre pour d'autres. Un livre qui donne véritablement envie de lire d'autres livres, qui ouvre des horizons, de nombreuses réflexions.

Un livre qui enrichit son lecteur en partant d'un fait divers à priori sordide. « Tout livre est une bibliothèque » nous dit l'auteur et oui, c'est un livre bibliothèque, un livre fleuve, un livre arbre que j'ai trouvé tout simplement fascinant. Ce n'est pas le sujet qui fait le livre, c'est le livre qui fait le sujet, nous explique Grégoire Bouiller et ce livre en est une incroyable démonstration. le livre ferait même le sujet et l'auteur selon lui. le même fait divers raconté par un autre écrivain donnerait un autre livre. Mais pour ma part, je mettrais ma main au feu que ce serait celui-ci, celui de Grégoire Bouiller qui serait de très loin le meilleur (allez peut-être un Philippe Jeanada s'en sortirait pas si mal lui non plus).

Un livre somme, une somme humaniste et non simplement humaine, qui mérite d'être auréolé. Vous l'aurez compris, un énorme coup de coeur, mon coup de coeur en cette rentrée littéraire 2022, mon coup de coeur haut la main pour un roman contemporain qui m'a tenu en haleine pendant une petite poignée de jours durant lesquels jours et nuits se sont confondus, durant lesquels les heures se sont égrenés au rythme des chapitres et des 900 pages parcourues, une lecture en apnée comme cela arrive si rarement dans une vie Selon mon humble avis, ce livre est un chef d'oeuvre !



De l'art de partir d'un fait divers pour façonner une tombe (j'allais dire bombe) littéraire extraordinaire et sortir cette femme, mais aussi toute femme, de l'invisibilité. Grégoire Bouillier a mené une enquête vertigineuse marquée du sceau du désir et de la passion lui permettant de dépasser la tragédie singulière pour l'universalité, avec pour matériaux la raison, la mémoire et l'imagination. Avec la volonté d'élucider le cas Marcelle Pichon, à savoir "déployer toute l'opacité de son mystère, clarifier les termes mêmes de sa noirceur". Avec la volonté de se retrouver lui-même.

Cet auteur a un talent de conteur hors norme qui permet, si nous l'avons en nous, de faire chanter notre oiseau bleu, tout simplement…



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Le coeur ne cède pas

Après avoir écouté Grégoire Bouillier, le samedi 24 septembre 2022, aux Correspondances de Manosque, j’avais été emballé par la présentation de son dernier roman : Le cœur ne cède pas.

Dès l’entretien terminé, livre en mains, l’auteur nous le dédicaçait avec un clin d’œil sympa à Philippe Jaenada.

Le cœur ne cède pas, un gros pavé de 903 pages, bien au chaud, chez moi, m’attendait. Finalement, après plusieurs semaines d’hésitation, j’ose écrire d’appréhension, j’ai enfin sauté le pas pour me lancer dans ce marathon de lecture avec prise de notes, comme j’en ai l’habitude.

À Manosque, Grégoire Bouillier avait affirmé sa passion pour l’écriture, précisant qu’il ne savait plus s’arrêter, une fois lancé. Cela, j’ai pu le constater et l’apprécier.

L’auteur est parti d’un fait divers qui avait défrayé la chronique : Marcelle Pichon, soixante-quatre ans, avait été découverte dans son appartement parisien plusieurs mois après sa mort, en août 1985. Voulant mourir de faim et noter ce qu’elle ressentait sur un cahier d’écolier, Marcelle Pichon est restée coupée du monde entre le 23 septembre et le 6 novembre 1984, soit quarante-cinq jours passés à perdre la vie, peu à peu, dans de terribles souffrances. Cette mère de deux enfants, deux fois divorcée, était surtout présentée comme ancien mannequin, ce qui excitait d’autant plus une curiosité malsaine.

Décidé à en savoir plus, Grégoire Bouillier crée un cabinet fictif de détectives : Bmore & Investigations, avec, à la baguette, Baltimore (Bmore), et son assistante, Penny. Lors de la présentation du livre, je n’avais pas trop saisi le principe mais, à la lecture, j’ai trouvé l’idée géniale.

Souvent, je ne sais pas trop qui s’exprime, Bmore ou Grégoire Bouillier mais qu’importe, car les deux ne font qu’un et l’auteur en joue très habilement. Par contre, les interventions de Penny apportent à chaque fois une dose précieuse d’humour grâce à ses échanges avec Bmore.

Justement, ces échanges n’ont rien de conventionnel puisque Penny n’emploie jamais « Je » lorsqu’elle s’exprime mais « celle-ci »… Faut s’y faire mais ses réactions, ses coups de colère, ses trouvailles aussi ont rendu ma lecture moins monotone et pleine de rebondissements.

Si Grégoire Bouillier rend hommage à Philippe Jaenada, le citant d’abord puis le sollicitant bien plus tard, il mêle sa vie personnelle à l’histoire comme le fait avec talent l’auteur de La petite femelle. Grégoire Bouillier va même plus loin en développant de véritables pages d’histoire, citant quantité d’auteurs, de films, de tableaux, de musiciens… Si parfois, j’ai cru perdre le but du livre, l’auteur, habilement me ramenait à… Marcelle Pichon.

Littérairement, Le cœur ne cède pas est un excellent roman. Une page comme celle consacrée à Irène Omélianenko (autrice, documentariste et productrice à Radio France) est très belle. Avec grand talent, Grégoire Bouillier sait détailler le moindre sujet, la moindre info, développe, explique puis m’entraîne sur un nouveau terrain imprévu.

Trois années de recherches obstinées, de recoupements de l’histoire familiale de Marcelle Pichon, de déplacements aussi, permettent de collecter des détails passionnants autour de la vie de celle qui se faisait appeler Florence quand elle faisait partie du « cabinet Jacques Fath » durant l’Occupation, dans les années 1940. Cette période sinistre de notre Histoire n’était pas vécue de la même façon par tous les Français. Comme bien d’autres, ce grand couturier collait aux basques des nazis installés dans notre pays. Ces derniers profitaient aussi d’énormes avantages, assurant l’extermination des Juifs et des Résistants avec l’aide active du régime de Vichy.

L’enquête de Bmore & Investigations progresse malgré les digressions toujours intéressantes, très justes et non dépourvues d’humour. Par exemple, l’auteur, de temps à autre, barre un mot pour le remplacer par un autre. Cela en dit plus long qu’un long paragraphe. Près de la fin, il noircit carrément tout un passage pour démontrer qu’il ne peut pas divulguer la teneur d’une conversation privée sans l’accord de son interlocutrice.

Il s’agit, en l’occurrence, de la petite-fille de Marcelle qui lui avait interdit d’écrire sur sa grand-mère, sans succès, heureusement, mais la marge de manœuvre de l’auteur s’en trouvait limitée.

J’arrête là mon ressenti et ces quelques instantanés sur un livre comptant 99 chapitres et un épilogue, plus un oiseau bleu qui intervient souvent dans le récit.

Malgré recherches dans les archives, mise à contribution d’une radiesthésiste, d’un magnétiseur, d’une graphologue, d’une morphopsychologue, d’une astrologue, tout ce roman est finalement bénéfique à l’auteur lui-même. Il réussit à révéler une partie de son histoire qu’il refusait de voir mais je n’en dis pas plus.

Passionnant, captivant, intrigant, lassant parfois, souvent très instructif, Le cœur ne cède pas est une belle performance littéraire qui m’a parfois désorienté et emmené dans des directions insoupçonnées pour tenter de comprendre pourquoi Marcelle Pichon en est arrivée à ce suicide au ralenti. Son histoire familiale, sa vie professionnelle, ses secrets, ses zones d’ombre plus le témoignage de son petit-fils éclairent toute une époque pas si lointaine que j’ai pu redécouvrir avec beaucoup d’intérêt.

J’ajoute que quelques photos et documents ont été inclus dans Le cœur ne cède pas et que Bmore & Penny mettent à notre disposition un maximum d’images, fruits de leurs recherches, sur www.lecoeurnecedepas.com , une très intéressante initiative.


Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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Le coeur ne cède pas

Désolé, mais un roman de plus de 900 pages n’a pas sa place dans ma PÀL déjà débordante. Il a beau avoir été en lice pour les Prix Goncourt, Femina et Renaudot et avoir remporté le Prix André Malraux 2022, il faut savoir se fixer des limites dans la vie et les respecter quoi qu’il advienne. Même si l’auteur parvient à titiller ma curiosité lors de son passage à La Grande Librairie et que son nouveau présentateur, Augustin Trapenard, affirme haut et fort qu’une fois entamé il est impossible de la lâcher cette brique qui doit probablement déborder de longueurs interminables, c’est bien mal connaître mon caractère intransigeant. D’ailleurs, je vais vite m’empresser de vous prouver qu’il a tort, ce suppléant à deux balles de François Busnel qui croît pouvoir agiter sa carotte dans mon écran de télévision comme si j’étais le dernier des ânes: allez hop, juste vingt petites pages et je le redépose vite fait moi, son soi-disant OVNI littéraire… ouais, finalement peut-être pas si vite que cela… ah déjà plus de 150 pages de lues là quand même… et merde !



Tout aurait pu très bien se passer pourtant car ce roman était bien parti pour ne jamais voir le jour. OK, en 1986 Grégoire Bouillier avait certes entendu parler d’un fait divers marquant à la radio. Une ex-mannequin prénommée Marcelle Pichon s’était laissée mourir de faim dans son petit appartement parisien du XVIIIe en consignant chaque étape de sa lente et horrible agonie dans un journal intime durant quarante-cinq jours, et ce n’est que dix mois après sa mort que le corps momifié de la pauvre femme de 64 ans et ses écrits avaient été retrouvés. Un suicide d’une lenteur déconcertante qui n’avait certes jamais totalement quitté les pensées de l’ancien journaliste, mais vu qu’il avait oublié tous les détails de l’affaire en question, du nom de la victime à celui de l’émission, en passant par la date approximative du drame, aucun risque qu’il en fasse un jour un roman. De plus, en 2018, le garçon n’a aucune envie d’écrire car il nage dans une solide déprime.



Pourtant, plus de trente années après les faits, lors d’une discussion totalement fortuite à l’occasion d’une soirée d’anniversaire où il n’avait même pas envie d’aller, subitement un des invités semble détenir une piste et rallume la flamme de cet auteur qui n’avait pourtant aucune chance de terminer dans ma PÀL. Même l’interdiction formelle de la petite fille de Marcelle Pichon d’écrire quoi que ce soit sur sa grand-mère ne parviendra pas à l’empêcher de plonger dans une enquête obsessionnelle sur les traces de cette femme, cherchant à comprendre le pourquoi qui se dissimule derrière ce fait divers pour le moins sordide qu’il n’a jamais su oublier.



Afin de se protéger d’éventuelles poursuites judiciaires de la part des descendants de Marcelle Pichon, Grégoire Bouillier choisit de dissimuler le réel au cœur d’une fiction dans laquelle il devient le détective privé Baltimore, patron de l’agence Bmore & Investigations, où il est secondé par une jeune et pétulante assistante prénommée Penny. Un contexte fictif qui lui permet d’explorer la moindre piste, allant d’archives en tout genre à du travail de terrain, et des éléments d’enquête que le lecteur peut même consulter en ligne sur www.lecoeurnecedepas.com, le site Internet tenu à jour par Bmore & Investigations…afin que rien ne se perde.



Si ce récit hors normes et totalement subjectif trouve ses racines dans un fait divers ancien, l’auteur en explore chaque branche, voyageant dans le temps et dans l’arbre généalogique de Marcelle Pichon sur plus de deux siècles, multipliant les digressions, les anecdotes historiques, les hypothèses parfois farfelues, les fausses pistes et les références littéraires, cinématographiques et autres. Un procédé qui ne le met certes pas à l’abri de quelques longueurs, de sujets qui sont parfois forcément moins intéressants que d’autres, d’un fil conducteur qui semble parfois vouloir lui échapper et de nombreux indices qui finissent en cul-de-sac, mais c’est tellement bien écrit et débordant d’humour et d’autodérision, qu’on se laisse volontiers embarquer, oubliant finalement de compter les pages. De plus, en partant à la recherche de cette femme qui l’intrigue depuis si longtemps, c’est lui-même qu’il va finalement rencontrer, donnant à cet ovni littéraire de plus de 900 pages des allures autobiographiques souvent très poignantes, à l’image de ce dix-huitième chapitre sur ses propres origines ou cet épilogue faisant office de centième chapitre qui dévoile finalement les carnets de sa propre agonie…
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Le coeur ne cède pas

Grégoire Bouillier n’a jamais pu oublier ce fait divers entendu à la radio en 1985 : on avait découvert, chez elle, dix mois après sa mort, le cadavre d’une femme qui s’était laissée mourir de faim en tenant le journal de son agonie. Aussi, lorsque le hasard d’une rencontre, trente-trois ans plus tard, fait ressurgir cette histoire dans sa vie, le voilà qui, plus que jamais intrigué par ce suicide si particulier et, surtout, par cette étrange application à en décrire chaque étape, s’adjoint deux doubles de fiction, le détective privé Baltimore et sa pétulante assistante Penny, pour tenter de retracer le parcours de celle dont on a juste retenu qu’elle fut mannequin dans les années cinquante, avant d’attribuer sa mort à un scandaleux drame de la solitude.





A vrai dire, les traces laissées par Marcelle Pichon sont des plus ténues et, faute d’éléments franchement tangibles, l’auteur qui, lui, nous ouvre les carnets, non pas de quarante-cinq jours d’agonie, mais de plus de trois ans d’enquête, opère par larges cercles concentriques, rassemblant les maigres indices, imaginant, à partir de ce qu’il reconstitue de leur contexte et de la généalogie de la famille, ce qu’ont pu être l’enfance de Marcelle à Paris dans les années vingt et sa jeunesse pendant l’Occupation, faisant feu de tout bois, de l’exploration d’archives en tout genre à l’enquête de terrain, de vieilles photographies à la morphopsychologie, de références littéraires et cinématographiques à l’astrologie et au tarot divinatoire, pour former mille hypothèses sur sa personnalité.





Relatée en près de mille pages avec autant de verve que d’humour, c’est bientôt cette quête, immense, minutieuse, obsessionnelle, qui devient le vrai sujet du roman et, de manière de plus en plus évidente, le bac révélateur où se dévoile lentement, telle une photographie argentique, une part très personnelle de l’auteur. « On ne se doute pas de ce que font les livres à ceux qui les écrivent. » Et, avant de les avoir achevés, les auteurs ne savent sans doute pas non plus toujours pourquoi ils les écrivent, d’où leur vient cette obsession à creuser follement certains sujets. « Depuis le début, il ne s’agissait que d’une chose : transformer l’impossible désir de savoir qui était Marcelle Pichon en possible désir d’écrire sur elle. » Un désir au final révélateur de mystères enfouis au plus profond de l’intimité de Grégoire Bouillier.





« Récit absolument subjectif » d’une « enquête absolument scrupuleuse », chasse au trésor qui en cache un autre, miroir de moins en moins embué des propres obsessions de l’auteur, ce livre, aussi épais que riche et passionnant, est autant l’exploration intelligente et inventive d’un mystérieux fait divers que de ce que ses échos chez l’auteur révèlent de lui-même et à lui-même. Le tout s’assortissant d’une composition habile et rythmée, agréablement pimentée d’un humour savoureux, c’est le coup de coeur assuré pour ce roman dont, après tant de pages, l’on regrette pourtant d’en être déjà parvenu à la dernière.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Le coeur ne cède pas

« Diderot et d’Alembert innovèrent dans l’art difficile d’épeler toutes les lettres du mot Connaissance en proposant un « arbre du savoir » s’articulant autour de trois facultés : la mémoire, la raison et l’imagination. »



C’est précisément en exploitant à plein ces trois facultés que Grégoire Bouillier, ou plutôt Bmore, le détective privé qu’il crée pour l’occasion assisté de la pétulante Penny, va mener son enquête. Car il s’agit bien d’une enquête relatée dans ce livre, une enquête d’un genre particulier ayant pour origine un fait divers survenu au milieu des annes 80, fait divers dont Grégoire Bouillier eut connaissance tout à fait par hasard à l’occasion d’une émission entendue à la radio, et dont il conserva un souvenir aussi vague que tenace durant trente-trois années (!) Le fait divers en question, ou plutôt le souvenir qu’en a conservé Bouillier, tient en deux phrases : le corps momifié d’une femme a été découvert dix mois après sa mort dans son petit appartement. Il s’agirait d’une ancienne mannequin qui s’est laissée mourir de faim, et qui a consigné dans son journal les différentes étapes de son agonie.



Voilà, en peu de mots, tout ce dont l’auteur se souvient. De cela, ainsi que d’une phrase extraite du journal et lue à l’antenne : « Mardi : la langue dégorge comme un escargot. » Voilà ce qui le hante et l’obsède depuis plus de trente ans, voilà ce qui le fascine, et comment ne pas être fasciné ? :



« Qui se suicide en y mettant un temps fou ? Et qui, se suicidant en y mettant un temps fou, en témoigne par écrit, se regardant méticuleusement mourir à petit feu, comme une hallucination morbide – ou une volupté innommable ? »



Voilà ce qui constitue le point de départ d’une minutieuse enquête dont le lecteur va suivre pas à pas la sinueuse progression, une enquête rigoureuse et fantasque, érudite et subtile, émouvante et cruelle, excitante et déroutante à l’issue de laquelle on en saura un peu plus sur la mystérieuse Marcelle Pichon, mais là n’est pas l’essentiel. L’essentiel n’est évidemment pas le résultat de l’enquête, mais l’enquête elle-même :



« Car il s’agit de cela depuis le début : allez au bout de l’histoire, peu importe le résultat. Vous comprenez, Penny ? La chasse au trésor est elle-même le trésor. »



L’essentiel n’est pas de savoir qui était véritablement Marcelle Pichon puisque tel est son nom, sa vie, son oeuvre, ses amours, ses méfaits, ses joies, ses angoisses. Honnêtement, on s’en fiche de cette femme, ce n’est pas le sujet. Enfin, si, c’est le sujet, mais un sujet prétexte à tout autre chose. Et c’est dans cet autre chose que réside l’immense intérêt de ce livre. Un autre chose qui, articulant brillamment les trois facultés énoncées par Diderot et d’Alembert, mémoire, raison et imagination, explore des pans entiers de l’Histoire de France, en particulier la période trouble de l’Occupation, fouille sans vergogne et pour notre plus grande joie dans la littérature et le cinéma à la recherche de clés, de correspondances et de coïncidences signifiantes, exploite toutes les ressources imaginables en matière d’enquête — journaux, archives, témoignages, radiesthésie, graphologie, morphopsychologie, voyance, astrologie, psychiatrie…

J’ai écrit plus haut que Marcelle Pichon était le prétexte à tout autre chose. Je ne veux pas dire par là que Marcelle Pichon n’est qu’un prétexte et rien de plus. C’est même tout le contraire. Marcelle Pichon n’est pas contingente, Marcelle Pichon est nécessaire et c’est par elle et exclusivement par elle que va advenir « l’autre chose ». C’est en déroulant méthodiquement un à un les innombrables fils menant à Marcelle Pichon que Bmore assisté de Penny va explorer tel phénomène historique, tel personnage célèbre, tel livre, tel film, tel lieu… C’est en ce qu’ils sont susceptibles de nous éclairer sur un pan de la vie, ou de la personnalité de Marcelle Pichon que l’on s’attarde sur l’autobiographie de Piéral, le nain le plus célèbre du cinéma français, sur les recluses, ces femmes qui choisirent de s’emmurer vivantes au Moyen-Âge, sur Les carnets de la momie de Masahiko Shimada ou sur le film de Chantal Akerman, Jeanne Dilman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles, etc, etc…



Marcelle est bien davantage qu’un prétexte, elle est une obsession et la raison de cette obsession va nous être peu à peu révélée, de sorte que nous en saurons beaucoup plus à la fin de notre lecture sur Bouillier alias Bmore qu’au début du livre. Car l’enquête officielle sur Marcelle va se doubler d’une enquête officieuse, souterraine, sur l’auteur lui-même, conférant au livre une tonalité autobiographique et psychanalytique particulièrement originale.

Marcelle est un miroir dans lequel l’auteur découvre des choses insoupçonnées sur lui-même :



« Et c’est bien à cela que m’a conduit Marcelle Pichon. À reconnaître cette part de mon être occultée depuis toujours. »



Marcelle est un trou noir dans lequel il a peur de sombrer. À plusieurs reprises, Bouillier revient sur sa crainte des phénomènes de contagion mimétique longuement développés par René Girard, invoquant sa terreur de se faire posséder par Marcelle comme Trelkovski l’est par Simone Choule dans Le locataire chimérique de Roland Topor :



« Je sentais que Marcelle Pichon, profitant de mon empathie, laquelle cache peut-être un trouble identitaire, avait le pouvoir de modifier ma personnalité. »



Grégoire Bouillier résiste à la tentation du vide, il tient son cap avec obstination et, s’appuyant sur son double de fiction Bmore, inénarrable mélange de Sherlock Holmes et de Rouletabille, il nous offre ce livre inclassable, livre-enquête en forme d’autofiction à moins que ce ne soit l’inverse, un livre d’une rare intelligence et d’une irrésistible drôlerie qui bouscule nos préjugés, nos petites et grandes lâchetés, questionne notre rapport à la vérité, à notre identité et à notre humanité.



Je dédie en particulier ce billet à Louis (@aleatoire) et à Chrys (@HordeDuContreVent) qui m’ont montré le chemin jusqu’à ce livre.

Je dédie plus généralement ce billet à tous ceux qui, ayant su conserver leur âme d’enfant, chérissent en eux l’oiseau bleu :



« Tout est jeu, c’est-à-dire non pas factice mais incroyablement sérieux et réel. »

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Le coeur ne cède pas

Pfou ouh, pfffou ouh, pfouu ouh, … pffiiiiioooouuuu

Eh bien les amis, CA Y EST ! J’ai enfin terminé mon MARATHON littéraire avec Grégoire Bouillier !

Bon si vous voulez mon avis, il est complètement frappé ce type-là !

Oui, oui, ne vous fiez pas à son air passe-partout, quelconque …

Le bonhomme travaille de la cafetière, il est complètement fêlé du ciboulot !

Il a voulu vivre par procuration la vie et la mort de Marcelle Pichon, une parfaite inconnue pour lui !

Tout cela à partir d’un fait divers entendu à la radio vingt ans plus tôt, le corps momifié d’une ex-mannequin retrouvé dans un petit studio du 18ème arrondissement de Paris, après qu’elle s’est laissé mourir de faim pendant plus de 45 jours en ayant noté sur un petit cahier d’écolier son agonie …

L’histoire lui fait sur le moment une forte impression, puis le temps passe, elle remonte parfois à la surface de ses pensées, mais sans que Grégoire Bouillier ne puisse plus y associer des noms, juste un souvenir et quelques phrases marquantes, en particulier celle-ci : « la langue dégorge comme un escargot ».

Jusqu’à une soirée de juin 2018, une rencontre fortuite avec une personne qui travaille à l’INA relance la machine. Cette personne lui promet d’effectuer une recherche dans les archives maison, pour voir s’il peut retrouver l’émission en question. Et bingo ! l’émission est exhumée des limbes radiophoniques et envoyée à Grégoire, telle un cadeau du ciel !

Là, la vie de Grégoire Bouillier bascule, lui qui pointait au chômage sous le regard méprisant et courroucé de sa conseillère Pôle Emploi va se redécouvrir une vitalité hors-norme. Il part comme un fou en quête du moindre indice sur la vie de Marcelle Pichon, ses origines berrichonnes, son enfance dans le 15e, rue de Javel, auprès de son père coiffeur, sa courte carrière de mannequin chez Fath, tout, le moindre indice est passé au crible. Et cela vous lui prendre, tenez-vous bien, 3 ANS !

D’ailleurs pour aboutir dans sa quête du Graal (mais au fait, de quel Graal s’agit-il au juste ? J’y reviendrai), le narrateur ne recule devant aucun sacrifice, il crée même une société de détectives privés et endosse pour cela le pardessus couleur mastic de son double Bmore. Il s’octroie les bons services d’une assistante, Penny, pour le plaisir d’échanges verbaux hauts en couleur, qui viennent apporter une touche d’humour indispensable, à une lecture parfois éprouvante …

Frénétiquement, Grégoire Bouillier consulte dans tous les sens l’état civil, les registres de commerce, les archives de l’INA, les magazines de mode, les émissions de télé, les films qui pourraient l’éclairer sur Marcelle. Une quête, une obsession en dehors de toute rationalité.

Alors forcément se pose la question du pourquoi ? Pourquoi un tel acharnement halluciné à tout savoir sur cette femme ? Une fascination pour le morbide ? ou est-ce bien plus profond, quelque chose de viscéral pour l’auteur ?

Grégoire Bouillier n’en fait pas très longtemps mystère, à travers Marcelle Pichon, c’est avant tout une partie de lui-même qu’il traque. La quête qu’il mène sur les origines de Marcelle Pichon, c’est celle qu’il ne mène pas sur les siennes, lui, qui n’est pas le fils de son père. À tout instant, Grégoire Bouillier fait s’entremêler les fils de sa propre histoire et de celle de Marcelle, leurs blessures se répondent.

Cela méritait-il pour autant un pavé de plus de 900 pages ? Car, oui, je ne vous l’ai pas encore dit, M. Bouillier n’est pas exactement ce qu’on pourrait appeler un champion de la concision. Les digressions sont multiples, les dérapages pas toujours contrôlés, tout comme les dialogues avec son assistante Penny sont plus ou moins savoureux.

Mais qu’importe, une fois à bord du train, il ne s’avère pas si facile d’en descendre. Grâce à une foule d’anecdotes, d’histoires incroyables, un souci du détail fascinant, une capacité à ronger n’importe quel sujet jusqu’à la moelle, et surtout beaucoup d’humour, de lucidité, d’autodérision, et une capacité formidable de se mettre à la place de l’autre pour imaginer une multitude de scénarios, le lecteur est ferré, embarqué. Plus d’échappatoire possible, nous voilà partis dans une quête fiévreuse nous aussi. Un site internet vient même mettre en mots et en images tous les documents patiemment amassés ! Un travail à la fois de fourmi et titanesque !

Cela étant, je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée pour les petits-enfants de Marcelle (ses enfants étant décédés). Que penser d’un gugusse sorti de nulle part qui vous explique qu’il veut écrire un bouquin sur la vie, le suicide et l’agonie de votre grand-mère ? Enfin, c’est pire que ça, puisque bouquin, il l’a tout de même déjà bien entamé, et y a d’ores et déjà consacré plusieurs années de sa vie (excusez du peu) ! Alors, ça serait sympa ne de pas opposer une fin de non-recevoir à sa demande !

Ne me reste plus qu’à espérer que le monsieur ne viendra pas mettre son nez dans mes affaires de famille, par ce que voir sa vie de famille étalée sur la place publique, je comprends que ça fasse un peu bizarre et pas forcément très plaisir, surtout s’il s’agit en plus d’être jeté en pâture à la vindicte populaire… Bon restons modérés tout de même, le nombre de lecteurs devant malgré tout rester assez limité...

Ce fût un véritable régal d’avoir passé mes vacances en compagnie de Grég, Bmore, Penny. Marcelle un peu moins, mais ça vous comprendrez pourquoi si vous lisez le livre à votre tour ! Ils me manquent tous déjà…

Allez, maintenant hop hop hop, on se lève du canapé ! Pffou pffou, on fait le tour de la table basse en petite foulée. Voilà, il ne vous reste plus qu’à chausser à votre tour vos meilleurs baskets pour entamer votre propre marathon littéraire. Tout va bien se passer, … tant que le cœur ne cède pas !

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Le coeur ne cède pas

Une performance, une prouesse que l'écriture de ce livre.

Inclassable, ce n'est ni un roman, ni une non-fiction, ni une biographie ni une autobiographie, ni un essai, mais un mélange de tout cela ; un cocktail d'érudition et de réflexions personnelles.

J'étais attirée, Philippe Jaenada l'avait conseillé (cela aurait du suffire), il était en lice pour le Goncourt mais franchement 1270 pages (en poche) ; j'attendais que d'autres s'y frottent avant moi.

Et puis la critique d'Ivan_T m'a donné du courage, il avait pu, avait aimé alors moi aussi je pouvais m'y atteler.

Et j'ai bien fait, j'ai été passionnée de la première à la dernière page ; je le jure.

Le prétexte d'une enquête sur cette ex-mannequin qui s'est suicidée en se laissant mourir de faim permet à Grégoire Bouillier des digressions, des suppositions, des descriptions de faits historiques et des délires parfois.

Nous parcourons le XX siècle et, au fil des pages, nous rencontrons des coiffeurs, des collabos, des journaliers, des journalistes mais aussi Philippe Jaenada, FabCaro, Sophie Calle, un graphologue, une voyante, une astrologue etc.

Bien sûr l'auteur dit beaucoup de lui à travers cette obsession de Marcelle.

Cet écrit parle des origines, des réflexions sur la vie, des blessures d'enfance et permet quelques petites vengeances parfois.

C'est farfelu, passionnant et souvent grinçant.

Je quitte avec regret Penny et Bmore.
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Le coeur ne cède pas

Si vous n’êtes pas un amateur ou un adepte des pavés littéraires, alors je vous dis tout de suite : vous risquez de faire de gros yeux quand vous saisirez ce livre en librairie. En effet, il compte plus de 910 pages ! En plus de posséder un nombre très conséquent de feuillets, ces derniers sont très remplis et munis d’un texte à la fois très dense et très fourni.



Pourtant, je vous dirai aussi de ne pas trop vous effrayer non plus car comme on le dit si souvent : ce n’est pas la quantité mais la qualité qui compte/ et avec « Le cœur ne cède pas », vous en aurez pour votre argent.



Grégoire Bouillier est parti d’un fait divers réel qui s’est déroulé courant des années 80 à Paris. Il s’agissait à la fois d’un drame humain mais aussi d’un drame sociétal. Un jour, Marcelle Pichon décide d’arrêter de s’alimenter. Cette sexagénaire tient alors un journal de bord tout au long de son agonie, qui dure près de 45 jours et ce, jusqu’à son décès. Son corps n’a été, ensuite, retrouvé que 10 mois plus tard dans son petit appartement au cœur de Paris. De cette idée, vient une enquête menée par l’agence Bmore Investigations, mandatée par le narrateur, un écrivain raté en la personne de Grégoire Bouillier.



Ce livre reprend les investigations menées par Bmore et son assistante, Penny, sur cette fin atroce par inanition que s’est infligée Marcelle Pichon. Ils tentent de comprendre qui elle était vraiment, qui composait son entourage, savoir pourquoi elle a décidé de poser cet acte terrible et cette façon de mourir et comment sa disparition durant plus de 10 mois a échappé à tout le monde.



Véritable labyrinthe autour de ce tragique fait divers, il est constitué de pistes erronées, de culs-de-sac, de distorsions risquant de parfois perdre son lectorat. Pourtant, nombreux seront ceux qui y verront le talent certain de la part de cet écrivain qu’est Grégoire Bouillier et ce, à juste titre.



Les références littéraires, cinématographiques, musicales sont hyper nombreuses et très fouillées. Le travail de recherches mais également intellectuel ainsi que la culture de l’auteur semblent sans fonds. J’en ai été tout simplement subjuguée car je ne pense pas m’être un jour trouvée dans un bouquin composé d’une multitude de ce genre.



Doté de 1000 et une qualités (nombre quasi équivalent à son nombre de pages), il s’agit tout de même d’une lecture qui demande du temps et de l’attention, notamment au vu des digressions innombrables et complexes initiées par l’auteur. C’est donc une lecture exigeante mais dont la finesse et l’ingéniosité invitent à embarquer le lecteur vers une odyssée à travers le temps et l’espace, hors du commun.



« Le cœur ne cède pas » est en lice pour de multiples prix comme la seconde sélection du Prix Goncourt, le Prix Renaudot mais aussi le Prix Femina 2022. Il est indéniable qu’il remportera l’un ou l’autre prix (voire peut-être tous, qui sait…) pour ce livre considérablement intelligent et émouvant.



Petit clin d’œil pour les curieux : le site Internet ” lecoeurnecedepas.fr ” existe bel et bien.
Lien : https://www.musemaniasbooks...
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Le coeur ne cède pas

En août 1985, une sexagénaire, Marcelle Pichon, s'est laissée mourir de faim dans la solitude de son petit appartement parisien en relatant sa lente agonie dans un cahier d'écolier. Pendant quarante-cinq interminables jours, son coeur ne va pas céder.

Son corps momifié ne sera découvert que dix mois plus tard dans des conditions sordides.



Qui était Marcelle Pichon de son vivant ?

Pourquoi a-t-elle choisi une mort si lente et douloureuse ? Pourquoi personne ne s'est rendu compte de sa disparition ? Pourquoi a-t-elle écrit un journal d'agonie ? A qui était adressé ce texte ?



Au moment des faits, Grégoire Bouillier a 25 ans. Obsédé par ce fait divers particulièrement macabre et terrifiant entendu au hasard d'une émission à la radio, cette histoire de suicide va rester en gestation dans son esprit pendant près de trente-deux ans.



« À l'antenne, un passage du cahier avait été lu : « Mardi : la langue dégorge comme un escargot. » Ce n'était peut-être pas « mardi » mais, trente-trois ans plus tard, je me rappelais encore cette phrase. Je me la rappelais comme si c'était hier. En moi elle s'était gravée. Ces mots, je l'avais vue les écrire dans son cahier. J'avais vu l'escargot ! J'avais vu sa langue dégorger dans sa bouche et je l'avais sentie enfler et boursoufler et déglutir dans ma propre bouche et cette sensation m'avait poursuivi.

Cette vision m'avait glacé.

Comme une énigme sans fin.

Une tentation ? »



En 2018, la mort de Morcelle Pichon refait surface et l'auteur décide alors d'y consacrer un livre.

Pendant trois ans, il va reconstituer la vie de cette femme, ancienne mannequin chez Jacques Fath dans les années 50. Bout par bout, pièce par pièce, il va tirer à lui chaque fil du drame, menant une enquête approfondie, relevant chaque indice, examinant à la loupe chaque détail, suivant obstinément chaque piste possible, formulant des hypothèses pour les valider ou les réfuter par la suite.

Un travail de fourmi.

Un travail de titan.

Une enquête vertigineuse de 903 pages exactement.



*

Suite au superbe billet de HordeDuContrevent, j'avais noté ce roman, mais sans grande conviction cependant.

En effet, j'étais partagée entre deux sentiments opposés : d'un côté, une gêne quant au sujet du roman, Marcelle Pichon n'étant pas un personnage de fiction, j'avais l'impression d'une forme de voyeurisme qui me déplaisait foncièrement. Et puis, d'un autre côté, touchée par ce fait divers, j'avais envie de comprendre le geste de cette femme, j'avais envie d'apprendre qui elle était vraiment pour s'être infligée autant de souffrance.



C'est en furetant dans les rayonnages de la médiathèque que mon regard a été attiré fortuitement par l'épaisseur de ce livre. En effet, il est vraiment très très gros, et très très lourd.

Comme j'hésitais à l'emprunter et qu'il pleuvait à seau, je me suis installée dans un des fauteuils, ce que je ne fais jamais, et j'ai commencé à lire les premières pages. Tout ça pour vous dire qu'il ne m'a fallu que quelques minutes pour me convaincre de cette lecture : je suis entrée très facilement dans le récit de Grégoire Bouillier. L'écriture est agréable, fluide. le ton est plaisant, teinté d'humour, d'ironie et d'autodérision. L'auteur n'a eu aucun mal à m'emporter dans son enquête.



« Il y a beaucoup de douleur dans cette histoire. Beaucoup de tragique dans cette famille. »



*

Sans l'accord de la famille pour écrire un livre sur Marcelle Pichon, l'auteur va avoir l'idée ingénieuse de construire une fiction à partir de faits réels. Pour cela, Grégoire Bouillier va mandater une agence de détectives privés, Bmore & Investigation, pour faire des recherches sur l'ancienne mannequin et retrouver son journal.



« Élucider voulant dire non pas faire toute la lumière sur le drame mais clarifier les termes mêmes de sa noirceur. »



L'auteur se confond bien souvent avec le détective privé Bmore. Avec son assistante Penny, l'auteur-enquêteur va remonter dans le temps et « habiller » la généalogie de Marcelle Pichon, de ses arrière-grands-parents à ses petits-enfants, des tragédies du passé.

A partir de petits riens, de détails, l'auteur va imaginer ce qu'a pu être la vie de Marcelle. Il restera bien entendu de toutes ces pages, des incertitudes, des zones d'ombre, mais j'ai aimé refermer ce livre sur cette impression de mystère, d'énigme et de secrets que Marcelle a emporté avec elle.



*

Ainsi, ce livre n'est pas seulement une enquête sur la vie et la mort de cette mystérieuse Marcelle Pichon. En même temps qu'au fil des pages, s'esquissent les contours de cette femme, l'enquête prend des allures de voyage dans le temps et l'espace. L'auteur tourne autour du journal de bord pour embrasser tout un siècle d'Histoire, tout en y enchâssant des destins anonymes, oubliés.



« Nous sommes emmurés dans l'Histoire autant que l'Histoire est emmurée en nous. »

James Baldwin



*

A partir des archives de Paris, des recherches sur le net, de sa généalogie, …, l'auteur confronte l'histoire de Marcelle Pichon avec son temps et c'est une magnifique toile de fond qui se dévoile tout au long de ce récit.

Derrière chaque fil tiré, des histoires s'entremêlent aux grands bouleversements du vingtième siècle et les deux grandes guerres, les années d'Occupation, les années folles, la 4ème république, la guerre d'Algérie.



C'est un travail d'investigation ahurissant et captivant qui va jusqu'au bout du bout de ce drame humain, invitant la littérature, le cinéma, la morphopsychologie, la graphologie et même les sciences occultes, l'astrologie, la divination, la cartomancie, pour éclaircir ce fait divers.



« Depuis le début, ce que j'écris repose de toute façon sur du sable.

Sur du sable et non sur du vent.

Nuance… »



Et ce qui surprend tout au long des recherches effectuées, c'est le nombre de coïncidences ((sur les prénoms, les dates notamment), ou peut-être est-ce le hasard tout simplement), qui induit une reproduction des schémas familiaux. C'est très honnêtement sidérant, confondant.



« Je n'invente rien !

Certaines coïncidences touchent au sublime.

Ou elles ne sont pas des coïncidences. »



*

En s'immisçant dans l'histoire de Marcelle Pichon comme un intrus, un « pilleur de tombe », « un coucou ayant squatté un nid qui n'est pas le sien », Grégoire Bouillier va ouvrir des brèches dans la sienne. C'est étrange comme la vie de Marcelle tend un miroir à l'auteur, le renvoyant sans cesse à ses errances, ses erreurs, ses peurs, ses incertitudes, ses questionnements.



« Une fois qu'on a tiré un fil, on veut dévider toute la pelote.

La curiosité se nourrit d'elle-même.

Merci Marcelle !

Sans elle, je n'aurais jamais cherché à savoir.

Je n'aurais pas brisé le plafond de verre de mes origines. »



Cette pensée amène à poser un regard sur le processus créatif de l'écrivain.

Le roman aborde d'autres thématiques, notamment sur l'amour et ses dérives, la solitude et l'isolement, les questions existentielles sur la vie et la mort, la dépression et le suicide.



*

Pour conclure, « le coeur ne cède pas » est une lecture aussi passionnante qu'exigeante de par son nombre de pages, mais aussi de par sa trame non linéaire et labyrinthique, par ses nombreuses digressions, associations d'idées et réflexions, par ce voyage hors du commun, à travers le temps et l'espace.



Je referme cet énorme pavé, conquise par la force du récit, impressionnée par l'érudition et le travail colossal de l'auteur. Et puis, avec émotion, mes dernières pensées se tournent vers Marcelle Pichon.



« La réalité n'est jamais décevante. Elle est au-delà des sentiments. »
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Le coeur ne cède pas

Que voilà un livre enthousiasmant! Bouillier découvre par hasard qui est la femme dont le destin sordide l’avait frappé de nombreuses années auparavant: Marcelle Pichon, recluse volontaire qui se laissa mourir de faim en tenant le journal de son agonie.

Maintenant qu’il connaît son nom, l’écrivain décide d’enquêter pour comprendre ce qui a poussé cette femme à se suicider, et surtout à se suicider d’une manière aussi atroce. Le livre commence par la fin, quand la petite-fille de la morte lui intime de renoncer à publier par respect pour la défunte et sa famille.

On pourrait prendre ce début pour une pose assez antipathique, à moins d’y voir la même incongruité que celle qui consisterait, pour des descendants d’Emma Bovary, à vouloir interdire le livre de Flaubert. On m’objectera que l’une est héroïne de roman, ce que n’est pas l’autre. Mais les faits-divers ont toujours inspiré les oeuvres de fiction et ce qui différencie Emma de Delphine Delamare, épouse normande abandonnée par ses amants, c’est peut-être avant tout le fameux « Madame Bovary, c’est moi ».

Poser dès le départ les droits de l’écrivain revient à dire non pas que Marcelle Pichon est devenue une créature de Grégoire Bouillier mais bien que, si indécence il y a à écrire un tel livre, elle ne concerne que l’auteur puisqu’on n’écrit jamais que sur soi.

Il ne faut pas croire pour autant que Marcelle serait un simple prétexte. L’enquête est magnifique. Bouillier rassemble une documentation impressionnante, traque les erreurs des journalistes de l’époque, reconstitue son arbre généalogique, retrouve le nom de ses maris et amants, se fait sociologue et historien et double son livre d’un site web pour permettre à chaque lecteur de prendre connaissance du dossier ainsi constitué.

L’ enquête est tellement complexe et approfondie qu’il est impossible de ne pas se demander pourquoi Bouillier se donne autant de mal et ses implications autobiographiques se dévoileront progressivement, faisant l’objet d’une deuxième investigation. Mais la seconde n’est pas plus immodeste que la première serait doloriste : l’une et l’autre sont pareillement rigoureuses et foutraques, toujours sensibles, intelligentes, souvent hilarantes, menées sous la bannière de d’Alembert qui croyait en « la mémoire, la raison et l’imagination ».

Ce triple patronage signale que la quête n’est pas seulement double mais qu’elle se poursuit à trois niveaux. Car s’il ne s’agissait que de Grégoire et de Marcelle, que nous importerait? Or Bouillier l’étudie comme un professeur de littérature analyse un roman : écrire sur autrui, ce n’est pas seulement se chercher, c’est aussi comprendre comment chacun de nous est le produit d’intentions, d’affects et de circonstances, comment chacun de nous est au croisement de sens multiples. On sait que le destin d’Emma Bovary est déjà scellé par son état-civil qui accole un prénom romantique à un nom évoquant le boeuf, malheureux taureau émasculé. De même, Marcelle est scrutée selon les règles de l’onomastique: son prénom renvoie-t-il au « marcelling » technique d’ondulation dont son père coiffeur fut peut-être friand? Ou ses parents avaient-ils l’intuition que leur fille serait « celle » qui en a « marre »? Ou bien, de même qu’un livre parle non seulement du monde, de son auteur, mais surtout d’autres livres, Bouillier explique Marcelle en voyant dans son destin l’oeuvre de Modiano. Ou bien il cherche à la comprendre en convoquant graphologues, astrologues ou radiesthésistes moins pour obtenir une vérité que pour comparer sa propre lecture à d’autres interprétations.

Le début du livre, qui fait fi des désirs de la famille, n’est donc pas seulement une proclamation d’auteur: on peut le comprendre aussi comme la revendication d’un lecteur pour qui il n’y a pas d’ayant-droit en littérature car l’auteur lui-même n’a pas l’exclusivité de son oeuvre

À la fois lecteur, auteur et son propre sujet, Grégoire Bouillier a écrit le plus ébouriffant, excitant, stimulant ouvrage qui soit sur les pouvoirs de la littérature, car (comme le disait plus ou moins en ces termes ce vieux Will) nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves et notre petite vie est traversée de fiction.
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Le coeur ne cède pas

D'entrée, Grégoire Bouillier s'affiche comme le narrateur de cette longue, labyrinthique et passionnante aventure. Dans un Prologue, l'auteur explique pourquoi il doit cependant prendre quelques précautions : sa « marge de manoeuvre » est limitée par la loi l'a informé le service juridique de son éditeur. En effet, l'enquête qu'il veut raconter concerne un fait divers datant des années 80 : Marcelle Pichon, 64 ans, ancien mannequin dans une grande maison, s'est suicidée en se laissant mourir de faim. Ce n'est déjà pas banal, mais elle a de surcroît tenu le journal de son agonie pendant 45 jours. Son corps ne sera retrouvé que 10 mois plus tard dans son petit appartement parisien. Tout pour défrayer la chronique ; la presse et la télé de l'époque en feront leurs choux gras. Et pourtant, plus de 30 ans après, la petite-fille de Marcelle Pichon, après avoir longuement parlé avec l'auteur, lui envoie un courriel lui interdisant d'écrire le livre qu'il a en projet et le menaçant de poursuites s'il persiste. Il faudra biaiser : c'est donc Bmore & Investigations, une agence privée que possède monsieur Baltimore, dit Bmore (!), ainsi que son assistante, la brillante, dévouée et très indépendante Penny, qui mèneront l'enquête et en rendront compte à leur client : Grégoire Bouillier…

***

On ne sait pas toujours, de Grégoire Bouillier (il s'interpelle parfois) ou de Bmore, lequel est le narrateur. de la même manière, dans un dialogue avec de nombreuses répliques, on perd de vue le locuteur et « On s'en fiche » (p. 266). On se passionne forcément pour cette enquête en suivant les maigres indices, en arpentant de fausses pistes, en faisant confiance au hasard, en exploitant les coïncidences, et surtout en suivant le narrateur dans d'inattendues digressions, dans de multiples références littéraires, cinématographiques, scientifiques, musicales ou simplement farfelues. Dès le prologue, on trouve une citation de René Girard. Plus loin, on suit Modiano pendant quelques pages dans un quartier parisien, sur les pas de Dora Bruder. On lira avec attention certaines variations sur les noms : Pichon d'abord, mais aussi Marcel(le), puis Florence, son pseudonyme de mannequin. Des remarques souvent drôles (Jean-Claude Trichet, directeur de la Banque de France), mais qui induisent des réflexions abouties sur le poids d'un nom ou d'un prénom, illustrées d'exemples pertinents. On s'interrogera sur le rôle des exergues : forcément, quand on s'autocite, ça pose question ! On sautera de la mémoire épigénétique aux superstitions berrichonnes, d'une thèse sur les écritures de la faim au complexe d'Oedipe, des protectorats français à la grippe de Hong Kong en 1968, de la rafle du Vel' d'Hiv' aux sciences occultes, de Bouvard et Pécuchet aux X-Files, et bien d'autres surprises encore, avec au passage un coup de chapeau à trois autres enquêteurs : Jaenada, Capote et Modiano…

***

J'avoue que j'ai repris mon souffle deux fois : une pause au chapitre 49, puis une autre au 77, mais les deux fois, je me suis replongée dans le coeur ne cède pas avec grand plaisir. J'ai aimé suivre l'auteur dans son enquête mais aussi découvrir, dans des confidences éparses et progressives, la blessure qui le taraude depuis l'enfance et celle, plus récente, enfin mise au jour, qui lui permet de conclure par « Je souriais ». Aussi drôle qu'émouvant, ce roman. le marathon vaut la peine…

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Le Dossier M, tome 1

Moi qui me suis souvent posé la question sur l'effet qu'avaient produit des œuvres telles que L'Idiot (Dostoïevski), Ulysse (Joyce), L'homme sans qualités (Musil) ou encore - notez ici le titre de votre pavé de littérature aux mille et une saveurs favoris, votre sequoia le plus grand et dont les feuilles sont couvertes de mots à vous seul connus votre Himalaya le plus inaccessible, etc. -, voilà que c'est Grégoire Bouillier, celui-là même dont j'ai lu par trois fois L'invité mystère (Allia, 2004) et me suis bien saturé de son autofiction intitulée Rapport sur moi (Allia, 2002), ce Grégoire Bouillier donc, que je pensais disparu dans une bouteille, qui vient poser ses 873 pages (pour ce premier tome) sur ma table à manger qui me sert accessoirement de bureau, étant personnellement, faute de place, dépourvu de ce meuble-là chez moi, ce Grégoire Bouillier disais-je donc encore, qui m'offre ainsi une tentative de réponse à ma question. Car c'est bien une œuvre colossale que nous propose cet auteur qui rattrape son retard (deux livres et demi en dix-sept ans, c'était peu quand même) avec ce premier tome s'imposant (c'est le cas de le dire) comme une longue modulation de l'Invité Mystère, avec des thèmes récurrents (Zorro, le suicide, la série Dallas, le sexe, la passion, l'amour, la séparation, etc.) et dont le sujet central - quoique le centre dévie constamment - est régulièrement entrelardé de digressions souvent bienvenues. Il y a beaucoup de désenchantement dans ce livre (on pensera évidemment à Philippe Muray ou Baudoin De Bodinat), le style est direct, sec, avec une tendance à haranguer le lecteur, le secouer, lui faire lâcher prise avec le livre, impossible d'ailleurs de ne pas penser à Kafka (d'ailleurs cité dans le livre) ou même Dostoïevski (pour un certain nihilisme). Grégoire Bouillier pense sa vie, il est de ces écrivains que Søren Kierkegaard définit si bien en disant d'eux qu'ils sont existentialistes car ils travaillent des éléments voir la totalité, de leur autobiographie et prennent comme sujet leurs questionnement existentiels - et c'est bien le cas de ce Dossier M, un immense livre de ruminations sur l'art et l'amour, la littérature et la mort, un livre au final peu agréable, ce qui le rend - dans une époque comme la nôtre où l'on veut constamment nous faire croire qu'au fond "tout va très bien dans le meilleur des mondes" - extrêmement pertinent car l'on s'y perd à tel point que le temps ne s'écoule plus, il se disperse. Vivement le tome 2.
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Le coeur ne cède pas

En 1986, Grégoire Bouillier entend une émission à la radio où un écrivain présente son livre parlant d'une femme dont le corps a été retrouvé dix mois après son décès en août 1985. Cette femme, c'est Marcelle Pichon, qui durant 45 jours va se laisser mourir de faim et décrire sa lente agonie dans un cahier d'écolier, à la façon d'un journal. Cette histoire, Grégoire Bouillier va la garder dans un coin de sa tête sans jamais l'oublier jusqu'à une soirée festive où l'écrivain va être de nouveau confronter à cette femme. Et cette fois-ci, c'est le déclic. A partir d'un premier élément, l'auteur va vouloir d'une part retrouver la trace de ce journal d'agonie , et d'autre part savoir si la vie de Marcelle Pichon peut éclairer sa mort.



Et c'est le début d'un ovni littéraire.

Comment qualifier ce livre de plus de 900 pages qui n'est ni un roman, ni un documentaire, ni un essai, ni de l'autofiction (trop réducteur pour « Le coeur ne cède pas ») et tout cela à la fois ? Car c'est à partir de rien que l'auteur va combler les vides de la vie de Marcellle Pichon, et il va les combler de manière impressionnante. Durant trois ans, Grégoire Bouillier se fait aider par un double de fiction, avec le détective privé Baltimore et sa pétillante assistante Penny. Puis, en partant du principe que les faits et les dates ne suffisent pas à raconter une histoire, il utilise le moindre détail pour parler non seulement de la vie de Marcelle Pichon, mais aussi de toute une époque, et surtout de lui-même.

Grégoire Bouillier laisse filer son imagination qui ne se refuse rien. En s'appuyant sur ses propres connaissances et son immense travail de documentation, il utilise ainsi la « réalité comme terrain de jeu de l'imagination ». Des archives internet à l'enquête de terrain, de la généalogie à l'astrologie, des photographies anciennes aux pochoirs urbains, tout est prétexte à parler de la vie publique et intime de Marcelle Pichon mais aussi à parler de culture (beaucoup!), d'histoire, de psychologie, de politique, de la société,... Bref, de tout.

Alors 900 pages, c'est long, oui. Mais l'ensemble est franchement passionnant. le lecteur peut tout de même « sauter » quelques paragraphes où l'auteur s'épanche longuement si le thème ne l'intéresse pas trop. Cela ne changera rien au fil de l'histoire. Et puis surtout, les chapitres consacrés aux dialogues entre Bmore et Penny, toujours très drôles et dynamiques, sont là pour reprendre notre souffle. le ton est souvent décalé, joueur, l'auteur maniant l'autodérision avec succès.

On s'attache beaucoup à cette équipe de détectives de choc. Moins à Marcelle Pichon dont on va dévoiler de nombreux aspects ambigus. Et puis au final, Marcelle Pichon, on s'en fout un peu. Car peu à peu, bien sûr, on découvre que l'auteur cherche surtout à savoir pourquoi il a retenu cette histoire sordide dans un coin de sa tête durant 35 ans, pourquoi cela l'obsède autant.

La vie de Marcelle Pichon, c'est un miroir tendu vers l'écrivain. Et c'est à travers ce vaste récit policier, social et intime ; à travers cet exercice littéraire particulier, que l'écrivain s'engage dans une élucidation de soi.



Dans cette rentrée littéraire, « Le coeur ne cède pas » est un roman à part qui vaut le détour, même s'il fait 900 pages.

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Le coeur ne cède pas

En 1985, l'auteur entend un fait divers étonnant : une femme s'est suicidée en se laissant mourir de faim. Pendant les 45 jours de son agonie, elle a tenu un journal.

Plus de 30 ans après les faits, il n'a pas oublié cet évènement. le hasard va lui permettre de retrouver les archives de l'émission de Radio qu'il avait entendue ce jour-là.

Dès lors, il peut remonter la piste de cette Marcelle Pichon. Qui était-elle ? Qu'est-ce qui a bien pu la pousser à un geste aussi terrible envers elle-même, à choisir cette façon horrible de se donner la mort ?

Sa quête va durer 3 ans, trois années durant lesquelles il se transforme en Bmore , détective de la Bmore and Investigations avec l'assistance de la dégourdie Penny.

Trois années durant lesquelles ils vont reconstituer l'arbre généalogique de Marcelle, éplucher les magazines des années 1940-50 pour retrouver des traces de sa brève carrière de mannequin pour la maison Fath, fouiller les archives de la ville de Paris pour exhumer des informations sur ses deux mariages, ses deux divorces, en appeler à des méthodes moins conventionnelles comme engager un graphologue, une morpho-psychologue, une cartomancienne…

Rien n'est négligé pour percer le mystère Marcelle Pichon, pour comprendre son geste, l'expliquer.

Tout est questionné, disséqué, interrogé : le prénom de Marcelle, son pseudo Florence, son déménagement tardif dans le 18è alors qu'elle a vécu toute sa vie dans le 15è, les quelques mots arrachés à son journal d'agonie.

Les suppositions, hypothèses, supputations foisonnent. Les digressions aussi.

Il y a un côté Jaenada dans la démarche et l'écriture de Grégoire Bouillier auquel il fera d'ailleurs appel pour élucider un dernier petit mystère. Sa façon de rebondir d'une question à une autre, les réponses ébauchées entrainant de nouveaux questionnements, le besoin obsessionnel de contextualiser pour donner du sens : le Paris occupé des années 40, les grèves de la faim en Irlande du Nord des années 80. Rien n'est laissé au hasard…

C'est un travail impressionnant. C'est une lecture étourdissante.

Le ton d'autodérision de Grégoire Bouillier, l'humour notamment des échanges avec Penny, le naturel avec lequel il communique aux lecteurs ses sentiments « C'est ENORME ! », « Pfff …», « Chiotte… » donnent de la légèreté à cette lecture épatante.

Pour finir, j'ai trouvé très touchant de découvrir qu'en poursuivant avec cette passion dévorante la construction du portrait de Marcelle, c'est aussi sa propre identité qui était questionnée et qui trouvera elle aussi, en partie, des réponses.



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Le Dossier M, tome 1

Vous voulez savoir à quoi ressemble L'OVNI de la rentrée littéraire? Lisez-si vous avez le temps et la vie le rapport M publié le 16 aout dernier chez Flammarion.



Sur près de 900 pages, Grégoire Bouillier, rédacteur en chef adjoint à Sciences & Vie et auteur du "rapport sur moi" il ya près de 15 ans, a écrit plus de 4,5 millions de signes durant six ans- un second tome de 900 pages paraitra en janvier 2018



Son histoire d'amour avec M qui l'a quitté est le pretexte à une loghorée verbale hors du commun, pleine de disgressions plus ou moins passionnantes et qui font le sel de ce roman fleuve impossible à lire en intégralité à moins d'avoir des journées qui font 36 heures!



Un roman aussi bavard qu'érudit pour un patchwork total d'archives, de critiques de films, de livres, de maild échangés, de dessins, de SMS... ce fourre tout totalement boulimique, intrigue au départ mais finit par donner un peu mal à la tête...



Certains ont adoré d'autres ont détesté, difficile de savoir quoi penser de cet objet littéraire non identifié aussi ambitieux que prétentieux..


Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Le coeur ne cède pas

Ce n’est pas moi, qui subi de plein fouet les centaines de sorties en librairie, qui vais faire l’apologie de la rentrée littéraire, n’empêche : c’est toujours le moyen de retrouver des « amies » et des « amis » de longue date, ou pas, de reprendre le dialogue avec eux, hors les réseaux sociaux, des amis tels Yves Ravey, Carole Allamand, Basile Panurgias, David Bosc et – tiens - Grégoire Bouillier. Après deux mille pages sur l’amour fou, voilà mille autres feuillets sur la mort par inanition - la plus radicale. Alors je ne vais pas vous le faire « meilleur livre de la rentrée », on s’en fiche, mais c’est probablement le plus gros quand même et il détonne par ses changements de styles, son ton, de déclarer (page 220) que « la littérature éteint le feu de la réalité lorsqu’elle souffre exagérément dessus ». Et puis vous en connaissez beaucoup, vous, des romans qui parlent de Modiano, du Covid, de féminisme ? de suicide, de Louise Brooks ? de solitude dans un monde où le vivre ensemble est imposé ? qui cite sur la même page Sylvia Plath et la chanson Everyday Is Like Sunday de Morrissey ? qui contient un dessin original de Fabcaro ? À travers un enquêteur (Bmore) et son assistante (Penny), engagés par un écrivain raté (Grégoire Bouillier), l’enquête va loin, très loin, se perd en digressions, en fausses pistes, en vrais labyrinthes aussi. Il s’agit de savoir si Marcelle, qui a choisi de se laisser mourir de faim en tenant le journal de son agonie, de savoir donc, si elle a jamais pu être elle-même - il s’agit de faire tomber le masque. Et Artaud (cité page 588) de nous dire : « Il y a des consciences qui, certains jours, se tueraient pour une simple contradiction, et il n'est pas besoin pour cela d'être fou, fou repéré et catalogué, il suffit, au contraire, d'être en bonne santé et d'avoir la raison de son côté. » Et Bouillier d’ajouter : « Il y a la petite histoire des individus et il y a la grande historie du monde, qui n’est pas avare de petitesses dont les individus, en bout de course, font les frais. »
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Le coeur ne cède pas

C'est un roman, une écriture et un auteur inclassables.

Cela étant dit, je vais expliquer pourquoi j'ai abandonné ma lecture.

J'ai quand même voulu persévérer au-delà de la fatidique page 50 mais j'ai rapidement déclaré forfait malgré une écriture plaisante.

Je le trouve redondant, il part dans de nombreuses digressions, de nombreuses directions. De plus, je ne suis pas une adepte des faits divers, cela ne m'intéresse pas beaucoup. Que la presse s'en repaisse m'insupporte. Alors, qu'un auteur s'en empare me dérange.

Son talent d'écriture n'est donc pas en cause, c'est uniquement le sujet et la façon de le traiter qui m'a fait poser ce livre avec un ouf de soulagement.

Maintenant, c'est à vous, lecteurs, de vous faire votre propre opinion...Si le coeur vous en dit...
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Le coeur ne cède pas

« (Je parle bien sûr des livres qui ne se contentent pas de raconter une histoire. Ceux-là entretiennent la flamme mais n’allument pas le feu.) »



Lire « Le Coeur ne cède pas » allume le feu.

Feu qui attise sens et raison.

Une folie littéraire.



Le récit du calvaire volontaire choisi par Marcelle Pichon, ancienne mannequin de Jacques Fath, mariée deux fois, deux fois divorcée, mère de deux fils, mystérieuse « recluse » en son minuscule appartement dont l’unique fenêtre donne sur l’église de la paroisse Sainte-Geneviève à Paris a hanté l’auteur pendant plusieurs années et donné naissance à ce livre particulier.



Descendre dans l’abîme de ses interrogations et y chercher réponse, guidé par l’histoire de l’autre, éloignement et proximité qui amènent l’auteur à aller au-devant de sa propre image.



On entre en lecture, remué par les réflexions et découvertes de Grégoire Bouillier.

Comme un écheveau dont on tire un fil et puis un autre, les pages se déroulent ne laissant rien dans l’ombre.

Tout donne lieu à des recherches intenses sur le moindre détail relié au fait.



Des pages d’anthologie notamment celle où l’auteur imagine une journée vécue par Marcelle P.

Un canevas inspiré par ce qui pourrait être. Un canevas miroir.

Reflets de la solitude, automatisation des gestes pour tuer le Temps.

L’enfer du monde, le « monde pourri » qui oublie les siens ou les maltraite.

On ne se suicide pas en jeûnant, on s’offre à la mort.

La comparaison entre le livre de l’écrivain japonais et les quelques phrases du journal tenu par Marcelle est un moment bouleversant où plus loin que l’enquête menée, les mots que nous lisons la font redevenir un être avec ses doutes, ses souffrances, peut-être ses joies.



La vérité est mise en exergue plusieurs fois, tout pourrait être si simple, si juste.

Vérité et non vraisemblance. Comme tant de choses dites, supposées mais non vérifiées, ce qui semble le lot (à regret) de certains journalistes.

Le monde journalistique et particulièrement les JT sont égratignés et obligent le regard à aller au-delà de ce qui s’écoute banalement.



L’auteur nous emmène dans un tourbillon, nous enseigne Histoire, Société, Époque ancienne et Époque actuelle qu’il nous livre avec lucidité (les « Recluses », le monde du mannequinat, la place de la femme dans la société, la guerre et la collaboration, les coiffures -la visite au Musée du Louvre est un régal -, l’origine de mots ou expressions et tant et tant qu’il est impossible de tout citer).

Tourbillon dans nos pensées, raisonnement, imagination, la lecture mène à une réflexion riche, à des découvertes.

Des auteurs sont cités entraînant l’envie de les lire, des phrases de poètes, philosophes,etc…, des suppositions permettant de combler les vides à partir de scénarios de films jusqu’à l’horreur évoquée sur le mode d’un comique troupier aujourd’hui oublié : Ouvrard, jusqu’à la nausée…

Le rappel (ou la découverte selon l’âge du lecteur) des faits ayant eu lieu l’année de la mort de Marcelle P. replace celle-ci dans son époque et démontre à quel point chacun(e) s’y confond.



Grégoire Bouillier s’amuse gentiment avec nous (cfr un certain chapitre, la mort du père, etc…) et attire notre attention sur la légèreté de notre lecture, de nos regards.

Il y a de l’humour qui contrebalance la noirceur grâce à ces souffles, ces moments de respiration plus légère avec Penny.

Il y a une imagination débordante qui provoque une interrogation dubitative (cfr le couple octogénaire croisé dans l’immeuble…) puis tout se dévoile et Bmore rectifie la réalité. L’auteur s’est amusé ou a comblé une absence momentanée…

Ses remerciements à Graham Bell (dans la liste des « aides précieuses) font partie de cet humour piquant.



Il y a des passages bousculants (un exemple : lors des deux portraits - édifiant : le lecteur peut se laisser abuser par le texte et les yeux transposer ce qui était dit), passages qui provoquent des prises de conscience.



C’est un livre à nul autre pareil où l’auteur s’évoque, se projette, s’analyse au gré des croisements de son aventure littéraire, nous emmenant dans les lacs et entrelacs de ses pensées, de ses rebondissements, de son obsession.

La « sensation exaltante », « l’euphorie » atteignent le lecteur lors des dernières pages.

Les rapprochements avec « Le Portrait de Dorian Gray » sont édifiants et donnent un éclairage psychanalytique inattendu..



La quête qui est à travers tout le livre n’est finalement pas celle que l’on croit.

Et l’auteur, en un épilogue percutant, nous bouleverse.



Un livre particulier,

Un livre fou.

Un livre remuant.

Un livre personnel.



Un livre qui…met le feu et malgré cette longueur inhabituelle parmi les romans de notre époque, Grégoire Bouillier nous entraîne à sa suite, nous parle et la littérature ici, offre des mots vécus, des faits étudiés, semble d’une honnêteté rare et le meneur de jeu apparaît humain, très humain avec juste ce qu’il faut de misanthropie lucide.







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Le coeur ne cède pas



« Partir à la recherche de Marcelle c’était aussi faire un voyage dans le temps et l’espace »



Après un »Rapport sur moi » assez tonitruant , G.Bouillier continue en fait à chercher ses origines tout en enquêtant sur un ancien mannequin qui s’est laissé mourir de faim pendant 45 jours avant que le coeur ne cède dans les années 80 ,en consignant sur un carnet son agonie.

Cette Marcelle Pichon l’obsède, et c’est par le biais d’un roman qu’il va essayer dans une plongée vertigineuse de retracer ce qui a fait et défait cette femme. Il tire des milliers de fils, et pourtant elle reste toujours insaisissable et désespérante.

Ce roman est truffé de nombreuses références littéraires, musicales, c’est un manège qui s ‘est emballé.

Beaucoup d’humour et d’auto dérision dans cette folie . Vu à « la grande librairie » l’auteur ne m’a pas paru exsangue, mais il m’a laissée sur les rotules.

Et pourtant le besoin de tourner les pages est bien présent, et une fois la lecture lancée, mieux vaut ne pas trop s’éloigner de ce texte audacieux qu’un grand prix n’a hélas pas récompensé.
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Le coeur ne cède pas

Un roman fleuve intranquille qui ne laisse pas indifférent, à condition de persévérer dans sa lecture parfois fastidieuse qui modère un enthousiasme qu’on éprouve globalement. Beaucoup d’originalité dans cette narration qui ne démarre pourtant que sur un fait divers, le suicide en 1984 de Marcelle Pichon qui se laisse mourir de faim en écrivant le journal de son agonie. L’enquête de la Bmore & investigations nous entraîne dans des méandres insoupçonnés d’une recherche approfondie et tous azimuts tentant de comprendre le geste final de Marcelle. Beaucoup de suppositions et de fausses pistes envisagées par un tandem sympathique, le narrateur et son assistante Penny jalonnent l’histoire en envoyant des clins d’œil au lecteur pour l’associer à la démarche. De nombreuses références à des livres, des films, des chansons viennent agrémenter le déroulement de l’enquête et illustrer les atermoiements, les changements de direction, les options nouvelles en impulsant un regain d’intérêt qui interrompt des digressions un peu lourdes à digérer. La possibilité offerte au lecteur de suivre le déroulement de l’enquête avec des liens internet sur le site « lecoeurnecedepas.com » ajoute un ingrédient facétieux pour faire sérieux et l’embouchure du fleuve est une véritable surprise !
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