Le narrateur rencontre l’évasif Guastine.
Ils vont ouvrir une clinique où, en tant que patient, on peut retrouver un passé révolu. Son passé.
Les premiers clients sont âgés, ils oublient leur présent et leur passé.
Ils peuvent en retrouver de brides sans angélisme.
Ils ne retrouvent pas seulement un passé heureux, idéalisé.
Un homme a oublié son passé, il dialogue avec celui qui devait le surveiller pour le régime bulgare.
Une femme se souvient de la vache morte quand elle fuyait la Bulgarie lors de la retraite allemande…
Petit à petit, le roman glisse. La clinique s’agrandit. On achète d’autres maisons, des villages qui passent hors du temps présent.
Et puis des pays entiers décident de quitter le présent pour choisir chacun une ancienne décennie.
Chaque État, organise un référendum pour en choisir une.
Alors entre amnésie collective, mise en scène un peu kitsch d’un passé embelli, chacun vote.
Nous sommes en Europe et chaque pays a bien des périodes « fastes » mais aussi des haines profondes, des conflits.
Un « No future » européen.
> Puisqu’une Europe de l’avenir est impossible, choisissons une Europe du passé. C’est simple, quand on n’a pas d’avenir, on vote pour le passé
Pertinent, n’est-ce pas ?
> Le temps d’aimer était passé, le temps de haïr était venu. Si la haine était un produit intérieur brut, alors le niveau de prospérité, dans certains pays, aurait très vite atteint des sommets inégalés.
Attention le roman n’est pas un pamphlet politique sur les vendeurs (en chemise brune) de glorieux passé.
C’est d’avantage, une profonde réflexion à la fois personnelle et plus large sur l’oubli, la mémoire, les relations avec les proches.
Une déambulation temporelle.
Un conseil : Laissez-vous emporter par la narration.
> Le temps ne se niche pas dans l’extraordinaire, il se cherche un endroit silencieux et tranquille. C’est dans un après-midi insignifiant que tu découvriras des traces d’un autre temps. Un après-midi durant lequel il ne s’est rien passé d’extraordinaire, rien sinon la vie même…
Bémol
Le bémol ne concerne pas le roman, mais moi !
Je ne connais pas assez l’histoire bulgare du XXᵉ siècle (hormis son appartenance au bloc de l’Est) pour profiter pleinement du roman.
Bonus
La Suisse y tient une place spéciale. La première clinique ouvre à Zurich.
> La vérité, c’est que la Suisse était le pays idéal, me dis-je, à cause du degré zéro de temps. Un pays sans temps peut être très facilement habité par toutes sortes de temps. La Suisse avait réussi à se faufiler, y compris dans le XXᵉ siècle, sans cicatrices particulières qui, sinon, vous maintiennent toujours dans des années définies.
Encore quelques citations
Je ne saurai approcher la délicatesse et la poésie de cet ouvrage.
Alors voici quelques citations :
> J’ai lu quelque part que la fleur de myosotis guérit de la mélancolie ou, pour le dire de manière plus officielle, a un effet antidépresseur. En outre, ses graines peuvent demeurer dans la terre pendant trente ans et germer lorsque les conditions seront favorables. Cette fleur se souvient d’elle-même durant trente ans.
> Cette force d’attraction du passé n’est-elle pas, en fin de compte, une tentative d’atteindre cet endroit stable, aussi loin qu’il soit en arrière, où les choses sont encore entières, où ça sent l’herbe, où l’on regarde de tout près la rose et son labyrinthe.
> Tant qu’on se souvient, on tient le passé à l’écart. C’est comme allumer un feu au milieu d’une forêt nocturne. Tout autour sont accroupis démons et loups, les monstres du passé raccourcissent le cercle mais n’osent pas encore entrer dedans. L’allégorie est simple. Tant que le feu de la mémoire brûle, on est le maître. Mais commence-t-il à s’éteindre, le hurlement va aller grandissant et les monstres viendront plus près. La meute du passé. Moins il y a de mémoire, plus il y a de passé.
L’ouvrage se termine par cette phrase de l’auteur
> Je remercie tous ceux qui s’assiéront, un après-midi, dans l’abritemps de ce livre.
Je ne saurais trouver une meilleure conclusion.
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