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Citations de Guillaume de Fonclare (82)


j'ai le sentiment parfois que l'absence de mon père m'a construit tout entier. Je ne suis que cette déchirure. Mais là où quelques signes m'auraient permis de grandir dans une plus grande sérénité, je n'ai été que conflits intérieurs et manques, et mon adolescence a été la période la plus difficile de ma vie ; j'ai vieilli sans modèle si parfait et si héroïque qu'il était écrasant de perfection. Dieu l'a autorisé sans doute, si Dieu existe. Mon père l'a cautionné, sans doute, si mon père n'est pas tout entier au cimetière.
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Aimer, c'est grandir, c'est sortir de soi pour aller au-devant de l'autre, c'est faire abstraction de son ego et devenir serviable et attentif. Aimer c'est être profondément humain, c'est se sentir une femme, un homme, pleinement
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A ma naissance en 1912, l'Espagne vivait encore dans le tragique souvenir de la catastrophe de 1898 lorsqu'elle fut balayée par les Etats-Unis du rang de puissance pour devenir officiellement ce qu'elle était déjà en réalité depuis des décennies, un petit pays se haussant du col parce qu'il avait régné sur la moitié du monde durant deux siècles, alors qu'à partir de la fin des guerres napoléoniennes, il n'avait fait que se débattre dans la misère et dans d'interminables querelles institutionnelles. Les Bourbons s'étaient rétablis en 1875 après un premier épisode républicain avorté, et ils n'avaient pas su affermir leur pouvoir avec l'assentiment populaire. Dès lors, il fait régné sur l'ensemble de la péninsule un climat délétère qui ne présageait rien de bon. Barcelone elle-même n'était pas encore apaisée du grand embrasement de la Semaine tragique de 1909: des incidents dans les colonies marocaines de l'Espagne avaient conduit à des rappels de réservistes contre lesquels de nombreuses grèves et manifestations avaient été organisées et qui tournèrent à l'émeute, puis furent noyées dans le sang. Partout, dans la province couvait le feu de la revanche, attisé par le souffle du particularisme catalan.
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je veille à leurs côtés, je veille ces hommes, mes frères d’outre-monde. Je veille les lâches, les traîtres, les meurtriers, les héros, les saints, tous les Flaubert, Schiele, Dickens avortés. Tous furent petits garçons ; tous ont aimé et furent aimés ; tous avaient un prénom, un surnom ou un sobriquet dont ils ne voulaient pas. Tous ont été passés à la moulinette de la guerre totale, celle qui arrache aux familles les plus jeunes, les plus forts et les plus beaux pour les jeter dans le fracas de l’acier qui déchiquette en éclats et en mitraille. Ceux qui en reviennent sont plus vieux, plus faibles et plus laids. Car nul n’a jamais, jamais gagné la guerre.
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À Southampton, le gris est de coutume, un gris aux mille nuances, certes, mais un gris tout de même, et un gris qui dure des jours, des semaines, des mois parfois. Le ciel se pose alors sur des toits de tuiles rousses au-dessus des rues étroites, où les façades de brique s’éclairent çà et là de la tache plus claire d’un mur à colombages ; quelquefois, il avale même les toitures et descend en un brouillard épais jusqu’au sol. Mais lorsqu’un rai de lumière arrive à percer ces cieux désespérants, il embrase de couleurs inattendues toute la ville et toute la campagne autour ; ce sont des bleus comme il n’en existe que dans les pays où il pleut, des verts éblouissants, fluorescents, et des hordes de nuages orange et violacés. De tout cela, vous garderez un souvenir éclatant
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S’enfermer ; tirer les volets, les rideaux et s’enfermer, voilà la solution, me suis-je dit, s’enfermer comme vous vous êtes enfermé durant vingt-six ans dans votre chambre, s’enfermer à la façon de Joë Bousquet, pour quitter le monde par la grande porte, en conscience, sans lâcheté. S’enfermer vivant pour attendre la mort. À cet instant, j’ai pensé devenir votre frère d’ombre. Je me trompais, car ce n’est pas l’ombre qui vous portait, c’est de lumière dont il s’agissait. Et si je suis devenu votre frère, c’est qu’alors, je suis le plus vivant des hommes. Et ça, il me fallait l’apprendre.
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Cela n'avait rien de simple d'expliquer au téléphone
que j'étais espagnol, espion allemand,
et désireux d'entrer au service de sa gracieuse majesté.
P111
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Je songe à ce qu’il va falloir entreprendre pour occuper mon oisiveté : me remettre au latin, à la grammaire ; écrire ; vivre sans autre stress que de n’avoir rien à faire, en polissant ma culture classique à la française. Il me faudra me contraindre à l’exercice physique pour ne pas laisser l’invalidité me gagner tout entier. Je serai inopérant et inactif, certes, mais je veux exprimer tout ce dont je suis capable. J’ai bon nombre de talents. Oui, j’ai bon nombre de talents, et je vais pouvoir les cultiver sans compter mon temps. La plume me portera et elle me fera tomber tous les masques, elle me fera découvrir l’immensité des mondes insoupçonnés qui dorment au fond de moi. Je veux être un pont entre deux rives qu’un siècle sépare, sans pour autant avoir la suffisance de me croire au-dessus de ceux qui n’ont pas l’incommodité de mes maux ni les avantages de ma fonction. Je ne cherche pas à construire une œuvre, ni à faire de la littérature. Je cherche à exister autrement qu’assis derrière un bureau, et je veux m’envisager autrement que seul, chez moi, à pleurer sur mon sort.
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D'autres fois encore, c'est le poids des événements qui détermine le cours de nos vies, et la succession de ceux-ci contrarie notre volonté de liberté ; qui n'a pas connu ces instants où l'on croirait qu'une main invisible dirige nos jours, tirant les ficelles de notre existence d'une façon coordonnée et volontaire. On en appelle alors au Destin, et l'on s'imagine un beau livre au Ciel dans lequel chacun des moments qui passent serait consigné en lettre de feu sur un registre portant notre nom. On entendrait presque crisser la plume du Grand Ordonnateur sur les pages de vélin, et se tourner un à un les feuillets de nos existences. Qu'en est-il vraiment ? Est-ce vraiment le hasard qui gouverne nos vies ? N'y a t-il pas place pour un peu de libre arbitre ? Suis-je le maître de mon existence, ou bien me tient-elle en esclavage ? Depuis ma plus tendre enfance, j'ai le sentiment d'être le jouet du temps qui passe ; sans doute que le grand choc de la mort de mon père m'aura cuisamment fait comprendre qu'il est vain de se projeter dans l'avenir, et en aurais-je tiré des conclusions peut-être trop définitives sur la nature de l'existence. J'ai acquis la conviction, pourtant, à mon corps défendant, moi qui voulais si peu croire en la force d'un destin qui m'aurait tenu en dépendance sans que je puisse rien y faire, qu'il y a un chemin que nous empruntons, et qui, bien que riche en obstacles et en déconvenues, nous mène quelque part ; un chemin qui paraît suivre un plan bien ordonné, où les événements se succèdent les uns aux autres avec une implacable détermination.
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Mon corps est un carcan ; je suis prisonnier d'une gangue de chairs et d'os. Je bataille pour marcher, pour parler, pour écrire, pour mouvoir des muscles qui m'écharpent à chaque moment. Mon esprit ressasse d'identiques rengaines ; je ne vois plus les sourires de mes enfants, ni les tendres regards de celle que j'aime ; je ne vois que mes mains qui tremblent, mes bras qui peinent à amener la nourriture à la bouche et mes jambes qui ploient sous le poids d'un corps devenu trop lourd. Je ne suis plus qu'un homme mal assis qui songe sans fin, et si j'ai aimé ce corps, je le hais à présent. Nous cohabitons désormais et il a le dernier mot en tout ; je ne me suis résolu à cette idée que contraint.

Non, aucun accident, aucune violence n'est à l'origine d'un tel état ; ce n'est qu'une intime cruauté dont je suis à la fois l'initiateur et l'objet. L'origine de cette torture égocentrique demeure un secret inviolable. J'aurais tant aimé pouvoir mettre un nom sur cette douleur, mais le mal dont je souffre n'en a pas. Il fait partie de l'immense famille des maladies orphelines, des syndromes systémiques, des maladies auto-immunes, des connectivites et des troubles « sans étiologie ». Il est un mystère, et aucun médecin ne saura me dire quelle forme prendra l'échéance finale, ni à quel horizon se feront connaître les termes de ce départ redouté, si tant est que ce mal m'y conduise. Alors, je surveille les signes de ma lente dégradation, en essayant de ne pas déchoir, de ne pas accepter un « laisser-faire » qui hâterait le processus.
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[ années 60 ]
La guerre est toujours là, et obus, schrapnels et restes de soldats rappellent régulièrement que les plaines de betteraves et de céréales sont d'anciens champs de bataille ; il faut sans cesse nettoyer, prélever, sécuriser, et si la vie a repris le dessus, le diable n'est jamais loin.

(p. 68)
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Se battre pour la France [en 1914] n'est pas la moindre des gageures, particulièrement lorsque l'on a fait son service militaire en Allemagne et que, administrativement, on est de nationalité germanique. Il faut se soumettre à une enquête, répondre aux questions et afficher ses convictions républicaines. Mais la France a trop besoin de fusils pour s'affranchir des bonnes volontés, fussent-elles teutonnes par effet des mouvements de frontière.
(p. 13)
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J'aimerais pouvoir écrire qu'il y a des moments de bonheur. Oui, il y a des moments de bonheur. Ils sont simples, purs et ils éclairent d'une lumière si intense qu'elle m'éblouit dans ma pénombre. Leur chaleur me réconforte, et ils sont un baume sur mon coeur. J'ai cherché trop longtemps un bonheur absolu qui ne m'aurait plus quitté et qui aurait puisé dans la source inextinguible d'un moi sublime, parfait, enfin taillé à la mesure de mes attentes. A trop chercher, je me suis épuisé et le mal m'a frappé alors que j'étais faible, à peine remis d'une désillusion qui avait le goût d'un immense gâchis. Je sortais avec peine de l'adolescence à trente-cinq ans
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L'esprit tente de dominer le corps, même si le corps promet de prendre sa revanche.
Cette bataille imbécile mène aux portes de la folie; soi-même se parcellise, devient deux, trois, puis quatre; l'esprit, le corps, les mains, l'intestin, le diaphragme; on a peur, on geint, on tâtonne, on suinte, on respire mal.
Il faut rassembler toutes ses parties éparses, en acceptant que la souffrance prenne toutes les formes et qu'elle est soi comme le sont la faim, l'envie, l'odorat et le toucher, la peur et l'angoisse.
Apprendre que l'on est aussi dans ce que l'on ne connaît pas de soi-même, et que cette part intime et inconnue saura se faire entendre sans que l'on comprenne les motivations de cette intervention plaintive.
Je dois résister à toutes les offensives que lance mon corps contre lui-même, combat harassant dont nulle part ne sort vainqueur. "Je me grignote", pour parodier Joffre. Oui, je me grignote; et c'est moi contre moi. Je suis un champ de batailles, de batailles perdues. p.58
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Sans y prendre garde, [il] devient machine, son corps robuste et musclé par l'effort est tendu tout entier vers l'objectif de tuer ; les seuls plaisirs qu'il éprouve désormais sont le bonheur simple de plonger son couteau de tranchée dans un buste ou une gorge, dans un tressaillement de plaisir, et de fumer une dernière cigarette le soir avant de dormir. Il s'éloigne peu à peu du monde des vivants, pour n'appartenir qu'à ce 'no man's land' qu'il traverse sac au dos dès qu'on lui en donne l'occasion (...).
Les lettres à [sa femme] se font plus rares, parce qu'il est plus difficile de dire ce que l'on fait, l'homme qu'on est devenu, ses aspirations morbides et ses rêves ensanglantés. (...) De lettre en lettre, on abuse, on berne, on raconte des balivernes ; là où l'on était sincère et vrai, on devient machiavélique et faux.
(p. 36-37)
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Qui se souviendra de nous ? Qui portera notre nom à sa bouche pour dire tout le bien que nous inspirions ? Qui dira les femmes et les hommes que nous étions ? Qui aura la noblesse de se remémorer ? Nos enfants, nos petits-enfants ? Et après eux, qui ? Durant combien de générations notre nom roulera sur les lèvres de ceux que nous avons enfantés ?
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"Un Allemand vous ajuste, il tire et un morceau d'acier de trois centimètres de long est propulsé du canon de son fusil à deux fois la vitesse du son. En deux dixièmes de seconde, il est sur vous, il traverse votre poitrine en déchirant vos deux poumons, puis il fracasse deux vertèbres. Avant même d'atteindre le poste de secours, vous avez la certitude que vous ne marcherez plus, et que désormais c'est à l'horizontale qu'il faut envisager votre vie. "
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Car plus le temps passe, plus mourir paraît inéluctable; sans aucun doute, cette guerre vous dévorera tous. Mais vous n'attendez pas que la mort vous cueille à son bon vouloir; vous voulez mourir comme il faut, et la mort, c'est vous qui irez la chercher.
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De toi , je n'ai rien appris du mystère de la vie, et celui de la mort s'est fait plus épais. Cependant, c'est le murmure de ta voix qui m'encourage à exister et à demeurer debout; malgré toutes les difficultés, et l'énigme de ta fin m'encourage à vivre pleinement; rien n'est assuré pour quiconque, joie, bonheur, tristesse ou désespérance.
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[ 1916 ]
On vit comme on peut, petitement, sans beaucoup de joie, alors que les rues se peuplent de femmes en noir. On craint comme on l'espère l'arrivée du facteur, on se réjouit de recevoir des nouvelles d'Emile, on s'effraie du courrier quand il porte un signe officiel.
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