Citations de Gustave Flaubert (2962)
Ce qui la retenait ( 1 ), sans doute, c'était la paresse ou l'épouvante, et la pudeur aussi.
( 1 ) de s'engager avec Léon.
-- Plus haut ! cria le maître, plus haut !
Le nouveau, prenant alors une résolution extrême, ouvrit une bouche démesurée et lança à pleins poumons, comme pour appeler quelqu'un, ce mot : "Charbovari".
Ce fut un vacarme qui s'élança d'un bond, monta en crescendo, avec des éclats de voix aigus ( on hurlait, on aboyait, on trépignait, on répétait : "Charbovari ! Charbovari !"), puis qui roula en notes isolées, se calmant à grand-peine, et parfois qui reprenait tout à coup sur la ligne d'un banc où saillissait encore çà et là, comme un pétard mal éteint, quelque rire étouffé.
Les dieux n'étant plus, et le Christ n'étant pas encore, il y a eu, de Cicéron à Marc Aurèle, un moment unique où l'homme seul a été.
(Cité par Marguerite Yourcenar)
Il a fait tant de bamboches quand il était jeune ! Ces gens-là, madame, n’avaient pas le moindre ordre !
Maupassant à Flaubert
Ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts Secrétariat - 1er bureau
Paris, le 17 octobre 1879
[...]
Je compte aller passer avec vous le dimanche qui suivra la Toussaint.
Et Nana ? Je vous envoie un article Phénoménal de Zola sur le roman expérimental !...
Un certain M. Champsaur, rédacteur au Figaro m'à demandé des détails biographiques sur moi - il veut faire l'entourage de Zola. Je lui ai écrit qu'à six ans je faisais le désespoir de ma bonne par mon obscénité, qu'à dix-sept j'étais renvoyé d'une maison ecclésiastique pour irréligion et scandales divers ; et qu'aujourd'hui mon amie Suzanne Lagier, dont l'opinion fait foi en matière de moeurs, trouve que j'en manque absolument. Goinfre et lubrique, je pense que tout le bonheur de la vie consiste dans la satisfaction de ses vices ; et je cherche à multiplier les miens, etc., etc. - Il a dû faire une bonne tête en recevant cette lettre fort polie du reste et pleine de remerciements. Son article doit paraître demain. On voit sur les boulevards des files d'hommes en blouse portant des bannières sur lesquelles on lit NANA par Émile Zola, dans Le Voltaire ! Quelqu'un me demanderait si je suis homme de Lettres, je répondrais " Non Monsieur je vends des cannes à pêche" tant je trouve cette folle réclame humiliante pour tous. [...]
Guy de Maupassant
- Qu’est-ce que le goût ?
On le définit : un discernement spécial, un jugement rapide, l’avantage de distinguer certains rapports.
- Enfin le goût c’est le goût, et tout cela ne dit pas la manière d’en avoir.
Mais elle, sa vie était froide comme un grenier dont la lucarne est au nord, et l’ennui, araignée silencieuse filait sa toile dans l’ombre à tous les coins de son cœur.
On était au commencement d'avril, quand les primevères sont écloses ; un vent tiède se roule sur les plates-bandes labourées, et les jardins, comme des femmes, semblent faire leur toilette pour les fêtes de l'été...
La vapeur du soir passait entre les peupliers sans feuilles, estompant leurs contours d'une gaze subtile arrêtée sur leurs branchages. Au loin, des bestiaux marchaient ; on n'entendait ni leurs pas ni leurs mugissements ; et la cloche, sonnant toujours, continuait dans les airs sa lamentation pacifique...
Alors un attendrissement la saisit... et ce fut sans en avoir conscience qu'elle s'achemina vers l'église, disposée à n'importe quelle dévotion, pourvu qu'elle y courbât son âme et que l'existence entière y disparût.
L'ennui, araignée silencieuse, filait sa toile dans l'ombre à tous les coins de son cœur.
— « Veux-tu savoir mon opinion? » dit Pécuchet.
« Puisque les bourgeois sont féroces, les ouvriers jaloux, les prêtres serviles — et que le Peuple enfin, accepte tous les tyrans, pourvu qu'on lui laisse le museau dans la gamelle, Napoléon a bien fait! — qu'il le bâillonne, le foule et l'extermine! ce ne sera jamais trop, pour sa haine du droit, sa lâcheté, son ineptie, son aveuglement! »
Bouvard songeait: — « Hein, le Progrès, quelle blague! » Il ajouta : — « Et la politique, une belle saleté! »
Son visage était maigre et sa voix aiguë. A vingt-cinq ans, on lui en donnait quarante ; dès la cinquantaine, elle ne marqua plus aucun âge ; - et, toujours silencieuse, la taille droite et les gestes mesurés, semblait une femme en bois, fonctionnant d'une manière automatique.
Dès le premier pas qu'il avait fait, elle s'était levée ; puis, involontairement, à mesure qu'il se rapprochait, elle s'était avancée peu à peu jusqu'au bord de la terrasse ; et bientôt, toutes les choses extérieures s'effaçant, elle n'avait aperçu que Mâtho. Un silence s'était fait dans son âme, - un de ces abîmes où le monde entier disparaît sous la pression d'une pensée unique, d'un souvenir, d'un regard. Cet homme, qui marchait vers elle, l'attirait.
(chap.14)
On reconnaissait la forme des camps à leurs palissades inclinées. Un long amas de cendres noires fumait sur l'emplacement des Libyens ; le sol bouleversé avait des ondulations comme la mer, et les tentes, avec leurs toiles en lambeaux, semblaient de vagues navires à demi perdus dans les écueils. Des cuirasses, des fourches, des clairons, des morceaux de bois, de fer et d'airain, du blé, de la paille et des vêtements s'éparpillaient au milieu des cadavres ; çà et là quelque phalarique prête à s'éteindre brûlait contre un monceau de bagages ; la terre, en de certains endroits, disparaissait sous les boucliers ; des charognes de chevaux se suivaient comme une série de monticules ; on apercevait des jambes, des sandales, des bras, des cottes de mailles et des têtes dans leurs casques, maintenues par la mentonnière et qui roulaient comme des boules ; des chevelures pendaient aux épines ; dans des mares de sang, des éléphants, les entrailles ouvertes, râlaient couchés avec leurs tours ; on marchait sur des choses gluantes et il y avait des flaques de boue, bien que la pluie n'eût pas tombé.
(chap.12)
Trois écuyers, dès l'aube, l'attendaient au vas du perron; et le vieux moine, se penchant à sa lucarne, avait beau faire des signes pour le rappeler, Julien ne se retournait pas. Il allait à l'ardeur du soleil, sous la pluie, par la tempête, buvait l'eau des sources dans sa main, mangeait en trottant des pommes sauvages, s'il était fatigué se reposait sous un chêne; et il rentrait au milieu de la nuit, couvert de sang et de boue, avec des épines dans les cheveux et sentant l'odeur des bêtes farouches. Il devint comme elles. Quand sa mère l'embrassait, il acceptait froidement son étreinte, paraissant rêver à des choses profondes.
D'ailleurs, la parole est un laminoir qui allonge toujours les sentiments.
La conversation de Charles était plate comme un trottoir de rue, et les idées de tout le monde y défilaient dans leur costume ordinaire, sans exciter d'émotion, de rire ou de rêverie.
Oh! J'adore la mer,dit M.Léon.
Et puis ne vous semble-t-il pas, répliqua madame Bovary , que l'esprit vogue plus librement sur cette étendue sans limites, dont la contemplation vous élève l'âme et donne des idées d'infini, d'idéal ?
« SACRILÈGE :
C’est un sacrilège d’abattre un arbre. »
Gustave était écologiste avant l'apparition de ce mot.
Les affaires publiques le laissèrent indifférent, tant il était préoccupé des siennes.
Pellerin lisait tous les ouvrages d’esthétique pour découvrir la véritable théorie du Beau, convaincu, quand il l’aurait trouvée, de faire des chefs-d’œuvre. Il s’entourait de tous les auxiliaires imaginables, dessins, plâtres, modèles, gravures ; et il cherchait, se rongeait ; il accusait le temps, ses nerfs, son atelier, sortait dans la rue pour rencontrer l’inspiration, tressaillait de l’avoir saisie, puis abandonnait son œuvre et en rêvait une autre qui devait être plus belle. Ainsi tourmenté par des convoitises de gloire et perdant ses jours en discussions, croyant à mille niaiseries, aux systèmes, aux critiques, à l’importance d’un règlement ou d’une réforme en matière d’art, il n’avait, à cinquante ans, encore produit que des ébauches. Son orgueil robuste l’empêchait de subir aucun découragement, mais il était toujours irrité, et dans cette exaltation à la fois factice et naturelle qui constitue les comédiens.
pp. 71-72