Bien que se présentant comme une étude scientifique, l'écrit de Gustave le Bon est bien plus proche de l'essai que de la démonstration rigoureuse : ses affirmations sont présentées sans preuve, il ne fait référence qu'à d'autres livres qu'il a lui-même écrit. Il se permet également des petits détours par d'autres thèmes, l'enseignement en France et le meilleur (ou le moins pire) mode de scrutin par exemple. Même s'il prétend avoir laissé de côté les dogmes de son époque, ses idées sont aussi biens de son siècle ("[...]l'impulsivité, l'irritabilité, l'incapacité de raisonner, l'absence de jugement et d'esprit critique, l'exagération des sentiments, et d'autres encore, que l'on observe également chez les êtres appartenant à des formes inférieures d'évolution, tels que la femme, le sauvage et l'enfant[...]"). Il parle fréquemment de "races", même si j'ai eu le sentiment que ce terme n'était pas spécialement péjoratif, et a la même signification que le mot "culture" à l'heure actuelle. Ses opinions personnelles transparaissent aussi nettement: le socialisme est une dangereuse utopie basée sur du vent, les foules anglaises sont bien plus posées et réfléchies que les foules latines, notamment.
Malgré ces petits défauts, la lecture est saisissante : le livre fourmille d'idées, le style clair et concis nous entraîne tout au long de l'exposé. Les réflexions sont sensées, les exemples pertinants. On ne peut pas s'empêcher de faire des parallèles avec ce qu'il se passe actuellement. le livre est d'ailleurs tellement d'actualité qu'il faut croiser des mots ou des idées qui n'ont plus cours aujourd'hui pour se rappeler qu'il a été écrit il y a plus d'un siècle.
Les idées qu'expose l'auteur commencent à être bien connues (même si les connaître ne nous empêche pas d'en être toujours victimes) : le comportement des individus dans une foule est totalement différent de celui qu'aurait chaque personne qui ferait face seul à la situation ; la foule suit aveuglément les meneurs charismatiques ; des slogans frappant, même vides de sens, séduisent bien plus qu'un long discours raisonné ; la foule est conservative et ne se débarasse que très lentement des idées pourtant prouvées fausses ; à l'inverse, une fois qu'une nouvelle idée s'est imposée, elle est défendue avec rage et fanatisme par les nouveaux convertis.
Gustave le Bon parait un peu cynique par moment, notamment dans la dernière partie du livre où il analyse quelques foules particulières. Pour lui, tous les scrutins se valent plus ou moins, la constitution d'assemblées, de parlement, de sénat, n'apportent rien de plus à la démocratie puisque ses participants restent soumis aux mêmes lois que les foules ordinaires : nivellement par le bas, obéissance aux meneurs. Il conseille également aux politiciens de faire toutes les promesses possibles même en sachant qu'il ne pourra pas les tenir, puisque personne ne s'en souviendra et ne lui en tiendra rigueur (ce qui, malheureusement, se vérifie souvent).
Un ouvrage fondateur dans son domaine, qui nous bouscule dans nos convictions. Cerise sur le gâteau, il est libre de droit et disponible gratuitement en version numérique. Par exemple sur ce site :
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