Le pape du situationnisme Guy Debord, synthétisant Rimbaud, Lautréamont, Hegel, Feuerbach et Marx, analyse avec beaucoup de cohérence l'aliénation suivante : pourquoi sommes-nous spectateurs de notre existence et non acteurs, et de plus ancrés dans un processus généralisé de spectacularisation du monde qui nous entoure et auxquels les medias contribuent ? L'homme est figurant de sa vie, regardeur de son existence, séparé de sa vie au lieu d'en être l'acteur et le constructeur.
Dans cet essai philosophique austère post hégélien, il propose le concept de spectacle existentiel, déjà approché par Marx, revoit le concept d'aliénation humaine, dénonce la fétichisation de la marchandise et ses conséquences.
Inspiré des analyses du philosophe situationniste et marxiste Henri Lefebvre pour qui la ville (l'espace urbain) est un terrain d'expérimentation révolutionnaire, mais aussi un espace de production de la société du spectacle, de la consommation et du contrôle social, Guy Debord considère que la société est une guerre (et en fin stratège connaisseur du prussien Clausewitz, il créera une revue à diffusion très confidentielle, destinée de façon aristocratique à des élus influents pour les rallier à sa debordienne cause). Si la part critique négative de la société marchande est majeure dans ce livre, la part positive de propositions est plus que réduite et se résume à revendiquer la mise en place de conseils ouvriers (id est : les soviets).
Gauchiste sans aucune préoccupation pour le prolétariat, Debord est surtout intéressé par l'internationale situationniste (avec comme chez les surréalistes le culte du chef et la pratique de l'exclusion) dont il se dit fondateur et se qualifiera lui-même de "meneur des mouvements les plus extrémistes durant mai 68" puisqu'on est jamais mieux servi que par soi-même, niant toutes les tendances gauchistes ou apolitiques qui sont descendues dans la rue, à Paris comme en province. Précisons qu'on ne doit pas à Debord le concept de situationnisme, mais à Henri Lefebvre et Gil Volman (le spectacle de Debord s'est chargé de le faire oublier).
Volontiers chahuteur dans le Paris des années 50, il a su mieux que quiconque faire du bruit et du spectacle dans le champ médiatique et dans celui culturel parisien. Sa première femme Michèle Bernstein, rebelle et bourgeoise comme lui et qui lui servait de secrétaire (révolutionnaire oui, mais pas au point de changer la répartition sexuelle des tâches), finira chroniqueuse à Libé, tous deux entretenus par l'argent du père Bernstein. Debord qui travaillait peu sera par la suite entretenu par différents riches mécènes dont le millionnaire impresario Lebovici.
Je préfère finalement le parcours du prolétaire Camilo Cienfuegos qui lui a fait la révolution et a flingué pour de vrai pour disparaître ensuite dans un accident d'avion castriste, puisque toute Révolution est comme Saturne : elle dévore ses propres enfants disait Pierre Victurnien Vergniaud avant d'être guillotiné. La révolution n'a pas dévoré Guy Debord puisqu'il ne l'a jamais faite.
A la façon du dandy du 19ème siècle théorisé par Beaudelaire, Guy Debord a orchestré sa propre légende et sa postérité philosophique ("il faut créer tout de suite une légende à notre propos" écrit Debord dans sa correspondance) : son oeuvre prétendument subversive et critique de la civilisation capitaliste a été classée Trésor National par l'Etat français : un summum de consécration bourgeoise et institutionnelle.
Je conseillerais donc :
. de lire la correspondance de Debord, elle n'est pas si gauchiste, encore moins révolutionnaire et très révélatrice du mécanisme du spectacle debordien.
. de lire plutôt le belge Raoul Vaneigem et son situationnisme plus individualiste, critiquant radicalement la vie quotidienne : c'est plus poétique, plus optimiste, moins parisien donc moins ennuyeux, même si le situationnisme fait figure aujourd'hui de meuble d'époque pour garçonnière d'étudiant nanti et appartement haussmannien des parents.
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