Citations de Hadrien Bels (118)
Les deux pays forment un couple qui se tourne le dos dans le lit conjugal. Pour un Sénégalais, la France, c'est la femme auprès de laquelle tu vas te plaindre de tes maux de dos, alors que tu réserveras tes prouesses de lit à ta maîtresse.
- De toute façon, la France, pour moi, c'est une étape. Mon objectif, c'est le Canada ou les USA. Là-bas, on est des investisseurs, des businessmen, en France on est des immigrés.
Au pays, quand on parle d'immigration glorieuse, c'est toujours de l'Angleterre, des Etats-Unis qu'il s'agit. Mais jamais de la France. Peut-être parce qu'elle est partout ici. Dans la langue, les programmes scolaires, les émissions de télé, les enseignes de magasins et les panneaux de signalisation. Et puis, il y a les congés maternité que l'on vient passer au pays, le RSA des tantes du village, les cousins qui envoient d'autres cousins aux rendez-vous de Pôle Emploi pour continuer à toucher l'allocation, les mandats cash depuis des offices parisiens ou lyonnais, et tous ces vieux oncles et grands-pères qui votent aux élections françaises depuis le village.
Mais cette histoire, c'était le complot d'un gouvernement qui s'abaisse devant les pieds de la France pour lui cirer les chaussures. Parce que l'opposant exigeait la renégociation des contrats pétroliers et la fin du CFA néocolonialiste :"Il est temps que la France lève son genou de notre cou ! "
Comment pouvez-vous dire cela, mademoiselle Kanté, d'un pays aussi riche par son histoire, son patrimoine, la beauté de ses paysages et de sa culture, qu'il est pauvre ? D'un pays qui s'est battu pour son indépendance, qui a enfanté grand nombre d'artistes et d'intellectuels, dont l'immense écrivain, Monsieur Sadji, qui a donné son nom à ce magnifique établissement dans lequel vous recevez aujourd'hui une éducation gratuite ? Nous n'avons pas la même idée de la pauvreté, mademoiselle Kanté !
- Les Blancs, je te jure...C'est eux qui ont embouteillé le monde ! Avec leurs visas, leurs passeports !
- Les mauvaises gens sont toujours dans ta famille ! Un inconnu ne peut pas te faire de mal. Parce qu'il ne te connaît pas ! Un inconnu ne peut pas t'emprisonner. Un inconnu ne peut pas t'ensorceler.
Ce n'était pas le premier Français qu'on laissait chez Baba. Mais c'est le premier de cet âge-là. D'habitude, ils arrivent à l'adolescence, avec la voix qui vient de passer la barre des graves. On les envoie au pays avant d'aller les chercher au poste de police. La famille soninkée est une mutuelle. Elle prend en charge les problèmes de la vie sans poser de questions. Tu viens, tu déposes et tu envoies tes cotisations par Western Union ou Orange Money.
Dans le fond de la pièce, une petit télé capte mal les seules chaînes nationales, un grand congélateur garde au frais deux morceaux de capitaine, cinq maquereaux et les légumes nécessaires à l'unique repas de la journée. Car chaque jour où Allah met son réveil au-dessus de nos têtes, chez les Kanté on te servira le même plat : un thiep.
Et dans cette zone semi-désertique qui borde le fleuve Sénégal, on se fout de ton projet de réforme sur les retraites ou de savoir si tu vas augmenter le budget de l'Education. Ce qui compte, c'est le nombre de panneaux solaires que tu installes au village et le forage que tu proposes pour irriguer les champs. Du concret.
Dans ce canapé se sont posés des culs de toutes tailles et de toute ethnie, avec pour écrasante majorité des Soninkés. Cette ethnie qui sait garder son argent, ses traditions et ses papiers français.
Quand il a fallu libérer la France et réanimer son économie d'après-guerre, les Soninkés y sont allés. Et aujourd'hui, l'argent de la diaspora leur donne du pouvoir. Auquel s'ajoute le pouvoir électoral. Ils sont nombreux dans les villages soninkés à avoir la nationalité française et à voter depuis un isoloir de brousse, sous quarante-cinq degrés, pour élire les Hollande, les Sarkozy et les Macron.
Là où cent-trente-cinq ou cent- quatre-vingt-onze tirailleurs sénégalais - tout dépend de celui qui écrit l'histoire - ont été fusillés le 1er décembre 1944 par l'armée française, pour avoir réclamé leurs indemnités de soldats emprisonnés pendant quatre ans dans les stalags de l'Allemagne nazie."L'administration française, c'est le diable en costume-cravate", distingue toujours kissima.
République du Sénégal. "Un peuple. Un but. Une foi."
D'ici, la banlieue regarde le centre-vilke avec la fierté du pauvre qui enfante artistes célèbres, grands footballeurs et lutteurs.
Neurone n'arrête pas de dénoncer la corruption étatique, le manque d'exemplarité des ministres, le néocolonialisme français, et aujourd'hui le voilà pris dans les rouages du clientélisme. La révolte d'un fils de riche fera toujours un peu sourire.
La règle des trois V est simple : "Villa, Voiture, Visa".
Tout s'achète dans ce pays, surtout quand tu es pauvre.
Sa femme blonde se baladera dans la maison avec un répulsif à moustiques à la main. Elle ne voudra pas aller en Casamance. La peur du palu et le traumatisme des quatre touristes français tués en 1995 par les rebelles indépendantistes. On aura beau lui dire que c'est une vieille histoire, elle restera fermée comme une moule mal cuite. "Moi encore, ça va, j'ai peur de rien ! Mais c'est surtout pour les enfants." Elle préfèrera louer une maison sur la petite côte, au sud de Dakar, dans les villages touristiques de Somone ou de Popenguine, mais jamais à Saly.
Il reviendra au pays tous les deux ans pour montrer ses deux petits métis. Dix jours, pas plus. Parce qu'il aura "un boulot monstre" qui l'attendra en France.
Elle pense à toutes ces histoires dont sa mère la baigne depuis l'enfance. Les terrains de football qu'elle lui interdit de traverser à cause des gris-gris. Les amulettes qui rendent invisibles, celles qui te permettent de neutraliser un adversaire, de rendre fou amoureux, ou de voler le sexe d'un homme. Les rabs qui te parlent à l'oreille et les djinns qui s'emparent de ton esprit. Un héritage de croyances qu'elle a toujours voulu contenir, comme un feu.
Même si elle n'en parle jamais, il sait bien qu'elle va partir en France et ce qu'un départ pour l'Europe implique. La frontière coupe les branches du passé. Plus vite qu'on ne le pense, les souvenirs s'effacent et le feu de l'amitié finit par s'éteindre.