
Elle tend l'oreille pour entendre si Charles approche. Il a établi les règles de leur intimité dés les premiers jours de leur mariage. Elle ne va dans sa chambre qu'à sa demande et se présente à la porte à vingt-deux heures précises. C'est toujours pareil : elle entre, retire sa robe de chambre puis s'allonge dans son lit et attend que son mari vienne... lui faire l'amour.
Parce que ce doit être ça, faire l'amour, ce qu'ils font dans le noir, même si elle n'a aucun élément de comparaison et personne dont elle soit assez proche pour parler de ce genre de choses. (...)
Dans son esprit, elle va ailleurs. Elle est sur une grande plage de galets, un lieu où ses parents l'avaient emmenée un jour, quand elle était petite. Elle court sur les petites pierres inégales, l'océan gris s'abattant sur la côte, encore et encore, allant et venant sur les galets. Allant et venant. Allant et venant. Elle le sait, Charles aussi est ailleurs - quelque part très loin.
- Écoute-moi Maggie. Tu as raison d'attendre un amour véritable et passionné - le grand amour, si tu veux - mais que cela ne t'empêche pas de prendre le contrôle de ta vie. N'attends pas que les choses t'arrivent. fais ce que tu veux. Peins. Aime. Ris. Vis.
Elle avance bras écartés en s'appuyant au vent qui la porte presque et réussit à atteindre la protection toute relative des arbres.
Là, elle s'arrête, les yeux fermés, pour écouter rugir la tempête à la surface de l'eau.
Le froid lui pique les joues, pénètre dans ses os.
Sur le rivage, les arbres craquent, gémissent, les branches se heurtent comme des épées dans une bataille épique.
Elle ouvre en grand les bras, s'emplit les poumons du souffle vivifiant et pousse un long cri.
Le son est emporté par le vent.
Cette puissance qui rend si minuscule la gonfle d'énergie.
Dans la vie, on ne peut pas éviter tout ce qui nous fait peur.
- Pourquoi pas ?
- Parce qu’on risque de laisser passer sa chance d’être heureux.
« Vint un temps où le risque de rester à l’étroit dans un bourgeon était plus douloureux que le risque d’éclore » .
ANAÏS NIN ‘
« L’espoir dont je rêvais était un rêve ;
Ce n’était qu’un rêve ;
Et maintenant, je m’éveille ,
Très troublée, usée et vieille
À cause d’un rêve » ....
Christina Rossetti .
Le véritable amour, je veux parler d’un attachement profond, c’est pareil. Il prend racine, pousse et se transforme. Parfois il a l’air de se faner, parfois il est en fleur. Rien n’est immuable. Les choses changent, avancent. Mais s’il s’agit du véritable amour, de celui qui s’étend à une famille, il couve toujours sous la surface et attend de repartir à la première occasion.
C’est une leçon chèrement acquise qu’elle n’oubliera jamais : même les meilleurs fruits tombent et pourrissent, et on a beau enterrer le mal le plus profondément possible, les ossements restent et finissent toujours par revenir pour vous poursuivre, comme l’odeur écœurante des pommes, comme les sons
d’une nuit d’été, comme la rivière que rien jamais n’arrête.
– C’est extraordinaire, murmure-t-il, de vivre dans une demeure si grande qu’on peut fermer les pièces et les oublier.
Dans la vie, on ne peut pas éviter tout ce qui nous fait peur.
- Pourquoi pas ?
- Parce qu’on risque de laisser passer sa chance d’être heureux.