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Citations de Hector Mathis (96)


La passion... A quoi ça ressemble après quelques années ? Moi je le savais. Je les avais vu les vieux rongeurs de songes qui pissaient même plus au même endroit, quis e grignotaient la parenthèse à se repasser en boucle les rêveries de la jeunesse. Ils ne s'engueulaient plus, ils s'ignoraient. Et de temps en temps... ils se jetaient un souper à la tronche, et puis silence, et ça pour quoi ? C'était tout simple et pas très ingénieux, même plutôt viscéral de gâcher la tambouille avant de retourner brutalement dans l'oubli. C'était ça ou l'éternel ennui chez les vieux de la grisâtre. J'allais leur livrer leurs courses étant môme. Je voyais bien tout ça, ils pouvaient rien dissimuler, c'était sur les murs, la moquette, les cadres. La sonnerie du téléphone c'était la fête. Des nouvelles des gosses. Au commencement, du moins. Après ça leur faisait même plus grand-chose. La dépêche AFP qui tombait. Vieilles machines oxydées. Rotatives en miettes. Journal d'un couple. Les vieux couples c'est pas aussi beau qu'on le dit.
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"La capitale c'est un cache-tout ! disait mon père. Ici y a qu'à voir, on peut rien dissimuler, ni la misère, ni l'agonie", qu'il ajoutait tout le temps ! Ah ça, il avait pas tort. La capitale, la capitale... Si ça nous fait quoi qu'ce soit c'qui s'passe à la capitale ?! Y a rien qu'des tricheurs, des plaintifs et des geignards, là-bas ! Ils réclament et nous on subit ! Merdre alors ! Des projets y en a qu'pour eux ! 'Vec leurs tramways, festivals, allées piétonnes, leurs conneries ! Bientôt on aura plus l'droit d'y foutre les pieds ! Et toc ! Les gens déraillent, courent après l'fric, après l'temps. Moi c'est fini. J'suis un vieillard, je mange peu et j'ai besoin d'rien. Mais je vois bien. Tout de même, j'vois bien.
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Les gens trichent, se réécrivent, se trompent eux même. La mémoire est un singulier petit arrangement."
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J'ai poussé vers le centre. Le beau Paris. L'admirable et tapissé noyau. Peinturluré d'oseille et de bon goût. Peuplé ee riches détraqués. Souffrant comme il faut, eux aussi. Mais préférant l'entretenir, leur souffrance. La douleur ça remolit. Leur petite vlessure, ils la tnpotent. lls vont la chercher, la grattent, la laissent jamais tranquille. Comme ça ils arrivent à tenir quinze, vingt ans, parfois plus. En voilà de la psychanalyse Du cabinet plein å craquer. Des dvans, des divans, des divans. Un grand parking à divans, ces quartiers-là. Ils ne se déplacent qu'en divans, les professionnels de la névrose. Tout enties à leur drame érigé en statue. Barons Haussmann de I'egratignure, ls enjambent les clochards pour se rendee chez le thérapeute.
Moi je voulais juste oublier! Ne plus jamais me toucher la plaie Tout l'envers d'eux !J'ai longé des centaines de cafés. Leurs terrasses peuplées de solitaires contraints. Chacun dans sa tete. Embué de préoccupaticns. La verité, c'et qu'ils étaient identiques. Identiques à faire peur. Jamais j'avais vu autant de gens se ressembler a ce point. Habits, gestes, visages, paroles, pensées...
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J'ai planté le décor, maintenant je peux poursuivre. On est arrivés là parce qu'elle voulait rien d'autre que la Hollande, Capu. Alors qu'on roulait ers le nord elle m'a dit comme ça : " Je crois bien que c'est les mots qui foutent tout en l'air. Tous les malheurs commencent par des mots. Faudrait interdire aux homme de causer, c'est toujours par là qu'arrivent les catastrophes. La Belgique c'est gentil, mais ce sera la même histoire, exactement la même ! Aux Pays-Bas personne ne parle notre langue, on sera mieux là-bas. Qu'Est-ce que t'en penses ? " J'ai dit d'accord, parce que je trouvais qu'elle avait plutôt raison, puis que le lieu avait peu d'importance après tout. Alors on s'est installés dans une auberge mais il a fallu trouver un boulot assez vite pour payer loyer, toujours la même histoire. Je suis entré dans une imprimerie gigantesque et j'ai appris le métier. Je m'occupais uniquement du papier pour commencer, j'étudiais les grammages, les pliages, les finitions. Le travail c'est avant tout un vocabulaire. Sauf que là-bas fallait maîtriser l'angliche et chercher sans cesse des traductions pour éviter de se tromper. " How muche ? " que je demandais aux ouvriers pour savoir s'il fallait du 80 ou du 135 grammes par mètre carré. Je courais comme si j'étais encore garçon de café. A la réserve, au massicot, à l'approvisionnement, à l'emballage et à la livraison, partout ! J'étais partout sauf aux commandes. Enfin, quoi qu'il en soit je faisais partie de ceux qui bossent dans le " print "et j'apprenais à causer deux nouveaux langages à la fois. Au bout d'un certain temps, je suis passé de garçon d'usine à conducteur Offset. L'eau, l'encre, les réglages couleurs, je me suis senti à l'aise assez vite. Je réglais les pourcentages de cyan, de jaune, de magenta et de noir, la concentration de pigments. Ca faisait un de ces bruits les machines ! De toute la journée ça n'arrêtait pas. Changer les plaques, remettre de l'encre, du papier... Des affiches, des magazines, on avait de tout ! Je faisais même les finitions aux massicot. J'aimais bien parce que ça permettait de ne pas rester en place, la rythmique de rouleaux ça me mettait dans une sorte de transe. Au milieu de la presse je n'arrêtais plus, je dansais avec les rotatives, je calais les machines, je lançais les essais, les épreuves, puis l'impression. Bon à tirer ! Nouveaux fichiers, à sortir pour demain, pour la semaine d'après, en urgence ! C'était enthousiasmant, comme un combat, une performance
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Il me rappelle un défunt oncle, Archibald. C'est étonnant comme sa voix vibre sur la même fréquence. Comme ses petits bruits de bouche interviennent au même moment dans la phrase. Comme le sens du rythme est identique. Je l'entends encore, mon oncle. Mon oncle et pas que lui. Tous ces gens. J'en ai plein la tête. Tout le temps. Partout. Mimiques, langage et musique. C'est une cacophonie. Compagnes et compagnons, joyeux, enthousiasmants, adversaires, indésirables et répugnants, indifférents, rencontres de comptoir, autant de personnages que d'autres me rappellent sans arrêt. Leur visage dans un autre, leur mélodie dans un rictus neuf, des liens de parenté à n'en plus finir, échappant à tout, au sang, aux carnets de famille, aux lois de la médecine. Peu importe les noms, ils réapparaissent tout au long d'une vie, à plusieurs reprises, à tous les âges. Les fantômes sont là, bien en chair, et plus on vieillit plus on ne voit qu'eux... Je le pensais endormi, Archibald, mais voilà qu'il marmonne. Il m'appelle.
" Raconte-moi ... Raconte c'que tu fiches dans cette cabane... T'a pas l'aire d'un voleur. Ni d'un propriétaire. Ca non ! T'en as pas après l'argent des autres. Alors raconte donc, ce que tu fabriques ici...
- J'ai quitté tous les endroits où je suis allé...
- Comment ? Comment tu t'es retrouvé là ? Je te demande. Euch ! Euch ! Saleté d'histoires ! Je vois bien... Tic-tac, tic-tac. T'as l'air de l'avoir aux trousses toi aussi ! N'Est-ce pas ?
Je l'ai pendue aux basques, même. Elle me lâche pas, du trottoir d'en face elle me fixe, sur mes talons jour et nuit, chaque fois que je me retourne elle est là ! Je la sens tout le temps, qui rôde... " N'Est-ce pas ? Euch ! Euch ! On finit pas ici sans raisons... Alors ? " Il n'a pas tort. On n'échoue pas dans le domaine sans sa petite histoire. Voilà, voilà, j'y arrive.
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Oh, ce n'était pas grand-chose, je ne me faisais pas d'illusions, j'avais appris à rêver à ma hauteur, mais c'était assez pour la manœuvre. " Où est-ce qu'on va aller ? " Capu me regardait m'agiter, jene savais pas encore répondre mais j'étais bien décidé maintenant, fallait qu'on s'en aille ! Alors où ? La Hollande ? Le Danemark ? Moins loin, plus direct. La Suisse ? Pourquoi l'étranger ? Pourquoi pas le Sud ? Ou la montagne ? Et pourquoi pas la grisâtre après tout ! Personne n'aurait l'idée de foutre le camp là-bas. A la télévision les spécialistes recommandaient de ne pas sortir, sous aucun prétexte, les grands flics aussi, les ministères, la presse, le siècle au complet nous le " déconseillait formellement ". De toute manière demain on n'aurait plus de chez-nous. Dehors le brouillard rampait. Les fusillades continuaient dans Paris, elles se rapprochaient, civils, policiers, gendarmes en train de périr les uns après les autres, qui tombaient comme des quilles, chassés, traqués par les balles sifflantes, vulgaires, mortelles, dans la poitrine, le dos, déchirant les muscles faisant chuter les corps. Il reste bien des trains, les gares sont pas encore bloquées, allons-y, dans le premier qui se présente ", que je lançai alors à la môme. Elle ne rétorqua pas d'emblée, puis elle se décida à me répondre. " J'ai peur. " Je la pris dans mes bras puis lui tendis son blouson. " Le premier train, Sitam, et on ne reviendra pas. Il n'y a plus rien pour nous ici ", qu'elle se décida à renchérir. J'acquiesçai de la tête, ouvris la porte d'entrée, entraînant la môme Capu par la main. Au beau milieu de la peur, des aigus et de la mort qui rôdait. Nous nous engouffrâmes immédiatement dans la nuit.
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Mon petit bazar intérieur prenait enfin tout son sens. Alors qu’il demeurait jusqu’alors balbutiant, se glissant dans des croquis, des esquisses maladroites, de petits poèmes chétifs et inaboutis. Voilà que maintenant j'avais ma raison d’être. Mon vice. Ma confirmation. La véritable. Pas celle des professeurs, des amis ou de qui que ce soit d’extérieur. Ma confirmation à moi. J’étais bien soulagé, désormais. Je savais quoi faire. p. 146
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Au début, l’école, j’aimais bien, ensuite j’ai trouvé ça con. Fallait se mettre en rang tout le temps. Pour un oui, pour un non, pour un rien. On entrait en classe. En rang. On descendait dans la cour. En rang. Toujours un nouveau dégueulasse au bras. Des qui reniflent, qu’ont les mains moites, la merde au cul… On n’apprenait rien. Ou bien des bêtises. À composer un petit déjeuner. À recycler les emballages. Et personne ne savait lire. Parfois même on formait des petits groupes de discussion aux quatre coins de la salle. On y causait de grammaire, on se corrigeait nous-mêmes, c’était encore plus faux. Comme si on allait l’inventer, la grammaire, à partir de rien ! Comme si de l’illettrisme allait surgir la langue ! Y en avait même qui parlaient pas. Ou qu’en injures, ou mal… Encore aujourd’hui je les identifie au phrasé, ceux de ma génération : ils écrivent comme ils voient.
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J’écoutais le vent, les conversations. Celles des retraités, des chômeurs, des parents qui déposaient leurs mômes à la grille. On y parlait de pain, de circulation, de pognon puis de météo. Rien n’a changé depuis. Ça traîne sa caisse à outils, son cabas, son clébard. Et ça râle ! Et ça cause ! Et ça fait des mots fléchés. Ça se défoule ! Et ça boit. Et ça trouve que Machine a pas de raison d’être hospitalisée parce que le surmenage, tu comprends, c’est pour les gens qui travaillent, mais elle, elle ne fout rien ! Alors ! Dis donc ! Non mais ! Franchement ! Et puis quoi ! Et puis l’autre, son bonhomme ! Lui qu’est là ! Lui qu’en chie. Lui qu’est con. Qu’on se demande. Ce qu’il pense, cet abruti. Puis ce qui lui est passé par la tête pour se foutre avec une emmerdeuse pareille ! Parce que faut le faire, quand même ! S’enticher d’une cinglée dans son genre ! Et l’épouser, en plus !… Jolie amitié qu’on lui fait là, au petit mari. Sont tous pleins d’attention. Pleins d’amour et d’alcool. Ils bafouillent des projets. Rêvent à des laideurs hors de portée. Ils ont des goûts à la hauteur de leurs moyens.
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Le voisinage, c’était rien que des croque-poussière. Tout étourdis d’être propriétaires… Assez vite à cran lorsqu’il était question de leur baraque. Ça leur faisait tellement drôle d’avoir quelque chose ! Ils avaient pas l’habitude, ils s’y accrochaient rudement de peur de le perdre. C’était bien inconfortable, pour eux… Dans le quartier ça charbonnait sec. Logique… Chacun se levait très tôt. Pour rembourser le crédit. Puis aussi pour s’assouvir l’addiction. Tous drogués, d’une manière ou d’une autre. Au pognon, à la nouveauté, aux courses, au chichon… J’ai jamais été à l’aise avec l’addiction, moi. Elle m’effraie complètement… Un peu plus loin y avait les retraités. Y en avait peu. Des anciens de l’EDF qui pensaient se mettre au vert. Qui crevaient dans des petits pavillons de pénombre. Qui s’étaient bricolé des papiers peints de tristesse. Le corps usé… Sphincters en miettes… Ils agonisaient dans le pet. À l’abri des regards… C’est pas des rideaux qu’ils tiraient, c’était des voilages. Enfin, qu’ils tiraient… Qu’ils avaient dû tirer un jour. Jamais je les avais vues autrement que voilées, leurs fenêtres. On se trouvait déjà dans le songe, chez eux. Dans la demi-mort. Sa lumière grise, boiteuse… Les intérieurs sont des pièges. Pour ça que je me sens bien uniquement dehors.
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(Les premières pages du livre)
Les gens trichent, se réécrivent, se trompent eux-mêmes. La mémoire est un singulier petit arrangement. Une béquille à vivre. Je suis à la recherche, moi aussi ! La merveilleuse ! Et malgré moi… Creuser les années, c’est pas rien. Faut de l’adresse, du doigté, des connivences avec le temps ! Les lieux ne mentent pas, eux. Ils sont gorgés de souvenirs. À leur contact vole en éclats ce présent dérisoire. Temps vide. Temps mort. Inoccupé. Toute ma mémoire dans les lieux. Externalisée. Suffit que je m’y rende pour que ça reparte. Le manège se déclenche de nouveau ! J’ai des bouffées d’enfance, des remontées sucrées, je suis aligné, enfin, pour une demi-seconde, vertical, pris dans les constellations invisibles, dans le maillage du monde. Ici rien n’est logique. Je suis dans un drôle de rêve. Un songe pâteux… Place d’Alsace, j’y arrive. Me voilà sur le bitume détrempé. Bien en face du numéro quatre. Au milieu des pauvres éclairages de Noël. Maigres guirlandes. À peine chaudes. Un peu tristes. Je contemple l’étrange bloc en pain de mie. Morceau de plâtre. Coupé en cinq à la peinture. Histoire de faire comme des habitations. De délimiter un chez-soi. Fausses maisons. Cocons poreux. Collision de foyers, de salons, d’intimités. Carrés de pelouse ensauvagée. Enfin autrefois… Le ciel est froid, la nuit basse. Elle lèche la chaussée, me colle aux talons. Quelques ampoules résistent. Le numéro quatre s’allume, devient pavé de lumière. On y débarrasse la table, on y lave les couverts, téloche allumée. J’ai l’enfance expulsée, là, d’un coup ! Ça me prend dans la poitrine. Je la sens qui se désincarne. Qui se désincarne et qui me gifle par la même occasion. Elle ne m’appartient plus. Tout comme le quatre n’est plus chez moi. Il se remplit des souvenirs des autres. Il en est inondé. Merde, voilà que l’air se charge, le ciel est lourd, il est épais. Je le sens tout de suite. Ça me prend les os. Le temps ça m’a toujours détraqué. À la moindre variation. Que l’atmosphère tourne un peu et voilà que je frisais le malaise… Pour à peine un degré, de l’humidité en trop… C’était une honte d’être à ce point-là souffrant ! Des migraines de bigleux, qui m’éclataient les tempes ! De la diarrhée brûlante, à cause de la chaleur. La fièvre en permanence. Tous les vaisseaux froissés. Rouge fané. Ma mère, elle me faisait boire des grands litres de flotte, j’en pouvais plus. Je m’enfilais des packs d’eau à la chaîne, je tenais pas sur mes pattes. Il coulait en continu, le robinet, pour remplir les bouteilles. Mon père, il m’épongeait, lui. Sa serviette, il me la passait sur le front. J’étais si petit qu’elle m’emportait les guibolles, sur le passage. Je grelottais pour un rien. Ça me poursuivait jusqu’à l’otite, parfois. Je m’en tapais même des doubles, certains soirs ! Je perdais des litrons de sang sur l’oreiller. J’avais le conduit plein de pus. Je me dégoûtais tout en chocottes. Ça se perçait toujours la nuit. Je redescendais la tronche enflée, mon petit coulis noir le long du cou, qui me dégringolait de l’oreille, qu’était tout sec et bien collé… Le fond de l’air, c’est sournois. C’est devenu ma hantise. J’étais tributaire de son plus infime caprice… On me laissait baigner dans ma sueur, le temps que je me requinque. J’avais le loisir de les voir défiler dans le salon, comme ça. Ça n’arrêtait pas ! À commencer par mon père. Mi-clébard mi-reptile. L’immense front qu’il avait ! Il en finissait pas de s’étendre, son front, de se bomber comme un astre. Moi je restais bien méfiant. Je savais prédire les orages. Il avait le sourcil épais. Perché jusqu’au crâne. Toujours sur le point de me foudroyer. Immédiatement le reste suivait. Les lèvres disparaissaient, fondaient en quelques secondes, laissaient paraître la féroce dentition. Paupière retroussée, déjà tremblante de colère. La rétine folle ! Brutalement tirée de son sommeil… D’une minute à l’autre il pouvait me sauter au visage et me le becter intégralement ! Il avait jamais besoin. De la puissante mâchoire surgissait une voix grave. Envoûtante à souhait… À la manière des premiers orgues du monde. La rhapsodie montait de beaucoup plus bas, grimpait des intestins pour résonner dans les côtes. Ça me gonflait le cœur, ces kilos de barbaque vibrante en échos. J’en suais plus encore, je finissais flaque. Elle suffisait, sa voix… Et puis en un clin d’œil son âme changeait de logique. Soudain farceuse. De la malice plein la bouche et du plaisir à la mâcher. Gentil menton. Quelque chose de tendre. D’intelligent. Morceau de sa mère calqué au poil ! Bel héritage. Ça le rendait doux. Parfaitement délicat. Des orgues grondait une mélodie nouvelle. Déployant mille moqueries. Théâtre et chansonnettes. Il me racontait le ciel et la merde ! Passait de la Grèce à l’anarchisme ! Se mettait parfois même à chanter ! Dans ma migraine, j’hallucinais… Ça me dilatait la pupille ! « Les gooooélands meurent au printemps ! Sont noyés dans la mer Égée ! » Des airs de cirque et la langue acrobate. Toujours un clown au ventre. Enfin… Ensuite il retrouvait son calme. Moi la santé. Il s’asseyait sur le canapé, ne parlait plus. Absorbé en lui-même des orteils au museau… Et moi je pouvais enfin me lever de ma chaise. Je ne passais jamais trop près de lui. Ne m’asseyais pas à côté. Mais je cherchais toujours à le voir, à l’entendre, à le deviner. Quand j’étais pas souffrant, je longeais les accoudoirs. Je trimballais mon impétigo prudemment. J’en avais plein le cuir chevelu. Je m’en arrachais des noisettes bien grasses. Je les triturais du doigt, c’était mon plaisir, planqué dans les meubles, slalomeur discret. J’épousais chaque pied de table en me décortiquant les croûtes. Le premier souvenir, le précis, je m’en rappelle. Je me faufilais dans le bazar, justement. D’un coup je me suis senti soulevé, la nuque et le thorax, tout dans une seule poignée ! Mon frangin tout pareil ! On nous a fait remonter la rampe, survoler ces escaliers qui bectaient toute la place, qui n’en finissaient pas, qui dépliaient la baraque en accordéon jusqu’aux tuiles, pour la rendre furieusement étroite. On s’est retrouvés projetés dans les draps ! C’était le daron ! On s’est fait malaxer comme il faut. À même la couette, joue dans le matelas. Ça m’a donné de suffocants fous rires ! Le frangin luttait, lui. Désirait parvenir à le mettre en difficulté, mon père. Rien qu’un petit peu. C’était un téméraire, bagarreur à souhait, déterminé toujours. Ses quelques années de plus, elles se comptaient en trentaines de centimètres. Il faisait le double de ma taille. Un long muscle explosif, c’était ça qu’il était. Peau de bronze tendue sur paquet de nerfs. Des cheveux noirs et tout resserrés dans l’asphyxie. Boucles dures. Comme le regard. De la ruse en pagaille, qui lui faisait danser le visage… Ma mère, elle est intervenue. Elle intervenait toujours : « Attention, ton p’tit frère, Jérémie ! » Elle était belle, ma mère. Petit ballet de grâce et d’inquiétude. Sereine dans les pires instants. Anxieuse tout le reste du temps. Beauté vive, sans fourberie, qui ne cherchait pas à plaire. Le nez joueur. L’âme câline. Jeune à jamais. Foncièrement gentille, ma mère. Mais contrariante. Terriblement contrariante. Déjà trempée d’affolement. Nous baignant dans la précaution à outrance, mon frère et moi. Mettant du drame dans de l’anodin. Tout chez elle m’irritait. C’était pourtant mon plus grand réconfort… Elle avait dû s’occuper d’elle très vite et de son cadet aussi. À neuf ans elle était comme sa mère, au cadet. Elle l’habillait, le faisait grailler, l’emmenait chez la nourrice. Ma mère veillait sur les petits depuis toujours. Voilà de quoi la rendre intranquille… Tout de même dans le fond c’était une enthousiaste. On aurait chié sur les murs qu’elle aurait trouvé ça formidable ! Elle y aurait vu une réponse à Lascaux. Des estampes, des prouesses ! On n’était qu’un tourbillon de lumière, pour elle, mon frangin et moi. Un heureux motif pour se causer du tracas… C’est d’ailleurs pour ça qu’elle passait sa vie dans le rangement. Pour nous arranger le foyer. Toujours dans le linge qu’on savait jamais où faire sécher. Qui faisait des voiles à travers les étages. Qui se gonflait grâce aux courants d’air. Maigre rafiot… On s’est arrêté de chahuter pour pas l’inquiéter de trop. Mon père, il terminait chaque bagarre par un coup de pied au cul. Ça nous faisait dévaler jusqu’au salon. On finissait débraillés, le froc de travers, le bras hors la manche. En bas ma mère elle attendait, histoire de nous rhabiller comme il faut.
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« Grand Jean fuyait l’école, Benji la solitude, le Muco la maladie, l’Allemand sa famille et moi l’ordinaire. C’était tout de même une enfance bien heureuse, pleine d’imaginaire, je sais bien que beaucoup de choses ont été écrites à ce sujet, mais enfin je continue, une enfance avec l’infini au bout de la rue… »
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Un ancien monde amusant où les mots s'échinent encore à faire du sens.
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J' ai des fragments plein les poches qu'il faut que j'articule en monument. Fouiller les vagues intuitions. En extraire tout le précis. Que personne s'était formulé avant.
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Un deuxième roman, suite du premier ! Avec plus encore ! Et tout lié, comme les grands chefs-d’oeuvre ! Ce sera mon dernier tour de piste ! J’ai des fragments plein les poches qu’il faut que j’articule en monument. Fouiller les vagues intuitions.En extraire tout le précis. Que personne s’était formulé avant. Que ça résonne comme une révélation familière. Quelque chose qui se dénoue à l’intérieur.
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Faut dire que j'en étais pas fanatique, du courage. Je trouvais que c'était souvent pas loin de la bêtise. Les guerres en étaient remplies, de cadavres courageux.
( p 160)
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Quand on voit comment ils sont, les commissariats, on se dit que les flics peuvent pas être heureux. On comprend pourquoi ils sont à vif, comme des bêtes, enragés ! ça vous refroidit l'âme des endroits pareils ! Ajoutez à ça un peu de souffrance. ça fabrique des imprévisibles, amassés en patrouilles, dispersés dans la ville, avec une seule hâte, se venger d'exister !
( p 159 )
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N'est délinquant que le pauvre, c'est inscrit dans la loi. Les crimes des opulents sont des subtilités que la transparence oblige les magistrats à examiner légèrement mais le droit reste entièrement libéral ! Du côté des gens bien assis. Il protège les choses, pas les hommes. Il criminalise la misère, la survie...
( p 148)
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Je pense au boulot. Au patron qui n'est jamais là. Que chacun suppose. Que personne connaît. Il est vide et tout ce petit monde s'évertue à le remplir ! Le pouvoir est un lieu creux, on y met ce qu'on projette, des craintes, des admirations, du tempérament, surtout du tempérament. Tout est faux. Le pouvoir n'est rien qu'une caisse de résonance que chaque employé fait vibrer d'imagination. J'ai essayé de m'investir, de me projeter. Pour oublier Capu, principalement. Je me rappelle lui proposer du chiffré, du malin, de créatif à la statistique, du grand saut avec filet de sécurité ! Du risque en chocolat ! Il n'en veut pas. J'ai appris le métier avec Lariol, un vieux loup qui connaît la typo mieux que Gutenberg. Il s'en fout. Ce tout petit homme ne regarde que son fric et ses pieds. Il traverse son affaire le pas rapide, la nuque cassée, la bouche sèche. Il souffre chaque fois qu'on lui cause. Rien ne change. Rien ne bouge...
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