Citations de Hector Mathis (96)
Je me demande bien comment apparaissent les poches gigantesques qu'on observe sous les yeux des attristés ...
Notre banlieue. Ici le goudron est comme une vieille peau usée. Pleine de fissures, de crevasses, de caniveaux crayonnés, de marquages blancs et jaunes effacés, de petits morceaux de goudron plus récents, coulés pour combler les trous. Une voirie de fortune. Le terrain de jeu des gamins de la grisâtre.
Certains me demandent ce que j'entends par "détraqués", le rapport avec la littérature, quand ils parviennent à lire un bout, à me voler mes notes du coin de l’œil. Chacun sa messe. La nôtre c'est des cantiques d'ivrognes, que je leur réponds. Des poèmes d'ignares. De fous furieux. De colériques. Furieux, voilà ce qu'on est, nous les détraqués, que je leur dis.
La vulnérable était prise d'une crise incroyable, Paris tétanisé de conscience . la guerre nouvelle génération. pas quatorze du tout, ni trente neuf ni rien, une nouvelle qui ne ressemble pas, qui inaugure plutôt.
La passion... A quoi ça ressemble après quelques années ? Moi je le savais. Je les avais vu les vieux rongeurs de songes qui pissaient même plus au même endroit, quis e grignotaient la parenthèse à se repasser en boucle les rêveries de la jeunesse. Ils ne s'engueulaient plus, ils s'ignoraient. Et de temps en temps... ils se jetaient un souper à la tronche, et puis silence, et ça pour quoi ? C'était tout simple et pas très ingénieux, même plutôt viscéral de gâcher la tambouille avant de retourner brutalement dans l'oubli. C'était ça ou l'éternel ennui chez les vieux de la grisâtre. J'allais leur livrer leurs courses étant môme. Je voyais bien tout ça, ils pouvaient rien dissimuler, c'était sur les murs, la moquette, les cadres. La sonnerie du téléphone c'était la fête. Des nouvelles des gosses. Au commencement, du moins. Après ça leur faisait même plus grand-chose. La dépêche AFP qui tombait. Vieilles machines oxydées. Rotatives en miettes. Journal d'un couple. Les vieux couples c'est pas aussi beau qu'on le dit.
Mon premier s'en prend à l'ail, mon second distribue le courrier, mon troisième ne rit pas jaune, mon dernier n'est pas rapide, et mon tout est l'inventeur de la charade à tiroirs !
(réponse p. 94)
L'époque, cette époque où tout flotte, où les croque-poussière vont vers la mort à n'importe quel prix et où les autres ne veulent que s'amuser. Ils ont encore tous le spleen du vingtième siècle, encore tout brusqués qu'ils sont. Metro ! Démocratie ! Internet ! Carte à puce ! Le vingt et unième c'est l'épitaphe de l'Histoire entière, on est enfin arrivés au bout. C'est à celui qu'aura l'ultime formule. Tout le monde a compris que c'était terminé, on balbutie juste pour trouver le bon mot. Des dizaines d'années pour trouver de quoi occuper le tailleur de pierre? L'épitaphe ! C'est ça qu'il faut que j'écrive, juste une épitaphe.
la vie ce n'est qu'une foutue partition
pour détraqués.
p 201
Un roman c'est un ballet, la musique emporte tout et la musique c'est les mots ! On y croise des visages et des silhouettes. Des personnges dansent une chorégraphie qu'ils pensent être la leur, mais en vérité il n'y a que la musique, tout le reste est en fonction, rien n'existe en dehors d'elle. Ils obéissent, voilà tout ! Pour faire résonner la mélodie j'avaisdes tonnes de mots à faire valser, chuter dans les variations, escalader les clés, les triolets, en percutant les accords jusqu'à la dissonance. Comme le jazz. Tout pareil !
"La capitale c'est un cache-tout ! disait mon père. Ici y a qu'à voir, on peut rien dissimuler, ni la misère, ni l'agonie", qu'il ajoutait tout le temps ! Ah ça, il avait pas tort. La capitale, la capitale... Si ça nous fait quoi qu'ce soit c'qui s'passe à la capitale ?! Y a rien qu'des tricheurs, des plaintifs et des geignards, là-bas ! Ils réclament et nous on subit ! Merdre alors ! Des projets y en a qu'pour eux ! 'Vec leurs tramways, festivals, allées piétonnes, leurs conneries ! Bientôt on aura plus l'droit d'y foutre les pieds ! Et toc ! Les gens déraillent, courent après l'fric, après l'temps. Moi c'est fini. J'suis un vieillard, je mange peu et j'ai besoin d'rien. Mais je vois bien. Tout de même, j'vois bien.
Pour traquer la beauté il faut beaucoup de silence,
dans ce cabanon çà suintait le silence.
page 162
C'est misérable et pathétique deux corps nus, presque toujours disgracieux, et qui gesticulent. Ridicule. Heureusement qu'il y a les hormones, il fallait bien trouver un moyen de rendre compatibles l'absurde et l'infini.
Encore une preuve que la grâce est dans le désespoir.
(p. 20)
« Grand Jean fuyait l’école, Benji la solitude, le Muco la maladie, l’Allemand sa famille et moi l’ordinaire. C’était tout de même une enfance bien heureuse, pleine d’imaginaire, je sais bien que beaucoup de choses ont été écrites à ce sujet, mais enfin je continue, une enfance avec l’infini au bout de la rue… »
C'est tout à fait triste les pralines qu'on s'inflige entre copains quand on est gosse. Et malgré ça... On court tout le reste de sa vie après la première cruauté. Des cavalcades à travers les éraflures. À s'essoufler dans les ruines. Pour un sursaut. Le seul qui compte. Celui de l'enfance. p 38
On n’oublie pas l’enfance, c’est là qu’on fait tous ses rêves.
Pour continuer à traquer la beauté il faut beaucoup de silence,
p 163
Ça n’avait rien d’un roman, ça relevait plus du soliloque. Je m’en étais fait une idée de mon écriture! Une idée qui avait pris trop de place dans mon imagination. Me sauver de la mort avec ce pauvre torchon que je baladais dans un sac plastique ! Quel fou j’étais devenu. Je ne savais pas tenir une narration plus de deux pages. Je philosophais comme une espadrille et je voulais devenir romain ! Repeindre le ciel ce n’était pas pour moi. La musique c’était pour les autres. Les types du conservatoire. Moi je poussais la chansonnette, à peine. Je fredonnais. « C’est moi l’imposture. »
C'était une scientifique, la môme, elle conservait toujours une longueur d'avance sur moi, parce qu'elle lui restituait sa véritable beauté, au monde, elle ne le culbutait pas jusqu'à la poésie.
«Je vais te dire l'avenir ! C'est les machines, plus de politiciens du tout, plus d'États, plus d'Europe même ! Des machines imbéciles, efficaces, le nouveau prolétariat. Le prolétariat de rêve ! Muet ! Sans syndicat, sans conscience. Et les pauvres en prison ! Ça relancera l'économie. Des bâtiments à construire, à entretenir, à moderniser. Des machines et des histoires de religion, voilà l'avenir. [...]»