Marielle, libraire au rayon Jeunesse, présente Félicratie d'Hélène Lenoir paru aux éditions Sarbacane.
« J’avais tout à apprendre et mon orgueil ,,ma vieille bête noire……
J’étais une mauvaise religieuse, je priais mal, je ne savais plus me recueillir , taraudée par le froid, la faim , le manque de sommeil , les maux de tête de plus en plus fréquents, autant de déficiences que je m’efforçais de dissimuler au quotidien. » …
Si j'avais cette force, ce tout petit courage de l'interrompre avant qu'elle ne m'empêtre dans ces mensonges tellement bien tournés que personne ne met ses histoires en doute...Mais c'est trop tard. Elle est toujours si rapide. Elle parle, elle invente, sans aucune hésitation, sachant condenser, se limiter à l'essentiel, tout en restant très courtoise, sans du tout faire sentir que le court laps de temps qui lui est imparti entre les deux signaux sonores la bouscule, la force à accélérer son débit :
-Mon mari a dû s'absenter et n'a pas pu vous joindre. Bien entendu, il est très intéressé par votre proposition ! Il sera de retour après-demain...
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Maintenant, c’est drôle comme ça m’émeut d’en parler — je revois le visage de certaines… oui… et je pense… je pense à l’Ange au sourire de Reims… Ah…
C’est, j’avais, je, je voulais dire… Je ne sais plus. La petite Sœur Nicole, peut-être, quand je l’ai regardée accrocher le linge au fond du potager, un matin où on m’avait désignée pour la cueillette des haricots verts ? Et je dis petite, je ne sais pas pourquoi, elle devait bien avoir mon âge… C’était l’été, oui, l’été 49 à Saint-Omer, pas d’enfants, le calme, plusieurs sœurs étaient parties — ah, voilà, c’était ça, la récréation de la mi-juillet où j’ai soudain entendu notre Supérieure prononcer deux fois le nom de Grenoble et juste après celui de Grandbourg.
« Quelqu’un enfin qui osait crier, gueuler et y aller, cogner , déborder, exploser et se répandre dans l’extrême démesure , comme si elle le faisait pour lui, trouvait les mots à éructer avec le coffre puissant d’une voix plutôt basse , rauque, rouge sombre pensait - il, excité par son soudain silence » ….
« …..Si tu avais vraiment envie d’en finir hier soir, pourquoi ne pas l’avoir fait discrètement ?
Pourquoi enquiquiner encore les gens, les forcer à jouer spontanément les sauveteurs , leur en vouloir après de l’avoir fait ?…..
Parce que tu t’imagines peut- être maintenant que c’est moi qui t’ai empêchée d’aller jusqu’au bout ?
——-Bon, ça suffit ! »
On avait l'impression que la maison était pleine de monde. J'imaginais des bonnes astiquant mollement des couverts d'argent à l'office, repassant en sueur des chemises à jabot dans la lingerie mansardée, un homme assoupi sur sa lecture dans le bureau voisin, un autre déchaussé, ronflant sur le divan de la bibliothèque...
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On a le temps.
Vous, je ne sais pas, mais moi oui, même si j'ai pour la première fois la sensation que c'est très court, qu'il faut faire vite, je vais avoir quarante ans...
Il essaya de suivre ce bruit jusque dans la rue peu passante le dimanche à cette heure, songeant que ça pourrait être une belle fin, qu'il suffisait maintenant, au cas où elle n'aurait pas encore compris, de le lui dire, de ne pas avoir peur de le déclarer, je t'aime bien, j'aime bien te tenir de temps en temps dans mes bras mais te regarder, non, et t'entendre non plus...
Dans la salle à manger. Longue tablée. Elvire arrive au milieu du repas et se dirige aussitôt vers Gisèle.
ELVIRE (se penchant pour l'embrasser) : Bon anniversaire, mère. Je suis désolée...
GISÈLE : Oui, mais vous n'allez pas embrasser tout le monde. Quand on arrive en retard...
ELVIRE : Je n'embrasse que vous, la reine de ce grand jour !
JEUNE FEMME : On vous a mise en bout de table parce qu'on ne savait pas trop...
ELVIRE : Très bien, parfait, je ne veux surtout pas perturber...
SIBYLLE (à Bernard) : Je vais changer de place. En fait, c'est elle qui devrait être à votre gauche, je viens seulement de comprendre que vous m'avez donné...
BERNARD (posant sa main sur la sienne) : Non non, ne bougez pas. Elvire est tout à fait au-dessus de ces histoires de protocole.
VIOLAINE (à la cantonade) : C'est moi qui ai décidé des places. Je tiens tout de même à le dire. Sachant qu'Elvire était retardée et que Claire s'était allongée, j'ai pensé que, quand Claire descendrait, elles seraient heureuses toutes les deux d'être assises l'une à côté de l'autre.
GISÈLE : Je reconnais là toute ta délicatesse
Elle garda longtemps les yeux ouverts dans l'obscurité, allongée sur le dos, formant avec ses lèvres des embryons muets de mots pour crever ses pensées constamment déportées loin de son désir de faire enfin le vide en elle et se remémorer en détail chaque moment, chaque sensation, chaque étreinte.