J'ai été tellement trahi, bafoué, injurié, couvert de toutes les ordures et les merdes – que cent mille tonnes de parfums d'Arabie ne me feraient pas encore sentir bon.
Ça sera pas toujours facile de te faire passer pour inconscient... T'es un genre de fou qui raisonne...
Comment, d'autre part, était-il passé de la maîtrise de son art et de sa pensée qui se manifestait dans Mort à crédit et dans Mea culpa à ce torrent de boue étendu sur près de quatre cents pages, d'où ne surnagent que des îlots dans lesquels on retrouve ce qu'on aime ailleurs chez lui ?
Sous le coup de ce qu'il a vu en URSS, Céline en vient ici à concevoir un autre communisme, pour lui le seul véritable, qui serait un communisme de la souffrance.
Nous dormons à peine trois heures par nuit et marchons plutôt comme des automates mus par la volonté instinctive de vaincre ou de mourir.
En se comparant à Gide qui venait à ce moment de se rapprocher du communisme, Céline écrit : « J'ai pas attendu mes 80 ans pour la découvrir l'inégalité sociale. À 14 ans j'étais fixé une bonne fois pour toutes. J'avais dégusté la chose... J'avais pas besoin de savoir lire. »
Céline ! bon Dieu de bon Dieu ! ce que vous incarnez bien le Passage ! le Passage c'est vous ! tout vous !
Chez Céline, cet autre français était devenu la langue même du narrateur, dès la première phrase du roman et jusqu'à la dernière. La révolte se disait ainsi dans la langue que subissent cette injustice. Ce seul choix avait valeur d'une prise de parti. Céline allait m^me plus loin dans sa revalorisation d'un français à tonalité populaire. A tout moment, dans Voyage, la révolte dépasse sa première cible sociale pour viser d'autres formes d'écrasement, métaphysiques celles-là, à commencer par la mort. A être formulée dans la langue des opprimés de la société et chargée ainsi de tout un poids de vécu, cette protestation aussi vieille que le monde prenait une force nouvelle, et, en retour, cette langue prenait une autre portée. C'est sans nul doute d'abord à cette dimension sociale de la langue que le roman dut de faire, lors de sa publication, l'effet d'une bombe dans la littérature.p.158