Le temps avait passé sans qu'on ait eu le temps de le voir.
Dans l'étouffement des midis, il y a ce garçon du voisinage, d'un an plus vieux, un type tout en os, demi-orphelin dessalé par la pension, le dernier d'une fratrie interminable, un fils de mère épuisée, qui sonne à la grille à l'heure de la sieste.
Peu de gens constituent le monde d'un individu : le monde, au-delà de sa famille, d'une poignée d'amis, ce sont ces gens, collègues, voisins, relations vagues dont l'influence est à proportion de leur indifférence. Qui n' a jamais parlé ou agi pour se faire remarquer d'un quidam jette la première pierre. Obtenir une approbation du voisin de palier, c'est polir la surface de l'indifférence du monde pour le contraindre à vous refléter.
Je sais les reconnaître ces gens-là, j'ai travaillé chez eux. Pas beaucoup parce qu'ils sont près de leurs sous. Alors ils trichent, ils rognent sur les heures de ménage, ils coupent les tablettes pour le lave-vaisselle et au SoGood raflent tous les yaourts à moitié prix le jour d'avant d'être périmés. Y a pas de honte à être rat puisque c'est pour la bonne cause: conserver leur façon de vivre, les maisons trop grandes, la bague de fiançailles. Le tralala, ils en ont besoin pour respirer.