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Critiques de Italo Calvino (695)
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La Journée d'un scrutateur

Voilà un petit livre par la taille mais grand dans son contenu qui pose la question de l'inclusion. Quelle place une démocratie fait-elle à ceux qui, trop fragiles, n'ont pas les outils qui leur permettent d'y exercer pleinement leurs droits ?

En Italie, dans les années où se situe le récit, une loi impose à tous de voter. Il faut donc faire voter tout le monde, y compris ceux qui ne sont pas en mesure de comprendre ceux que signifie voter. Un bureau de vote est installé au sein du Cottolengo, un hospice religieux de Turin, dont la vocation est de recueillir toutes les personnes en situation de handicap (je me permets d'utiliser cette expression anachronique, là où le récit parle comme le veut son époque de "contrefaits" ou "d'idiots"). Amerigo est envoyé par le parti communiste dont il est membre pour veiller à la régularité du scrutin.

Amerigo est dans un premier temps démuni dans ce lieu, véritable ville dans la ville. Il n'a pas les outils pour comprendre ce qui se passe même s'il en situe très précisément les enjeux qui tiennent aux questions de la démocratie et des frontières de l'humanité. Pour la deuxième question, il en trouve la réponse dans le spectacle d'un vieux paysan venu rendre sa visite dominicale à son fils. Lui n'est pas comme les soeurs, il n'a pas eu le choix d'être là, ni n'y a été appelé, si l'on se situe dans le registre de la foi.

"Voilà, cette façon de vivre-là, c'est l'amour (....), l'humain va jusqu'où va l'amour ; il n'a d'autres limites que celle que nous lui donnons" Rien de plus simple, ni de plus nécessaire que ce qui est dit là.

Dans les premiers moments passés au Cottolengo, Amerigo se raccroche à l'image de la beauté de sa maîtresse et fait le constat que pour qu'il y ait un processus historique il faut viser la beauté autrement dit la perfection. Mais comme il le reconnaît immédiatement, en se référant aux Grecs " placer trop haut la beauté, n'est-ce pas faire un premier pas vers un monde inhumain où les infirmes seront précipités du haut d'un rocher"

Au Cottolengo, les jeux sont faits, tout le monde vote pour la démocratie chrétienne, et il y a toujours un prêtre ou une soeur pour faire voter ceux qui n'y arrivent pas. Fort de ses premières réflexions et faible dans les outils théoriques auquel il se raccroche, Amerigo laisse faire. Il ne faudrait pas précipiter symboliquement l'infirme du haut du rocher en le déclarant trop vite inapte. Le fascisme n'est pas bien loin. Puis peu à peu, Amerigo comprend, en même temps qu'il fait place à cette humanité, qu'il accueille comme étant désormais un possible du devenir humain et il parvient à poser des limites démocratiques en rappelant au groupe des scrutateurs le sens du vote et du nécessaire respect de dignité humaine

"Cette comédie a assez duré, conclut Amerigo sèchement. Il est incapable de manifester sa volonté, donc il ne peut pas voter. C'est clair. Un peu plus de respect, voyons. Pas besoin d'en dire davantage. (Voulait-il dire un peu plus de respect pour l'acte électoral ou pour la souffrance ? Il ne précisa point.)"

Etape importante pour la progression de son regard. Il envisage alors la laïcisation et la professionnalisation de ce travail d'accompagnement qu'accomplissent les soeurs et finit par percevoir l'incroyable fécondité du geste de penser que chacun est éducable et, si démuni soit il, capable de progresser. En rencontrant, un ouvrier de l'hospice, privé de mains, qui parvient néanmoins à accomplir tous les gestes de la vie quotidienne et de travailler, Amerigo comprend la portée de ce que l'on appelle désormais l'inclusion. Au delà, il est capable de déceler de la joie dans ce lieu.

"Même la ville des plus grandes imperfections, songea le scrutateur, connaît des heures parfaites : l'heure, l'instant où dans toute cité paraît la Cité."

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La Journée d'un scrutateur

La journée d'un scrutateur " retrace une expérience vécue par Calvino en qualité d'assesseur dans un bureau de vote dans un asile pour incurables et déficients.

C'est une critique du système électoral qui avait joué à plein dans l'après_guerre.C'est dans ces pages où il évoque le défilé hallucinant d'une sous-humanité fantomatique, que son discours est particulièrement convaincant.

source encyclopédie universalis
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La Journée d'un scrutateur

Critique du site ubucasa:



Italo Calvino publie le roman La journée d'un scrutateur en 1963, qui marque la fin de sa période néo-réaliste. Intellectuel communiste, il a rompu avec le Parti lors des événements de Hongrie pour se consacrer au journalisme.

Pourtant, il n'a pu s'empêcher de revenir sur son passé de militant. Le scrutateur, c'est celui qui, délégué par sa formation politique, observe les conditions de vote et s'assure que la légalité est respectée. Notre scrutateur, communiste, se retrouve dans un fief de la démocratie chrétienne : un hospice où grabataires et handicapés profonds votent, la main guidée par le personnel religieux de l'institution. Le militant connaît une sorte de crise morale : il est en droit de refuser le vote de ceux qui, manifestement, n'ont plus leur santé mentale et qui sont manipulés par les religieuses. Pourtant, ce refus, il le ressent comme un déni de citoyenneté : il a l'impression d'enterrer ses convictions profondes sous son action politique, d'oublier ses principes tant l'adversaire se fait pressant.

Un texte humain, loin des fadaises convaincues, à défaut d'être convaincantes, et des mièvreries gentillettes des imposteurs coutumiers, qui récitent la litanie de leurs lectures infantilisantes de la philosophie - où tout est souvent la faute de mai 68, ces derniers temps - ou de leurs préceptes religieux -trop d'exemples pour n'en citer qu'un, alors on va dire Coelho, Guy Gilbert et les autres gnangnans - en solde. Ici, la perception offre la justesse des nuances : le conflit ne se résume pas à un choix cornélien mais à des humeurs changeantes, et la crise s'insinue plutôt qu'elle ne se déclare. Il est rare de trouver un texte de militant qui n'assène pas : c'est peut-être parce que Calvino sait combien l'éthique personnelle coûte, ainsi que la solidarité et un certain humanisme distancié des grandes phrases creuses, quand elle se poursuit pas à pas, à hauteur d'homme.
Lien : http://ubucasa.skynetblogs.b..
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La Journée d'un scrutateur

Sur un ton plus sérieux que dans ses autres livres, Calvino raconte ici l'évolution morale d'un scrutateur passant la journée à faire voter des handicapés moteurs et mentaux...Inspiré d'un fait divers, le récit, court et sobre, est une diatribe contre la bêtise et la folie des hommes politiques prêt à tout pour obtenir plus de votes.

Néanmoins, le livre ne laisse pas un souvenir impérissable, la faute à un personnage principal trop effacé et une évolution morale qui finit en tire-bouchon. Le style si particulier de la Trilogie des ancêtres et des oeuvres plus méta-textuelles de Calvino sont remplacés par une écriture à la première personne classique.

Un livre au sujet intéressant mais qui manque le coche et ne parvient pas à marquer le lecteur.
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La Journée d'un scrutateur

Avec un sens aigu de l'observation et un engagement politique désabusé, un citoyen de gauche participe comme scrutateur à une journée de vote où les irrégularités seront nombreuses (les religieuses qui votent sur ordre, les personnes handicapées qu'on "fait voter"), les protestations inutiles - d'ailleurs il y renonce - et la démocratie un grand jeu de faux-semblants... Ce court texte n'a rien perdu de son actualité.
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La Journée d'un scrutateur

Voici un récit qui peut sembler déroutant dans la bibliographie d'Italo Calvino et qui pourtant ne cesse de scruter les fonctionnements humains. Ce livre résonne bien avec les problématiques électorales actuelles. Qui a le droit de voter. Vaste question. Livre écrit hier ? Loin de là. C'est la force de l'artiste et de son oeuvre. Au détour du contenu certains dialogues et situations sont très savoureux.
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La Journée d'un scrutateur

Calvino nous propose de vivre la journée d’un scrutateur italien. Proche de la gauche (à l’instar de Calvino) il doit tenir un bureau électoral situé dans un hospice catholique. Il assiste donc au défilé des infirmes et des fous, qui votent sous la tutelle attentive des religieuses (proches de la droite). Devant cette manipulation grossière du vote et la désaffection des membres de son parti, le scrutateur remet en question l’acte électoral et s’interroge sur l’importance du suffrage universel. Le lecteur est également conduit sur ces interrogations, la mise en scène très visuelle et caricaturale permettant une allégorie des élections pour l’ensemble de la société. Au fond, à quoi rime ce défilé d’électeurs ? Qu’expriment-ils réellement en déposant leur bulletin dans l’urne ? L’atmosphère du texte s’assombrit au fur et à mesure, donnant une teinte assez pessimiste. Les élections semblent détournées de leur vocation originelle et l’idéal démocratique dénaturé. Néanmoins, cette constatation de l’auteur est circonstancielle, ouvrant la possibilité d’une évolution. Les pistes suggérées dans cette nouvelle peuvent se comprendre si nous raisonnons a contrario des scènes où le vote est dénaturé. Le texte invite finalement l’électeur à réfléchir sur ce qui le manipule ou sur les œillères qui peuvent l’empêcher de voter de manière libre et éclairée. Ainsi, ce texte peut se lire comme un appel à la lucidité, à l’intelligence et au refus de voter sous l’influence de la peur ou de fausses informations... (Plus sur Instagram)
Lien : https://www.instagram.com/p/..
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La Journée d'un scrutateur

Ce petit livre très court est né d’un fait à la limite de l’anecdote, point de départ d’une réflexion sur la démocratie, et de questions qui restent d’actualité.

L’histoire se passe dans l’Italie des années 20 : Amerigo, communiste, occupe la fonction de scrutateur dans le bureau de vote du quartier Cottolengo à Turin. Ce quartier est une sorte de ville hospice ou asile. Les électeurs sont infirmes, grabataires, voire déficients mentaux. Au vu de ce spectacle, Amerigo a bien peur que le résultat des élections ne soit joué d’avance, car « on votait ici pour un seul parti : tout le monde le savait n'est-ce pas ? Alors à quoi bon s'agiter et compliquer les choses ? », pour le parti démocrate-chrétien a priori, les électeurs votant la main guidée par le personnel de l’institution religieuse. Italo Calvino fait de ces faits bruts une matière riche. Le défilé d’électeurs est le reflet d’une Italie profonde, le scrutateur se doit de refuser le vote de ceux qui sont de toute évidence inaptes à voter et manipulés, mais en même temps, quand il refuse un vote, il a l’impression d’aller à l’encontre de ses idées, il vit une espèce de crise morale, se posant des questions sur le sens de l’humanité. Le constat est assez désespérant par rapport aux magouilles des hommes politiques et à la bêtise humaine, mais les questions sur les limites de la démocratie sont saines et pertinentes, même si sans réponse.

Chapeau pour avoir réussi à concentrer tout cela dans un roman d'une centaine de pages !
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La Route de San Giovanni

J'ai survolé ces nouvelles sans vraiment me sentir concernée et pourtant je me dois de saluer l'originalité et la qualité d'écriture de l'auteur. Le livre comporte cinq nouvelles de 20 à 50 pages. Toutes sont des souvenirs de l'auteur sur lequel il brode et philosophe avec humilité et humour. Les cinq nouvelles forment une suite chronologique de l'enfance de l'écrivain à l'âge mur.

La route de San Giovanni, la première nouvelle du recueil, raconte le trajet quasi quotidien réalisé par le père d'Italo Calvino pour se rendre en la demeure familiale de San Giovanni, régulièrement accompagné de l'un ou l'autre de ses fils. L'auteur en profite pour dresser un portrait distancié de son père, homme peu loquace mais têtu, passionné de nature quand le fils ne jure que par la littérature. L'autobiographie d'un spectateur renvoie au premier contact de l'auteur avec les salles obscures et de l'évolution de son rapport au cinéma. Dans Souvenir d'une bataille, nouvelle la plus courte du recueil, la guerre est décrite de l'intérieur. La poubelle agréé est une fable philosophique sur la nécessité de se débarrasser de ses déchets tout en respectant les codes sociaux, on y découvre le narrateur conscient de son devoir de pater familias. De l'opaque enfin, relève entièrement de la poésie. Le soleil et sa part d'ombre sont à l'honneur. L'ensemble forme un tout cohérent, philosophique, poétique agrémenté d'une pointe d'humour distancié. Je recommande !
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La spéculation immobilière

J'adore Calvino d'une part, et je mène des recherches sur l'immobilier d'autre part. Je ne pouvais donc que lire ce roman. Il se révèle très fidèle à la réalité des marchés spéculatifs locaux et balbutiant. Très fidèle à la dimension plus artisanale qu'industriel de ces petits marchés. J'ai retrouvé dans les figures archétypales des personnes avec qui j'ai pu m'entretenir. Le tout reste finalement tendre et attachant.
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La spéculation immobilière

Mon premier livre de cet auteur que je ne connaissais pas: iun livre simple , plutôt drole qui prend par le caractere ambigu,joueur, et trop sur de lui du héros principal. on pourra se retrouver , pour tous ceux qui ont connu un projet immobilier dans les déboires avec les entrepreneurs mais aussi dans les relations familiales! Ceci ,dans le livre est mis à la puissance 10 à cause de l'Italie! bien! mais pas un livre inoubliable.
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La spéculation immobilière

Tantôt tendre, tantôt cruel, toujours drôle, Calvino est parfait, loin des contes surréalistes auxquels on le résume trop souvent.
Lien : http://rss.nouvelobs.com/c/3..
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Le Baron perché

A douze ans, Côme grimpe dans un arbre et décrète que ses pieds ne toucheront plus jamais la terre ferme. C’est son petit frère qui nous narre ses aventures au sommet des cimes de la région d’Ombreuse : collaboration avec les habitants étonnés, chasses, amours contrariées, conception d’une nouvelle idéologie…

Je ne me suis pas ennuyée durant cette lecture, mais j’ai eu du mal à comprendre où l’auteur voulait en venir, en dehors d’un message de liberté. Côme crée un monde à son image, fait de culture et de nature. C’est un conte philosophique, le genre de livre très intéressant à étudier, mais le lire pour ses loisirs quand on n’a pas les clés pour comprendre… pas facile.



J'apprécie beaucoup les histoires de « survie » et j'ai aimé voir comment s'organiser entre les branches, même si cela ne se voulait pas spécialement réaliste ici…



Je ne pense pas lire les autres tomes de la trilogie. En revanche, il m’a donné envie de relire Si par une nuit d’hier un voyageur, cet OVNI littéraire !

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Le Baron perché

J'avais déjà essayé cet auteur et je ne me souvenais que d'un livre sans queue ni tête (j'étais enfant).

Me revoilà essayant cet auteur. Ici le narrateur raconte l'histoire de son frère monté littéralement dans un arbre pour ne jamais en redescendre. Conte philosophique à la Voltaire, roman d'aventures, roman enfin d'une vie avec en toile de fond l'histoire de l'Italie du nord, roman d'éducation peut-être, à la Rabelais ou Rousseau.

Ecrit pour des jeunes, je pense qu'aujourd'hui ils ne seraient pas armés pour comprendre seuls toutes les dissertations et les histoires, sans compter l'amour volage de Côme, et de Violette.

Ravie d'avoir découvert ce désormais classique, je n'ai pas réussi néanmoins à apprécier ma lecture. Trop voltairien sans doute, même si j'ai aimé l'idée de base.
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Le Baron perché

Quand tu as douze ans, que ta sœur t’a cuisiné des escargots peu ragoutants et que ton père te force à les manger, tu as deux solutions: t’exécuter en faisant des grimaces de dégoût ou t’enfuir dans le jardin et grimper à un arbre. Côme opte pour la seconde solution. Mais il a beau partager les branches avec les écureuils et se rapprocher des oiseaux, Côme est surtout une sacrée tête de mule, car il fait le serment de ne plus jamais toucher terre… et s’y tient. On suit donc, à travers le regard de son frère cadet, Côme qui traverse la vie de branche en branche. Ça, c’est la version premier degré, mais Italo Calvino aime mettre de la profondeur dans ses récits. Ainsi, je ne te l’ai pas dit, mais Côme est l’aîné d’un baron aspirant au titre de duc dans une Italie du XVIIIe siècle qui aspire elle-même à autre chose. Métaphoriquement, il est celui qui prend de la hauteur sur une société obsolète, celui qui ouvre les frontières d’un monde nouveau en franchissant par les arbres les murets de sa propriété, celui qui insuffle les idées de Montesquieu, Rousseau ou Voltaire aux représentants du clergé et de la noblesse par la découverte des livres, celui qui ouvre les yeux de ses contemporains sur l’importance de la nature en inventant mille et une stratégies pour vivre en harmonie avec elle. Bref, il est celui qui apporte le renouveau. Peut-être mon tome préféré de la trilogie des ancêtres, que j’ai lu maintes fois sans jamais me lasser. Un vrai message pour qui sait le décoder, enrobé d’humour, d’une pointe d’absurde et quelques grains de finesse sur le dessus.
Lien : https://tsllangues.wordpress..
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Le Baron perché

Un baron fou qui se perche sur le haut d'un arbre par révolte et esprit d'insoumission. Un livre totalement délirant avec un personnage déjanté, mais si attachant... Et une écriture superbe.
Lien : http://liliba.canalblog.com
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Le Baron perché

Un énième livre sur la crise d'adolescence et la difficulté de trouver sa place dans un monde d'adulte ? Assurément. Une fable sur le rejet de l'autorité paternelle et le désir d'émancipation de la cellule familiale ? Certes. Un conte philosophique qui délivre une morale de sagesse et d'élévation spirituelle ? Aussi. Mais voilà : peu importe la banalité du sujet tant qu'il y a le maître. Et l'art de

Calvino ne fonctionne pas comme un tour de passe-passe ; c'est un art complet, engageant, inspiré.

D'autant qu'il serait très injuste de ne pas mentionner l'élément d'intrigue qui fait en réalité toute l'originalité du livre de Calvino : Cosimo Piovasco di Rondo, le protagoniste de l'histoire, fils du baron Arminio Piovasco di Rondo, n'est pas seulement un enfant qui dit non ; il est l'enfant qui s'en est allé vivre sa vie dans les arbres. Absolument : un soir que le repas familial s'était une nouvelle fois transformé en guéguerre interne – « je ne mangerai pas de vos escargots, mon père ! » –, un basculement se produit, une rupture radicale dans le cours d'une vie, ou comment le râle d'un enfant se transforme soudain en tsunami qui bouleverse tout le paysage. Cosimo, 12 ans, toutes ses dents et toute sa tête, s'enfuit, claque la porte, monte dans sa chambre, insulte le monde entier... pas vraiment. Il s'enfuit bien, mais au sommet du chêne le plus proche du domaine familial. Cette

révolution n'est ni une Terreur, ni un nihilisme. C'est là tout le miracle de cet acte fondateur : il est

une mise en danger directe du sujet qui le produit, en même temps que le désarçonnement définitif

de ceux qui en sont les spectateurs – « je ne redescendrai plus ! ». Et il n'est plus jamais redescendu.

L'enfant ne fait pas que du boudin. Malgré les bien attendues récriminations du père, de la mère, du

frère, des voisins, etc., Cosimo tiendra bon jusqu'à la fin de l'histoire. C'est alors que naît le roman,

dans l'éclosion inattendue d'un être exceptionnel (et il n'aura fallu qu'une page!).

Et le miracle est complet. Car ce que Cosimo découvre, ce n'est ni l'amertume d'une explosion

déraisonnable de colère injuste, ni le traumatisme de la punition (bien qu'il ait déjà abondamment

goûté aux deux) : c'est un nouveau Monde. Pour lui et pour tous les autres. Une découverte sans

précédent dans l'histoire des hommes, que seuls quelques autres êtres de fiction avaient tentée avant lui – mais la figure de Tarzan est empreinte d'une dimension animale et sauvage que n'adoptera jamais véritablement celle de Cosimo. Un nouveau Monde, donc, et d'abord un nouveau territoire à

explorer : la région d'Italie qui sert de cadre à l'histoire est largement arborée, au point qu'on puisse la parcourir en entier de branche en branche, quelle aubaine ! Un nouveau Monde, fait de sensations forcément nouvelles : chaque arbre possède ses propres spécificités, sa propre ambiance, ses avantages et ses périls ; on ne se défend pas d'une pluie dans les arbres comme sur terre. On ne dort pas non plus dans un lit douillet. Un nouveau Monde très particulier enfin, parce qu'il présente une caractéristique singulière : il est comme inclus dans le nôtre. Ce n'est pas une terre lointaine, c'est un étage supérieur.

Le monde arboré offre donc bien plus qu'un nouveau « lieu » : une nouvelle manière de voir la Terre et les hommes qui la peuplent, et de se faire voir par eux. Les règles de la société en sont

complètement bouleversées : il fricote avec les voisins, ennemis jurés de son paternel, traîne avec

des voyous maraudeurs... mais d'ailleurs, n'est-il pas devenu voyou à son tour ? Malgré la superbe

aristocratique qu'il conserve en toutes circonstances, on en doute au début. Il tape à la discute avec les paysans qui ne récoltaient normalement que sa parfaite indifférence ; livre un butin à de pauvres hères qui vivent dans l'ombre des grandes demeures d'Ombrosa. Le monde est sens dessus-dessous. Il ira jusqu'à s'acoquiner avec des fous à lier... mais d'ailleurs... lui-même...

Le frère, narrateur de toute l'histoire, demeurera, depuis les premières minutes de l'événement et à

jamais, interloqué par cet acte sans précédent. Il raconte, essaie de comprendre, vient en aide

lorsqu'il le peut, mais il n'arrivera jamais à renouer cette empathie fraternelle et instinctive que

possèdent souvent les jeunes membres d'une famille. Cette mélancolie de la distance vibrera durant tout le récit. C'est que la frontière que Cosimo a franchie le rend inaccessible : il restera jusqu'à la fin celui qui a passé le cap, qui a vu l'envers des choses, et gardera avec lui, jusqu'à la fin encore, un secret compréhensible par lui seul. Ce comble de l'isolement, Cosimo l'a toujours inconsciemment désiré. Peut-être également que son acte était en partie guidé par un orgueil démesuré. Cosimo va tuer, rompre des liens, enchaîner des conquêtes, aimer à la folie. Le récit de Calvino n'est pas lisse, sa morale n'est pas évidente, encore moins explicite. Comme dans tous ses récits, ce que l'on retient d'abord, c'est la fulgurance de l'idée initiale, la fraîcheur existentielle qui en découle, le don du récit (il est aussi saisissant dans la narration que dans la description) qui le place parmi les grands romanciers de notre temps. Et la force de l'image : après le « vicomte pourfendu » et le « chevalier inexistant », le « baron perché » fait désormais partie des figures qui comptent dans l'imaginaire de ceux qui ont eu la chance d'être touché par la grâce de l'italo Calvinien !
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Le Baron perché

Un formidable écrivain pour qui veut voyager dans l'irrationnel pour contempler depuis les fondaisons d'un arbre l'ineptie de ce monde.
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Le Baron perché

Je n'ai pas été transcendé par ce récit, il y a même des passages ou je me suis franchement ennuyé. Il y a tout de même des arguments pour stimuler le lecteur: c'est l'histoire d'un homme excentrique, une histoire d'amour, une histoire d'aventure, une philosophie, une peinture d' époque révolutionnaire... Oui, mais je n'ai pas accroché. Peut-être que le style ne me convient pas, peut-être aussi qu'il y avait trop d’invraisemblances pour rendre crédible à mes yeux cette histoire. J'ai cependant compris les métaphores, mais je pense qu'il faut le lire comme la description d'une suite d’événements imprévisibles.
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Le Baron perché

La lecture du Baron perché m'a été agréable.

L'histoire est légère et atypique : pour cause ! L'histoire est basée sur un personnage qui décide de façon inopinée qu'il mènera sa vie perchée sur des arbres. Ainsi donc, nous voyons Cosimo sauter dans un chêne au premier chapitre pour ne plus en redescendre. Nous suivrons désormais son évolution, le récit, sans jamais poser un pied à terre...

Enfin, cela sans compter la voix du narrateur, le frère de Cosimo, qui s'impose au contraire de son frère pour sa prudence et sa rationalité. C'est aussi une voix sensible, où transparaît l'admiration pour un frère et en même temps de la comparaison avec celui-ci, et percent certains regrets, déceptions sur ce qu'a été sa propre vie, au moment d'en faire le bilan...

J'ai beaucoup apprécié cette voix, qui était la seule à être capable de rendre à la vie du baron Cosimo di Rondo avec autant de justesse et de précision. Ce fût un vrai plaisir de l'entendre narrer cette histoire.
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