Citations de Jacques Derrida (259)
Tout se passe comme si je demandais aussi, en plus, à Searle : essayez donc d'interpréter ce texte-ci avec vos catégories - et je vous souhaite bien du plaisir, ainsi qu'au lecteur.
L'horizon du savoir absolu, c'est l'effacement de l'écriture dans le logos, la résumption de la trace dans la parousie...
Vous vous rappelez que j’avais essayé en commençant de justifier chacun des mots de ce titre. Chacun s’est révélé, et même le nom de Heidegger, comme métaphorique. Il y a un mot, vous vous souvenez peut-être, que je n’avais pas essayé de justifier et c’était celui de question.
ce regard dit “animal” me donne à voir la limite abyssale de l’ humain: l’inhumain ou l’anhumain, les fins de l’homme, à savoir le passage des frontières depuis lequel l’homme ose s’annoncer à lui-même
Notre question, c'est toujours l'identité.
Qu'est-ce que l'identité, ce concept dont la transparente identité à elle-même est toujours dogmatiquement présupposée par tant de débats sur le monoculturalisme ou sur le multiculturalisme, sur la nationalité, la citoyenneté, l'appartenance en général ? Et avant l'identité du sujet, qu'est-ce que l'ipséité ? Celle-ci ne se réduit pas à une capacité abstraite de dire « je », qu'elle aura toujours précédée. Elle signifie peut-être en premier lieu le pouvoir d'un « je peux », plus originaire que le « je », dans une chaîne où le « pse » de ipse ne se laisse plus dissocier du pouvoir, de la maîtrise ou de la souveraineté de l'hospes […].
Quelle est la nature de ce trait d'union ? Qu'est-ce qu'il veut ? Qu'est-ce qui est franco-maghrébin ? Qui est « franco-maghrébin » ?
Ce que je voudrais me rappeler moi-même, ce à quoi je voudrais me rappeler, ce sont les traits intraitables d'une impossibilité, et si impossible et si intraitable qu'elle n'est pas loin d'évoquer une interdiction. Il y aurait là une nécessité, mais la nécessité de ce qui se donne comme impossible-interdit […].
je risquerai d'abord, avant de commencer, deux propositions. Elles paraîtront, elles aussi, incompossibles. Non seulement contradictoires en elles-mêmes, cette fois, mais contradictoires entre elles. Elles prennent la forme d'une loi, chaque fois une loi. Le rapport d'antagonisme que ces deux lois entretiennent chaque fois entre elles, tu l'appelleras donc, si tu aimes ce mot que j'aime, antinomie. […]
Les voici :
1. On ne parle jamais qu’une seule langue.
2. On ne parle jamais une seule langue.
Pour démontrer, il faut d'abord comprendre ce qu'on veut démontrer, ce qu'on veut dire ou qu'on veut vouloir dire, ce que tu oses prétendre vouloir dire là où, depuis si longtemps, selon toi, il faudrait penser une pensée qui ne veut rien dire.
En disant que la seule langue que je parle n'est pas la mienne, je n'ai pas dit qu'elle me fût étrangère. Nuance.
Car c'est au bord du français, uniquement, ni en lui ni hors de lui, sur la ligne introuvable de sa côte que, depuis toujours, à demeure, je me demande si on peut aimer, jouir, prier, crever de douleur ou crever tout court dans une autre langue ou sans rien en dire à personne, sans parler même.
Les productions de masse qui inondent la presse et l'édition ne forment pas les lecteurs, elles supposent de façon fantasmatique et primaire un lecteur déjà programmé. Si bien qu'elles finissent par formater ce destinataire médiocre qu'elles ont d'avance postulé.
A mon âge, je suis prêt aux hypothèses les plus contradictoires à ce sujet : j'ai simultanément, je vous prie de me croire, le double sentiment que, d'un côté, pour le dire en souriant et immodestement, on n'a pas commencé à me lire, que s'il y a, certes, beaucoup de très bon lecteurs (quelques dizaines au monde, peut-être, et qui sont aussi des écrivains-penseurs, des poètes), au fond, c'est plus tard que tout cela a une chance d'apparaître; mais aussi bien que, d'un autre côté, simultanément donc, quinze jours ou un mois après ma mort, il ne restera plus rien.
En supprimant le mot et le concept de "mariage", cette équivoque ou cette hypocrisie religieuse et sacrale, qui n'a aucune place dans une constitution laïque, on les remplaceraient par une union civile contractuelle, une sorte de pacs généralisé, amélioré, raffiné, souple et ajusté entre des partenaires de sexe ou de nombre non imposé.
Rêve-t-on toujours dans son lit ? et la nuit ? Est-on responsable de ses rêves ? Peut-on en répondre ? Supposez que je rêve.
Et si c'était moi, au fond, lui ?
Comme si l'étranger, donc, pouvait sauver le maître et libérer le pouvoir de son hôte : c'est comme si le maître était, en tant que maître, prisonnier de son lieu et de son pouvoir, de son ipséité, de sa subjectivité (sa subjectivité est otage). C'est donc bien le maître, I'invitant, l'hôte invitant qui devient l'otage - qui l'aura toujours été en vérité. Et l'hôte, l'otage invité (guest), devient l'invitant de I'invitant, le maître de l'hôte (host). L'hôte devient I'hôte de I'hôte. L'hôte (guest) devient l'hôte (host) de l'hôte (host). Ces substitutions font de tous et de chacun l'otage de l'autre. Telles sont les lois de l'hospitalité.
Un désir sans horizon, car c'est là sa chance ou sa condition. Et une promesse qui ne s'attend plus à ce qu'elle attend : là où tendu vers ce qui se donne à venir, je sais enfin ne plus devoir discerner entre la promesse et la terreur.
Cela aurait ressemblé pour moi, il y a bien longtemps, avec d'autres mots, à un terrifiant jeu d'enfant, inoubliable là-bas, interminable, je l'ai laissé là-bas, je te le raconterai un jour. La voix vivante s'en est voilée, une voix toute jeune, mais elle n'est pas morte. Ce n'est pas un mal. Si un jour elle m'est rendue, j'ai le sentiment que je verrai alors, pour la première fois en réalité, comme après la mort un prisonnier de la caverne, la vérité de ce que j'ai vécu: elle-même au-delà de la mémoire, comme l'envers caché des ombres, des images, des images d'images, des phantasmes qui ont peuplé chaque instant de ma vie.
L'« écriture », oui, on désignerait ainsi, entre autres choses, un certain mode d'appropriation aimante et désespérée de la langue, et à travers elle d'une parole interdictrice autant qu'interdite […], et à travers elle de tout idiome interdit, la vengeance amoureuse et jalouse d'un nouveau dressage qui tente de restaurer la langue, et croit à la fois la réinventer, lui donner enfin une forme (d'abord la déformer, réformer, transformer), lui faisant ainsi payer le tribut de l'interdit ou, ce qui revient sans doute au même, s'acquittant auprès d'elle du prix de l'interdit. Cela donne lieu à d'étranges cérémonies, à des célébrations secrètes et inavouables. Donc à des opérations cryptées, à du mot sous scellé circulant dans la langue de tous.