Une des différences subtiles, parfois insaisissables entre l'étranger et l'autre absolu, c'est que ce dernier peut n'avoir pas de nom et de nom de famille ; l'hospitalité absolue ou inconditionnelle que je voudrais lui offrir suppose une rupture avec l'hospitalité au sens courant, avec l'hospitalité conditionnelle, avec le droit ou le pacte d'hospitalité. En disant cela, une fois de plus, nous prenons en compte une pervertibilité irréductible. La loi de I'hospitalité, la loi formelle qui gouverne le concept général d'hospitalité, apparaît comme une loi paradoxale, pervertissable ou pervertissante. Elle semble dicter que l'hospitalité absolue rompe avec la loi de l'hospitalité comme droit ou devoir, avec le pacte d'hospitalité. Pour le dire en d'autres termes, I'hospitalité absolue exige que j'ouvre mon chez-moi et que je donne non seulement à l'étranger (pourvu d'un nom de famille, d'un statut social d'étranger, etc.) mais à l'autre absolu, inconnu, anonyme, et que je lui donne lieu, que je le laisse venir, que je le laisse ariver, et avoir lieu dans le lieu que je lui offre, sans lui demander ni réciprocite (l'entrée dans un pacte) ni même son nom. La loi de l'hospitalité absolue commande de rompre avec I'hospitalité de droit, avec la loi ou la justice comme droit. L'hospitalité juste rompt avec hospitalité de droit ; non qu'elle la condamne ou s'y oppose, et elle peut au contraire la mettre et la tenir dans un mouvement incessant de progrès ; mais elle lui est aussi étrangement hétérogène que la justice est hétérogène au droit dont elle est pourtant si proche, et en vérité indissociable.
C'est pourquoi "la frontière, la limite, le seuil, le pas au-devant de ce seuil", reviennent si fréquemment dans le langage de Derrida, comme si l'impossibilité de délimiter un territoire stable où la pensée pourrait s'établir était provocatrice de la pensée même. "Pour offrir l'hospitalité, s'interroge-t-il, faut-il partir de l'existence assurée d'une demeure ou bien est-ce seulement à partir de la dislocation du sans-abri, du sans chez-soi que peut s'ouvrir l'authenticité de l'hospitalité ? Seul peut-être celui qụi endure l'expérience de la privation de la maison peut-il offrir l'hospitalité."
Comme si l'étranger, donc, pouvait sauver le maître et libérer le pouvoir de son hôte : c'est comme si le maître était, en tant que maître, prisonnier de son lieu et de son pouvoir, de son ipséité, de sa subjectivité (sa subjectivité est otage). C'est donc bien le maître, I'invitant, l'hôte invitant qui devient l'otage - qui l'aura toujours été en vérité. Et l'hôte, l'otage invité (guest), devient l'invitant de I'invitant, le maître de l'hôte (host). L'hôte devient I'hôte de I'hôte. L'hôte (guest) devient l'hôte (host) de l'hôte (host). Ces substitutions font de tous et de chacun l'otage de l'autre. Telles sont les lois de l'hospitalité.
Or la pensée est par essence une puissance de maîtrise. Elle n'a de cesse de ramener l'inconnu au connu, d'en morceler le mystère pour le faire sien.
« On écrit toujours avec une main coupée »
Selon Hélène Cixous, l'écriture ne renvoie pas à un statut ni à une profession, mais à un acte : aussi écrit-elle en collaboration avec les voix qui l'habitent et la traversent. Dans cette perspective on peut à bon droit reprendre la formule par laquelle elle titre une séance de son séminaire : « On écrit toujours avec une main coupée». Ces ouvrages nous confrontent en effet au mouvement même de la vie et de la mort, à la joute entre Eros et Thanatos, au commerce des vivants et des morts. Ils équivalent à bien des égards à « sentir, penser, écrire avec les fantômes ». D'autant qu'à travers eux se déploie un continuel et profond questionnement : qui parle, qui écrit quand « j »'écrit ? On comprend dès lors que, dans ces conditions, Hélène Cixous soutienne : « Transformer sa pensée en poème, parce que c'est cela écrire ».
Première table ronde :
- M. Marc Goldschmit, Directeur de programme au Collège international de philosophie : « Derrida, l'écriture, la littérature » ;
- Mme Marie-Claude Bergouignan, PR émérite, ancienne VP de l'université de Bordeaux IV: "Hélène Cixous et la cause des femmes" ;
- Mme Céline Largier-Vié, MCF Paris 3 : « 'Une présence incalculable' : l'Allemagne d'Hélène Cixous ».
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Note de musique : © mollat
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