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50 ans de littérature Québécoise Jacques Godbout Histoire du Québec
Stie, j'ai de la fièvre. Je vais aller me coucher. Je me sens tout en guenille, comme du linge sur la corde à sécher. Ce doit être d'écrire, c'est comme de trop lire, c'est mauvais pour les yeux, quand on n'a pas fini de digérer.
C'est toujours bon de vérifier si l'instruction que l'on a reçue peut être utilisable. Pour ma part, celle que j'ai subie ne valait même pas le déplacement à bicyclette. Je l'ai vérifié en cherchant du travail, en regardant autour de moi, en tentant d'être heureux.
Le bonheur c’est une mayonnaise : ça tourne sans qu’on sache pourquoi.

Ce n'est vraiment pas l'après midi pour essayer d'écrire un livre, je vous le jure, je veux dire : ce n'est pas facile de se concentrer avec la trâlée de clients qui, les uns après les autres, se pointent le nez au guichet. Aujourd'hui, ce sont surtout des Américains en vacances, ils viennent visiter la belle province, la différence, l'hospitalité spoken here, ils arrivent par l'Ontario : je dois être leur premier Québécois, leur premier native. Il y en a même - c'est touchant en sacrement ! - qui s'essayent à me parler français. Je les laisse se ridiculiser, je ne les encourage pas, je ne les décourage pas non plus. Je veux dire : que les Américains apprennent le français à l'école et qu'ils viennent tenter de le parler ici, au mois d'août, c'est leur plus strict droit. C'est toujours bon de vérifier si l'instruction que l'on a reçue peut être utilisable. Pour ma part, celle que j'ai subie ne valait même pas le déplacement à bicyclette. Je l'ai vérifié en cherchant du travail, en regardant autour de moi, en tentant d'être heureux.
J'envisage un projet d'envergure nationale, non mais c'est vrai ! nous devons, nous, Canadiens français, reconquérir notre pays par l'économie ; c'est René Lévesque qui l'a dit. Alors, pourquoi pas par le commerce des hot dogs ? Business is business. Il n'y a pas de sot métier, il n'y a que de sots clients. Je ne suis pas séparatiste, mais si je pouvais leur rentrer dans le corps aux Anglais, avec mes saucisses, ça me soulagerait d'autant.
Un homme doit faire ce qu'il pense ; s'il croit qu'il a raison, il ne peut pas passer sa vie à écouter son oncle, sa femme, ses amis, le journal ou même la télévision. Moi, quand on insiste pour me donner un conseil, j'écoute et puis après j'en donne un moi-même. ça fait que je suis quitte : pas de dettes, pas de listen-now-pray-later, c'est trop facile s'appuyer sur les autres, un jour on se retrouve devant un champ de béquilles.
Jacques habite au douzième étage d'une maison appartement qui domine la ville depuis la montagne. C'est très chic, l'entrée, pleine de fougères géantes, qui mène à l'ascenseur. Une maison de scripteurs, de commentateurs, de call-girls, tous des gens de spectacle. Ils soignent leur façade; un portier en livrée veut que je passe par derrière où se trouve l'entrée des marchandises et des livreurs. Avec mon costume de toile blanche, je n'ai pas l'allure d'un visiteur, ni la gueule du frère d'un locataire. Je n'ai aucune envie de discuter, je le fait trébucher, il ne saura jamais d'où me vient cette colère. Je monte. Les portes de l'ascenseur sont silencieuses comme des religieuses au cloître. Le corridor est à peine éclairé, je sonne, ça s'agite là-dedans.
C'est trop facile de s'appuyer sur les autres, un jour on se retrouve dans un champ de béquilles.
C'est papa qui disait ça en se levant le matin. Il disait: notre père à tous c'est le soleil, il s'appelle Galarneau lui aussi, comme nous. Il nous regarde de là-haut, mais il est de la famille.
Nous avons épuisé tout sujet depuis si longtemps. Nous nous sommes tout dit; d'abord parce qu'il est des mots que nous avons bannis de toute conversation : dignité, justice, liberté — comme s'il s'agissait de fruits exotiques qui n'ont pas leur place dans un plateau de ce salon.