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Citations de Jacques Réda (161)


Gentilly

L'espace de nouveau pris d'une défaillance
Titube au carrefour dit des Quatre-chemins
Et se brise en éclats de verre et de faïence
Contre un mur où j'avance à l'ombre des moulins
(...)
Et je rôde ce soir à l'orée indécise
Où se rencontrent l'univers et son rébus
Lequel méduse l'autre, et lequel s'exorcise
Tandis que je vais d'abribus en abribus
(...)
Tours qui tiennent au nord en étrange équilibre
Avec les bois massés au delà de Cachan :
Rien ne me distrait plus du sort de cette eau libre
Qu'on a salie et qui sanglote en se cachant.
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Mars à Meudon

Cette lumière, d'une main distraite, m'escamote
Après chaque virage et puis me restitue, au gré
D'un ciel fou qui rumine et va, comme de motte en motte,
Par les coteaux que sans les voir contemple un immigré
Soliloquant au bord de l'eau comme une balustrade.
Le passage étroit se faufile entre un bout d'autostrade
Et ce bras dormant aux chalands en bois peinturluré
Qui pourrissent sous des jardins qu'étouffe la lésine
Anxieuse des pauvres, sûrs qu'un jour tout peut servir.
Et tout a la couleur des jours ouvrables où l'usine
Déverse un bouillon jaune où doit surnager l'elzevir
De KUB dont les gros traits semblent, comme un échafaudage,
Tenir debout l'hôtel qui prend des airs de brigandage,
Avec un seul oeil à l'affût dans l'ombre du viaduc.
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Dans la vie de quelques grands artistes, et dans celle des plus grands, on croit déceler l’action d’une fatalité draconienne : ils n’ont pas pu faire autrement. Ou bien ils l’imaginent mais ça revient au même : il y a eu quelque part promulgation d’une règle qui ne vaut que pour eux, dont ils sont le seul ressort et l’unique autorité de justice. Or en plus de sa contradiction organique avec la Loi, cette règle sans autre caution que la violence de son arbitraire engendre du trouble et des combats. D’autres cependant donnent l’impression d’avoir eu le loisir de débattre, et puis de peser leur choix, qui va d’ailleurs les engager autant sinon même davantage, puisqu’on les voit s’y tenir ainsi parfois plus de cinquante ans, sans trace de soubresaut ni d’entêtement dans une routine. Plutôt par une sorte d’inflexible et tendre courtoisie envers leur décision. Il en reste néanmoins comme un effet de distance dû à cette première latitude : l’ombre de l’idée qu’on pourrait encore et toujours se résoudre à « faire autrement », mais au prix d’une trahison bien sûr énergiquement refusée. C’est là une vue à la fois réaliste et chevaleresque de l’art, s’opposant aux décrets du sort et à la surenchère lyrique. On ne s’étonne pas alors du goût de Freeman pour la littérature et les auteurs français, qui apporte quelques adoucissements aux rigueurs de son anglomanie ; on l’imagine assis dans le bus à côté de Fargue, ou de Ponge, ou de Larbaud, donc, en 1928, lors de son premier passage à Paris. Et l’on découvre d’autres sens au titre de son livre autobiographique : You don’t look like a musician.
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De quelque façon qu’on l’analyse (la sociologie, la politique et même l’économie ont dit ici leur mot), il semble que le jazz ait toujours voulu être plus ou autre chose que lui-même. En témoignent sa rapidité à exploiter le possible de ses ressources particulières, son besoin impatient d’en repousser les limites et de les abolir. Peut-être faut-il y voir encore le résultat d’une intensification générale des rapports propre au monde moderne, et telle, qu’ayant pu par une convergence d’appoints hétéroclites vite brassés, vite assimilés, déterminer la naissance de cette musique, elle aura de même, par sursaturation de ses capacités d’absorber, compromis son équilibre, entraîné sa dislocation. Ainsi le jazz s’exposait-il à succomber à la violence, en même temps réaction de défense et symptôme d’un épuisement. On pourrait ironiser sur le regain d’attrait qu’il exerce, n’existant pour ainsi dire plus qu’à l’état d’écho ou réitération de ses fastes anciens, si l’essentiel de ce qu’a dégagé son histoire – le swing – n’assurait sa capacité de rester présent, tant par le corpus achevé mais préservé de ses œuvres, que par celles qui maintenant se situent comme rétroactivement dans leur mouvance, là où le swing déjà transcendait les catégories du temporel ; et si la fin des arts affectait ce qu’elles ont à jamais concentré de signification humaine.

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[À propos de Benny Carter] Bien que d’autres l’aient précédée, je mentionnerai, comme symbole des étapes franchies dans cette conquête de l’espace, un New street swing gravé le 24 mars 1937 en Hollande avec l’orchestre local des Ramblers. Les pièces enregistrées à Paris, en avril et en août de la même année (publiées sous son nom ou celui de Coleman Hawkins) permettent d’apprécier les véritables dimensions de la patinoire. Rien n’empêche d’imaginer qu’elles aient pu rendre rêveur Einstein. La théorie de la relativité s’y trouve musicalement confirmée, améliorée peut-être : l’espace-temps n’y dépend plus de ses dimensions ni du rôle de la vitesse, et le rythme y joue à sa manière celui de la gravité. L’art de Carter se trouve donc en corrélation très étroite avec la question du swing, qui n’est de nature métaphysique que dans la mesure où la physique s’interdit par déontologie de la poser.
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Sidney Bechet a joué avec le feu. Aussi est-il devenu comme un symbole pour ceux qui, dans le jazz, ont perçu l’effet d’un principe diabolique. On raconte que même Hugues Panassié, d’ailleurs expert en exorcismes (et qui de toute évidence l’admirait), s’était toujours défié de Bechet dont les deux chalumeaux – le saxophone-soprano et la clarinette – sont du dangereux type oxhydrique. A ce « mélange d’hydrogène et d’oxygène dont la combustion dégage une chaleur considérable », de fait il n’ajoute pas qu’une dose de phosphore qui le rend tout à fait incendiaire et déflagrant : on y détecte aussi des traces importantes de soufre. L’éclat fantastique de sa flamme n’arrive pas à cacher on ne sait quelle ténébreuse chimie de son aliment.
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La masse d’eau disponible sur terre
N’a pas changé depuis la nuit des temps.
Ombre et liquide ont plus d’un caractère
Commun […].
[…]
Elle a baigné Ninive et Babylone,
Du Parthénon lustré chaque colonne,
Rythmé la vie aux rivages du Nil,
Nourri le grain lumineux des Aztèques,
Ouvert la route à Moïse en exil
Et consommé dans les bibliothèques
L’œuvre du feu.
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[Sur le gris]

Et j’attendais. J’attends toujours, mais moins. L’attente
N’est plus cette grisaille où je m’étais dissous :
A force d’y flotter j’ai glissé par-dessous
Son épaisseur inconsistante.

Et j’ai vu reparaître, adoucis, les rayons
Dont la joie et l’éclat trop violents meurtrissent,
Comme si mon regard était la cicatrice
D’une blessure. (Nous payons

Peut-être de la sorte un ancien spectacle
Auquel il eût fallu ne jamais assister,
Mais le gris apaisant comme l’eau du Léthé
Nous permet de boire l’obstacle.)
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[Sur le gris]

La poésie en somme est bien barométrique :
Un soleil rayonnant rend le poète heureux ;
Mais que le ciel devienne obscur ou sulfureux,
Et son cœur fluctuant s’étrique.
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[Aux animaux]

Qui n’a pas entendu la manière dont couine
La nuit, saisi par un hibou,
Un loir ; qui n’a pas vu le sang qui gicle et bout
Sous la mâchoire de la fouine ?

Qui n’a pas trouvé beau l’éclair du léopard
Sur la gazelle qu’il jugule ?
Quoi de plus gracieux que cette libellule
Dansant, tuant ? – Chacun sa part.

Mais qu’en est-il de nous, ô bêtes fraternelles,
Et des monstres que nous logeons
Dans les soubassements des aveugles donjons
Que sont nos âmes criminelles ?
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[Aux animaux]

O bêtes, écoutez : je vous aime comme on
Peut aimer l’ordre et l’innocence.
[…]
Transparentes plutôt pour vous-mêmes, je crois
Voir quelque chose de céleste
Dans l’ombre de vos yeux, les bonds qui vous délestent
Des doutes ou des désarrois.

Auprès de vous je sens notre vie anormale,
Faussement terrestre, tandis
Que s’il reste ici-bas trace d’un paradis,
C’est grâce à la vie animale.
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[Aux robots]

Nous avons déjà lu de ces contes bizarres
Qui nous dépeignent en nabots
Assujettis aux lois, aux coutumes barbares
D’un monde où règnent des robots :

Sans amour mais sans haine ils prennent leur revanche
Et les hommes, ces apprentis
Sorciers dont le savoir soudain achoppe et flanche,
Les subissent en repentis.
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[Sur les supermarchés]

Vers le milieu du chemin de la vie
Où j’ai marché trop longtemps à rebours
A cause d’une ardeur inassouvie,
Comme j’allais par de tristes faubourgs,
Une ombre que j’avais suivie
Me conduisit auprès d’un temple bas
Mais éclairé d’une vive lumière.
« Entre, dit l’ombre, ici tous les combats
Qui déchiraient ton âme prisonnière
S’apaiseront : à chacun de tes pas,
Une grâce particulière
Va se répandre en palpables trésors. »
[…]
Un brasier froid de verre et de métaux,
Une profusion d’objets –cisailles,
Pelles, chaudrons, fourches, pinces, couteaux
Et cent outils faits pour les représailles
Sans fin que les enfers réservent aux
Damnés. Pourtant des victuailles
Plus loin s’amoncelaient, vrai paradis
Terrestre : tout ce dont par la nature,
De l’ananas au plus humble radis,
Dieu voulut réjouir sa créature.
Et je m’ébahissais, figé, tandis
Que des humains, à l’aventure,
Se promenaient presque en indifférents
Parmi cette opulente marchandise.
Mais on voyait dans leurs yeux dévorants
Se propager un feu de convoitise.
[…]
Depuis ce jour, souvent en spectateur,
Ou pour me procurer quelque ustensile,
Je suis allée sans accompagnateur
Elire un moment domicile
Dans un de ces endroits religieux
Où, de son cœur toute angoisse bannie,
Le visiteur, sous les contagieux
Elans qu’engendre une cérémonie,
Se sent bientôt devenir spongieux,
Succombe, adore et communie.
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Il arrive parfois qu’à la correspondance
Entre deux lignes de métro
L’on suive un long couloir dans une foule dense
Où la grâce mêle son trot
Au galop essoufflé d’un vieux retardataire
Bousculant tout sur son chemin.
On tourne, on monte, on tourne, on descend, sous la terre,
Emporté par un flot humain
Qui se scinde, tarit, mais tout à coup s’augmente
D’un imprévisible affluent,
Et se rue à nouveau dans la clarté dormante
Qui rêve là, contribuant
A faire s’élever la fièvre pandémique
Dont on est soi-même agité
Entre l’éclat glacé des murs de céramique
Et des pans de publicité
Qui répètent à l’infini la même image
De crépuscule à Tahiti
Ou d’énormes rabais sur un petit fromage.
[…] Les exaltants
Démarrages, les bonds, la hâte, l’exercice,
C’est l’espace et ma vie, en plus, qu’ils raccourcissent.
Or, pourvu que ce soit au rythme de mon pas,
J’accepte de marcher vers le quai du trépas […].
[…]
L’attention est quelquefois rétribuée
Par l’éclair d‘un regard aussitôt disparu.
Alors il nous paraît égal d’avoir couru,
Flâné : cette lueur soudain nous régénère
Et, tandis que le temps file sous notre poids,
La beauté d’une autre existence imaginaire
Nous traverse comme un rayon dans un sous-bois.
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Buvons. C’est un commandement
D’observance facile et de propos honnête
Puisque les vieux nous l’ont par l’exemple transmis.
Versons donc sur la terre une goutte dorée
Pour que leur ombre en soit un peu désaltérée
Et, pliant à nos vœux ceux de la sombre orée,
Te garde pour longtemps encore à tes amis.
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[Aux banlieues]

Votre artifice fut pour moi le naturel,
Et vos combinaisons, où l’ordre dégénère,
Une contrée enfin tout à l’imaginaire
Vouée. Et j’ai longtemps erré, comme en dormant,
De surprise morose en fade enchantement […].
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Ainsi le rampement sournois des mégapoles,
Qui promet à chacun le libre anonymat,
Nous fait-il regretter la faune et le climat
Des chefs-lieux que l’enfance embellit : fariboles,

Si l’on songe aux rideaux soulevés, aux cancans,
Haines, secrets honteux, cafards et jalousies,
Convoitises tressant dans les âmes moisies
La corde qu’on emporte aux greniers suffocants.
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APARTÉ


Mais le ciel, qui voudra l'ouvrir à l'ombre que je fus ;
Et l'innocence de l'oubli, qui vous la donnera, mémoire,
Songes que la douceur n'a pu désaltérer, et toi
Sanglant désir rôdeur sous ce crâne d'ours ?


p.116
Extraits Récitatif (1970), Gallimard, 1988.
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Alors il chuchote : C'est vous ?
C'est moi.
Et nous échangeons ces pronoms comme des passeports volés à l'ambassade, avec les vrais tampons et le bleu brumeux de l'avenir dans chaque page, intact.
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Recitatif I

Ecoutez-moi. N'ayez pas peur. Je dois
vous parler à travers quelque chose qui n'a pas de nom
dans la langue que j'ai connue,
sinon justement "quelque chose", sans étendue, sans profondeur, et qui ne fait jamais obstacle (mais tout s'est affaibli)
Ecoutez-moi. N'ayez pas peur. Essayez, si je crie,
de comprendre : celui qui parle
entend sa voix dans sa tête fermée;
or comment je pourrais,
moi qu'on vient de jeter dans l'ouverture et qui suis décousu?
Il reste, vous voyez, encore la possibilité d'un peu de comique, mais vraiment peu :
je voudrais que vous m'écoutiez - sans savoir si je parle. Aucune certitude. Aucun contrôle. Il me semble que j'articule avec une véhémence grotesque et sans doute inutile - et bientôt la fatigue.
ou ce qu'il faut nommer ainsi pour que vous compreniez
Mais si je parle (admettons que je parle),
m'entendez-vous; et si vous m'entendez,
si cette voix déracinée entre chez vous avec un souffle sous la porte,
n'allez-vous pas être effrayée ?
C'est pourquoi je vous dis : n'ayez pas peur, écoutez-moi,
puisque déjà ce n'est presque plus moi qui parle, qui vous appelle
du fond d'une exténuation dont vous n'avez aucune idée;
et n'ayant pour vous que ces mots qui sont ma dernière
enveloppe en train de se dissoudre.
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