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Critiques de James Agee (28)
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Louons maintenant les grands hommes

" Il en est,  parmi eux, qui ont laissé un nom après eux, afin que soient rapportées leurs louanges.

  Et il y en a, dont le souvenir ne s'est pas perpétué, qui périrent comme s'ils n'avaient jamais été; et sont devenus comme s'ils n'étaient jamais nés; et leurs enfants après eux. "



C'est de  ceux-ci que parle Louons maintenant les grands hommes. 



 Pour parler de ces petits blancs, de ces misérables fermiers à bail de l'Alabama, qui tentent de survivre et de faire vivre leurs enfants dans les champs de coton du Deep South, aux heures sombres de la Grande Dépression, James Agee a choisi un comparse, une méthode,  et une écriture.



Le comparse , c'est Walker Evans, photographe,  auteur des 31 photos de la première édition  de 1941,  puis des 62 photos de l'édition de 1960, sans légende ni commentaire, mises en avant  du texte, avant même le titrage du livre où les deux noms,  celui du photographe et celui de l'écrivain, apparaissent côte à côte,  sur la même ligne, comme s'ils avaient le même statut.



La méthode est, pour Agee, celle de l'immersion.



Les dernières pages du livre racontent cette approche: d'abord  les photos prises à l'arrache, un dimanche, dans une sorte d'effroi et de rapt qui se perçoit dans les regards traqués, les postures rigides, la toilette hâtive des visages. Puis,  après un repérage et la médiation d'un fermier moins farouche ou plus bavard,   la visite de James chez George  Gudger, qui lui avait paru le plus direct, le plus éprouvé et le plus intelligent, lors des premiers contacts . Mais James , au retour, laisse son guide, et rebrousse chemin. Il revient seul chez les Gudger, sous un orage cataclysmique. La voiture s'enlise.  La route est  impraticable. La nuit est tombée.  Il frappe à la porte. La famille se relève, sert à James Agee un souper lourd et roboratif, libère pour lui  le lit des enfants , offre l'hospitalité.   Il va dès lors entrer dans leur monde, partager,  pour quelques mois, leur vie, leur nourriture,  le rythme de leurs journées et les punaises de leurs nuits.



L'écriture va naître de cette expérience.



Elle est le fruit d'une rencontre et d'une indignation, elle se nourrit de ce qu'elle voit, de ce qu'elle enregistre, de ce qu'elle comprend, de ce qu'elle ressent. Elle se voue à la mission de dire la réalité sans pour autant choisir la distance objective du journaliste de terrain pour la dire.



Car la colère passe: contre le lecteur, contre les propriétaires, contre les éditeurs, les gens de lettres, les universitaires....et contre le magazine libéral et capitaliste , Fortune(!!) , qui paye Agee et Evans -mais qui  refusera cette "enquête "hors normes, qui a pris les dimensions d'une épopée,  le ton d'un pamphlet, la profondeur d'un essai, le lyrisme d'un poème et l'architecture d'une tragédie antique. Agee crée une écriture, trouve une voix.



 Comme le souligne Bruce Jackson, dans la postface,  à  propos de tous les auteurs choisis dans la magnifique collection Terre humaine, "il s'agit de faire entendre une voix".



Mais aucun narcissisme, aucun exhibitionnisme, aucun ego dans cette voix si personnelle de James Agee. Il est habité par son sujet, ordonne son délire,  discipline sa colère pour faire entendre le son si particulier d'une misère " idéale " comme le paletot de Rimbaud dans Ma bohème. Et il devient le frère de Faulkner, de Conrad, de Céline,  de Blake, ces "agitateurs bénévoles" dont il revendique le patronage dès les premières pages du livre.



Vous l'avez compris : quel livre! Quel sacré livre! Un des livres majeurs et pourtant très peu lu de la littérature américaine contemporaine.



Je ne vous cache pas que j'ai mis un certain temps  à le lire.

Il m'a fallu faire des pauses.



Non pas à cause de cette espèce d'acharnement à tout dire par le menu pour faire exister l'innommé, l'insigne, l'insignifiant - tout ce qui fait le bric-à-brac tragique et dérisoire de la misère. L'énumération ne me fait pas peur: elle fait entrer into the cut, au contraire.



Ni non plus pour digérer l'insulte, l'invective, l'agression dont Agee use et abuse -qui n'eprouverait colère et rage devant tant de travail, tant de misère et tant d'exploitation? -



Mais plutôt pour arriver quelquefois à  "entendre " la pensée littéraire, humaniste, politique qui innerve profondément le livre et le structure.



Pour ne pas laisser passer une phrase immense, étrangement ponctuée,  pleine de bruit et de fureur,  sans en avoir extrait le sens, goûté le suc, deviné le  fin mot.



Comme si le lecteur se devait de se hisser au-delà de toute facilité de lecture, de toute compassion humiliante, de toute simplification narrative.



Louons maintenant les grands hommes est un livre qui demande qu'on fasse l'effort de venir à  lui. Mais c'est un livre qui vous transforme: un livre qui aiguise le regard, qui affûte la soif de justice, qui ouvre grandes les portes de la communauté humaine et fait découvrir la spiritualité des gestes et des traces là où la parole peine à se faire entendre.

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Louons maintenant les grands hommes

James Agee: son nom reste encore méconnu parmi les grands noms de la littérature américaine du 20e siècle pourtant il est auteur un classique de la littérature américaine Louons maintenant les grands hommes.



Ce cri de colère devant la pauvreté des fermiers du sud de l'Amérique profonde pendant la Grande Dépression, illustré par les célèbres photos de Walker Evans, un photographe avec qui sa collaboration sera particulièrement fructueuse, est sans conteste un livre important dans l'histoire de la littérature mondiale.



Ce grand livre sera un témoignage précieux sur la condition des classes populaires des USA des années 50 à ranger avec les oeuvres de Dorothée Lange.ou de John Steibneck.
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Louons maintenant les grands hommes

Jamais je n’aurais pensé qu’un tel livre existe ! Juin 2019 : numéro 1 du top 100 des meilleurs romans du journal Le monde selon ses journalistes. Ici aussi, il s’agit d’un journaliste et d’un photographe qui vont partager la vie de trois familles de fermiers de l’Alabama dans les années 1930. Descriptions au peigne fin de l’habitat, des vêtements, de l’alimentation, de l’éducation, du travail dans les champs de coton que traversent des chemins de glaise, de l’école qui passe après les labeurs de la ferme. La pauvreté se voit bien aussi dans la soixantaine de photos fascinantes de par son réalisme et sa beauté. Et surtout une construction dont je ne trouve pas les mots. Un entracte qui coupe l’essai où il y est question de ´Quelques questions qui se posent aujourd’hui aux écrivains américains’ où l’auteur avait répondu et qu’ils ont refusé de publier. Dans la troisième partie, où il y parle de leurs premières rencontres, contient une grande force de sensibilité face aux familles et à la nature, pour moi inégalée. Un index où les mots renvoient à chaque page. Lecture pas facile qu’il aurait été dommage que je passe à côté pour son côté atypique et la liberté que se donne James Agee dans une prose faite d’intelligence, de colère et d’émotions face à une constatation sociale.
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Une saison de coton : Trois familles de métay..

1936. James Agee part faire un reportage sur les conditions de travail des fermiers blancs et pauvres du sud profond. Un reportage que le magazine Fortune refusera au final de publier. Trop virulent, trop bouleversant. Et, sur, le fond une charge anticapitaliste toujours d’actualité.



Agee s’intéresse à trois familles : les Tingle, les Fields et les Burroughs. Les premiers sont les plus en difficulté. « Les Tingle ne sont plus capables d’envisager l’existence une saison à la fois, ni même un jour à la fois : désorganisés, engourdis, animés en de brefs sursauts, ils flottent dans leur vie comme on dérive sur l’eau, une heure après l’autre. La pauvreté est la cause de leur indifférence ; leur indifférence les enfonce plus profond encore dans la pauvreté ». Les Fields et les Burroughs, tout aussi pauvres, conservent néanmoins « une emprise sur la vie » qu’ils s’échinent tant bien que mal à entretenir.



Après avoir montré comment les propriétaires terriens maintiennent les métayers sous leur coupe et les exploitent sans vergogne, Agee décrit chaque aspect du quotidien de ces familles : l’habitat fait de maisons de bois aux toits perméables et aux murs n’offrant aucune protection contre les frimas hivernaux et les canicules estivales (« pour pousser à terre ces baraquements, il suffirait d’un seul homme décidé ») ; la nourriture, constituée essentiellement de fruits et légumes secs accompagnés de pain de maïs (la viande étant très rarement au menu) ; les vêtements (salopettes, chemises et robes en coton, chapeaux de paille, habits du dimanche, chaussures aussi rares que déglinguées, le tout tâché par la sueur, la graisse, la boue et lavé très occasionnellement) ; la culture du coton, harassante, dépendante des aléas du climat et des attaques de chenilles où la cueillette est un acte simple et terrible qui brise les corps et met à mal l’endurance (un homme cueille en moyenne 115 kilos par jour) ; l’éducation (sur 150 jours d’école, les enfants en manquent généralement la moitié pour aider leurs parents dans les champs ou pour cause de maladie et n’iront de toute façon pas au-delà du CM2) ; les loisirs et les relations sociales, quasi inexistants ; la santé, forcément précaire (les Tingle, par exemple, ont perdu sept enfants)…



Agee pose un regard plein de compassion sur ces pauvres hères broyés par la vie. Sans empathie particulière, il rend dignité et humanité à ces familles ravagées par la misère. Il en profite également pour dénoncer radicalement l’économie ultralibérale d’une Amérique qui, loin du clinquant d’Hollywood et de la modernité des grandes métropoles, laisse une partie de sa population ravalée au rang de bêtes de somme. Édifiant.

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Une saison de coton : Trois familles de métay..

Ce texte est la première version d'un texte devenu mythique : "Louons maintenant les grands hommes."



Ce reportage avait été commandé par le magazine Fortune. Il était demandé à James Agee de rapporter les conditions de travail des métayers du coton dans le sud des États-Unis en pleine dépression économique en 1936. Les métayers représentent près de huit millions de personnes. Agee se fit accompagner par son ami photographe Walker Evans dont on retrouve les photos tout au long du livre. Le résultat est une violente charge contre la pauvreté et le système économique. Le reportage fut refusé par le magazine et l'auteur le rangea dans ses cartons. Plusieurs années après, il retravailla le texte pour aboutir au livre "Louons maintenant les grands hommes", qui sera publié en France dans la remarquable collection "Terre Humaine" chez Plon.



Cette version originale n'a été découverte que récemment après la mort de l'auteur. Elle se distingue par son style sobre et des descriptions parfois cliniques de ce que l'auteur a vu. Le récit est d'une grande force et l'on ne peut qu'être triste face à cette misère humaine. On constate aussi que si beaucoup de choses se sont améliorées pour un grand nombre de gens, le système actuel n'a pas vraiment évolué. Ce livre raisonne d'autant plus aujourd'hui que la "crise" que nous traversons a beaucoup de points communs avec celle des années 30.
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Louons maintenant les grands hommes

J'hésite un peu à commenter un livre, dont je n'ai lu qu'une centaine de pages, mais ce que j'ai lu m'a enthousiasmé par l'humanité qui s'en dégage, et je comprends la recommandation de lecture de Depardon qui m'a incité à le lire. Je ne l'ai pas lu en entier parce que la description minutieuse que fait Agee de ces paysans pauvres de l’Alabama des années 30, bien que constituant un témoignage sociologique très intéressant, s'avère très fastidieuse à lire, justement du fait de ce caractère très minutieux et de cette volonté de tout décrire dans les moindres détails. Les photos de Walker Evans qui accompagnent le récit sont de la même veine humaniste. Je l'avais emprunté à la médiathèque et l'achèterai sans doute pour pouvoir y revenir en plusieurs fois.
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Une mort dans la famille

Dans ma liste "Les grands prix littéraires l'année de ma naissance"



Prix Pultizer (à titre posthume)



Un livre magnifique, un livre exigeant. Voilà. Le décor est planté. J'ai de nombreuses fois eu l'envie de m'échapper vers des lectures plus faciles, mais je suis allée jusqu'au bout et je ne le regrette pas.

Rufus (l'avatar enfant de l'auteur) a 6 ans et son père meurt tragiquement dans un accident de voiture. Quarante ans plus tard, James Agee revient sur cet évènement terrible et en fait un récit dense, ciselé, profondément psychologique, mais plein de poésie et d'une force incroyable.



Le livre se découpe en trois parties : avant la mort, la nuit de l'accident, les jours qui suivent cette nuit et l'enterrement du père. Mais il s'agit de la seule linéarité du livre. L'auteur examine certains moments, mais pas tous, à la façon d'un entomologiste qui dissèque un insecte. Certaines de ces scènes sont impressionnantes : l'introspection d'oncle Ralph ou la scène des enfants dans l’escalier qui écoutent les voix des adultes, sans en saisir un seul mot, mais qui distinguent toutes les intonations et en font une histoire.



James Agee/Rufus (c'est un récit autobiographique) sont deux êtres d'une sensibilité extrême et d'une grande intelligence. Sans doute profondément marqué par un évènement dont il ne comprenait pas tout (la conscience de la mort n'est pas affirmée chez un enfant de 6 ans), l'auteur est revenu imprimer ce récit d'adulte pour fixer définitivement sa mémoire d'enfant et lui donner sens et réalité.

Les 100 dernières pages sont sublimes et valent le coup de s'accrocher.

Un auteur, mort bien trop jeune, à redécouvrir.

Un grand écrivain.
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Brooklyn existe : Sud-est de l'île : carnet d..

Texte fluide et musical syncopé écrit en 1939. Un carnet de route qui est de la poésie rapide. le rythme de la beat generation avant l'heure. L'incipit de James Agee décrit le regard fade des gens qui prennent des stupéfiants. Leur "torpeur hébétée". Comme ces soldats en stress post-traumatique qui peuplent les jardins des hôpitaux anglais. Cela rappelle l'angry fix d'Allen Ginsberg. Comme une gigantesque fresque, on suit par détails, l'élan de Brooklyn, les Chevrolets et les façades. Les jeux d'enfants et le graffitis de Williamsburg "Dominik dit qu'il va baiser Fanny" ou " La dame de cette maison est cinglée". Dans le flux des mouvements de la ville, quelques pauses : une scène au cinéma où des adolescents dragueurs se taisent devant la naissance d'un poulain ; un arrêt au zoo, où après les humains et les rues, James Agee décrit dans un traitement égal, les animaux. Certains mieux adaptés que d'autres. "L'ours pleure encore : c'est le cri d'un bébé oublié dans le grenier d'une maison abandonnée".

Agee saisit l'essence d'un Brooklyn qui n'est déjà plus, celui d'un temps donné, déjà révolu. Même si je suis persuadée qu'en restant dans ce parc verdoyant, près des animaux en cage et des humains dans leurs foyers trop petits, s'élève toujours cette "lamentation sauvage, inépuisable, qui vous glace le fond du coeur".
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Une saison de coton : Trois familles de métay..

Il faut que je vous parle d'Une saison de coton. Il faut que vous sachiez que ce livre existe, et il faut que vous le lisiez. Je l'ai découvert il y a deux semaines grâce à un article de Dominique Conil dans Mediapart, et je me le suis procuré dès que j'en ai eu l'occasion à la Librairie Greenwich de Rennes que j'affectionne pour la qualité de son fonds et de ses conseils. Cette lecture a été une vraie claque, il n'y a pas d'autres mots.



Il s'agit de la première édition d'Une saison de coton : trois familles de métayers de James Agee, illustré par les photographies de Walker Evans, depuis sa rédaction en 1936. Reportage de commande pour le magazine Fortune, ce court texte est à l'origine du fameux Louons maintenant les grands hommes des mêmes auteur et photographe, livre culte sur les 8 millions de métayers de la Cotton Belt américaine, paru en France chez Terre Humaine et dont j'avoue avoir ignoré jusqu'ici l'existence. Refusé par Fortune, le manuscrit de l'article d'origine n'est réapparu qu'en 2013, sous cette forme brute, dense, et terriblement belle traduite l'automne dernier par les éditions Christian Bourgois.



Une vision du journalisme et de la société



« (…) si la vie d'un métayer est aussi terrible que la description qui a pu en être faite – et elle est pire –, la violence révélera son visage maléfique de manière moins frappante, essentielle et complète dans les épreuves de ceux qui sont les plus maltraités que dans ce goutte-à-goutte régulier de détails quotidiens qui oblitère les vies mêmes de ceux qui sont relativement “bien” traités ».



De son séjour de quelques semaines en Alabama chez trois familles de métayers du coton, James Agee nous livre autant un récit saisissant du quotidien de ces familles dont la pauvreté est extrême qu'une vision du journalisme, presque une profession de foi, en affirmant son refus de donner dans le scandale ou le voyeurisme, en ne relatant pas son expérience intime parmi ces hommes et ces femmes pour au contraire laisser une place grandiose aux faits. Sa description simple, quasi photographique de l'univers des familles Field, Burrough et Tingle parle d'elle-même, s'épargne de longs discours engagés ou dénonciateurs, laissant l'accumulation impitoyables des détails s'exprimer sans faire de concession au pathos.

Cette peinture méthodique, minutieuse des conditions de vie des métayers blancs, par son objectivité et son réalisme cru, suscite chez le lecteur l'indignation qui sous-tend de façon si consciente l'écriture, et qui est sous-jacente dans le regard porté par le journaliste. Loin d'être un observateur neutre, Agee laisse transparaître sa révolte et sa colère par l'orchestration éminemment rationnelle de sa description, traitant de façon systématique tous les besoins vitaux de ceux dont il parle (l'abri, la nourriture, les vêtements, l'éducation, les loisirs, etc.), et par la puissance de son écriture poétique.



« Une civilisation qui pour quelque raison que ce soit porte préjudice à une vie humaine, ou une civilisation qui ne peut exister qu'en portant préjudice à la vie humaine, ne mérite ni ce nom ni de perdurer. Et un être dont la vie se nourrit du préjudice imposé aux autres, et qui préfère que cela continue ainsi, n'est humain que par définition, ayant beaucoup plus en commun avec la punaise de lit, le ver solitaire, le cancer et les charognards des mers. »



L'on pense évidemment à Jack London et au Peuple d'en bas, sa plongée une trentaine d'années plus tôt au coeur de l'East End londonien qu'il surnommera l'Abîme. Il y a bien sûr loin entre London et Agee, ce premier étant plus proche du journalisme gonzo que de la distance sensible prise dans Une saison de coton. Pourtant, face à ce que Agee dénonce comme un « terrorisme » indirect des propriétaires et une société qui est un « mélange vertigineux de féodalisme et de capitalisme tardif », on retrouve chez l'un comme chez l'autre la même amertume, la même rancoeur envers la civilisation. « La civilisation a centuplé le pouvoir de production de l'humanité et, par suite d'une mauvaise gestion, les civilisés vivent plus mal que des bêtes, ont moins à manger et sont moins bien protégés de la rigueur des éléments que le sauvage inuit, dans un climat bien plus rigoureux », conclut Jack London en 1902, déjà.



(...)

(suite de la chronique sur http://louetlesfeuillesvolantes.blogspot.fr/2015/03/une-saison-de-coton-james-agee.html )
Lien : https://lesfeuillesvolantes...
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Louons maintenant les grands hommes

Un incontournable de la "non-fiction". James Agee et le photographe Walke Evans étaient partis faire un reportage sur les conditions de vie des paysans du Sud des Etats-Unis, et ils ont produit cet objet littéraire hors du commun. Une somme, illisible et grandiose, qui tente de dire non seulement comment vivent ces hommes-là, mais qui il sont. Agee cherche à mettre l'humanité en mots, il s'en approche parfois. Vertigineux.
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Une saison de coton : Trois familles de métay..

Alabama, Cotton Belt, 1936. Dans cette région des Etats-Unis où 60 % des gens vivent de la culture du coton, soit environ huit millions et demi d’hommes et de femmes, perdure un système semi féodal. La plupart des terres sont cultivées par des métayers. Ceux-ci sont liés par contrat aux propriétaires qui leur fournissent les terres, l’habitation, le matériel et l’argent. En échange, selon les termes du contrat, le métayer remettra la moitié de la récolte de coton, la moitié des graines et parfois la moitié d’autres récoltes. James Agee, alors journaliste au magazine Fortune, est envoyé en Alabama pour un reportage sur les conditions de travail des fermiers blancs et pauvres. L’article, illustré par les photographies de Walker Evans ne fut jamais publié. Est-ce en raison des critiques sous-jacentes contre un système qui maintient dans une pauvreté de corps et d’esprit des millions de personnes ? Aucune raison ne fut donnée par le magazine. 75 ans plus tard, ce réquisitoire contre un système aujourd’hui disparu dans le sud des Etats-Unis garde toute son actualité car pour James Agee « une civilisation qui pour quelque raison que ce soit porte préjudice à une vie humaine, ou une civilisation qui ne peut exister qu’en portant préjudice à la vie humaine, ne mérite ni ce nom, ni de perdurer. »
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Louons maintenant les grands hommes

Le témoignage bouleversant de James Agee devrait être présent dans toutes les bibliothèques. C'est le grand livre de la compassion, il n'y a rien à ajouter.
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Une saison de coton : Trois familles de métay..

Adam Haslett présente l’ouvrage « la charge d’un poète contre l’injustice économique et sociale » et l’auteur. Un reportage non publié, « Qui peut dire combien de reportages subversifs sur la Grande dépression furent enterrés, ou même jamais envisagées, sous le règne des prérogatives financières dans la presse respectable », la situation de métayers blancs (« mais il existe toujours des fermiers noirs bien plus pauvres et dont le traitement est plus abject encore… » ; James Agee expliquera ce choix), les détails de « la vie quotidienne de ceux qui se trouvent en bas de l’échelle sociale ». Trois familles…



Adam Haslett souligne que l’auteur associe les vies décrites au système responsable de leurs conditions et propose d’« analyser la politique en regardant ce qu’elle produit concrètement »



Le métayage de coton. « Le monde est notre maison ». James Agee parle de « ce goutte-à-goutte régulier de détails quotidiens qui oblitère les vies mêmes de ceux qui sont relativement « bien »traités ». Le métayage et son contrat, la formation et les conséquences de la dette, l’inscription citoyenne (le cens et cette terrible phrase « Aucune femme n’a jamais ne serait-ce que songé à voter ») et les institutions gouvernementales étrangères ou hostiles, les trois familles, la pauvreté et l’indifférence, « La pauvreté est la cause de leur indifférence ; leur indifférence les enfonces plus profond encore dans la pauvreté »…



L’analphabétisme, les mots, les enfants, les terres, les odeurs, le dépouillement de la maison, l’eau, le corps, la propreté, les animaux…



La nourriture, celle des femmes « qui doit faire autant mais aussi porter des enfants pendant un quart ou la moitié de sa vie adulte », le travail au champ et le travail domestique, les aliments, « les constantes à la mi-journée sont le pain de maïs, les pois et la mélasse », le saindoux, les vêtements…



Le travail. « Peu de métayers s’intéressent vraiment ou on envie de s’intéresser au coton qu’ils cultivent : ils ne le cultivent que pouvoir louer des terres et une maison », le temps et les travaux, les saisons, la cueillette, « la cueillette a lieu chaque jour de pas d’heure à pas d’heure », le travail et la chaleur, le poids des charges, les douleurs, les enfants… « le ciel descend ; l’air devient comme du verre sombre ; le sol durcit ; l’argile se gèle en alvéoles ; les odeurs de porc et de fumée de bois dans tout le pays se font plus franches ; et l’hiver est là »…



L’éducation, lire, écrire, compter, « peu d’enfants de métayers vont au delà du primaire », les « loisirs », les offices religieux…



La suprématie blanche, les samedis, « du vrai petit bois pour tous les crimes allant de la séduction des Négresses au lynchage »…



En annexe, James Agee rappelle qu’un métayer sur trois est un Noir, un homme « que le travailleur blanc naît en détestant et meurt en détestant ». L’auteur parle aussi des propriétaires terriens, de la structure du Sud, « Et si la vérité est plus intéressante et plus complexe, mais aussi plus précieuse que le mensonge, alors il y a tout intérêt à ce que cette vérité soit reconnue »



« Une civilisation qui pour quelque raison que ce soit porte préjudice à une vie humaine, ou une civilisation qui ne peut exister qu’en portant préjudice à la vie humaine, ne mérite ni ce nom ni de perdurer »



Un livre magnifique, poignant, sans misérabilisme et des photos en noir et blancs de Walker Evans fixant des regards et des lieux. C’était il y a moins d’un siècle aux USA…



Comme le dit si bien Adam Haslett : « Appliquée à notre époque, la description minutieuse de l’existence réelle des gens, telle qu’elle fut menée par Agee dans son long reportage dans l’Alabama, permettrait certainement de dissiper un peu de ce brouillard, et nous sortirait de ce fantasme selon lequel nous pouvons tous gagner ou remporter le jackpot ».
Lien : https://entreleslignesentrel..
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Une saison de coton : Trois familles de métay..

« Une civilisation qui pour quelque raison que ce soit porte préjudice à une vie humaine, ou une civilisation qui ne peut exister qu'en portant préjudice à la vie humaine, ne mérite ni ce nom ni de perdurer. Et un être dont la vie se nourrit du préjudice imposé aux autres, et qui préfère que cela continue ainsi, n'est humain que par définition, ayant beaucoup plus en commun avec la punaise de lit, le ver solitaire, le cancer et les charognards des mers. »



Au cours de l'été 1936, en pleine Grande Dépression, le magazine Fortune envoi le journaliste James Agee dans le Sud pour écrire un article sur les métayers de coton frappés par la pauvreté. À la demande d'Agee, le magazine embauche également le photographe Walker Evans pour l'aider à documenter le sort des travailleurs agricoles. Agee et Evans, âgés respectivement de vingt-six et trente-deux ans, voyagent à travers le Sud et choisissent trois familles du comté de Hale, en Alabama, comme sujets. Ils passent deux mois avec eux à prendre des photos et à recueillir des impressions et des informations.

À leur retour leur reportage n’est pas publié, sans doute jugé trop anti-capitaliste, et disparaît de la circulation. Ce n’est que cinquante ans après la mort d’Agee qu’il est retrouvé parmi ses papiers.



Document pionnier du reportage au long cours, « Une saison de coton » est l’œuvre de deux hommes talentueux. Evans n’est pas un simple journaliste, comme le prouvera la suite de sa carrière. Dans ce réquisitoire contre la volonté d’exploiter les faibles, les impuissants, les pauvres, son écriture littéraire éclate au grand jour.



« De ses yeux jaune clair, ignorants et quelque peu inquiétants, il vous observe en silence. Il se déplace lentement, puissamment, d'une démarche adaptée aux terrains accidentés et, comme beaucoup de gens qui ne savent ni lire ni écrire, il manie les mots avec une économie et une beauté maladroites, comme s'il s'agissait d'animaux de trait labourant une vaste terre difficile. »
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Louons maintenant les grands hommes

Quel livre ! Sa réputation est parfaitement justifiée. Une lecture qui n'a pas été facile.

Alabama. Années 30. Deux jeunes reporters à la rencontre de trois familles de fermiers pauvres.

Les photos de Walker Evans précèdent le texte de James Agee, et celui-ci surprend par le style et par la composition annoncée du récit. Un ton hargneux, déroutant ; une structure qui semble compliquée, rebutante ; pas de rapport perceptible avec les photographies qui précèdent. Il faut tenir un peu. Assez vite, la vision qui s'offre au lecteur devient admirable. Le projet prend tout son sens. Cette lecture éclaire a posteriori d'autres tellement de livres, films, photos, peintures ! Un reportage incarné que j'ai dû lire lentement, par étapes, pour l'apprécier. Gros coup de coeur au final.

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Louons maintenant les grands hommes

Comment ais-je pu si longtemps passer à côté de ce bouquin ,l’un des plus impressionnants qu’il m’est été donné de lire ? Oh ,il n’est pas d’abord facile ,ni de lecture aisée ! D’abord les photos d’ Evans ,dans l’énigmatique aridité de leur noir et blanc ,sans commentaire , puis le texte d’Agee :une préface hargneuse et rechignée comme un pitbull paranoïaque , des descriptions , des listes , des récits ,un désordre apparent qui évoque peu à peu , comme Ulysse évoquait aux Enfers les ombres de ses compagnons, ces pauvres blancs du Sud des Etats-Unis qui peuplent les romans de Caldwell ou de Steinbeck ..Et quelle expression , comme une enquête sociologique écrite par René Char , où partout transparaît l’amour de ces « petites » gens ,la haine de la société qui les a fabriqués . « Ce qu’on fait de vous homme,femmes/Ô pierre tendre tôt usée /Et vos apparence brisées /Vous regarder m’arrache l’âme » Aragon
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Une saison de coton : Trois familles de métay..

La lecture de ce livre/documentaire -d'une actualité édifiante- m'a bouleversée!



James Agee nous décrit en détail la vie de 3 familles de métayers d'Alabama en 1936 où cohabitent une sorte de féodalisme archaïque et un capitalisme tardif.

Je ne vais pas vous répéter ce qui a été si justement relaté dans les critiques précédentes, mais sachez que vous ne sortirez pas indemne de la lecture d'"Une saison de Coton".



Je n'ai ajouté que peu de citations car il faudrait alors recopier tout le livre tant les descriptions qu'Agee fait de ces personnes sont à la fois tragiquement réalistes et si poétiques!

On sent qu'en réalisant ce reportage Agee et Evans se sont attachés à leurs "sujets" et j'avoue que moi aussi, je me suis mise à les aimer, de sorte qu'en terminant le livre, j'ai cherché à en savoir plus sur eux. Il existe un site "Find a grave" (par exemple) qui donne leurs dates de décès et les liens familiaux...

Les photos,d'une "beauté" tragique hypnotisent et nous hantent bien après la fin du livre.

A lire sans plus attendre!
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Louons maintenant les grands hommes

LOUONS MAINTENANT LES GRANDS HOMMES de JAMES AGEE

En juin 1936 le magazine Fortune demande à James Agee un article sur les métayers blancs en Alabama. Il va partir six semaines avec un photographe, Walker Evans. Ils vont partager la vie de trois familles pauvres qui cultivent essentiellement le coton.

C’est un livre surprenant qui vous prend aux tripes, Agee est un descripteur né, au delà de ce talent, il va nous rendre ces hommes et ces femmes humains, là où, justement il y a tant d’inhumanité. Il leur rend de la dignité, nul doute qu’il les a profondément aimés.

Avant de rentrer dans l’aspect purement descriptif de son séjour, il y a une centaine de pages difficiles à lire, mélange de Joyce, Celine avec des réflexions, de la poésie, des citations. Agee aurait pu être un grand écrivain, il mourut hélas trop jeune.

Une seule citation pour résumer l’ambiance de ce livre

« Personne n’est fait pour le droit au malheur »

L’article sera refusé par Fortune, tant il est évident qu’il méritait d’être publié sous ce format. De nombreuses photos illustrent ce livre. Parution en 1941.
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Une saison de coton : Trois familles de métay..

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Une saison de coton est une étude minutieuse et précise de l’ampleur d’une vie à cette époque, à cet endroit, dans une famille blanche et pauvre en Amérique. Elle fut initié en 1936 par le magazine Fortune qui avait missionné ses auteurs. James Agee et Walker Evans se rendaient en Alabama pour y effectuer un reportage sur le métayage du coton.



Cet ouvrage est un bouleversement indispensable porté par des réflexions très contemporaines malgré les années décrites et photographiées. La misère y est campée sans pathos. Les faits sont là, sans fioritures malsaines, on y lit la survit, on y voit la résignation.



C’est une dénonciation presque imperceptible de ce que les « bons gens », ceux justement lisant le magazine Fortune, ne veulent pas savoir, ne pas imaginer, préfèrent mettre de côté. En ce sens, le monde a-t-il vraiment changé ? Les médias ont rendu plus visible les tristesses et les joies possibles peut-être, mais ils les ont aussi noyés dans la masse. Misère, guerre, brutalité, inhumanité la liste est longue des excavations de notre monde… Tellement d’images, de voix que la distance est grande et naturelle à s’installer et qu’elle ne nous soumet plus beaucoup à la regarder de front.



Ce livre a été édité il y a quelques années seulement, il était resté à l’état brut. L’immersion de l’auteur dans ces familles et le texte inspirant et engagé qui avait émergé n’avait pas trouvé preneur, le magazine Fortune l’ayant certainement trouvé trop dérangeant. Ce journalisme documentaire serait certainement associé à du voyeurisme à notre époque mais il est né à une période où la visibilité de tous ces autres existait grâce à ces auteurs et photographes. Le photographe Walker Evans n’est plus a présenté, la présence de ses photos rend l’ensemble très émouvant et encore plus éloquent.



Des propos, tellement actuels, qu’ils en sont usants et désolants.
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Une saison de coton : Trois familles de métay..

Le livre est la prière qui s’élève d’une enquête. Il a été vénéré par quelques générations de lecteurs, texte et photos. Le travail «assez curieux» dont il est issu a été effectué par l’écrivain James Agee, poète, chrétien, alors âgé de 27 ans, et le photographe Walker Evans, 33 ans. Il paraîtra aujourd’hui encore plus curieux, puisqu’il s’agit pour les deux hommes de prendre leur temps et de faire avec une intensité scrupuleuse ce métier que James Agee trouve par ailleurs plus que douteux : journaliste.
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