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Citations de James Graham Ballard (254)


Le consumérisme n'a plus beaucoup le choix, il essaie de muter. Il a tâté du fascisme, mais ce n'est pas assez primitif. Il ne lui reste que la folie pure et simple...
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A quoi sert la liberté d'expression, quand on n'a rien à dire?

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- Ce qui se passe ici concerne des communautés tout entières. Il ne reste qu'une chose pour insuffler un peu de vitalité à leur population, lui donner l'impression d'aller quelque part : la folie. En tant que psychiatre, je parlerais de psychopathie élective. Je pense à une démence volontaire - celle qui fait tellement de bien aux primates les plus évolués. Regardez un groupe de chimpanzés. Ils en ont assez de mâchouiller des brindilles en s'épouillant mutuellement les aisselles. Ils ont envie de viande, la plus saignante possible, ils veulent trouver dans la barbaque qu'ils broient le goût de la peur. Alors ils commencent à se frapper la poitrine et à hurler vers le ciel. Ils se plongent dans une véritable frénésie, avant de partir en chasse. Là, ils tombent sur une tribu de colobes, qu'ils mettent en pièces, littéralement. C'est très vilain, mais la folie élective leur a valu un délicieux dîner. Ils le digèrent, puis ils se remettent à mâchouiller des brindilles en s'épouillant.
- Et le cycle se répète. D'autres attaques racistes et incendies, d'autres hôtels pour immigrants brûlés de fond en comble. Une question se pose quand même. Qui organise ces crises de folie ?
- Personne. C'est ce qui fait la beauté de la chose. La psychopathie élective attend en nous, prête à surgir dès que le besoin s'en fait sentir. Il s'agit d'un comportement de primate dans ce qu'il a de plus extrême. Les chasses aux sorcières, les autodafés, les bûchers d'hérétiques, les gibets à l'horizon. La folie choisie peut infecter une résidence ou une nation entières.
- L'Allemagne des années trente ?
- Très bon exemple. Même de nos jours, on s'imagine que les chefs nazis ont entraîné le peuple allemand dans les horreurs d'une guerre raciste. C'est ridicule. Les Allemands étaient prêts à tout pour s'évader de leur prison. La défaite, l'inflation, les réparations de guerre grotesques, la menace des barbares orientaux. Devenir fous leur redonnait la liberté, alors ils ont choisi Hitler pour mener la chasse. Voilà pourquoi ils sont restés unis jusqu'au bout. Ils avaient besoin d'adorer un dieu psychopathe, ils ont recruté un M. Personne, et ils l'ont hissé sur l'autel le plus élevé. Les grandes religions font ça depuis des millénaires.
- Des états de folie élective ?
- De vastes systèmes d'illusion psychopathe qui ont tué des millions de gens, déchaîné des croisades et fondé des empires. Grande religion égale danger. De nos jours, les gens sont prêts à tout pour croire, mais ils n'atteignent Dieu qu'à travers la psychopathie. Regardez les endroits du monde les plus religieux : ce sont des sociétés malades, dont l'état va empirant. Les gens ne sont jamais plus dangereux que quand ils ne peuvent plus croire qu'en Dieu.
- Mais en quoi d'autre peut-on croire ?
- En rien. Hormis la folie. Les gens ont l'impression que l'irrationnel est fiable. Qu'il offre la seule garantie de liberté face à l'hypocrisie, aux salades, à la pub dont les abreuvent politiciens, évêques et universitaires. Alors ils redeviennent volontairement primitifs. Ils sont en quête de magie et de déraison, parce qu'elles se sont révélées bien utiles par le passé et qu'elles leur serviront peut-être de nouveau. Ils ont envie d'entrer dans un nouvel Âge noir. Les lumières sont là, mais elles s'éloignent dans la nuit intérieure, la superstition et la déraison. L'avenir verra entrer en compétition les grandes psychopathies, toutes délibérées, toutes issues d'une tentative désespérée d'échapper au monde rationnel et à l'ennui du consumérisme.
- Le consumérisme mènerait à la pathologie sociale ?
- Il lui ouvre le chemin. La moitié des produits qu'on achète de nos jours n'est guère constituée que de jouets pour adultes. Le danger, c'est que le consumérisme a besoin de quelque chose de très proche du fascisme pour continuer sa croissance. Prenez le Métro-Centre, avec ses ventes étales. Ca ressemble déjà aux jeux de Nuremberg. Les rangées de rayons, les longues allées rectilignes, les pancartes et les bannières, tout le côté théâtral. Nos rues à nous sont les chaînes de consommateurs du câble. Nos insignes du parti, nos cartes de fidélité or et platine. La société de consommation est une sorte d'Etat policier mou. On croit avoir le choix, mais tout est coercitif. Si on n'achète pas encore et toujours, on est un mauvais citoyen. Le consumérisme crée d'énormes besoins inconscients, que seul le fascisme peut satisfaire. En fait, le fascisme est la forme que prend le consumérisme quand il opte pour la folie élective. C'est ce qui se passe ici.
- Et qui sera le Fürher ?
- Il n'est pas encore là. Mais il apparaîtra, tout droit sorti d'un centre ou d'une zone commerciale. Les messies arrivent du désert, c'est bien connu. Il est tellement attendu. Il saisira sa chance.
- Le Parlement, l'administration, la police ? Ils l'arrêteront.
- Ca m'étonnerait. Il ne remettra pas directement leur autorité en cause. Ils préfèreront regarder ailleurs. C'est une nouvelle sorte de totalitarisme, qui opère à la caisse.
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Ici, autour de la M25, les choses bougent réellement. Elle est là, l'Angleterre d'aujourd'hui. Le consumérisme règne, mais les gens s'ennuient. Ils sont sur le fil du rasoir, à attendre qu'il se passe quelque chose d'immense, de bizarre. Ils veulent connaître la peur. Peut-être même une certaine folie.
Les villes de la voie rapide sont violentes. Je ne parle pas de quelques personnes perdant les pédales, mais de psychologie collective. La région tout entière cherche les ennuis.
Les églises sont désertes. La monarchie a fait naufrage sur sa propre vanité. La politique est un racket, et la démocratie est devenue un simple service public, comme le gaz et l'électricité. Personne ou presque n'a plus d'esprit civique. On n'a plus le sens des valeurs que grâce au consumérisme. Lui, il est honnête, et il nous dit que les bonnes choses ont toujours un code-barres.
Brooklands est un endroit dangereux, instable. Il se prépare des choses désagréables. Le racisme, la violence. Les magasins asiatiques incendiés. L'intolérance pure et simple, sans raison. Et ça ne fait que commencer. Il y a bien pire, et ce bien pire n'attend qu'une occasion de sortir de sa cachette.
De nos jours, la plupart des gens mènent une vie facile, ils ont le temps d'être déraisonnables s'ils en ont envie. Comme des enfants qui s'ennuient. On est en vacances depuis trop longtemps, et on a reçu trop de cadeaux. Les parents savent bien qu'il n'y a pas plus dangereux que l'ennui, pour les enfants. L'ennui, et le plaisir secret d'être méchants. Ca rend parfois remarquablement inventif.
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Je viens tous les samedis, et tôt ou tard, quelqu'un me demande "Combien ?" Moi, je réponds "C'est gratuit". Les gens sont abasourdis, ils réagissent comme si j'essayais de les voler. Voilà bien le capitalisme. Rien n'est jamais gratuit. L'idée les rend malades, ils ont envie d'appeler la police, de laisser un message à leur comptable. Ils se sentent dévalués, persuadés d'avoir pêché. Il faut qu'ils s'enfuient acheter quelque chose, juste pour reprendre leur souffle.
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- Les zones commerciales, la culture de l'aéroport et de la voie rapide... Un enfer d'un genre nouveau... Il faut préparer nos enfants à une société différente. A quoi bon leur parler de la démocratie parlementaire, de l'Eglise ou de la monarchie ? A quoi sert la liberté d'expression quand on n'a rien à dire ? A quoi sert la vie privée, si ce n'est qu'une prison personnalisée ? Le consumérisme est une entreprise collective. Ici, les gens veulent partager et célébrer ce partage. Ils veulent être unis. En faisant les magasins, chacun prend part à une cérémonie collective d'affirmation.
- Alors de nos jours, être moderne revient à être passif ?
- Pourquoi voulez-vous être moderne ? Reconnaissez que l'entreprise moderniste tout entière était source de discorde. Le modernisme nous apprenait à nous méfier de nous-mêmes, à nous trouver antipathiques. La conscience individuelle, la souffrance solitaire. C'était une doctrine qui tirait son impulsion de la névrose et de l'aliénation.
- Et le consumérisme ?
- Il exalte l'union. Valeurs et rêves partagés, espoirs et plaisirs communs. Le consumérisme est optimiste, tourné vers l'avenir. Bien sûr, il nous demande de nous plier à la volonté de la majorité. C'est une forme nouvelle de politique des masses. Il tire son impulsion des émotions, seulement ses promesses sont réalisables, il ne s'agit pas juste d'une rhétorique creuse. Une nouvelle voiture, des nouveaux outils, une nouvelle platine CD.
- Et la raison ? Je suppose qu'elle n'a plus sa place nulle part ?
- La raison ressemble trop aux mathématiques et la plupart des gens sont mauvais en arithmétique.Seul le consumérisme peut préserver l'unité de la société moderne. Il appuie sur les bons boutons, questions émotions.Le libéralisme et l'humanisme représentent des freins énormes pour la société. Ils jouent sur le sentiment de culpabilité et la peur. La collectivité est plus heureuse quand ses membres dépensent, pas quand ils épargnent. Le consumérisme est une idéologie rédemptrice. A son meilleur, il essaie même de rendre la violence esthétique, bien qu'il n'y parvienne pas toujours, hélas...
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Mes yeux se rivèrent à l'homme qui descendait de la fourgonnette. Un agent lui jeta une couverture dessus, mais je distinguai quelques secondes un visage jaunâtre, mal rasé, un menton grêlé d'acné, un front rougi par des coups récents. Sa tête oscillait telle celle d'un homme ivre ; le vide de son esprit s'accompagnait d'une faim morale presque messianique. Je discernais en lui des années de malnutrition, d'hygiène relâchée et d'arrogance, le visage des assassins de tous les temps, le déraciné métropolitain d'une époque révolue qui avait survécu au XXe siècle, aussi déplacé parmi les 4X4 et les embouteillages scolaires des banlieues prospères qu'un homme de Néanderthal vautré au soleil, au bord d'une piscine de Costa Blanca. D'une manière ou d'une autre, cet inadapté, ce dément avait échappé aux tribunaux pour mineurs et aux travailleurs sociaux ; il s'était entraîné à haïr un centre commercial avec assez de force pour être capable de voler une arme et de tirer au hasard dans la foule de midi, tuant un pilote à la retraite en quête de son tabac préféré.
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- La foule s'énerve, sergent... Vous allez avoir une émeute.
- Une émeute ? Ce genre de choses n'existe pas, dans le Surrey, monsieur Pearson. Les gens d'ici sont bien trop polis et bien trop dangereux...
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- Tout le monde n'aime pas le Métro-Centre. D'aucuns estiment qu'il pousse les gens dans la mauvaise direction. Ils en veulent toujours plus, et s'ils n'obtiennent pas ce qu'ils veulent tout de suite, ils sont prêts à...
- A devenir violents ? Ici, dans le Surrey verdoyant ? Le paradis du consommateur ? C'est difficile à croire.
- J'ai demandé ma mutation.
- Trop de violence ?
- Trop de risque de violence.

Un éclat sanglant baignait le miroir profond du dôme argenté, un soleil intérieur.
- On dirait qu'il se réveille.
- Il ne dort jamais. Au contraire, il est parfaitement réveillé. Le câble lui a permis d'avoir sa chaîne propre. Comment améliorer son mode de vie et son ménage, surtout si on fait partie d'un bon ménage...
- Des incitations racistes ?
- Ce genre-là. Il y a des gens pour croire qu'il nous prépare à un monde nouveau.
- Mais qui orchestre tout ça ?
- Personne. C'est ce qui fait la beauté de la chose...
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L'immense dôme d'aluminium qui surplombait le paysage renfermait le centre commercial le plus vaste du grand Londres, cathédrale consumériste dont les congrégations dépassaient, et de loin, celles des églises chrétiennes. Son toit argenté s'élevait au-dessus des immeubles de bureaux et des hôtels telle la coque d'un imposant vaisseau aérien. Traversé d'échos visuels du Millenium de Greenwich, il méritait bien son nom de Métro-Centre, car il occupait le coeur de la nouvelle métropole entourant Londres, la cité périphérique qui suivait la tracé des grands axes et dont le consumérisme dominait la vie ; quoi qu'ils fassent, ses habitants avaient l'air de courir les magasins.
Certains signes prouvaient cependant que quelques serpents s'étaient glissés dans ce paradis de la vente. Il flottait dans l'air un parfum de paranoïa, comme si les habitants de cette ville commerciale attendaient une explosion de violence.
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Je venais d'être témoin d'une forme d'émeute raciste caractéristique des banlieues, un évènement qui avait à peine nui à l'activité paisible de la ville.Les consommateurs paissaient avec plaisir, en bétail docile. Nul n'avait élevé la voix, jeté une pierre ni commis la moindre violence.
Il fallait admettre qu'une haine nouvelle était née, silencieuse et disciplinée, un racisme tempéré par les cartes de fidélité et les codes PIN. Le lèche-vitrines était devenu le modèle de tous les comportements humains, dénués d'émotions, de colère. En décidant de rejeter l'imam, les habitants de la résidence avaient fait un choix de consommateurs.
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Les passants, visiblement prospères et satisfaits, arpentaient avec assurance une ville toute de magasins, petits et grands. Même le centre de remise en forme s'était transformé en espace commercial, à la vitrine regorgeant de DVD de gymnastique et d'appareils de mesure de la pression sanguine. Les rues, lumineuses, gaies et propres, ne ressemblaient en rien au Londres que je connaissais bien. Quelle que fut cette ville, elle était étrangère aux trottoirs jonchés de journaux et de chewing-gums, aux maisons de carton. Nul ne pouvait y emprunter un livre, y assister à un concert, y dire une prière, y consulter un registre paroissial ou y faire la charité. Bref, c'était la phase terminale du consumérisme. L'histoire et la tradition ne jouaient aucun rôle dans la vie de ses habitants. Ils jouissaient d'un éternel présent au détail, où les choix moraux les plus importants concernaient l'achat d'un réfrigérateur ou d'une machine à laver. Au moins, ces indigènes de la vallée de la Tamise, à la culture aéroportuaire, ne déclareraient jamais aucune guerre.
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Ici, une station-service au bord d'une quatre-voies engendrait un sens de la communauté plus profond que n'importe quelle église, une impression plus définie de culture partagée qu'une bibliothèque ou une galerie municipales. Le parking aérien dominant les alentours, masse de béton de dix étages pentus, plus mystérieuse à sa manière que le labyrinthe du Minotaure de Cnossos, reflétait un véritable truisme : se garer devenait décidément le besoin spirituel le plus important des Britanniques.
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Je me déplaçais à travers un vaste territoire interurbain, géographie de privation sensorielle, nébuleuse de quatre-voies et de stations-service, de zones d'activité et de panneaux indiquant Heathrow, de champs abandonnés où attendaient des citernes de butane, d'entrepôts revêtus de plaques en métal exotiques. Dans un grand terrain vague sinistre se dressait une énorme pancarte annonçant l'extension de Heathrow Sud, avec une capacité de fret illimité; tout avait été expédié d'avance au fond de ce désert. Rien n'avait plus de sens qu'en termes de culture aéroportuaire éphémère. Les indicateurs s'alertaient mutuellement, dans un paysage tout entier codé pour exprimer le danger. Des caméras de surveillance se tapissaient au-dessus des portes des entrepôts, des flèches clignotaient inlassablement afin d'indiquer les sorties menant aux sanctuaires haute sécurité des zones scientifiques.
Une rangée de maisonnettes attenantes apparut, blottie à l'ombre d'un talus coiffé d'un réservoir, entourée de revendeurs de voitures d'occasion qui représentaient son dernier lien avec un quelconque esprit communautaire. Je continuai ma route vers un sud hypothétique en dépassant un fast-food chinois, un entrepôt de meubles vendus en demi-gros, un chenil de chiens d'attaque et un lotissement sinistre, sorte de camp de prisonniers en cours de rénovation. Ni cinéma ni église ni centre social. Les panneaux d'affichage omniprésents, à la gloire d'un consumérisme esthétique, résumaient la vie culturelle.
Le paysage tout entier, sur la défensive, attendait qu'un crime s'accomplit.
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Loin de la métropole agitée, qui obligeait chacun à travailler des synapses, les villes de la périphérie somnolaient sur l'épaule protectrice de la M25, véritables inventions de l'industrie publicitaire - du moins les directeurs de comptes tels que moi aimaient-ils à le penser. Les banlieues, nous en serions tous persuadés jusqu'à notre dernier souffle, se définissaient par les produits que nous leur vendions, par les marques et les logos qui seuls déterminaient leur vie. Pourtant, elles nous résistaient, elles croissaient en santé et en assurance, elles devenaient le centre véritable de la nation et nous tenaient obstinément à l'écart.
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Comment réveiller des endormis qui avaient tout, des gens qui s'étaient offert les rêves que l'argent peut offrir et ne se sentaient pas floués ?
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Les banlieues rêvent de violence. Assoupies dans leurs pavillons somnolents, sous l'aile de centres commerciaux bienveillants, elles attendent patiemment les cauchemars qui les éveilleront à un monde de passion...
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Qui était Aurora Day ? Je me le demande souvent à présent. Traversant comme une comète d’été la voûte placide d’un ciel hors saison, elle semble être apparue dans des rôles différents à chacun des membres de notre petite colonie aux Étoiles. Je la pris d’abord pour une belle névrosée jouant les femmes fatales, mais Raymond Mayo voyait en elle une des madones explosives de Salvador Dali, une énigme capable de chevaucher sereinement l’Apocalypse. Pour Tony Sapphire, comme pour le reste de ses admirateurs d’un bout à l’autre de la plage, elle était la réincarnation d’Astarté elle-même, une fille du temps aux yeux de diamant, vieille de trente siècles.
Je me rappelle très bien comment je découvris le premier de ses poèmes. Un soir, après dîner, je me reposais sur la terrasse – ma principale occupation à Vermilion Sands -, lorsque je remarquai une sorte de banderole traînant sur le sable en contrebas de la balustrade. À quelques mètres de là, il s’en trouvait plusieurs autres et, pendant une demi-heure, je les observai qui volaient çà et là, légèrement, parmi les dunes. Les phares d’une voiture brillèrent dans l’allée menant à l’atelier n°5 et j’en conclus qu’un nouveau locataire s’était installé dans la villa, inoccupée depuis plusieurs mois.
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"Robert, puis-je faire votre portrait ? me demanda-t-elle un matin. Je vous vois sous les traits du Vieux Marin, avec une raie blanche enroulée autour du cou."
Je couvris mes pieds bandés avec une robe de chambre à dragons d’or – oubliée chez elle, supposais-je, par un de ses amants. "Hope, vous voyez en moi un personnage de légende. Je suis navré d’avoir tué l’une de vos raies, mais croyez-moi, je l’ai fait sans réfléchir.
– Tout comme le Vieux Marin quand il a tué l’albatros."
Elle tourna autour de moi, une main sur la hanche, l’autre me palpant les lèvres et le menton, comme si elle étudiait les linéaments d’une statue antique. "Je vais vous peindre en train de lire Les Chants de Maldoror."
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La femme allait et venait dans son salon, changeant les meubles de place, presque nue à l’exception d’un grand chapeau en métal. Même dans la pénombre, les lignes sinueuses de ses cuisses et de ses épaules avaient un reflet doré scintillant. C’était la lumière incarnée des galaxies. Vermilion Sands n’avait jamais rien vu de pareil.
"Les travaux d’approche doivent être subtilement équivoques, poursuivit Harry en contemplant son verre de bière. Il faut de la timidité, une attitude presque mystique. Rien de précipité, rien de vorace."
La femme se pencha pour défaire une valise, et les ailettes métalliques de son chapeau palpitèrent, masquant son visage. Elle vit que nous l’observions, regarda un instant autour d’elle puis baissa les stores.
Nous nous renfonçâmes dans nos fauteuils et nous regardâmes pensivement comme trois triumvirs réfléchissant à la meilleure façon de diviser un empire, sans dire un mot de trop, chacun guettant la moindre chance de doubler les autres.
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