Citations de Jean-Claude Pirotte (411)
les ombres autrefois
en ouvrant la valise
on n'a trouvé qu'un poème
le corps gisait dans le fossé
sous un buisson de vipérines
le poème disait ceci
me voici libre comme l'air
je voyage avec les insectes
et les mouches familières
en compagnie d'une épeire
sa toile couronne ma vie
mon destin passe par l'oubli
et l'abandon des horaires
p.92
croque-mort et croque-au-sel
il fut jadis impératif
de composer des lais antipoétiques
mais ça n’a plus d’importance
aujourd’hui que la mort s’avance
en grand apparat vêtue de falbalas
armée de sa faulx en plastique
et de ses faux grands yeux d’impala
et de ses vrais appareils numériques
l’entendrons-nous dire je suis là
mais non sa voix ne porte pas
plus loin que ses pieds élastiques
et puis elle aussi passe de vie à trépas
p.63
croque-mort et croque-au-sel
la rime vient quand elle veut
petite étoile filante
c’est le moment de faire un vœu
pour le lézard et la salamandre
on attend que le destin passe
pour l’attraper par les cheveux
on essaie de suivre les traces
des revenants qui sont curieux
mais au moindre bruit s’effacent
comme les mots sur l’ardoise
de l’écolier redoublant
qui sait que tout est perdu d’avance
p.62
charbon de mer
(i.m. Jacques Baron)
avec les nuages
il convient de se méfier
ils sont de passage
ils ne vont pas à pied
pourtant ils marchent sous la pluie
quand ils s’ennuient
//
le soleil a disparu
derrière les encres
on ne voit pas non plus
de bateaux à l’ancre
//
Le brouillard se lève tard
or je ne suis pas pressé
je vis dans le passé
ignoré comme un bâtard
p.13-14-15
avec ma gueule de blaireau
mon sac à dos mon vieux manteau
je sors prudemment du terrier
pour chercher chaussure à mon pied
Comme le vin, la poésie existe, et je l'ai rencontrée. Je l'ai rencontrée sans trop le savoir, peut-être comme l'ermite soudain se trouve devant son dieu. Mais je ne peux parler des mystiques, la terre et la vigne me tiennent bien dans l'entrelacs des sarments. (p. 55)
Le vin, c'est le ferment de l'émeute. Le comble de l'esprit d'insurrection, de civilisation. L'alcool de vin, marc, fine, c'est le sommet de l'expérience mystique. (p. 47)
J'aime le vin parce qu'il m'est étrange, parce qu'il m'est familier, parce qu'il incompréhensible et fabuleux. J'aime le vin parce que je ne peux m'empêcher d'aimer les hommes. (p. 46)
Je dirais: allant de cave en cave je me suis aperçu que je n'avais pas besoin de le boire pour aimer le vin. Je l'aimais déjà, je l'aimais avant de le goûter, je l'aimais avant de le connaître, je l'aimais avant de naître, je l'aimais avant que les poètes m'apprennent à l'aimer, je l'aimais avant que l'homme se décide enfin à cultiver, apprivoiser, choyer la vigne comme un trésor inespéré. Je l'aimais avant de savoir que la vigne porte des fruits, avant même que l'homme s'en avise (...) (p; 45)
L'écrivain véritable est un parleur. En sa compagnie, la conversation prend le tour amical d'une immédiate intimité. Nous sommes avec lui comme avec le plus sûr des compagnons; Nous l'écoutons. Nous sentons ses sourires dans sa parole, même si ceux-là souvent se teintent de mélancolie, de langueurs lucides et lointaines. ( Préface de Philippe Claudel, septembre 2015)
je vais m'enfuir comme le vent
on ne me reverra pas mais qui
souhaiterait me revoir ici
je serai loin depuis longtemps
je me serai noyé dans le polder
enfoncé dans les bois perdu dans les airs
j'irai partout me dispersant
au gré du temps et des défis
du hasard universel
qui se déplie et se détend
ou se replie et se défend
afin que nul ne le surveille
J'aimerais bien retrouver mon visage
il s'est perdu dans le malheur des foules
un soir que j'étais distrait comme un singe
égaré par les phases de la lune
un soir que je détroussais la momie
d'une amoureuse il y a cinq mille ans
un soir que j'étais infidèle et vil
et que je prétendais tuer le temps
qui me rendra seulement mon visage
et me dira que je suis pardonné
je ne connaîtrai jamais qui me venge
en me privant de ce qu'il m'a donné
je ne connais ni les oiseaux
ni les fleurs ni les arbres
je me connais encore moins
je me cherche dans les décombres
et je me perds dans les chemins
où je ne croise que les ombres
(...)
j'écoute les gens passer
j'entends aussi leur paroles
avez-vous la licorne ?
un ouvrier dit je pense
l'autre l'interrompt tu danses
avec tous les trépassé
(...)
"un combat pour la forme
où tout seul je m'active"
me dit Audiberti
un combat qui m'enferme
en moi-même et par là
de moi-même me prive
combat sans ennemi
duel sans perspective
et je vais inch Allah
me quereller sans trêve
et couvrir d'invectives
mes airs de cancrelat
voici que le volet bas
et me plonge dans la pénombre
dans la rue des machines creusent
le sol dur à grand fracas
la crécelle âcre des perceuses
avec ses grincements barbares
accomplit la ruine du jour
impose l'enfer ordinaire
il faut fuir mais où aller
les pigeons se sont exilés
voici la vie au rabais
voici la chanson prisonnière
"je travaille je fais un roman"
disait Michaux à Qui-je-fus
lui qui ne fit pas de roman
mais bien mieux et bien davantage
moi je me tais je me tiens sage-
ment à ma table d'écolier
j'ouvre mes tiroirs et j'y range
es dépouilles qui je fus
de qui je suis, je ne serai
jamais qu'un pendu de papier
le ciel intense par-dessus
les travaux et les jours futiles
et le bonhomme en pardessus
qui s'écroule comme un pantin
de qui l'on a coupé le fil
ni dieux ni diable le destin
ce vieux montreur de marionnettes
que jamais personne n'a vu
et qui rendit le même texte
et qui tranche les fils ténus
qui tiennent les passants en laisse
par le col de leur pardessus
sans préavis sans nul prétexte
ce bateleur nous a pendus
comme autant de quartiers de graisse
et nous fondons dans l'inconnu
c'est le doute redoutable
qui me ligote à ma table
captif de la certitude
je fuirais comme latude
le doute c'est mon aimant
il me fonde et me dément
il est l'ombre que j'écoute
et l'arme que je redoute
peut-être serons-nous enfermés
pour la dernière fois
car il n'y aura voyez-vous
plus qu'une seule prison
rien qu'un espace de murs
où nous pourrons tourner en rond
en piétinant la terre battue
piétiner ce sera notre parlement
nos voix seront ces piétinements
sourdement confus s'il n'y avait
le gong sonore qui rythme le temps
et que le temps soit cet unique battement
donc ni plaintes ni sentiments
ni mémoire ni pressentiments
et même pas besoin de sentinelles
pour garder des oiseaux sans ailes