Citations de Jean Dufaux (1681)
Un homme de ta race, un ancien prêtre rongé par les fièvres et qui rêve d’un monde absurde où tous les dieux se réuniraient pour mieux asservir les hommes. Barbo Bezan est son nom, et même l’empereur le craint. S’il succède à Oczu, le pire est à craindre. Il est flanqué d’un ancien capitaine d’infanterie, Zampero. Rongé par des fièvres pernicieuses, et qui dans le son des tambours qu’il déploie, entend comme le martèlement des sabots du diable.
Je me nomme Don Velazquez de Cuellar. J’appartiens aux troupes commandées par Panfilo de Narvaez. Nous sommes envoyés par le roi d’Espagne pour te dire la vérité sur un homme que tu as reçu ici-même. Je parle d’Hernan Cortés, rebelle à son roi et qui ne parle pas en son nom. Cortés que nous sommes prêts à combattre à vos côtés si vous le désirez. Cortés que vous pouvez coucher sur l’autel des sacrifices car il ne sera pas même un souvenir pour l’Espagne.
Ils avançaient de nuit comme de jour à travers la jungle et Cortés qui tenait l’expédition, parvint à tenir ses troupes jusqu’au croisement d’Axtupal. Là, une halte fut décidée car une rencontre était prévue avec des guetteurs du village voisin. Ceux-ci lui parlèrent d’une tribu qui s’était révoltée contre l’empereur Moctezuma. Les Hiburas.
Certes, l’Espagne les avait armés pour vaincre ! Martyrs et héros, ils étaient nés pour conquérir des terres, des richesses fabuleuses, pour parcourir les mers, enjamber des frontières, mettre à genoux des rois et des empereurs. Mais ce que l’Espagne avait oublié, c’est que, même de foi et de fer, personne ne peut vaincre les légendes qui font un peuple, un continent, un mythe. Personne… si ce n’est la nature qui donne et qui reprend.
Et Txlaka sourit car les dieux chérissent la douleur des mortels.
Oui, cette nuit-là, il s’en est fallu de peu que nous ne succombions devant l’attaque des Otomis. Paradoxalement, nous ne dûmes la vie sauve qu’à l’apparition brutale de l’Oqtal qui, broyant tout sur son passage, ne semblait guère s’embarrasser du choix de ses ennemis. L’Oqtal, c’était donc cela, l’apparition monstrueuse dont les racines donnèrent vie au dieu Txlaka. Ce dieu, dont frère Cristoval, comme pris de fièvre, serrait l’image contre lui. La jeunesse, elle, reprenait déjà espoir. Après tout, nous étions encore et toujours en vie. Toutes les perspectives restaient donc ouvertes. Même celle… des sentiments !
J’ai tenté de leur expliquer. Ai-je cru soulager la conscience ? Il était trop tard pour cela. Dès le premier jour de notre fuite, alors que je guettais un moment pour m’éloigner de mes compagnons, j’avais ouvert l’étui qui contenait l’amulette. Celle-ci était composé de trois racinées liées entre elles. Poussé par une force irrésistible, sans même comprendre pourquoi, j’ai avalé une de ces racines. Un jus noir a coulé de ma bouche. Mon père me le répétait souvent : l’homme n’est qu’un jouet aux mains du diable. Une douleur foudroyante m’a broyé la poitrine. Et les eaux du fleuve, pendant quelques instants, ont revêtu une couleur pourpre, sanglante. Depuis, la douleur ne m’a pas quitté. Elle me ronge, remplit un vide qui ne cesse de grandir en moi. Le pire, c’est que je dois lutter de toutes mes forces pour ne pas avaler une autre racine.
Ma tête est bien solide sur mes épaules et je défie quiconque de me prouver le contraire !
Mon nom est Hernando Royo. Je n’ai pas succombé. J’avais des compagnons, de vaillants compagnons. Ils se sont bien battus. Nous avons emporté avec nous quelques pièces précieuses appartenant au trésor des Aztèques. Notre fuite avait été bien préparé mais à un coude du fleuve, alors que nous prenions quelques repos, des Otomis sont sortis de la jungle, l’arme au poing. Oui, c’étaient de vaillants compagnons. De vrais soldats. Qui résistent… et savent se replier si nécessaire. Est-il possible que cette fuite ait duré tant de jours ? Est-il possible que nous ayons tant souffert… Et que d’épreuves subies… les chutes d’Hueva qui ont failli nous engloutir. L’embuscade aux abords de Quilpa. Les fièvres qui règnent sur les berges du rio Grijalva. Les feux allumés alors que nous tentions de traverser la cité lacustre d’Athanoc. Jusqu’à cette dernière confrontation où tout a basculé…
Des empires peuvent disparaître tandis que montent la bassesse et la corruption. Ainsi va notre monde. Mais tant que je suis en vie, je combattrai la vilenie, l’injustice et l’irrespect envers nos dieux…
Il existe d’autres divinités rejetées par le seigneur dans l’ombre et l’opprobre mais qui attendent sournoisement de retrouver leur grandeur ancienne. Il faut rester vigilant afin de les empêcher de reprendre place parmi nous dans la lumière. Le jour où un de leurs sorciers parviendra à réveiller leur colère, nous devrons reculer Hernando… Notre foi ne sera pas suffisante.
Je ne crois pas à l’ambition. C’est un mouchoir qui s’agite à tous les vents. Mais je suis un soldat, j’obéis.
C’était une ville superbe… Tenochtitlan. La cité de l’empereur Moctezuma. Notre général, Cortès, se préparait à repartir vers Veracruz pour affronter l’expédition punitive menée par Panfilo de Narvaez. L’Espagne considérait en effet que notre général avait outrepassé ses droits pour songer à s’enrichir personnellement au détriment de la couronne. Le temps pressait. Coincé entre Montezuma qui s’interrogeait sur les dissensions observées entre les Espagnols et les troupes de Narvaez, Cortés avait décidé de frapper vite et fort. Il restait cependant un dernier détail à régler. Un détail qui pouvait tout remettre en question… Un détail auquel j’allais prendre part !
La jungle, c’est le territoire des tueurs Otomis, à la peau rouge. Ils nous cherchent sans répit, nuit et jour. Je les ai vus s’acharner sur Gomes, lui arrachant la peau alors qu’il vivait encore… Rien ne leur échappe. Aucune trace… Aucun signe…. Ils ne nous lâcheront jamais !
Il n’y a qu’un monstre qui puisse en vaincre un autre.
La date. Je dois me raccrocher à la date… C’est tout ce qui me reste… Nous sommes en mai 1520… Le jour ? Je ne me souviens plus du jour… Mon Nom… Hernando Royo… Oui… C’est le nom d’un homme qui est encore en vie… D’un homme qui a échappé à l’esprit qui bouge… Txlaka, fils des racines de l‘oqtal… J’ai sucé la sève de l’oqtal… C’est peut-être pour cela que je n’ai pas succombé comme les autres… Les autres… Sont-ce leurs ossements qui me recouvrent ? Je ne sais plus… J’ai oublié… Il y a comme un grondement dans ma tête… Un grondement qui va en s’amplifiant… Un grondement auquel je ne peux échapper. C’est donc ici que tout se termine ! C’est ici que s’éteint à jamais le fils du noble comte del Royo. Un fils maudit par ses parents, indigne de porter leur nom… Et c’est sur une chute que je disparais de leur mémoire… Car la chute était inscrite dans mon destin ! Comme me l’avait prédit la fille de notre régisseur, la douce Pipa…
Mon Paradis et mon Enfer sont différents des tiens, de ta religion, du passé qui t’a construite, je m’y perdrais aussitôt. Quant au néant, personne ne tient à s’y risquer.
Et les petites pestes savent qu’elles peuvent compter sur les grosses brutes.
C’est de la méfiance que naissent les méprises.
Je crois aux écrits, comme je crois en la mémoire.