AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Jean-Paul Delfino (281)


Tant que le Français a de quoi se remplir le ventre et qu'il ne claque pas trop des dents durant l'hiver, tant qu'il croit que le gouvernement est à peu près honnête, il se moque bien de ce qui peut arriver à son voisin. Alors que des repris de justice aillent crever dans une colonie qui se trouve à des milliers de kilomètres de Paris, qu'est-ce que vous voulez que ça lui fasse ?
Commenter  J’apprécie          10
Les Wayanas, avant l'arrivée des orpailleurs, vivaient en paix. Leur philosophie était d'une simplicité désarmante. Pour eux, seul existait l'instant présent. Le passé était le passé, on ne pouvait le changer. Le futur n'existait pas encore, et il ne servait à rien de s'inquiéter pour une chose qui ne possédait pas de réalité. Ils consacraient ainsi toute leur énergie à jouir du temps qui passe . À la naissance, il n'y avait ni riche ni pauvre. Chacun ne possédait en propre que ce qu'il fabriquait de ses mains et il ne serait jamais venu à l'esprit d'un Wayana de vouloir posséder plus que nécessaire. S'élever, tenir un rang social, étaler ses richesses ou, au contraire, masquer sa pauvreté ? Rien de tout cela n'avait de sens. La seule vie raisonnable qui existât ici-bas était celle qui passait ainsi que le fleuve et que l'on pouvait toucher de ses doigts.
Commenter  J’apprécie          20
Vue du ciel, Saint-Laurent-du-Maroni faisait tout pour se donner une allure de ville métropole.Créée de toutes pièces en 1858 par le gouverneur Laurent Baudin, la cité ne comptait encore, en 1872, que quelques centaines d'habitants, tous liés par le grand projet mis en place sous le Second Empire : débarrasser la métropole de ses indésirables, que ceux-ci fussent prisonniers politiques, de droit commun ou simples récidivistes.Une expérience similaire avait été prise en exemple. Pour nettoyer Londres de ce que l'Angleterre qualifiait de rebuts de sa société, la Couronne britannique avait porté son dévolu sur l'Australie, terre coloniale. Là-bas, dans le lieu-dit de Botany Bay, elle avait fondé une colonie pénitentiaire et l'avait emplie jusqu'à la gueule d'individus en rupture de ban. Ce faisant, elle avait vidé de son mauvais sang les quartiers infectés de sa capitale, tout en fournissant à sa terre du bout du monde les bras des hommes et les ventres des femmes. Sous la surveillance de l'armée, et avec la bénédiction urbi et orbi de l'Église, les prisonniers pouvaient ainsi, tout à la fois, suivre un hypothétique chemin menant à la rédemption, et peupler à moindre coût ce territoire immense auprès duquel la perfide Albion faisait figure de simple confetti.
Commenter  J’apprécie          10
« Moi, je suis bien placé pour savoir que l’écriture ne nourrit pas son homme. Pour en vivre, il ne faut pas seulement écrire. Il faut en plus savoir manigancer, manger à tous les râteliers, avoir de l’entregent et, souvent, pas beaucoup de fierté ni d’orgueil. Kostro était doué pour ça. Et Cocteau, à ce jeu-là, c’est un maître. Moi, pas. »
……………………..
« Il n’y avait qu’une méchante croix de bois et pas même de pierre tombale. Et regarde ça, maintenant. On dirait l’un des menhirs de Stonehenge. Ou un gibet. Ou non : on dirait un transatlantique en route pour les tropiques, avec une cheminée qui cherche à tutoyer les étoiles. Ben merde, alors ! Quel orgueilleux quand, même, ce Kostro… »
………………………
« Le poète roula de sa main unique une énième sèche et, à la flamme de la bougie, l’incendia dans les crépitements discrets de brins de tabac se tordant dans la braise. »
………………………….
« Au même instant, le taxi repris son cours dans le flot du boulevard de l’Hôpital où les automobiles, grondantes, vrombissantes et klaxonnantes, faisaient de leur mieux pour noyer les dernières charrettes qui tentaient encore de résister à la modernité en marche. »
Commenter  J’apprécie          30
- Ecoutez-moi bien, jeune homme. Notre ami Mac Mahon possède une bonne majorité et il lui reste deux ans de pouvoir présidentiel. Et je peux vous dire, tout à fait entre nous, qu'il se fout de la Guyane comme de sa première chemise. D'ailleurs, Paris se fout de la Guyane. La France entière se fout de la Guyane. Personne ne pourrait même le situer sur une carte, ce pet de mouche que l'on nomme Guyanne !
Commenter  J’apprécie          70
Quand le dernier arbre sera abattu,
la dernière rivière empoisonnée,
le dernier poisson capturé,
alors seulement vous vous apercevrez que l'argent ne se mange pas.

(Proverbe amérindien)
Commenter  J’apprécie          110
En abattant la Commune, les bourgeois de Versailles ont abattu le peuple de Paris, le peuple de France. Nous, on voulait un autre monde. Pas un monde où les riches font ce qu’ils veulent et les pauvres, hélas, ne font que ce qu’ils peuvent. Mais c’est eux qui ont gagné. Et comme l’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs, va-t’en savoir ce qu’il restera de nous, pour les générations qui viendront après qu’on sera parties.
Commenter  J’apprécie          70
Mon jeune ami, la Guyane coûte à la France un argent que vous n'imaginez pas, et elle ne produit pas en retour le dixième de ce que Paris pourrait légitimement attendre. Tous ces millions qui se volatilisent sous les Tropiques, il faudrait tout de même qu'ils servent à quelque chose. Je vous le répète : cette colonie ne pourra se développer qu'avec un afflux massif de travailleurs. Selon les derniers chiffres, le coolie indien mâle ne coûte que 463 francs. La femelle se négocie à 455 et l'enfant, à 435. Achetons donc du Tonkinois, que diantre! Et encadrons un peu l'Africain afin qu'il se consacre à l'orpaillage. Le jaune sait travailler la terre. Le noir aime l'or. Si l'on veut que le Blanc de Paris encaisse des bénéfices, c'est bien ainsi que l'on se doit d'administrer la Guyane. Quant aux bagnes...
Commenter  J’apprécie          00
Chez les barons de la cuite, le whisky remplace le sextant et même la boussole. Il vous met du vent dans les voiles et il vous ouvre des routes qui ne sont pas fréquentées par les touristes. En plus, il tue la solitude.
- D' où tenez-vous ça ?»
- Un copain brésilien. Un poète de passage. Dès qu'il avait son compte, il affirmait que le whisky était le plus fidèle ami de l'homme. Une espèce de chien en bouteille, quoi.
Commenter  J’apprécie          00
Pour les moins chanceux, ce sont les colonies qui nous attendent. Casser des cailloux, pour les hommes. Espérer une amnistie et compter les jours, pour les femmes. Ne pleure pas sur notre sort, ma fille. On a fait un rêve, peut-être un rêve démesuré. Et ça, dis-toi bien que personne ne nous le prendra. Jamais.
Commenter  J’apprécie          20
Clara avait vécu tout cela. Elle avait connu la mélodie irrésistible de la révolution en marche, ses gros coups de tambour et ses trilles flûtées. En revanche, elle ne s’était pas vraiment penchée sur la signification des paroles qui se mariaient avec ce chant. Elle avait remplacé, dans son cœur qui aimait pour la première fois, les revendications par des mots de tendresse, des serments et des promesses qui prenaient son Bamboche pour seule cible. Il était son amour, son amant, sa révolution à elle. Auprès de lui, elle était heureuse et se sentait capable de renverser le monde. Pourtant, dans un coin de sa tête, elle se reprochait de ne pas avoir pu ni su faire plus pour la cause, pour la Commune. Elle devinait, de façon tout aussi désagréable qu’insistante, qu’elle n’avait pas compris l’importance réelle de cette guerre civile. C’était la raison pour laquelle, dès qu’elle le pouvait, durant les trente minutes de promenade du matin ou de l’après-midi, et lors des heures infinies où on la forçait à effilocher de l’étoupe ou à confectionner des chaussons idiots, elle venait se pendre aux lèvres d’Amandine Idéïous. Celle-ci savait. Clara voulait apprendre, apprendre pour comprendre.
Commenter  J’apprécie          90
(Les premières pages du livre)
Chapitre I
« Les riches font ce qu’ils veulent. Les pauvres font ce qu’ils peuvent. »
Proverbe guyanais

« Silence, Dans les rangs! La prochaine que j’attrape à parler, je lui colle trois jours de mitard. Vous m’avez bien compris? Le mitard, avant la cale et le pays des singes verts. Vous ferez moins les bravaches que sur les barricades. Allez, garces! On file, on file! On file et on se tait!»
Les mots de l’argousin avaient claqué dans le matin comme autant de gifles sèches. Sur la petite route qui menait d’Aix-en-Provence à Toulon, la cohorte des bagnardes replongea aussitôt dans son mutisme. En ce mois déjà étouffant de juin 1872, l’on n’entendit plus alors que les galoches de bois sur le chemin de pierres. Ces bêtes de somme, une trentaine tout au plus, piétinaient sous la surveillance étroite de soldats placés à intervalles réguliers.
Après avoir essuyé la sueur qui coulait de son front, le gardien enfouit son mouchoir dans la poche de sa veste et reprit, cette fois pour lui-même: « Et dire que c’est cette chienlit qui voulait faire la révolution. Même le bagne, pour ces gredines, c’est encore trop bon.– Salopard... »
Malgré la crainte du cachot, Clara n’avait pas réussi à emprisonner dans sa gorge ces trois syllabes hérissées de mépris. Le maton, en réalité un bon papa dans le civil, ne les entendit d’ailleurs pas – ou peut-être fit-il seulement semblant. Il avait trop de métier pour répondre à la première provocation. Pour lui, ces femmes-là ne comptaient pas plus qu’un simple troupeau de chèvres. Son rôle était de les conduire d’Aix-en-Provence jusqu’au bagne de Toulon, avec le moins de casse possible.
Sur le même ton martial, il jappa une nouvelle fois: «On avance ! Et en silence !»
À main gauche, la silhouette lourde du massif de Sainte-Victoire semblait s’être assoupie, pelotonnée en gros chat. À droite, sur l’éperon rocheux du village de Fuveau, se détachait en contre-jour l’église Saint-Michel, que les paroissiens du cru désignaient volontiers, avec une fierté non feinte, sous l’appellation de basilique. Entre les deux, une plaine fertile où les parcelles d’oliviers, de blé et de vignes se disputaient le moindre mètre carré. L’angélus de sept heures avait sonné depuis longtemps déjà et, courbés sur leurs travaux de peine, les quelques paysans disséminés de part et d’autre de la route ne levèrent pas même les yeux sur ce convoi de poussière qui ne faisait que passer. Depuis la fin de la Commune, près de deux années s’étaient écoulées. Au début, le spectacle des bagnards, hommes ou femmes, avait bien un peu excité la curiosité. On avait délaissé les outils et la tâche pour les voir se traîner dans la pierraille, eux qui tiraient la chaîne jusqu’à Toulon avant d’embarquer pour la Guyane ou la Nouvelle-Calédonie. On leur avait lancé des insultes, des quolibets. Puis, à force d’habitude, l’on n’y avait même plus prêté attention. Chacun portait sa croix. Celle de la terre à enfanter n’était guère plus légère que celle de la justice à rendre. Qu’il pleuve ou qu’il vente, les cohortes des réprouvés avaient continué à se succéder. Il n’y avait plus désormais que les enfants les plus jeunes qui, parfois, s’asseyaient sur les talus herbeux des bas-côtés afin de profiter tout à leur aise de ce spectacle gratuit, celui de la désespérance en marche.
Placée en tête de la chaîne processionnaire, Clara se retourna tandis que le convoi obliquait vers le Sud, en direction du hameau de la Bouilladisse. D’un seul regard, elle embrassa le ciel pur de Provence, le moutonnement des champs grillés par le soleil, l’échine blanche et indigo de Sainte-Victoire.
Sous leurs masques de peine et de souffrance, elle reconnut le visage de chacune des filles qui lui emboîtaient le pas. Toutes étaient passées par le même calvaire, toutes arboraient des rictus douloureux figés par la colère, indifférentes à la honte, à la chaleur. L’enthousiasme de la Commune et les espoirs fous d’un nouveau monde à naître, les réunions enfiévrées des cercles, les amitiés et les amours naissantes sur les flancs des barricades, la confraternité d’une classe se soulevant contre le capitalisme, tout cela était désormais loin. Presque une autre vie. La cruauté imbécile d’Adolphe Thiers avait tranché dans le vif. Paris s’était dressée contre Paris ? Il avait répondu au peuple par le feu, la poudre et le sang. Chacun en avait eu son compte. Clara non plus n’avait pas abandonné sa part aux chiens. Clara, mais aussi toutes ces bagnardes qui la suivaient. Blanchisseuses, dentellières, brodeuses, piqueuses de bottines, cigarières, simples journalières ou paysannes montées à la capitale pour inventer un nouveau monde sur les cendres encore chaudes du précédent : toutes y avaient cru. Elles avaient joué, elles avaient perdu. Le coup avait été dur, mais régulier. Dans le train pénitentiaire qui les avait conduites de Paris à l’étang de Berre, puis de celui-ci à Aix-en-Provence, il n’y avait eu ni soulèvement ni tentative d’évasion. Aucune plainte ne s’était élevée – sinon pour maudire les maladroites qui, d’un coup de pied, manquaient parfois de renverser le pot d’aisance, plein jusqu’à la gueule. Celles qui avaient eu besoin de pleurer l’avaient fait en silence. Pour l’heure, elles étaient encore des femmes. Parvenues à Toulon, elles savaient de façon confuse qu’elles deviendraient autre chose. La Cour de Versailles leur avait assez rabâché qu’elles étaient la lie de la société. À Toulon, elles entreraient, de gré ou de force, dans la peau de leur nouvelle existence.
Ce ne fut qu’une fois étendue sur son bat-flanc, le corps brisé par une marche qui avait duré deux jours entiers, que Clara prit le temps de se remémorer les raisons pour lesquelles, à pas même dix-huit ans, elle avait atterri au bagne de Toulon. Celles-ci ne possédaient rien de rare. Si la Commune n’était pas venue pousser de la corne dans son quotidien de misère, Clara n’aurait jamais tâté de la chaîne. Elle était née le 16 décembre 1854, à Aix-en-Provence, le jour même de la mise en service du barrage François Zola. Son père, terrassier né à Bari, s’était crevé la paillasse afin que cet ouvrage pût voir le jour et que les Aixois, hiver comme été, pussent boire jusqu’à plus soif. Deux ans plus tard, imitant le concepteur du barrage, il était mort d’une mauvaise pleurésie, abandonnant dans leur taudis de la ruelle La Baratanque une femme noueuse comme un pied de vigne et une ribambelle d’enfants malingres, méchants et pétris de vices, passés maîtres dans l’art du chapardage.
«Dame... Il fallait bien manger.»
À la mort du père, la mère prénommée Giuseppina avait fait de son mieux, plaçant plusieurs de ses filles à l’usine de savon. Les garçons, eux, avaient trouvé à se louer dans les campagnes des alentours, du côté des Granettes ou du Val de l’Arc. Elle, avait redoublé d’efforts dans la minuscule échoppe de passementerie qui l’employait depuis déjà une dizaine d’années, rue Fabrot. Là, en compagnie de sa fille Clara dont elle avait obtenu l’embauche en tant qu’apprentie, elle ne comptait plus ses heures, tirant sur le fil jusqu’à la nausée, le front bas, les lèvres scellées. Dès le premier jour, la patronne lui avait dit son fait, sans haine et sans mépris, comme la chose la plus naturelle du monde. Elle n’était qu’une Italienne, une immigrée venant voler le travail et le pain des Français et, si elle tenait à garder sa place, ce n’était que justice qu’elle fut taillable et corvéable à merci. Giuseppina n’avait pas répondu. Puisque Dieu lui avait donné ces cartes, quand bien même étaient-elles mauvaises, il ne lui restait plus qu’à les jouer. Ses enfants, peut-être, se bâtiraient une vie meilleure, si elle acceptait de souffrir pour eux. Ses enfants ou, plus sûrement, les enfants de ses enfants.
À l’hiver 1868, une porte avait semblé s’ouvrir sur le quotidien de la veuve. Une lointaine cousine issue de son village natal, Caraglio, avait croisé sa route sur le cours Mirabeau, lors de la procession mariale de l’Immaculée Conception. Cette parente possédait une sœur, Francesca, qui avait poussé le voyage depuis l’Italie jusqu’à Paris afin de s’y établir. Sur la butte Montmartre, elle avait ouvert une petite gargote pour les ouvriers du bâtiment qui, contre une pièce ou deux, pouvaient s’offrir une chopine de vin et une assiette de ragoût trempé de pain bis. Avec les travaux incessants décidés par le baron Haussmann, Paris était devenu un immense chantier, les manœuvres et les gâcheurs de plâtre avaient afflué de l’Europe entière et l’affaire de Francesca s’était agrandie en conséquence. Elle avait alors eu besoin de bras. Giuseppina n’avait pas hésité une seconde. La semaine suivante, Clara partait pour la capitale avec, en poche, quelques mots de recommandation et l’adresse du caboulot – au Tabouret percé – griffonnés sur un bout de papier. Au moment de quitter la cité du Roy René, les derniers conseils maternels avaient sonné à ses oreilles: il lui fallait se méfier des hommes qui étaient tous des porcs. Seul Dieu pouvait la sauver des flammes de l’enfer. Et, si cette Francesca acceptait de l’embaucher, sa reconnaissance se devrait d’être éternelle.
« Ma pauvre maman... »
Dans les gémissements des taulardes ne parvenant pas à trouver le sommeil, au bord de la suffocation à cause des odeurs fortes, animales, produites par les corps trempés de transpiration et de crasse, Clara ouvrit les yeux sur la nuit, tout juste trouée par un quinquet à huile qui grésillait, à l’autre bout du dortoir. Elle se revit en train de poser son sabot sur le marchepied de la voiture. Elle n’était alors qu’un moineau, une mésange. Toute de nerfs et d’os, avec une chevelure abondante d’un noir de jais et de grands yeux charbonneux. Clara n’était pas ce que l’on pouvait appeler une belle fille, non. Elle faisait plutôt songer à une ombre, une rescapée de naufrage, tant ses joues étaient creusées, ses lèvres amères, ses membres grêles.
Lorsque Francesca, dans le petit matin de
Commenter  J’apprécie          20
Les propriétaires terriens de la République s’étaient substitués aux propriétaires esclavagistes de la Monarchie.
Commenter  J’apprécie          10
(entre Blaise Cendrars et Eric Satie)
Aussitôt, le musicien porta sa main gantée à son visage et réajusta ses lorgnons sur la hampe de son nez. Enfin, tout en lissant entre ses doigts sa barbiche de chevrier taillée en pointe, il expliqua :
- "Cher ami, je suis connu dans le quartier. Je veux bien boire l'apéritif avec vous, mais vous aurez remarqué que je n'ai plus l'âge de m'enfuir en courant.
- Quoi ? Le Maître n'a pas le rond ? Toi ?
- Ni le rond, ni le carré.
- Et encore moins l'ovale ou le triangle, je suppose.
- Vous supposez parfaitement bien.
- Et alors ? On ne va pas s'en faire pour si peu, non ? L'argent ça finit toujours par se trouver. Ne t'inquiète pas, ma vieille ...."
Tout en indiquant d'un mouvement du menton la brochette de Russes blancs qui, au comptoir, achevaient de s'arsouiller avec méthode, il se voulait rassurant :
"Ils paieront pour nous ..."
Commenter  J’apprécie          50
Le poète avait connu les usines à charcuter de 1915, en pleine guerre, après la Ferme Navarin. Il avait été rapatrié en urgence vers les lignes arrières dans un hôpital improvisé entre les murs du lycée Lakanal, à Sceaux. Des corps, plus ou moins vivants, geignant ou gueulant de douleur, débarquaient par camionnettes entières, encore empuantis par l’odeur de la poudre et du feu. Submergés par les patients, les docteurs jugeaient de l’état des nouveaux arrivants en seulement quelques secondes, ordonnaient des amputations, des cautérisations, des injections de morphine, la pose de pansements ou d’attelles. Avec froideur et science, ils dirigeaient en chefs d’orchestres cette symphonie discordante qu’interprétaient ces musiciens se vidant de leur sang et de leurs tripes. Tout juste survivants du laminoir de la guerre, les hommes tremblaient sur leurs civières comme des chiens de pauvre sous la pluie. Ils priaient, gémissaient, imploraient, partaient sans raison dans des rires sardoniques, juraient, blasphémaient, guettaient la mort au milieu du tourbillon des infirmiers aux blouses tachées de sang comme le sont celles des équarrisseurs des Halles.
Commenter  J’apprécie          130
« Attends… Tu fais Paris-Arcueil aller-retour tous les jours depuis combien de temps ?
– Depuis 1897, très exactement. Pourquoi ?
– Ça fait donc à peu près vingt-huit ans. Vingt-huit que multiplient trois cent soixante-cinq jours que multiplient vingt kilomètres. Et ça fait… Ça fait plus de deux cent mille bornes, mon cochon ! Encore quelques années à ce régime et tu pourras dire que tu es allé sur la lune ! Et à pied, encore ! Ce n’est pas du voyage, ça ? »
Le visage du musicien s’illumina soudain d’une mimique enfantine. Il expulsa à son tour une nuée de fumée vers les étoiles et s’exclama :
« Comme Cyrano de Bergerac, vous voulez dire ?
– Comme lui ou comme ce bon Méliès, tu choisis. Tu es un grand voyageur, mon pote. Un sacré grand voyageur, même. Et dire que tu ne le savais pas. La vie, tout de même… »
Commenter  J’apprécie          40
– Qu’est-ce que vous y connaissez, vous, aux femmes ? »
Grattant sa joue mal rasée du bout de ses doigts, le poète finit par admettre :
« C’est vrai qu’on ne connaît jamais bien les femmes. Elles sont trop différentes de nous. Mais il y a une chose sur elles dont je suis à peu près sûr.
– Laquelle ?
– Elles sont comme les barques de cabotage. Elles ne font presque jamais de long cours. Elles suivent les côtes, de phare en phare. Contrairement aux hommes, il est rare qu’elles mettent le cap sur la haute mer. Elles tracent leur route, sans perdre la terre des yeux.
Commenter  J’apprécie          10
Les deux mains élégamment posées sur le pommeau de son parapluie qui ne le quittait jamais, Erik Satie se rengorgea, partagé entre l'envie de sourire et celle de protester. A bientôt cinquante-neuf ans, il avait enfilé les existences comme d'autres les conquêtes féminines, ne s'attachant à aucune, glissant sur les modes comme sur les cercles de pouvoir et les chapelles, se protégeant du Tout-Paris grâce à une carapace patiemment ciselée dans l'humour, le mépris silencieux ou le sarcasme.
Commenter  J’apprécie          304
Il était l'un de ces hommes que la Grande Guerre avait mâchonnés, leur broyant les nerfs, les rendant insensibles à tout, un de ces pauvres hères qui n'avait pas le sou et que l'alcool ne parvenait même plus à saouler convenablement. Par le peintre Modi, un fameux client celui-là, le bistroquet avait appris qu'il se faisait appeler Cendrars, Blaise Cendrars.
Commenter  J’apprécie          182
J'y suis bien parti au Brésil. Tu peux être tranquille là-dessus (...) Ce n'est pas le paradis, bien sûr, mais c'est différent d'ici. C'est autre chose, quoi. Sur le "Formose" quant on est entrés dans la baie de Guanabara, j'étais heureux comme un roi, riche comme un milliardaire, libre comme un homme.
Commenter  J’apprécie          152



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Listes avec des livres de cet auteur
Lecteurs de Jean-Paul Delfino (649)Voir plus

Quiz Voir plus

Tintin : 24 Albums - 24 Questions

Dans Tintin au Pays des Soviets, comment Tintin s’évade-t-il de sa cellule de prison ?

En prenant le garde par surprise
En scaphandre
Milou vole les clefs
Il ne d’évade pas, on le libère

24 questions
402 lecteurs ont répondu
Thèmes : bd belge , bd aventure , tintinCréer un quiz sur cet auteur

{* *}