Citations de Jean-Paul Le Denmat (33)
L'ancien sanatorium construit dans les années trente avait été réhabilité par la DDASS en une structure d'accueil pour adolescents handicapés mentaux légers ou des jeunes inadaptés à la société.
Vincent gara la voiture banalisée à lombre d'une allée de marronniers centenaires. Elle débouchait sur une cour intérieure cernée de bâtiments étroits, hauts de deux étages. Un panneau métallique leur indiqua la direction des bureaux.
Le policier aimait se présenter deux minutes avant les heures de fermeture. Rien de tel pour agacer les secrétaires.
Qu'importe le responsable! Il les détruirait. Tous. Il s'endormit au petit jour avec cet objectif. Vivre pour se venger. Une idée presque réconfortante.
Germaine. Une mamy de coeur. Petite, ronde, un visage plein de tendresse, des yeux vert bleu qui s'assombrissaient parfois comme un ciel d'orage, les cheveux gris ramassés en chignon, elle venait chaque jour.
Il suffirait d'une grosse crise où l'humanité serait placée entre deux choix. La sécurité ou la liberté. Nous choisirions quoi ?... La sécurité !
- Bof. Demain soir, il ne restera plus rien dans les magasins. Tu as des réserves ?
- Juste un peu de gras sur le bide. Tu sais ce qu'on dit : "Quand les gros maigriront, les maigres périront."
Il ne chercha pas à ouvrir les yeux. La gare, les militaires, les masques. Les gants en plastique gris qui recouvraient leurs mains et leurs bras. Comme dans le film Contagion. Il avait adoré. Il aimait bien les films catastrophes.
Il avait entendu parler du Coronavirus, ne s'en était jamais préoccupé.Pas le temps, pas l'intérêt.La peur l'empoigna soudain.
Dans la cuisine, des taches brunes constellaient le sol, la grande table en bois. Il suivit les traînées sanglantes. Une main rouge imprimait plusieurs fois le chambranle de la porte. La vision d’épouvante le cloua à l’entrée du couloir. Le sang couvrait les murs, le sol. Des giclées constellaient les poutres du plafond.
Un mauvais pressentiment le gagna. Il poursuivit jusqu’à la cour, laissa tourner le moteur, descendit de la 4L. À l’intérieur, le chien cessa d’aboyer, se mit à gémir.
Le facteur grimpa les deux marches, frappa deux coups secs, leva la clenche, poussa sur la porte, força pour la dégager de l’huisserie. Il la vit aussitôt. Une plaque brune dont les contours apparaissaient sous le jet d’eau de la porte. Son pouls grimpa en flèche. Pas besoin d’avoir fait la guerre pour reconnaître du sang coagulé.
Un samedi matin. Le soleil était déjà haut. Comme d’habitude, le facteur déposa le Ouest-France dans le bidon troué qui servait de boîte à lettres. Les hurlements à la mort du berger allemand apparemment enfermé dans la maison, le meuglement des bêtes dans l’étable, l’arrêtèrent un instant. Son regard se fixa sur la porte d’entrée de la maison. Depuis qu’il faisait la tournée, jamais il ne l’avait vue fermée. Été comme hiver. Un mauvais pressentiment le gagna.
Les oreilles pointées, Voltaire se dressa. L’onde le caressa. Il y reconnut les petites mains de son ami. Son frère de lait. L’animal regagna sa niche avec un petit gémissement de tristesse.
Au cœur de la nuit, dans la maison endormie, le portrait se souvenait. L’empreinte de son âme vibrait encore dans l’enceinte des vieux murs. Un souffle nostalgique, de plus en plus intense, concentra dans son regard ses forces depuis longtemps dispersées. Ses yeux s’animèrent d’une lueur bleutée fluorescente, irréelle. Un frémissement indicible se diffusa dans la maison, glissa au-dehors.
Vingt-neuf mois d’enfer. De ténèbres. Prisonnière d’un monde entre braises et cendres.
Sur le siège passager, le papier kraft protégeant le tableau ondulait. Lentement. Au fil des minutes, trois taches claires apparurent sur l’emballage humide. Séchées comme sous un souffle ardent, elles s’étendirent, se rejoignirent en une auréole plus ou moins contrastée où apparaissait la forme naïve d’un visage spectral.
(...) la désagréable sensation d’être observée lui arracha un frisson. Elle se retourna avec lenteur. Inutile de chercher. De grands yeux tristes venaient d’accaparer son regard. Sans hésiter, elle s’approcha d’un fourgon surchargé.
— S’il vous plaît, le portrait du petit garçon blond aux yeux bleus, c’est combien ?
— Le petit… Ah oui ! Cent cinquante francs.
— Je le prends.
Elle s’apprêtait à quitter la foire sous la bruine qui n’avait cessé de tomber, lorsque la désagréable sensation d’être observée lui arracha un frisson.
Façades de schiste gris-bleu, les premières maisons du bourg apparurent serrées les unes contre les autres autour de la placette de l’église.
Catherine écarta légèrement les rideaux de la porte de la cuisine. Une nuée de moineaux nettoyait la terrasse des miettes jetées la veille par les enfants. La grisaille du matin ajouta à sa mélancolie. Cinq ans plus tôt naissaient les jumeaux. Seul Julien vivait encore. Yann s’en était allé. Ce jour anniversaire rendait son absence encore plus insupportable.
Avec le ciel bouché, d’un gris uniforme, la nuit de la Saint-Michel se dévoilait avec la lenteur sensuelle d’un strip. La noirceur d’encre se délaya en un horizon plus pâle d’où se découpaient de grands pans d’obscurité, puis ces ombres diffuses se transformèrent en un bocage pommelé vert et roux, brisé parfois par la géométrie bleutée des toitures d’un hameau. Un souffle frais irrégulier, venu de l’océan, retroussa d’une caresse perverse les feuilles des arbres. Ce bruissement dans les basses branches et l’absence de rosée auguraient une journée pluvieuse.
Dans l’instant une seule idée occupait Richard. S’éloigner de cet endroit démoniaque. Impossible de traverser Quintin avec la tronche cauchemardesque de l’albinos en vigie. Il appuya à tout hasards sur la pédale de manœuvre du toit. Le panneau s’ouvrit. Le corps s’affala, bascula tête en avant sur le tableau de bord. Richard le poussa contre la portière. Cet enfoiré lui dégueulassait tout. Des mois de boulot foutus. Pas grave Pas grave du tout même Vivant ! Il était vivant ! La trouille de sa vie. Il en tremblait encore. Il tâta son entrejambe humide ? Waouh !