Citations de Jean-Paul Le Denmat (33)
Il en arrivait des dizaines chaque jour au terme de leur transhumance. S'entassaient dans l'attente que les portes s'ouvrent vers un nouveau monde. Un cul-de-sac. Une nasse. La "jungle". Des centaines de tentes et d'abris de fortune serrés les uns contre les autres. Une odeur tenace de misère. Un incessant bruissement de bâches animées par le vent du large. Des silhouettesfantomatiques. Des milliers d'Azad portés par l'inébranlable espoir d'une vie meilleure...
Un polar noir époustouflant qui vous emmène tout droit au fond de vos craintes et de vos angoisses.
Comme une odeur d'apocalypse, mais une écriture très sûre et pleine d'avenir...
Excellente surprise de lecture.
Il n'y a pas de hasard , il n'y a que des rendez-vous
Germaine. Une mamy de coeur. Petite, ronde, un visage plein de tendresse, des yeux vert bleu qui s'assombrissaient parfois comme un ciel d'orage, les cheveux gris ramassés en chignon, elle venait chaque jour.
Qu'importe le responsable! Il les détruirait. Tous. Il s'endormit au petit jour avec cet objectif. Vivre pour se venger. Une idée presque réconfortante.
Il suffirait d'une grosse crise où l'humanité serait placée entre deux choix. La sécurité ou la liberté. Nous choisirions quoi ?... La sécurité !
- Bof. Demain soir, il ne restera plus rien dans les magasins. Tu as des réserves ?
- Juste un peu de gras sur le bide. Tu sais ce qu'on dit : "Quand les gros maigriront, les maigres périront."
Le faisceau des phares prenait toute la rue, rasait les murs, l’emprisonnait déjà. Elle força l’allure. Ses pleurs accompagnaient chaque foulée. Derrière elle, tout se rapprochait. Le crissement de la lame, le martèlement des talons…Elle s’arrêta, tambourina à la première porte.
— Aidez-moi ! S’il vous plaît ! sanglota-t-elle. S’il vous plaît !!
Des pneus crissèrent. Des portières s’ouvrirent dans un claquement de charnières. Léa cogna, hurla plus fort.
—Au secours ! Aidez-moi ! Au secouuurs !
Sa voix se brisa sur un sanglot. Une main l’agrippa par les cheveux, la ramena sur le trottoir. Un coup de poing dans les côtes la plia en deux. Des bras la soulevèrent d’un geste. Elle résista encore, moulina des bras et des jambes. Un coup en plein visage. La douleur lui monta au cœur. Elle se sentit défaillir. Un sac lui recouvrit la tête. Un nœud lui serra le cou. Elle allait mourir. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle allait mourir.
— C’qui ? Hihihi…C’est Od’lon. Od’lon L’roy.
Un putain de taré !
— Je veux juste vous parler. Odilon, lâchez-moi. Je suis flic, merde !
— Od’lon l’aime pas l’poulets. Hihihi
Voghel remua des jambes. Les balança de tous côtés.
— C’qui qu’on va d’couper comme l’cochon ? Hihihi
Une brute décérébrée ; la pire des espèces.
Le policier décolla sèchement le semi-automatique de sa poitrine, appuya sur la détente, tressauta sous l’impact. La balle sectionna le plexus brachial, traversa l’omoplate. Un jet de sang et de morceaux d’os éclaboussa le visage d’Odilon. Voghel blêmit sous la douleur. Sourde. Brûlante. Elle irradiait l’épaule, le bras. Plus de sensation dans la main. Des picotements dans les doigts. Il appuya de nouveau sur la détente. Un choc violent derrière la nuque, un second puis d’autres. Des coups de tête comme des frappes de base-ball. La vision du policier se troubla. Le pistolet s’échoua sur la terre battue. La peur se distilla en lui. Impossible de la raisonner. Ce malade allait le suspendre, le…Une silhouette à sa droite. La pointe en acier du merlin le toucha au front. L’élancement fusa jusqu’au cœur. Noir.
Julien passa ses vacances impromptues devant la télévision. Il adorait les journées pyjama devant la télé. Un après-midi, les yeux rivés sur le petit écran, Julien se balançait dans son rocking-chair quand un frottement le fit se retourner. Suspendu à son clou, le portrait l'imitait gauchement en un mouvement de pendule.
— Pourquoi tu fais comme moi ?
Une voix intérieure lui répondit
— Parce que j'aime bien.
— Comment tu t'appelles ?
— Avant, c'était Yann.
— Pourquoi, avant ?
— Quand j'avais deux ans, je m'appelais Yann, après je suis parti dans les étoiles.
L'ancien sanatorium construit dans les années trente avait été réhabilité par la DDASS en une structure d'accueil pour adolescents handicapés mentaux légers ou des jeunes inadaptés à la société.
Vincent gara la voiture banalisée à lombre d'une allée de marronniers centenaires. Elle débouchait sur une cour intérieure cernée de bâtiments étroits, hauts de deux étages. Un panneau métallique leur indiqua la direction des bureaux.
Le policier aimait se présenter deux minutes avant les heures de fermeture. Rien de tel pour agacer les secrétaires.
Il ne chercha pas à ouvrir les yeux. La gare, les militaires, les masques. Les gants en plastique gris qui recouvraient leurs mains et leurs bras. Comme dans le film Contagion. Il avait adoré. Il aimait bien les films catastrophes.
Il avait entendu parler du Coronavirus, ne s'en était jamais préoccupé.Pas le temps, pas l'intérêt.La peur l'empoigna soudain.
Dans la cuisine, des taches brunes constellaient le sol, la grande table en bois. Il suivit les traînées sanglantes. Une main rouge imprimait plusieurs fois le chambranle de la porte. La vision d’épouvante le cloua à l’entrée du couloir. Le sang couvrait les murs, le sol. Des giclées constellaient les poutres du plafond.
Un mauvais pressentiment le gagna. Il poursuivit jusqu’à la cour, laissa tourner le moteur, descendit de la 4L. À l’intérieur, le chien cessa d’aboyer, se mit à gémir.
Le facteur grimpa les deux marches, frappa deux coups secs, leva la clenche, poussa sur la porte, força pour la dégager de l’huisserie. Il la vit aussitôt. Une plaque brune dont les contours apparaissaient sous le jet d’eau de la porte. Son pouls grimpa en flèche. Pas besoin d’avoir fait la guerre pour reconnaître du sang coagulé.
Un samedi matin. Le soleil était déjà haut. Comme d’habitude, le facteur déposa le Ouest-France dans le bidon troué qui servait de boîte à lettres. Les hurlements à la mort du berger allemand apparemment enfermé dans la maison, le meuglement des bêtes dans l’étable, l’arrêtèrent un instant. Son regard se fixa sur la porte d’entrée de la maison. Depuis qu’il faisait la tournée, jamais il ne l’avait vue fermée. Été comme hiver. Un mauvais pressentiment le gagna.
Les oreilles pointées, Voltaire se dressa. L’onde le caressa. Il y reconnut les petites mains de son ami. Son frère de lait. L’animal regagna sa niche avec un petit gémissement de tristesse.
Au cœur de la nuit, dans la maison endormie, le portrait se souvenait. L’empreinte de son âme vibrait encore dans l’enceinte des vieux murs. Un souffle nostalgique, de plus en plus intense, concentra dans son regard ses forces depuis longtemps dispersées. Ses yeux s’animèrent d’une lueur bleutée fluorescente, irréelle. Un frémissement indicible se diffusa dans la maison, glissa au-dehors.
Vingt-neuf mois d’enfer. De ténèbres. Prisonnière d’un monde entre braises et cendres.
Sur le siège passager, le papier kraft protégeant le tableau ondulait. Lentement. Au fil des minutes, trois taches claires apparurent sur l’emballage humide. Séchées comme sous un souffle ardent, elles s’étendirent, se rejoignirent en une auréole plus ou moins contrastée où apparaissait la forme naïve d’un visage spectral.