Laurent Martinet s'est donné une minute pour vous convaincre de lire le classique de John Williams, Stoner, traduit par Anna Gavalda.
Son enfance fut excessivement guindée, même dans les moments les plus intimes de la vie familiale. Ses parents se conduisaient l'un envers l'autre avec une politesse distante. Edith ne vit jamais passer entre eux le moindre élan de chaleur, de colère ou d'amour. La colère se traduisait par de longs silences courtois et l'amour était un terme du vocabulaire anglais que l'on employait pour témoigner son affection. Elle était enfant unique et la solitude fut l'une des premières certitudes de sa vie.
Au cours de sa quarante-troisième année, William Stoner apprit ce que d'autres, bien plus jeunes, avaient compris avant lui : que la personne que l'on aime en premier n'est pas celle que l'on aime en dernier et que l'amour n'est pas une fin en soi, mais un cheminement grâce auquel un être humain apprend à en connaître un autre.
Plaisir du corps et vie de l’esprit… Finalement il n’y a que ça qui compte, n’est-ce pas ?
Il se promenait dans les rayonnages de la grande bibliothèque de l'université parmi des milliers de livres et inhalait cette odeur de renfermé, de cuir, de toile et de papier jaunissant comme le plus exotique des encens.
« Il n’avait jamais perdu de vue le gouffre qui séparait son amour de la littérature de ce qu’il était capable d’en témoigner. » (p. 152)
Le Vrai! Le Beau! Le Juste! On les reconnaît facilement: ils sont toujours là, toujours dans la rangée d’à côté, toujours plongés dans le prochain livre, celui que vous n’avez pas encore lu, ou alors dans le rayonnage suivant, celui que vous n’avez pas encore exploré, mais vous le ferez un jour! Et quand vous irez... Quand vous irez...
Parfois William s’échappait de son livre et son regard se perdait dans la contemplation de l’arrondi de son dos ou des osselets de sa nuque sur laquelle une petite mèche de cheveux s’amusait toujours à tenir en équilibre, alors le désir montait en lui. Doucement. Tranquillement. Il se levait, venait derrière elle et plaçait ses mains sur ses épaules. Elle se redressait, posait sa tête contre son ventre et sentait ses mains se faufiler sous son col pour venir lui caresser les seins. Ils s’aimaient, restaient étendus un moment puis reprenaient leur travail là où ils l’avaient laissé comme si l’amour et l’apprentissage n’étaient qu’une seule et même inclinaison de l’âme.
Cet amour de la littérature, de la langue, du verbe, tous ces grands mystères de l’esprit et du cœur qui jaillissaient soudain au détour d’une page, ces combinaisons mystérieuses et toujours surprenantes de lettres et de mots enchâssés là, dans la plus froide et la plus noire des encres, et pourtant si vivants, cette passion dont il s’était toujours défendu comme si elle était illicite et dangereuse, il commença à l’afficher, prudemment d’abord, ensuite avec un peu plus d’audace et enfin… fièrement.
Ses parents se conduisaient l’un envers l’autre avec une politesse distante. Edith ne vit jamais passer entre eux le moindre élan de chaleur, de colère ou d’amour. La colère se traduisait par de longs silences courtois et l’amour était un terme du vocabulaire anglais que l’on employait pour témoigner son affection. Elle était enfant unique et la solitude fut l’une des premières certitudes de sa vie.
La réalité du voyage résidait dans les détails de routine : les nuits passées dehors, le réveil au petit matin, la café noir bu dans des tasses brûlantes en fer-blanc, les couchages chargés sur des chevaux de plus en plus fatigués, le mouvement monotone et abrutissant au cœur de la prairie immuable, l’eau donnée aux chevaux et aux bœufs à midi, les biscuits durs et les fruits secs, la reprise du voyage, l’installation à tâtons du campement dans le noir, les quantités de haricots fades et de lard englouties voracement devant le feu vacillant, le café une fois de plus, et la nuit. Ceci devint un rituel qui donnait néanmoins à sa vie sa seule structure. Il avait l’impression d’avancer laborieusement, centimètre par centimètre, au cœur de l’immensité de la prairie, sans avancer dans le temps. Le temps semblait se mouvoir avec lui, nuage invisible cramponné à chacun de ses pas.