Citations de John Fante (688)
Ça c'est la mer, et ça c'est Arturo ; la mer est réelle, et Arturo la considère réelle. Mais que je me détourne seulement un moment de la mer, et partout c'est la terre que je vois ; j'ai beau marcher et marcher, il n'y a plus que la terre qui s'étend à perpète jusqu'à l'horizon. Je pourrais marcher un an, cinq ans, dix ans comme ça et je ne verrais toujours pas la mer. Et en vérité je me le dis : qu'est-il advenu de la mer ? Et je réponds, la mer est là-bas derrière, derrière ma tête, dans le réservoir de la mémoire.
T’es un lâche, Bandini, un traître à ton âme, un menteur dégonflé devant ton Christ en larmes. C’est pour ça que tu écris, et c’est pour ça qu’il serait nettement préférable que tu crèves.
Sa petite amis s'appelait Rosa, mais elle le détestait. Enfant de chœur, il était un vrai diable et haïssait les enfants de chœur. Il voulait être bon garçon, mais il redoutait d'être bon garçon, car il craignait que ses amis ne le traitent de bon garçon.
Et puis une femme descend à sa suite, et elle est belle, du renard argenté comme fourrure, une vraie chanson qui passe là sur le trottoir et disparaît à travers la porte battante, et c’est là que je me dis, oh boy, dis donc, si seulement tu pouvais t’offrir ça, rien qu’un tout petit peu, rien qu’une journée et une nuit. Un rêve, qu’elle était, un rêve que je faisais en marchant, et son parfum était encore dans l’air humide du matin
Demande aux couloirs poussiéreux, demande au hall poussiéreux, demande aux gens poussiéreux dans le hall poussiéreux de l'hôtel St. Paul, à ces gens poussiéreux et fatigués eux-mêmes âgés et bientôt poussière, ici pour mourir, ces vieux, avec la poussière de l'Indiana et de l'Ohio, de l'Illinois et de l'Iowa dans le sang, qui doivent faire la poussière et mourir dans un pays poussiéreux et sans racines.
Je sortais parfois le soir avec ma pipe, mon regard allait de Stupide aux étoiles, et je sentais comme un lien. J'aimais ce chien. Quand j'étais enfant dans le Colorado, je restais souvent assis avec mon chien pour regarder les étoiles. Stupide était l'enfance ressuscitée...
J'avais deux théories pour l'expliquer l'inadaptation de Stupide. Selon la première, il avait certainement appartenu à une portée de nombreux chiots, une dizaine de frères et sœurs, tous plus vigoureux que lui-même, si bien qu'à l'heure des repas tous sauf lui avaient une mamelle à téter. Et il devait attendre que les autres fussent rassasiés avant de trouver un téton disponible, mais sa mère avait alors épuisé ses réserves ou bien elle en avait par-dessus la tête, moyennant quoi elle le rejetait.
Stupide avait amèrement souffert de ces mauvais traitements précoces ; au fil du temps, surtout pendant la puberté, il avait ruminé ce rejet maternel et fini par détester toutes les femelles.
Ou alors, ayant atteint la maturité sans rencontrer de problème majeur avec ses parents, il avait connu une première expérience sexuelle désastreuse. Peut-être avec une chienne frigide, une femelle de grand danois, ou une fière-à-bras qui l'avait non seulement repoussé, mais sans doute rossé.
Le chemin du coeur est le même pour un chien que pour un homme. Au bout de deux semaines, Stupide a compris qu'il dépendait de moi pour la nourriture; dès lors, j'ai été son maître.
[...] Je tombe toujours amoureux de femmes qui vivent à dix mille kilomètres de moi. C'est une malédiction. Vraiment très bizarre. C'est parce que j'ai une trouille bleue dès que j'approche trop des femmes. J'arrive plus à parler ni même à respirer correctement. Je bafouille et je me comporte comme un imbécile. C'est une chape de plomb. Elle s'endort tout au fond de ma bouche. Dès que cette femme est partie, ma langue se réveille et dit tout ce qu'elle aurait du dire avant le départ de cette femme.
Je me suis étendu avec elle. Elle en faisait un peu trop dans le mépris, la façon qu’elle avait de m’embrasser, sa moue un peu dure, la moquerie dans ses yeux. Pas étonnant que je restais de bois et ne ressentais rien que de la panique et cette peur que j’avais d’elle, ce sentiment que sa beauté était bien trop pour moi ; elle était tellement plus belle que moi, et ça lui venait de tellement plus loin. À côté d’elle j’étais un étranger. Elle était toutes ces nuits calmes, ces grands eucalyptus, elle était les étoiles du désert, terre et ciel et ce brouillard dehors, et moi je n’étais venu ici que pour écrire, pour gagner de l’argent, pour me faire un nom et toutes ces singeries.
L'Orgie
Souvent, mais pas toujours, Frank était le meilleur ami de mon père. Mais il était toujours et sans exception l'ennemi mortel de ma mère. Pour le mode de pensée de la mère, Frank Gagliano était un disciple malfaisant du diable dont la philosophie sinistre glaçait le sang.
Après le scandale du prêtre défroqué, elle considérait l'athéisme comme l'état le plus dégradant de l'humanité.
( p.9 / Christian Bourgois, 1987)
Je sillonnais la ville avec ma Ford : je découvrais des ruelles mystérieuses, des arbres solitaires, des vieilles maisons pourrissant sur leur passé déjà oublié. Jour et nuit je vivais dans ma Ford, m’arrêtant seulement le temps de commander un hamburger et une tasse de café au premier routier venu. C’était ça la vie quand on était un homme, vadrouiller, s’arrêter et repartir, toujours suivre la ligne blanche le long de la côte, au volant pour se détendre ; allumer une autre cigarette et chercher stupidement quelque signification dans ce déconcertant ciel du désert.
Il avait de solides mains pareilles à des briques, un cou bronzé, beau comme un tuyau d’égout.
Mais la vie de garçon de John Fante abondait en aventures sans queue ni tête. Il y avait là de quoi rougir ; il y avait des pêchés, de graves pêchés, et quelque part au milieu de ce stupre, on avait semé la punition ; maintenant l'heure de la maudite récolte approchait.
Le désert serait toujours là, blanc, patient, comme un animal à attendre que les hommes meurent, que les civilisations s'éteignent et retournent à l'obscurité.
Stupide était ma victoire, les livres que je n’avais pas écrits, les endroits que je n’avais pas vus, la Maserati que je n’avais jamais eue, les femmes qui me faisaient envie […] Stupide incarnait le triomphe sur d’anciens fabricants de pantalons qui avaient mis en pièces mes scénarios jusqu’au jour où le sang avait coulé. Il incarnait mon rêve d’une progéniture d’esprits subtils dans des universités célèbres, d’érudits doués pour apprécier toutes les joies de l’existence. Comme mon bien-aimé Rocco, il apaiserait la douleur, panserait les blessures de mes journées interminables, de mon enfance pauvre, de ma jeunesse désespérée, de mon avenir compromis. (p. 51)
Les journées étaient toutes semblables, le soleil doré jetait ses derniers feux avant de mourir. J'étais toujours seul. J'avais du mal à me rappeler semblable monotonie. Les jours refusaient de bouger...
Quand j'avais assez de vin je n'allais jamais à la Bibliothèque.
Une bibliothèque est un endroit merveilleux quand on n'a rien à boire ou à manger et quand la propriétaire vous cherche et demande ses arriérés - et à la bibliothèque au moins on peut utiliser les toilettes.
Bref, qu'elle que soit sa nature, l'âme est immortelle.
Finalement, elle a fait: "Dis, pourquoi t'es si méchant que ça ?"
"Méchant ? Ma chère petite, moi j'aime hommes et bêtes tout pareil. Il n'y a pas la moindre trace d'animosité dans mon système. Après tout on ne peut pas être à la fois méchant et grand écrivain."
Son regard s'est fait moqueur. "Et t'es un grand écrivain ?"