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Citations de Joseph Kanon (44)


Ils étaient presque sur la place quand Franck lui signala une maison de deux étages sur leur gauche. Le crépi rose était un peu passé, l'entrée se faisait sur le côté, par une grille.
"Regarde. La maison de Tchekhov. C'est là qu'il recevait ses patients. Il n'en reste pas grand chose, mais c'est bien sa maison, donc ils ne la démoliront pas pour mettre autre chose à la place."
Ils bifurquèrent dans Malaïa Nikitakaïa et allèrent jusqu'au coin suivant. Une autre maison, bleu pâle cette fois, en partie dissimulée derrière un haut mur.
" La maison de Beria. On dit que c'est là qu'il amenait les petites filles. Huit ans. Neuf ans. Personne ne disait rien. C'est à se demander si les voisins entendaient quelque chose... Tu te rends compte ? Tchekhov, Beria. A deux rues l'un de l'autre. Impossible de voir ça ailleurs.
_ Ailleurs, il n'y aurait pas de Beria.
_ Mais si, lui renvoya Franck calmement. Il existe des tas de variations sur ce thème. Il a simplement eu une carrière plus longue que la plupart des autres. Un monstre. Mais c'est lui qui a fait la bombe que voulait Staline."
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Bientôt, les montagnes disparurent complètement, comme des rideaux s'ouvrant sur un immense panorama de buttes en grès rouge et de mesas, sous un ciel infini. C'était le paysage le plus spectaculaire que Connolly eût jamais contemplé.
Un moment la 44 longea une rivière. Ils entrèrent dans des gorges criblées de rochers rouges et de genévriers, dont les parois étaient si hautes qu'ils se crurent ensevelis sous la pierre jusqu'à ce qu'un tournant leur rende la vision du ciel. C'était l'Ouest tel qu'il l'avait imaginé sans l'avoir jamais vu, ni l'aride désert de cactus de Trinity, ni même les étendues de sauge et de plantes grasses du Rio Grande, mais une terre qui semblait exister depuis la nuit des temps, monumentale, si réfractaire à l'homme qu'elle puisait sa beauté dans la géologie, comme si la végétation n'était qu'un ajout superflu de dernière minute. Les montagnes, à droite, semblaient marquer la frontière du monde connu. Devant eux, les mesas gigantesques s'élevaient comme des îles sur le fond d'un océan oublié, séparées par des mers de sol sablonneux. Les versants abrupts striés de couches sédimentaires blanches, jaunes, marron et rouges formaient une carte du temps en couleurs, tandis que de grands piliers rocheux, déchirés et hachés, se dressaient ça et là comme des statues de dieux.
Quand enfin ils quittèrent les canyons tortueux pour filer à travers le plateau vide, la chaleur promise s'abattit sur eux comme un torrent de lumière.
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"Tous des espions" avait dit Marzena. Des gens ordinaires. Pareils à n'importe qui. Et pas que des petits mensonges sans importance qui mettent un peu d'huile dans les rouages. Trahir. Mentir à tout le monde. Eux tous, ces gens ordinaires qui buvaient du vin et avalaient leur soupe. Hannah avec sa tête de tatie gâteau, livrant les secrets de la bombe . Franck prononçant un éloge funèbre. Et Simon qui écoutait tout cela, qui était maintenant devenu comme eux, et qui allait les trahir. Il lui avait fallu à peine quelques jours.
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"_ Vous avez entendu déjà parler de ce qui s'est passé à Albuquerque ?
_ Saul...
_ Très détendue. Elle a les papiers dans son sac à main, les papiers les plus précieux du monde à ce moment-là, et quand elle arrive à la gare ils fouillent les bagages. Carte d'identité et tout le bazar. Pourquoi à ce moment-là ? Personne n'en sait rien. Peut-être juste la routine. Mais elle doit monter dans ce train. Comme il y a beaucoup de soleil, elle porte un chapeau. Elle l'enlève et glisse les papiers dedans, sous le ruban intérieur. Et au moment où elle arrive devant le garde de la police militaire elle lui tend son chapeau en lui demandant s'il veut bien le tenir pendant qu'elle ouvre son sac pour lui présenter sa carte d'identité. C'est lui qui a les plans entre ses mains pendant qu'elle cherche ses papiers. Après ça, merci beaucoup, reprenez votre chapeau madame, et elle monte dans le train. Pas mal, non ? Et tout ça sans ciller. Rien."
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Simon n'était pas sûr d'arriver à le faire. A se glisser dans la peau d'un autre. Un roi du travestissement. Mais il s'y mit. Il parla à Boris et mangea son sandwich comme s'il ne s'était rien passé d'important pendant leur promenade. Sauf que le secret était bien là, sa peau le picotait. C'était invisible. Tous ses regards désormais, tout ce qu'il dirait ne seraient d'une certaine manière que mensonge.
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_ Ce bouquin, il s'appelle Ma vie secrète, si toutefois on garde ce titre. Et cette vie, elle commence en Espagne. C'est là que ça a commencé. Ce qui se passe avant n'a aucune importance.
_ Alors un quart de tour, et tu es un espion russe.
_ Un espion ! Ca, c'est quelqu'un qui regarde par les trous de serrure. Comme un détective privé. J'étais un agent. Du Parti. Du Service. Et je le suis toujours. C'est si difficile que ça à comprendre ?
_ Ce serait plus facile pour les lecteurs si tu leur disais qui tu étais avant et pourquoi tout s'est mis en place en Espagne.
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"_ Il est tellement heureux que vous êtes là. Son frère. Vous étiez proches ?
_ Oui."
Déjeuners au Harvey's. "Il se passe quoi aux Affaires étrangères ?". "Chez vous, qui est-ce qui va à la conférence ?" Et il leur répétait tout dans ses rapports. Oui, proches, on peut le dire.
"_ Il s'est porté garant pour vous.
_ Garant pour moi ?
_ Auprès du Service. Quand il a fait demande pour votre venue. Alors c'est important, vous comprenez, rien de suspect vous concernant. Même une promenade innocente...
_ Garant pour moi, comment cela ?
_ Votre raison pour venir. Le travail éditorial.
_ Pourquoi est-ce que je serais venu sinon ?"
Vassilchikov haussa les épaules.
"_ Vous êtes dans l'OSS, oui ? Parfois un agent est réactivé. Quand l'occasion se présente. Le camarade Weeks était agent précieux. Peut-être le plus précieux. Un grand problème pour les Américains.
_ Ils croient que je suis là pour le buter ? demanda Simon, prêt à éclater de rire. Je suis ici pour le rendre célèbre." Puis, à moitié pour lui-même : "Je ne suis toujours pas sûr de savoir pourquoi, d'ailleurs.
_ Des frères, lui dit Vassilchikov très vite. Le camarade Weeks était sûr que vous viendriez..."
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Simon regarda la Loubianka. Un immeuble de bureaux de l'époque des tsars avec une façade jaune. Une statue se dressait au milieu de la place, des camions progressaient lentement tout autour. Pas de voiture noire devant le portail, pas de cris en provenance du sous-sol. Des tuyaux d'arrosage pour laver le sang sur les murs. Des milliers de gens. D'autres à venir.
"C'était une compagnie d'assurances dans le temps. Les assurances Rossya. La prison s'y est installée dans les années trente." Un signe de tête en direction de la statue. "Djerjinski, le père fondateur. Et regardez là-bas, maintenant. Detsky Mir. Le plus grand magasin de jouets de toute la Russie. Les enfants adorent y aller...Vous savez, ils ne sont pas très sensible à l'ironie, ici. Ca va bien pour le magasin, parce qu'il n'est pas vraiment là." Il venait de montrer le bâtiment du KGB. "Il n'existe pas. Rien de tout cela n'est arrivé. Parce que si c'était le cas, si on commençait à le voir... Alors personne ne voit rien. C'est juste un vieil homme bien gentil qui regarde jouer les enfants. Des millions de gens ont disparu et personne ne les a vus partir. C'est comme ça dans ce pays. Les choses n'existent pas, même quand on les a sous les yeux. Alors il en a pensé quoi Soames, de tout ça ? Et Weeks, ou n'importe lequel d'entre eux ? Quand ils ont compris pour qui ils travaillaient. Voilà ce que je voudrais savoir."
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La place Rouge. Il l'avait vu en photo des milliers de fois, débordante de tanks, de saluts militaires et de membres du Politburo qui disparaissaient de ces mêmes photos l'année suivante, effacés de toutes les mémoires d'un simple coup de pinceau. Il s'était toujours imaginé une place grise, martiale, écrasée par la masse des tours du Kremlin. Mais non, elle était ouverte, pleine de lumière et de couleurs avec les bulbes de Saint-Basile dans le fond et le grand magasin Goum qui ressemblait à un énorme gâteau couvert de chantilly sorti de l'imagination d'un illustrateur de livres pour enfants. Il contempla les hauts murs de la forteresse. Là, Staline avait passé plus d'une nuit à mettre des petites croix en face de noms figurant sur des listes. La terreur était imperméable à toute logique. Une croix et on en parlait plus. Nuit après nuit.
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Il tourna la tête en direction des étoiles rouges au sommet des tours du Kremlin. Un espace magnifique pour les défilés. Là, on pouvait parler sans avoir besoin d'ouvrir les robinets. En file indienne pour voir "Le Corps" comme disait Gareth. Surveillés. Ecoutés. En prison dans ce vaste panoptique victorien, tellement immense que l'on n'avait guère conscience d'être à l'intérieur. Mais en continuant à avancer on sortait de la place et, sans jamais s'arrêter dans l'immense étendue de terrain plat, on refaisait en sens inverse le même parcours, jusqu'au moment où l'on arrivait aux limites visibles, les barbelés, les chiens d'attaque et les miradors. Aucune étoile rouge ne brillait dans ces endroits-là. Pas moyen de prétendre que l'on vous surveillait pour votre bien. Un regard aux barbelés et on comprenait. Il sentit sa poitrine se serrer. Il pouvait quitter l'hôtel et retourner à Vnoukovo, passer en avion au-dessus des barbelés. Mais Franck et Jo... "C'est ici que nous sommes", lui avait dit Franck. Une condamnation à perpétuité.
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"Tu vois ce bâtiment, là-bas ? En face, dans la diagonale. Hôtel Moskva." Simon regarda. Un bâtiment très laid qui dominait une place juste en-dessous. "Tu vois que les deux moitiés ne sont pas pareilles ? On raconte qu'ils ont soumis deux projets à Staline. Il devait choisir mais il a juste dit : "Oui, c'est très bien", et personne n'a eu le courage de demander : "Lequel ?" Alors ils ont construit les deux, l'un au-dessus de l'autre. Comme ça personne n'a eu d'ennui."
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Il y avait eu quelques nuages au-dessus de la Pologne, mais il avait clairement vu les vastes étendues de terrain plat en-dessous. C'était par là que les tanks allemands étaient passés pour arriver aux portes de Moscou : rien pour les arrêter, la peur ancestrale devenue réalité. Un paysage fait pour alimenter la paranoïa. Même depuis là-haut, on devinait la négligence, les buissons qui envahissaient tout, les chemins de terre et les fermes misérables, puis les usines sous les fumées du charbon. Mais à quoi s'attendait-il donc ? Des forêts de bouleaux et des courses folles en troïka sous la neige qui tombait ? Ce n'était ni la bonne saison ni le bon siècle.
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"Aujourd'hui c'est lui. Ensuite, ce sera autre chose. Nous ne partirons jamais. Et nous serons sous leur nez." De la main elle montra la vitre, comme si des policiers étaient tapis sous un arbre du campo. "On joue au chat et à la souris. En attendant de se faire prendre." Elle me fit face. "C'est peut-être ce que tu veux, te faire prendre. Il y a des gens comme ça. Ils veulent qu'on les attrape."
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Nous sortions alors des arcades et nous avancions sur la piazza ensoleillée. Le vaste espace de la place Saint-Marc éblouit toujours quand on le découvre, et ce moment est grisant. Même Cavallini s'arrêta pour contempler le campanile et les coupoles de la basilique.
"Il semble impossible que des choses pareilles arrivent dans une si belle ville, regardez ça". Et en effet, inondée d'une lumière printanière, la piazza était spectaculaire, avec les mosaïques dorées de la basilique qui réfléchissaient la lumière et les pigeons qui voletaient dans l'air doux.
"J'espère que vous vous trompez, signor Miller. Une famille si ancienne et puis un tel déshonneur sur le nom."
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L'escalier était vide. Tous les invités étaient arrivés. Combien de temps s'écoulerait-il avant que Cavallini s'inquiète ? Un sourire avisé toujours aux lèvres, il nous observait du bord de la piste. Avisé ? Il ne savait rien. Je me rendis compte que personne ne savait rien, personne dans toute cette salle bondée, illuminée. Ce secret me procurait une sorte de plaisir pervers. Personne ne savait. Nous étions un couple en train de danser sur Night and Day, voilà tout.
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Juste après San Ivo, des employés municipaux curaient un canal, un boulot peu ragoûtant, réservé pour l'hiver, quand il n'y avait pas de visiteurs. Des planches obstruaient chaque extrémité, et de gros tuyaux en caoutchouc pompaient l'eau en laissant une couche de boue au fond. Les ouvriers, chaussés de bottes, retiraient saletés et débris à la pelle. La boue recouvrait tout, éclaboussait les bleus de travail, s'agglutinait en grumeaux sur les bords du canal, juste sous la marque laissée par la vase. La grande peur de Gianni, c'était d'être sali si quelqu'un remuait la fange. je l'imaginai sur une terrasse du Lac de Garde, en train de boire avec ceux qui avaient ordonné le départ des convois. J'en avais rencontré en Allemagne, de ces hommes qui ne comprenaient pas encore tout à fait de quoi on les accusait. Mais ceux-là étaient en prison et, épuisés, effrayés, n'étant plus protégés par leur uniforme, attendaient leur procès. Les autres, dans la rue, vaquaient à leurs occupations et rien ne permettait de les reconnaître, ni regard hanté ni tremblement furtif causés par des souvenirs importuns. Le crime n'avait pas laissé de trace. Ils s'en étaient tirés, libres de se déplacer, et même d'épouser une femme riche. Ils souriaient à la table du dîner. Personne ne savait. Rosa n'acceptait pas qu'ils s'en sortent aussi facilement et avait demandé mon aide.
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"_ Tu as dit qu'il l'avait fait d'un signe de tête. Comment ?"
_ A l'hôpital.
_ Ton père était malade.
_ Oui, malade. Mourant. Mais ils ne voulaient pas attendre. Pourquoi attendre Dieu quand tu es Dieu ? Les juifs ne mouraient pas assez vite pour eux.
_ Qui, eux ?
_ Qui ? Les Allemands, leurs amis. Ils fouillaient les hôpitaux. Parfois, ils avaient un informateur. Grini...tu as entendu parler de lui ? Non ? Il aidait les SS. Même dans les maisons de repos. Ils les emmenaient sur des brancards. Mais pas cette fois. Cette fois, il y avait seulement ton ami. Il leur a désigné mon père d'un signe de tête, ça voulait dire "Celui-là, là-bas !" Alors le SS l'a emmené. Tu sais où ils se sont connus ? Mon père a eu le temps de me le dire avant d'être embarqué. A l'école de médecine. Ils ont fait tous les deux des études de médecine.
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Ce qu'il venait de voir était plus qu'une arme. Il en tremblait encore. Peut-être Oppenheimer en avait-il prévu l'ampleur, peut-être personne. Cela n'avait pas encore de nom. Ce n'était pas la mort. On savait représenter la mort, on avait inventé les pyramides, les indulgences et des métaphores à n'en plus finir pour s'en faire une idée. Or tout cela était dérisoire en regard du nuage qui venait de s'élever du désert.
Tout ce que nous avions cru savoir n'était qu'une suite de contes insignifiants à réviser. Le vrai secret était ici. L'anéantissement. La table rase. Un déclic chimique transmué en lumière violette. La fin du conte. Dorénavant, nous allions vivre à jamais dans la peur.
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Soudain un éclair, plus blanc que le magnésium, comme un flash d'appareil photo. Une éblouissante lumière lui transperça le corps et envahit l'espace autour d'eux. Tout devint blanc. Il ferma les paupières une seconde, mais la prodigieuse lumière resta imprimée sur sa rétine. L'éclat grandissait, dévorait le ciel, transfigurait le panorama. Et si Fermi avait raison ? Si cela ne s'arrêtait plus, si les corps fondaient sous la chaleur ? C'était maintenant une immense boule, toujours aveuglante, qui montait en soulevant le désert. La boule grandit, grandit, jaune d'abord puis violette, étrange, terrifiante. Un violet surnaturel que personne avant eux n'avait vu. Son coeur s'arrêta de battre, il voulait se détourner, mais le spectacle l'hypnotisait. Alors les contours du scintillement se précisèrent : le désert s'arrachait du sol en un nuage ascensionnel, relié à la terre par une tige colossale.
Le bruit arriva à retardement : un fracas de tonnerre répercuté par les montagnes, qui roula dans la vallée en déchirant les airs. Qu'est-ce que ce devait être à proximité de la déflagration ! Il chancela, étourdi. Une violence sans limite, inexorable. Personne n'y survivrait.
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"Et cette femme, là-bas, avec le chapeau de paille ? demanda-t-il, joueur. Qu'est-ce qu'elle mijote ?
_ Elle ?
_ Elle n'a pas l'air d'un agent secret.
_ Peut-être qu'elle trompe son mari.
_ Ce n'est pas pareil.
_ La sensation est la même. C'est le mensonge qui est excitant. Et il y a toujours quelque chose de terrible à cacher."
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