Citations de Joseph Ponthus (465)
Sois sage ô ma douleur et tiens-toi plus tranquille.
Boire une bière
Il faut aller se balader
Même si je n'en peux plus
Même si parfois je pleure littéralement de fatigue
Mais tu n'y es pour rien
Jeune chiot de six mois
Dans ces histoires de tueries d'humains
Tu veux juste courir
Jouer
Agripper l'océan sur la plage où nous avons coutume d'aller
Rameuter les oiseaux
Creuser le sable encore et encore
Ramener des bouts de bois des algues et encore courir et jouer
Tu es vivant mon Pok Pok
Et moi accablé de fatigue
Mais si heureux de te voir vivant et heureux
Les mêmes gueules aux mêmes heures
Le même rituel avant l’embauche
Les mêmes douleurs physiques
Les mêmes gestes automatiques
Les mêmes vaches qui défilent encore et toujours à travailler sur cette ligne qui ne s’arrête jamais
Qui ne s’arrêtera jamais
Le même paysage de l’usine
Le même tapis mécanique
Les mêmes collègues à leur place indéboulonnable
Et les vaches défilent
Les mêmes gestes
Ce n'est qu'une étape
Elle est là
Il faut la vivre avec détermination et courage
Maman
(....)
Je sais que ma situation à l'usine t'inquiète même
si tu ne m'en parles pas de ne pas trouver de
"vrai" boulot d'avoir bientôt quarante ans d'avoir
fait des études tout ça pour ça
Je sais que tu as travaillé dur toute ta vie
notamment pour me payer l'école que tu as fait
énormément de sacrifices pour me permettre
d'avoir une bonne éducation ce qui est je crois le
cas
Peut-être pense-tu que c'est du gâchis d'en arriver
là à l'usine
Franchement je ne crois pas bien au contraire
Ce que tu ne sais sans doute pas c'est que c'est
grâce à ces études que je tiens le coup et que j'écris
Sois-en remerciée du fond du coeur (...)
Tout va bien
J'ai du travail
Je travaille dur
Mais ce n'est rien
Nous sommes debout
Ton fils qui t'aime (p. 214-219)
Un beau troupeau de grévistes avec la force de leurs bras et de leur regard
J'aurais été bien parmi eux à foutre un coup de pression aux flics devant la préfecture
J'aurais été si heureux d'être parmi ces "illettrés" que Macron conchie
De ceux qui ne bossent pas pour se payer un
costume mais une polaire Décathlon vu le froid
dans lequel nous bossons
D'être de cette force collective et de se marrer sur
les fainéants qu'il présume que nous sommes
Eh Manu
Tu viendrais pas avec nous demain matin pousser un peu de carcasses qu'on rigole un peu
On ne se doutait pas
A nos coups de fil rituels du dimanche
Quand tu nous disais
"J'ai un peu mal"
Que c'était à ce point
A l'école du cancer
On n'est pas préparé.
L'usine est
Plus que tout autre chose
Un rapport au temps
Le temps qui passe
Qui ne passe pas
Éviter de trop regarder l'horloge
Rien ne change des journées précédentes.
Une soirée et une nuit belles
Comme la liberté volée
ça n'a pas de prix
Même pas celui de ma paie de nuit
Il y a qu'il faut le mettre ce point final
A la ligne
Il y a ce cadeau d'anniversaire que je finis de
t'écrire
Il y a qu'il n'y aura jamais
même si je trouve un vrai travail
Si tant est que l'usine en soit un faux
Ce dont je doute
Il y a qu'il n'y aura jamais
De
Point final
A la ligne
(p. 262)
Parfois c'est rassurant comme un cocon
On fait sans faire
Vagabondant dans ses pensées
La vraie et seule liberté est intérieure
Usine tu n'auras pas mon âme
Je suis là
Et vaux bien plus que toi
Grâce à toi
Je suis sur les rives de l'enfance
Pas un mort n'était encore venu obscurcir ma vie
Je suis chez ma grand-mère (p. 179)
L'usine bouleverse mon corps
Mes certitudes
Ce que je croyais savoir du travail et du repos
De la fatigue
De la joie
De l'humanité
A l’inconnue qui me dévore
"À quoi pensé-je, Joseph Ponthus, en commençant à écrire ces mots, en janvier 2021, à l’invitation des éditions Calligrammes pour célébrer le quarantième anniversaire de la mort de Xavier Grall ? Je me sais tout autant cancérisé, métastasé, tumorisé aux intestins, au foie, aux poumons, aux os. J’ai 42 ans et ce sera peut-être mon dernier grand texte. J’avance à tâtons sur ces mots comme je marche, avec des béquilles, croyant que ce texte retardera peut-être l’échéance, comme une prière, complainte, litanie ou supplique à je ne sais quel Dieu.
Je rêve de mes collègues titulaires bien au chaud
dans leur lit qui seront sans doute respectés tout à
l'heure quand ils se baladeront en cortège avec
tous leurs drapeaux "CGT abattoir"
Un beau troupeau de grévistes avec la force de leur bras et de leur regard
J'aurais bien été parmi eu à foutre un coup de
pression aux flics devant la préfecture
J'aurais été si heureux d'être parmi ces "illettrés"
que Macron conchie
De ceux qui ne bossent pas pour se payer un
costume mais une polaire Décathlon vu le froid
dans lequel nous bossons
D'être de cette force collective et de se marrer sur
les fainéants qu'il présume que nous sommes
Eh Manu
Tu viendrais pas avec nous demain matin pousser
un peu de carcasses qu'on rigole un peu
"Ça caille vraiment dans l'usine
- C'est une usine de poissons frais donc vaut
mieux oui
- Mais j'ai trois paires de gants et les mains gelées
- ...
- Tu crois que je peux demander au chef si on
peut mettre de l'eau chaude dans les bacs de
poisson où il y a de la glace comme ça ce sera
mieux pour travailler"
Ce brave homme ne semble pas avoir inventé le
liquide qu'il désire sur son poisson.
On compte sa peine
Ses abattis
Et ses douleurs
Je compte et je recompte
Parce que
C'est toujours comme chez Brel
"Chez ces gens-là
On ne cause pas
On ne cause pas
On compte."
Une de mes tantes est passée à l'improviste avant-
hier à la maison une heure ou deux après la
débauche (...)
On cause un peu de l'usine
On boit un coup
Je dois avoir les yeux un peu secs et rares du
retour et la parole qui lutte
J'essaie de dire
Mes mots peinent autant que mon corps quand il
est au travail (p. 92)
"La vendredite" en sourions-nous aujourd'hui
avec mon épouse
Comme une maladie qu'on saurait enfin nommer
Comme si
Toute l'inconsciente pression accumulée
les douleurs du corps et la fatigue accumulées
L'ennui du temps qui ne passe pas accumulé
Les jours d'usine accumulés
Tous les jours d'usine
Tous ceux depuis mon entrée dans la machine
Voici déjà plus d'un an et ma sortie que je ne vois
décidément pas venir
Le fait de devoir renquiller lundi pour une autre
semaine
Le fait de devoir se reposer le week-end
Comme si
La sempiternelle problématique qui veut que la tête
tienne bon sinon le coeur lâche
Et que le corps tienne bon sinon la tête explose
Comme si tout éclatait à chaque fin de semaine. (p. 184)
L'autre jour à la pause j'entends une ouvrière dire à un de ses collègues
« Tu te rends compte aujourd'hui c'est tellement speed que j'ai même pas le temps de chanter »
Je crois que c'est une des phrases les plus belles les plus vraies et les plus dures qui aient jamais été dites sur la condition ouvrière
Ces moments où c'est tellement indicible que l'on a même pas le temps de chanter
Juste voir la chaîne qui avance sans fin l'angoisse qui monte l'inéluctable de la machine et devoir continuer coûte que coûte la production alors
Même pas le temps de chanter
Et diable qu'il y a de jours sans
J’écris comme je travaille
À la chaîne
À la ligne