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Critiques de Joséphin Péladan (8)
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Les amants de Pise

La postérité n'est pas tendre avec Joséphin Peladan, dit le « Sar » Peladan, Dandy excentrique notoire « fin de siècle » qui aimait à apparaître entre autre extravagance sous les traits d'un noble Assyrien. Qui lit encore Peladan ? Pourtant auteur d'une multitude de romans, de pièces de théâtre, d'ouvrages sur l'art, de manuels d'occultisme… et participant activement à la vie mondaine de cette fin de siècle dont il est l'un des représentants les plus influents. Par pur hasard, je suis tombé sur un de ses derniers romans, parus vers 1910. « Les amants de Pise », c'est l'histoire d'une jeune veuve parisienne qui, munie d'un petit pécule laissé par son défunt mari, décide d'entreprendre le « tour» d'Italie. Son voyage va s'arrêter à Pise où elle fera la rencontre d'un aristocrate ruiné, reclus dans son palais Renaissance, qui prend eau de toute part, préférant vivre , pauvre et miséreux, dans le faste décrépi de sa demeure plutôt que de vendre un objet précieux pour manger à sa faim. Simone Davenant et Ranier della Gherardesca vont s'aimer chastement et finiront par se vouer un culte l'un pour l'autre, se retrouvant dans cette passion pour la magnificence d'un passé révolu. Avec ce roman, on est en plein symbolisme. Hubert juin, dans sa préface, fait de nombreuses références à Gustave Moreau, à Huysmans, à D'Annunzio, à Jean Lorrain… C'est dire si cette intrigue est à replacer dans ce contexte à la fois de désillusion pour un siècle finissant à force de rappels fastueux de civilisations passées et annonçant la survenue d'un XXe siècle dont les bruits de bottes annoncent déjà la première guerre mondiale. Cependant, à la différence de D'Annunzio, Lorrain ou Huysmans, Peladan a tendance à s'enferrer dans de longues descriptions de paysages, d'oeuvres d'art, de sentiments, d'assertions pseudo philosophiques sur les différences de sensibilité entre hommes et femmes qui alourdissent bien souvent le récit et nuisent à la continuité de l'action. Je suis très vite passé sur des pages entières pour en arriver au surprenant dénouement. Ce roman ne plaira certainement pas à tous tant il apparaît daté mais réjouira les passionnés « fin de siècle ».
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Le Vice suprême

« Le vice suprême », roman catholique et monarchiste, a connu un certain succès lors de sa parution en 1884. C’est le premier d’une éthopée - ainsi que Péladan lui-même a nommé cet ensemble de romans - consacrée à la décadence de la race latine. L’action commence à Florence, à la fin du dix-neuvième siècle. Leonora d’Este est une descendante de la famille d’Este et de Lucrèce Borgia. Dans son sang coule le vice de ses ancêtres, mais un vice magnifié, qui, loin de se réaliser dans la concupiscence, se manifeste par sa chasteté et son dédain des hommes. Mariée, elle vient vivre à Paris, nouvelle ville du vice. Puis, veuve, elle devient le fantasme de toute une armée d’hommes lubriques. Pourquoi la chasteté de la princesse d’Este est-elle le vice suprême ? Parce qu’elle n’est pas l’accomplissement du Mal, mais son origine. En terme moderne, Leonora est une allumeuse. Et Péladan soutient que l’accomplissement du Mal est moins répréhensible que de susciter le vice chez les autres. De toute façon, pour Péladan, il n’y a pas d’échappatoire, nous sommes tous des pécheurs. Le plaisir, le désir et même l’amour profane ne sont que des formes différentes du plus odieux des vices. Toutes sortes de subtilités théologiques sont évoquées dans ce roman et ne peuvent laisser le lecteur attentif que dans un gouffre de perplexité. Péladan s’en sort avec des pirouettes magiques et astrologiques assez peu convaincantes. Sa religion se situe à mi-chemin entre Saint-Augustin et Paco Rabanne, beaucoup plus proche de ce dernier en fait. Il suffit de regarder des photos de lui avec sa pilosité assyrienne et sa robe de bure (je parle de Joséphin Péladan, pas de Paco) pour comprendre qu’il a eu au moins une bonne idée, celle de vivre cinquante ans avant l’âge d’or des camisoles de force et des électrochocs. Plus sérieusement, Péladan avait une grande culture, peut-être un peu trop ostentatoire, mais surtout inutile, menant partout et nulle part. Aussi, je me demande sérieusement jusqu’à quel point il a compris ce qu’il écrivait. Ce roman est-il d’une totale hypocrisie ou d’une réelle naïveté ? Les deux, j’ai l’impression. En tout cas, il est évident que cette Leonora d’Este est la matérialisation de ses fantasmes. Son succube, pour employer ses termes. Et puis, trois viols de vierge en un seul roman, je ne crois pas que ce soit innocent. Tout ça pour en venir à sa misogynie, qui là, est indéniable. Roman catho, donc : La femme est considérée comme un être normalement inintelligent, source de tout le Mal du monde, impure dès la perte de sa virginité. Mais surtout, on sent bien que Péladan est de la même espèce que les individus qui aiment répéter : « Elle l’a bien cherché ». A côté de ça, il y a des passages très intéressants, par exemple sur la faillite de l’Union générale, évènement loin d’être anodin dans une France dont la ligne de démarcation politique se situait encore entre les républicains et les monarchistes, et qui a provoqué la ruine du parti légitimiste et par la même occasion augmenté le ressentiment d’une partie de la population envers les banquiers juifs. Bref, il y a beaucoup de sujets dans ce roman, plus ou moins heureux. Quant à son style d’écriture, il est, lui aussi, très discutable. Il a un certain goût pour le classicisme qui rebutera d’emblée tous les amateurs de platitudes contemporaines et ça, c’est plutôt un bon point. Certains passages sont délicieusement surannés comme un vieux roman de chevalerie. Des fois on frôle le comique, lorsque Péladan raconte la guerre de 1870 façon « chanson de Roland ». Mais tout ça est plutôt charmant. Par contre, son maniérisme, l’afféterie de son style, son côté bêtement prétentieux ne laissent aucun doute : Péladan était un écrivain de second ordre. Il était au classicisme ce que le stuc est au marbre, une imitation. Les néologismes, les mots barbares comme « écolièrement », « docilisé » ou « rebellionnée » envahissent le texte et il faut avoir un gros sens de l’humour pour ne pas refermer ce livre. Et cette manie des citations latines inopportunes et gratuites, est très fatigante. Péladan c’est du toc, du faux, on a l’impression d’être au théâtre et de regarder une pièce ambitieuse faite avec trois bouts de ficelle. Ce qui ne serait pas désagréable en soi si l’auteur ne se prenait pas tant au sérieux.
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Les amants de Pise

Voici un ouvrage qui s'inscrit dans le courant symboliste. Il est signé par un personnage tout à fait excentrique, Joséphin Peladan, qui se présente comme Sar Peladan, “sar” étant “le roi” en assyrien et va dans le monde, vêtu de manière extravagante, le visage obscurci par une barbe taillée à la mode assyrienne.

Son roman,“Les amants de Pise” illustre au plus près les préceptes symbolistes : le parti pris de l'idéalisme (donc le rejet absolu des écrivains qui s'illustrent dans le naturalisme, au premier chef, Zola), la nostalgie d'un passé glorieux, les beautés de l'antiquité, la célébration de la religion, le penchant prononcé pour l'ésotérisme, l'occultisme, le spiritisme et autres “ismes”auxquels s'adonne assidûment l'auteur

Ce roman fait la part belle à toutes ces sources d'inspiration en situant l'intrigue à Pise entre une jeune femme récemment veuve et un jeune noble appauvri. Le début met en scène Simone Davenant, une très jolie femme qui veut échapper à la tristesse de son veuvage et à sa solitude, en faisant un voyage en Italie, destination Florence.

Son périple commence à Monte Carlo où vit une connaissance qui décrit la ville comme une immense salle de jeux et lui présentera un gandin dont elle rejettera les galanteries.

Puis, Gênes qui se révèle être, à ses yeux, une ville vulgaire peuplée de gens vulgaires qu'elle fuit pour visiter Pise. Elle y est alors submergée d'émotion face à l'esthétique de l'architecture et des oeuvres d'art de cette ville.

Par un concours de circonstances, elle rencontrera donc Ugolino de la Gherardesca, un jeune comte dont le palais tombe en ruine et qui se morfond avec le sentiment d'être une fin de race. Une relation se noue.

Le récit est constamment émaillé de considérations sur la société des hommes, la décadence des moeurs ou encore sur l'art, sur l'amour ou les femmes. Le dialogue, notamment sur les differences entre hommes et femmes, y tient une place importante. Les hommes n'intéressent pas Simone qui, cependant accepte leur badinage, lequel lui permet de prendre conscience de sa force morale .

Le style usant du langage le plus châtié tout comme les sujets de conversation rendent un son un peu désuet qui place bien les “amants de Pise” dans la cohorte des écrivains mineurs “fin de siècle”.

Mais Peladan a le talent de nous tenir en haleine jusqu'au dénouement . Aussi peut-on lire son roman de quelque trois cents pages aisément .

Que Péladan ait sombré dans l'oubli après avoir été fameux peut s'expliquer par l'abondance des stéréotypes qui dépeignent des temps révolus et des sources d' inspiration qui, indépendamment des deux amants, fait de ses personnages des types humains voués à incarner des idées aujourd'hui aujourd'hui battues en brèche.

Ainsi de Sichem, une émule de Shylock, qui enrage de ne pouvoir mettre la main sur le palais et tous ses objets d'art ou Signora Serafina, la paysanne laide et plébéienne mais enrichie, qui compte échapper à sa classe sociale par un mariage avec le comte Ugolino.

On assiste à regret à la mise en scène de la figure réactionnaire convenue du juif avide. On déplore aussi la misogynie la plus inepte au détour d'une page.

Mais lire Péladan nous informe bien des mentalités fin de siècle.

Et puis l'on est un peu consolé d'apprendre que “Sar” Peladan fut la risée de nombreuse revues libertaires où le portrait-charge et la caricature abondent, de sorte que le titre qu'il s'est donné finit en “Sar-dîne” et son nom en “pedalant” !
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L'art idéaliste & mystique. Doctrine de l'Ord..

« L’art idéaliste et mystique », que l’auteur aurait aussi bien pu appeler « L’art vide et réac », est un manifeste esthétique qui vise à exposer les lois qui ont régentées le salon des Rose-croix. Ce salon a eu lieu à Paris de 1892 à 1897, à raison d’une exposition par an. Fondé sur les idées de Péladan, il est éminemment basé sur la religion catholique. En même temps, c’est un grand bazar où se mêlent la kabbale, le Beau Idéal, une sacralisation de l’artiste, et bien sûr, une haine absolue de la modernité, de la république, de l’embourgeoisement, etc.

Cet Ordre des Rose-croix, assez pittoresque, se veut le successeur des Templiers, c’est-à-dire des chevaliers au service de l’Eglise. La laïcité, la vulgarisation de l’art sont ses grands ennemis. C’est surtout un mouvement en réaction au naturalisme et à l’impressionnisme qui gouvernent l’art français à cette époque. Esthétiquement, il n’apporte rien de nouveau et ne fait que développer les vieilles idées sur le Beau Idéal. Pour donner une idée des goûts de Péladan, il vénère Léonard de Vinci et en particulier la Joconde, se réfère en général à l’art grec et à la renaissance italienne, aime bien Puvis de Chavannes, Félicien Rops, Gustave Moreau et voue un culte à Wagner. Il n’aime pas, entre autres choses : la peinture d’histoire, les natures mortes, les paysages, Rubens, Victor Hugo et surtout, il déteste Zola, ce « porc de Médan ». Les raisons de cette haine sont d’ailleurs compréhensibles mais manquent terriblement de noblesse et de charité. Il n’a pas tort, non plus, dans sa critique sur la vulgarisation de l’art, sur le fait que les dilettantes et les mondains préfèrent troquer leurs cannes à pêche pour des pinceaux. Il a assez judicieusement remarqué que ces mondains sont surtout des hommes vains et il reproche en général à la société son individualisme qui se répercute dans l’art. Contre ça, il préconise l’Idéalisme, c’est-à-dire, si j’ai bien compris, une peinture essentiellement religieuse et dénuée de toute expressivité et de toute personnalité. Pas de costumes contemporains mais des drapés antiques, pas de visions personnelles mais des conventions calquées sur les grands maîtres.

A mon avis, Péladan était un pantin assez comique qui était du genre à desservir les causes qu’il prétendait défendre. Sans s’en rendre compte, il participait à cette décadence qu’il dénonçait. Il avait une grande culture, très étendue, mais qui ne lui servait qu’à répéter bêtement ce qu’il avait lu et à tout mélanger. Faire de la kabbale, de la magie et parler de mystique sans évoquer un seul des grands mystiques de la tradition catholique, ce n’est pas rendre service à cette religion, mais plutôt la ridiculiser. On est vraiment, avec lui, au début de toutes les bouffonneries sectaires, les paumés, les allumés de Krishna, qui ont proliférés au vingtième siècle. Mais surtout, sa prose est assez éprouvante à lire. Il fait preuve d’une préciosité ridicule, d’une volonté de se distinguer et de paraitre érudit particulièrement pompeuse. Si encore son style s’accorderait à ses idées, mais là… Prétendre défendre le classicisme, la beauté, la tradition et parsemer son texte de vilains mots, inutiles et faussement médités comme : « passionnalité », « maladitivité » ou « plausibiliser » (des exemples parmi tant d’autres), il faut quand même avoir un sacré culot ou être un imbécile complet. Par quelle magie, Mallarmé, qui, à la même époque, tordait et étirait la langue française comme jamais auparavant, me parait infiniment plus respectueux de la tradition classique ? Mystère.
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L'Ange noir : Petit traité des Succubes

Petit traité de moi. J'aime !
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Le Vice suprême

Le roman fin-de-siècle a ses codes, qu’il vaudrait souvent mieux, comme pour tout texte « d’école » ne pas voir strictement respectés à la façon d’une application de recette qui lasse. Toute œuvre dont il existe quantité de variations similaires devient système et non plus art. La copie d’un procédé est de moindre valeur que la recherche d’un procédé nouveau, si possible plus efficace ou plus vrai.

Ainsi Peladan m’évoque-t-il Fersen, qui m’évoque Rachilde, etc.

Style d’érudition magnifique, d’étrangeté byzantine, d’efforts disparates, délibérément condescendant. Intrigue prétexte à démesures incrédibles, concaténée chronologiquement, sans planification élaborée, somme de tableaux arrêtés à contempler immobiles et encadrés d’or à la Sardanapale. Foules banales qu’une frénésie de divertissement aliène de dignité, de grandeur, d’individualité, grégarisées en troupeaux veules et excessivement confortables. Personnages monstrueux, monstrueux dans l’innocence ou monstrueux dans le vice, saints impavides comme des marbres ou dépravés débridés comme des diables, tous difformes, tous anomaux, répertoire de tératologie.

Et il m’est venu à cet endroit une réflexion fondamentale : c’est qu’on a tort d’admettre la littérature fin-de-siècle comme décadente et corrompant les mœurs. Pour réaliser un tel effet de subversion, il faudrait qu’elle condamnât ce que les mœurs admettent le bien, qu’elle tâchât à opérer un renversement de valeur, à instruire une réforme, du moins à rediriger la morale, à la questionner, et qu’en quelque chose elle mette en péril les normes unanimes et établies ; mais il n’en est rien ; le fin-de-siècle conserve les repères, ne propose nulle évolution de paradigme, et il inclut même une préciosité populaire et plaisante, dont l’aura de scandale, un certain temps, attira comme une excitation. Il ne comporte qu’une critique de la société de l’amusement et de la déspiritualisation, qui est au fond une critique très morale et presque une homélie, parce que chacun veut bien l’admettre, et continuer à se divertir stupidement – cet aveu est une condition de la déresponsabilisation : j’en suis conscient, je le déplore, donc je me suis repenti et je puis poursuivre mon genre de vie avec les minuscules altérations congruentes pour me donner bonne conscience. Les intrigues y présentent toujours nettement leurs monstres comme monstrueux, puis les monstres cruels périront dans leurs tares et les monstres gentils dans un halo lumineux – certes, en définitive tout s’extermine et s’annihile, mais c’est un dénouement d’Apocalypse à la Saint Jean. De tels romans ne sont pas diabolismes ou messes noires, ils ne convertissent pas au mal et ne sont nullement écrits dans l’intention d’invoquer des démons et de célébrer le vice ; ils sont au contraire une façon très rassurante et convenue de continuer à identifier le bien et le mal selon les mêmes critères manichéens, à se catégoriser dans le meilleur des camps par une dénonciation très propre (comme c’est curieux, tous ces auteurs dandy somptuaires qui plaident pour la vie rudimentaire !), mais sans implication, sans alternative, sans autre perspective, sans « par-delà bien et mal », et surtout : sans référence à Nietzsche. Je dirais – qu’on me pardonne – qu’un auteur décadent est par définition celui qui n’a pas lu Nietzsche et qui, à cause de cela, ressasse et retarde. Sa représentation, passée, est puérile et vaine, sans hauteur ni accès faute de distance et de proposition : cela ne touche personne, et cela ne touche même pas la réalité du mondain qui en disserte. Décoration et impostures – rentabilité.

Et autre écueil : comme la mutation d’une société vers l’évanescence donne aux auteurs fin-de-siècle le sentiment d’une déchéance, et puisqu’une évolution, même qu’un progrès, leur paraît foncièrement un déclin, pour soutenir ce jugement catégorique ils produisent des fictions qui entretiennent et prolongent l’univers du divertissement, puis convoquent en les rehaussant certains passés douteux redorés de couleurs fabuleuses en gloires d’auréole qui présentent tout le caractère du spectre et du conte dans une volonté fallacieuse et rétrograde. Ils veulent alors ressusciter les dogmes anciens, aspirant par exemple comme Peladan, Bloy ou d’Aurevilly au retour d’un catholicisme de suprême autorité, sans admettre que cette religiosité était inepte et presque mondaine, fondée sur la crainte et la superstition, et finalement une sorte d’adhésion plus ou moins impensée sans force individuelle. Et l’on aboutit ainsi à un conservatisme inepte, aveugle et de pure réaction, consistant à rechercher par défaut ce qui n’est plus, ce qui s’est éteint, dans la conviction, plutôt que l’analyse, que rien ne peut être pire que le présent, de sorte qu’il devient superflu d’examiner vraiment le passé pour le vouloir réaliser. D’Aurevilly livre d’ailleurs une préface étonnamment absurde, dans laquelle il semble considérer Le vice suprême comme un plaidoyer pour la monarchie ainsi qu’un manifeste catholique, et ce regard biaisé, sectaire, obtus, de sérieux outré et en grand décalage avec l’amusement d’horreurs impossibles dépeintes dans le livre, l’incite à produire à la fois un éloge extrêmement convenu et un blâme fort incongru, éloge et blâme aussi faux l’un que l’autre. C’est considérer ce roman avec trop de profondeur et de militantisme, sur la foi de son mysticisme d’apparat, parce que… c’est un divertissement encore, immature, clinquant, du faux-homme, de la décadence de mode. Peladan ne cessera jamais d’arborer ce dandysme mondain dont il espère évidemment un succès énorme.

Au fait : cela parle d’une princesse machiavélique, et résolue, en son désœuvrement, à rendre les hommes fous de luxure sans qu’on la touche, et qui mène une vie fastueuse d’ennui. Cela parle aussi d’une androgyne perverse et cupide, ancienne prostituée amorale, qui fonde un groupe de cyniques versés dans l’amertume, la médisance et la vilenie distinguées. Cela parle encore d’hommes solitaires combattant la turpitude, dont l’un est mage adepte du magnétisme et du mithridatisme spirituel, et un autre prêtre enthousiaste dénonçant une société pécheresse en prêches accusateurs. Et ce qui rend cette profusion de personnages nécessaire, c’est le besoin d’alimenter une intrigue dont les péripéties manquent, parce que le roman narre une végétation ou un pourrissement sans perspective ni souci de vraisemblance. Comme souvent dans ce genre, il ne se passe presque rien, et le peu qui arrive n’est guère profond.

Toujours est-ce artiste : goût du verbe éclatant, de l’éloquence pourpre, de la sélection des tournures pittoresques, originales, sensuelles, puissantes et évocatoires, comme on n’en ose plus depuis plus d’un siècle : « Elle grandit dans ces salles immenses où le bruit de ses jeux éveillait des échos si étrangement sonores, qu’elle les interrompait souvent, interdite, inquiète par les regards des portraits d’aïeux. […] Dans ses ébats elle ne se roula pas sur les meubles mous et bas des décadences ; elle heurta sa nonchalance aux lignes droites, au bois dur, aux formes architectoniques de ce mobilier de la Renaissance qui pousse à l’action par son inaptitude aux alanguissements de la rêverie. » (pages 30-31) ; « Sa voix, d’une stridence aiguë, avec des éclats de cristal heurté, faisait un bris de vitres quand il riait. » (page 217). Aussi, des lucidités à l’endroit des foules, et qui réjouissent de justesse encore actuelle, comme : « Pantin cassé aux ficelles pendantes, le décadent n’a même pas le ressort qu’il faut pour déplacer son vice et changer de fumier ; il pourrit sur place, heureux de cette vermine, qui, pour quelques droits qu’elle lui ôte, lui ôte aussi tous les devoirs. Dédaigneux de sa liberté qui lui pèse, il appelle avec cris la tyrannie d’un vice. Aux époques d’épée, on faisait bon marché de sa vie ; aux époques de dandysme, on fait bon marché de sa volonté. Vivre est si nauséeux qu’on s’abandonne avec le martellement de l’habitude à ce lent suicide : l’ivresse de l’inertie. » (page 76) ; ou : « « Je reconnais une loi doublement organique ; mais plus cette loi sera générale, plus je me dois d’y faire exception. L’exception, c’est tout ce qu’il y a de grand dans l’humanité, c’est tout ce qui reste des civilisations. Le saint, l’homme de génie, exceptions ! le chef-d’œuvre d’art ou de vertu, exceptions ! » De la constatation des horreurs sociales, de l’inutilité des efforts humains, du dessèchement de sa sensibilité, un ennui lourd – car il était fait de pensées – tombait sur elle. Nature poétique tournée à l’aigre, voyant l’envers des gens, des faits, des mots ; ayant l’intuition des versos, des dessous, elle gémissait de n’avoir pas un grand destin. » (pages 85-86) ; ou encore : « « Vous êtes un inerte, c’est pire. Mieux vaut le Mal qui veut, que le bien qui ne sait pas vouloir ; la passivité de l’homme est plus honteuse que toute perversité de femme. » » (page 119) ; ou au surplus la formule lapidaire suivante, indiquant l’effet de toute éloquence irréfragable sur un matériau médiocre : « Émues, non contrites ; point converties, humiliées. » (page 275) ; ou enfin, ce remède, que j’avais déjà envisagé, à la déchéance d’esprit qui atteint la société : « « La passion est une roue qui tourne à senestre dans le sens du mal ; imbécillité de l’arrêter. Il faut la faire tourner à dextre, dans le bien. C’est la roue du Tarot, c’est le cœur de l’homme. On l’a arrêtée ! On a fait des culs-de-jatte, de peur qu’ils ne fissent usage mauvais de leurs membres. Toi qui rêves, comme Alta, de régénération : chauffe les passions à blanc ; le feu purifie ou consume, et l’incendie d’une société a sa grandeur ; tandis que ce monde moderne que tu aimes, jeune que tu es, s’en ira, avec l’imperceptible gargouillis d’un robinet qui s’égoutte ou le susurrement d’un ballon qui crève… » » (page 386)

Peladan joue, et il joue en ayant l’air sérieux, à quoi se prend d’Aurévilly, comme dans ces tableaux où les clartés jouxtent les sombreurs et où le critique penche toujours du côté où son tempérament le pousse. Il réalise un parangon de ciselures, selon l’exemple d’une toile de Gustave Moreau, reprenant un thème en vogue, ce « jaune » caractéristique et de racole, sans y adjoindre, à vrai dire, plus qu’une énième histoire de « vampires » qu’on n’écrirait certainement pas pour soi seul, qu’on épanche dans la société, une épate, rien de profondément personnel, et donc – une sorte d’impeccable insincérité.
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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Le Vice suprême

Il s'agit d'une oeuvre de jeunesse de Joséphin Péladan, qui décrit le triste sort d'une princesse italienne, victime d'un vice qui l'entraîne fatalement à sa perte. L'écrivain s'inscrit dans le mouvement des décadents, et est stylistiquement très proche d'un Barbey d'Aurevilly, qui a d'ailleurs préfacé ce livre, ou bien d'un Villiers de l'Isle d'Adam. A l'instar de Barbey, je regrette la part trop importante donnée à la magie dans ce livre, mais ses immenses qualités permettent de passer outre ce point. Mention spéciale pour le prince de Courtenay, qui m'a rappelé Robert de Saint-Loup, de la Recherche du temps perdu. J'ai l'impression que le côté mystique de l'auteur, qui m'a un peu rebuté dans ce livre, n'a fait que se développer par la suite. Joséphin Péladan (qui s'est rebaptisé Sar Mérodack Joséphin Peladan plus tard, quand il a sombré dans le mysticisme occultiste) est actuellement tombé dans l'oubli et je n'en ai jamais entendu parler.
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L'Ange noir : Petit traité des Succubes

Voilà un recueil de textes – poèmes, nouvelles, extraits d'essais – datant pour la plupart de la fin du XIXe siècle. Le fait n'est pas si fréquent et mérite d'être signalé.
Lien : http://www.actualitte.com/cr..
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