En regardant ses mains
[...] regarde la main sensible, la main pensive. Comme elles se prennent et se déprennent, comme elles se mêlent et se démêlent. comme elles caressent, comme elles lèvent, comme elles attaquent, si courageuses, si douces aussi ! Et puis regarde-les tenant un livre, accompagnant en paix, par-dessous mais si parfaitement disposées, l'écriture. [...]
Elle parlait autrement que nous tous,
d'autres choses d'ici, mais jamais dites
avant qu'elle ne les eût dites. Elle était tout
Nature, amour et livre.
Comme l'aurore, toujours,
elle commençait de façon imprévue,
si loin de tout ce que l'on rêve !
Toujours, comme midi,
elle arrivait à son zénith, d'une manière
insoupçonnée,
si loin de tout ce que l'on raconte !
Comme le crépuscule, toujours,
elle se taisait d'une façon inconcevable,
si loin de tout ce que l'on pense !
Si loin, si près
de moi son corps!
Son âme,
si loin, si près de moi !
… Nature, amour et livre.
AVERTISSEMENT AUX HOMMES
QUI LIRONT CE LIVRE POUR ENFANTS
Ce petit livre où la joie et la peine sont jumelles
comme les oreilles de Platero était écrit pour…
mais sais-je pour qui !... pour ceux pour lesquels
nous écrivons, nous, les poètes lyriques… Mainte-
nant qu'il adresse aux enfants, je ne lui ôte ni ne
lui ajoute une seule virgule. Dieu merci !
« Là où il y a des enfants, dit Novalis, il existe
un âge d'or. » Eh bien, à travers cet âge d'or, qui
ressemble à une île spirituelle tombée du ciel,
s'avance dans le cœur du poète, et il s'y trouve si à son
goût que son plus grand désir serait de ne jamais
l'abandonner.
Ile de grâce, de fraîcheur et de bonheur, âge
d'or des enfants : sois toujours présente dans ma
vie, cet océan de deuil ; et que ta brise m'offre sa
lyre, haute et parfois insensée, comme le trille de
l'alouette dans le soleil blanc du petit matin !
LE POÈTE
Madrid, 1914
p.49
“Les dieux n’ont pas eu d’autre substance que celle que j’ai moi-même”. J’ai, comme eux, la substance de tout ce qui a été vécu et de tout ce qui reste à vivre. Je ne suis pas seulement un présent, mais une fugue torrentielle, de bout en bout. Et ce que je vois, de part et d’autre, dans cette fugue (avec des roses, des ailes brisées, de l’ombre et de la lumière) n’appartient qu’à moi, souvenir et désirs bien à moi, pressentiment, oubli. Qui sait mieux que moi, qui, quel homme ou quel dieu peut, a pu, ou pourra me dire à moi ce que sont ma vie et ma mort, ce qu’elles ne sont pas ? Si quelqu’un le sait, je le sais mieux que lui, et si quelqu’un l’ignore, mieux que lui je l’ignore. Une lutte entre cette ignorance et ce savoir, voilà ma vie, sa vie, voilà la vie. Passent des vents comme des oiseaux, des oiseaux comme des fleurs, des fleurs soleils et lunes, des lunes soleils comme moi, comme des âmes comme des corps, des corps comme la mort et la résurrection ; comme des dieux. Et je suis un dieu sans épée, sans rien de ce que font les hommes avec leur science ; seulement avec ce qui est le fruit de la vie, ce qui change tout ; oui, de feu ou de lumière, de lumière. Pourquoi mangeons-nous et buvons-nous autre chose que lumière ou feu ? Si je suis né dans le soleil, et si de lui je suis venu ici dans l’ombre, suis-je fait de soleil et comme lui ai-je le pouvoir d’éclairer ? Ma nostalgie, comme celle de la lune, est d’avoir été soleil d’un soleil un jour et de le refléter, sans plus, maintenant. Passe l’iris en chantant comme moi. Adieu iris, iris, nous nous reverrons, car l’amour est un et seul et il revient chaque jour.
Je ne sais avec quoi le dire
car ma parole
n'est pas encore faite.
Plénitude d'aujourd'hui
rameau en fleur de demain.
Mon âme s'apprête à refaire
le monde pareil à mon âme.
Le poète est l’homme qui a en lui un dieu immanent, et comme le médium de cette immanence.