Citations de Julia Wallach (23)
J’ai retrouvé ma feuille d’entrée, avec mon nom et celui de mon père et de tous ceux du convoi 55, affichée à Birkenau dans le pavillon français. Je me suis souvenue que mon père m’avait dit : « Je ne survivrai pas à ta mère. Mais toi, tu es jeune. Vis, rentre à la maison, et raconte ce qu’on nous a fait. » Alors j’ai commencé à parler. Et je n’ai jamais cessé.
Quand on est rentrés des camps, personne ne voulait savoir ce à quoi nous avions survécu. En France, il y a des gens qui n’avaient pas la conscience tranquille. On était le reproche vivant de leurs mauvaises actions ou de leur lâcheté.
...
Même parmi les juifs, même au sein de nos familles, ils ne voulaient pas écouter.
Drancy, c'est l'attente, rien d'autre que l'attente, l'inquiétude et l'espoir qui alternent, se mélangent, l'angoisse tout le jour, l'angoisse la nuit quand on somnole entre les pleurs, les gémissements et les cauchemars de tous ces inconnus, l'angoisse rythmée des discussions sans fin des adultes, des discussions à voix basse, qui ne riment à rien, où les pessimistes affrontent les optimistes où la raison tente de se frayer un chemin.
Je suis retournée à Auschwitz avec mon mari et d’autres survivants. On a emporté assez de provisions pour tenir une semaine – s’ils croyaient que j’allais dépenser un centime chez eux. Après les cérémonies, mon amie Fanny Wegiweski et moi, on est allées au bout des rails, devant les wagons qui menaient au four, on a grimpé sur une pierre et on a dit : « On les a eus. » Tout le monde pleurait
Nos enfants sont chargés de ces vies qui n’ont pas été vécues.
J’ai l’impression d’être née millionnaire alors qu’on n’a jamais eu grand-chose, sauf l’amour.
Je suis rentrée les poings serrés, prête à en découdre. Je suis rentrée dure autant que jétais maigre. Un morceau de fureur forgé par dix-huit mois de camp, par les marches de la mort, par ces quatre mois de traversée de l'Allemagne à pied, par la brutalité des SS prêts à tomber I'uniforme, par la méchanceté de ces paysans qui continuaient de vouloir nous dénoncer, nous les verfluchte Juden, les maudits juifs, comme ils disaient. Je suis rentrée tatouée et brisée, le Visage et les jambes tachés de cicatrices, mais la rage au ventre. Je suis rentrée pour parler et pour me battre, pour reprendre ce qui était à moi. Je suis rentrée comme un reproche. Je suis rentrée le coœur brisé.
Le jour de la naissance de ma première petite-fille, j'ai repensé à toutes ces femmes du camp, à leurs enfants assassinés, à tous ces petits jamais nés, fantômes de ce qui aurait pu être et ne sera pas. Ma première petite-fille, comme tous les enfants des survivants, je crois qu elle porte ce poids en elle. Ce souffie aussi. Nos enfants sont chargés de ces vies qui n'ont pas été vécues.
La première fois que Madame Escoffier, la voisine qui nous avait dénoncés, m’a vue, elle m’a dévisagée comme si j’étais un fantôme puis elle a tourné les talons et elle est partie en courant. D’y repenser, j’en ris encore.
J’y pense : vous savez qu’il n’y a toujours pas d’oiseaux à Auschwitz. Soixante-quinze ans après, ils ne sont pas revenus
Grandir entre des gens qui s'aiment, ça donne le goût de la joie.
Ceux qui montaient dans les camions étaient conduits directement aux chambres à gaz. C’était cette odeur qui planait sur le camp, l’odeur des petits enfants et des vieillards, l’odeur des femmes et des hommes qui avaient voulu s’asseoir.
Mes souvenirs du camp, eux-mêmes, s’estompent parfois. Je vieillis. Les noms disparaissent. Il y en a que je connaissais encore la veille et qui me restent aujourd’hui sur le bout de la langue : je les cherche, ils ne reviennent pas. Le prénom d’un ami. Le nom de famille de celui qui m’a sauvée. Il y a des jours où tout s’efface.
Mais pas la perte. Ni la colère.
La joie non plus, heureusement, et j’en ai eu de grandes. Je les chéris.
Quand on s'est mariés, Marcel m'a dit : " On devrait être morts tous les deux. On l'est pas, alors soyons heureux."
Et c'est ce qu'on a fait.
C'est ça, la guerre, la perte de tout ce à quoi on tient.
Ceux qui avaient l'expérience, ceux qui avaient déjà survécu quelques semaines ou quelques mois, ils posaient sur les nouveaux arrivants un regard de l'autre monde.
Nos enfants sont chargés de ces vies qui n'ont pas été vécues.
Le jour de la naissance de ma première petite-fille, j'ai repensé à toutes ces femmes du camp, à leurs enfants assassinés, à tous ces petits jamais nés, fantômes de ce qui aurait pu être et ne sera pas.
Mon oncle était très politique alors je lui ai dit : « Tu sais ce qu’ils font, les soldats de l’Armée rouge que t’aimes tant, dans les villes qu’ils prennent ? Ils se saoulent et ensuite ils vont dans les rues, ils attrapent les femmes et ils les violent, les uns après les autres. »
Tout le monde s’est tu. Puis il s’est essuyé la bouche et il m’a traitée de menteuse.
Pour les survivants, l’horreur n’était pas concevable.
Un soldat est passé. L’enfant a gémi.
Il s’est frayé un chemin parmi nous à coups de poing et de crosse, il est entré dans la chambrée, il a pris le bébé par un pied, il est sorti, il l’a jeté en l’air et l’a tiré. Comme un pigeon.
On s’est éloignées.
La jeune maman est morte de chagrin quelques jours plus tard.