14 juin 1925. C'est la date de naissance de Julia Wallach, qui a été déportée à Auschwitz-Birkenau après avoir été dénoncée par sa voisine. Elle publie avec Pauline Guéna "Dieu était en vacances", aux éditions Grasset. Elle vécu pendant deux années au rythme des camps et des marches de la mort. Elle parvient à s'évader avant d'être reprise pour finalement, être libérée en 1945."Je ne sais q'une chose, si je n'avais pas eu d'humour, je ne serais pas là. Je ne me suis pas laisser faire », témoigne Julia Wallach.
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J’ai retrouvé ma feuille d’entrée, avec mon nom et celui de mon père et de tous ceux du convoi 55, affichée à Birkenau dans le pavillon français. Je me suis souvenue que mon père m’avait dit : « Je ne survivrai pas à ta mère. Mais toi, tu es jeune. Vis, rentre à la maison, et raconte ce qu’on nous a fait. » Alors j’ai commencé à parler. Et je n’ai jamais cessé.
Quand on est rentrés des camps, personne ne voulait savoir ce à quoi nous avions survécu. En France, il y a des gens qui n’avaient pas la conscience tranquille. On était le reproche vivant de leurs mauvaises actions ou de leur lâcheté.
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Même parmi les juifs, même au sein de nos familles, ils ne voulaient pas écouter.
Drancy, c'est l'attente, rien d'autre que l'attente, l'inquiétude et l'espoir qui alternent, se mélangent, l'angoisse tout le jour, l'angoisse la nuit quand on somnole entre les pleurs, les gémissements et les cauchemars de tous ces inconnus, l'angoisse rythmée des discussions sans fin des adultes, des discussions à voix basse, qui ne riment à rien, où les pessimistes affrontent les optimistes où la raison tente de se frayer un chemin.
Je suis rentrée les poings serrés, prête à en découdre. Je suis rentrée dure autant que jétais maigre. Un morceau de fureur forgé par dix-huit mois de camp, par les marches de la mort, par ces quatre mois de traversée de l'Allemagne à pied, par la brutalité des SS prêts à tomber I'uniforme, par la méchanceté de ces paysans qui continuaient de vouloir nous dénoncer, nous les verfluchte Juden, les maudits juifs, comme ils disaient. Je suis rentrée tatouée et brisée, le Visage et les jambes tachés de cicatrices, mais la rage au ventre. Je suis rentrée pour parler et pour me battre, pour reprendre ce qui était à moi. Je suis rentrée comme un reproche. Je suis rentrée le coœur brisé.
Je suis retournée à Auschwitz avec mon mari et d’autres survivants. On a emporté assez de provisions pour tenir une semaine – s’ils croyaient que j’allais dépenser un centime chez eux. Après les cérémonies, mon amie Fanny Wegiweski et moi, on est allées au bout des rails, devant les wagons qui menaient au four, on a grimpé sur une pierre et on a dit : « On les a eus. » Tout le monde pleurait
Le jour de la naissance de ma première petite-fille, j'ai repensé à toutes ces femmes du camp, à leurs enfants assassinés, à tous ces petits jamais nés, fantômes de ce qui aurait pu être et ne sera pas. Ma première petite-fille, comme tous les enfants des survivants, je crois qu elle porte ce poids en elle. Ce souffie aussi. Nos enfants sont chargés de ces vies qui n'ont pas été vécues.
La première fois que Madame Escoffier, la voisine qui nous avait dénoncés, m’a vue, elle m’a dévisagée comme si j’étais un fantôme puis elle a tourné les talons et elle est partie en courant. D’y repenser, j’en ris encore.
Mes souvenirs du camp, eux-mêmes, s’estompent parfois. Je vieillis. Les noms disparaissent. Il y en a que je connaissais encore la veille et qui me restent aujourd’hui sur le bout de la langue : je les cherche, ils ne reviennent pas. Le prénom d’un ami. Le nom de famille de celui qui m’a sauvée. Il y a des jours où tout s’efface.
Mais pas la perte. Ni la colère.
La joie non plus, heureusement, et j’en ai eu de grandes. Je les chéris.
Mon oncle était très politique alors je lui ai dit : « Tu sais ce qu’ils font, les soldats de l’Armée rouge que t’aimes tant, dans les villes qu’ils prennent ? Ils se saoulent et ensuite ils vont dans les rues, ils attrapent les femmes et ils les violent, les uns après les autres. »
Tout le monde s’est tu. Puis il s’est essuyé la bouche et il m’a traitée de menteuse.
Pour les survivants, l’horreur n’était pas concevable.
J’y pense : vous savez qu’il n’y a toujours pas d’oiseaux à Auschwitz. Soixante-quinze ans après, ils ne sont pas revenus