Ni le feu ni la foudre ne saurait se positionner dans la catégorie des livres qu’on chronique facilement. Véritable expérience de vie, il se vit justement et se transmet. Mettre des mots sur du « réel », des instants éphémères s’avère tâche difficile, pourtant je suis bien ici pour cela. Ni le feu ni la foudre rentre dans ce genre de livres, qui une fois refermé, vous laisse cette impression étrange de « je ne sais quoi en penser ». Suivent alors toutes sortes de réflexions et idées, sorte de relecture mentale de l’ouvrage. Preuve qu’il vous marque. Preuve qu’il est bon, d’ailleurs vous vous le dites « tellement bien écrit ». Mais alors pourquoi bloqué-je ? Pourquoi ne sais-je qu’en penser ? Parce qu’il ne me présente pas forcément ce que j’imaginais ? Non. Parce qu’il dérange ? Non, peut-être. Parce qu’il secoue. Oui, certainement. Parce qu’il est difficile de comprendre immédiatement où veut en venir l’auteur ? Assurément. Pourtant, vous ne pouvez que vous sentir heureux, privilégié d’avoir lu ces instants, les derniers de ces personnes avant de s’éteindre lors d’une soirée tragique qui aura ému la France entière. Parmi vous, mes lecteurs, je peux dire que certains connaissaient l’une des victimes ou des témoins de ce drame. Je peux affirmer que cette histoire vous a touché. Je sais que vous êtes intelligents et n’avez jamais cédé aux amalgames. Parmi vous beaucoup ont fait le choix de la vie, du respect des victimes, des hommages plutôt que propager la haine et montrer le sang qui coule. Vous avez pansé vos bleus à l’âme en promettant de ne jamais oublier, comment le pourrions-nous de toute façon ? 13 novembre 2015. Une date de notre histoire moderne. Une date à laquelle Ni le feu ni la foudre consacre ses lignes pleines d’une émotion sous-jacente brute.
5 étoiles filant vers le drame d’une journée si particulière
Nous suivons 5 personnages au cours de ce 13 novembre 2015. 5 étoiles qui ignorent tout de ce qui les attend ce soir-là. 5 hommes et femmes totalement imparfaits, ce ne sont pas des héros. Certains sont rongés par la culpabilité, d’autres ressassent leurs échecs, certains sont égoïstes, criminels, menteurs, d’autres rêvent d’indépendance, d’amour de jeunesse, de plaisir coupable, reconnaissent leurs erreurs, leurs torts. L’atmosphère de cette journée, pour eux, sera propice au changement, à l’avancement. Tout au long de la journée, nous les suivons, apprenons à les connaître, les apprécions plus ou moins, à l’instar des gens que l’on croise dans notre vie. Des personnages humains, réalistes, actuels, auxquels il est aisé de s’identifier ou tout du moins facile de comprendre. Stella, Raphaël, Igor, Pauline, Ariane. Stella, notre jeune étoile de 13 ans, passionnée de David Bowie, différente, androgyne, unique. Raphaël qui s’écroule sous le poids de sa vie ratée, de sa paternité et ses nombreux regrets, sous l’alcool destiné à noyer les « Et si… « . Igor, ah Igor, ce vieux monsieur, le Vieux avec son chien qui sait que la fin est proche, mais qui pourrait si vite l’oublier, Ariane une comète qui n’aspire qu’au bonheur qu’elle couve patiemment et à son départ, Pauline qui a perdu sa moitié et n’a jamais cessé de chercher. Ces 5 étoiles vont se croiser, se connaissent déjà ou se rencontreront, se percuteront, se perdront. Ces cinq lumières que la vie, le destin, les occasions rapprochent ou au contraire éloignent du concert et de ce drame sous-jacent.
Choisir la vie et la lumière, plutôt et la mort et le sang
Mais, non, nous ne basculerons pas dans l’horreur. À la mort, Julien Suaudeau choisit la vie. À l’obscurité d’une salle où le début du concert est imminent, il préfère les lumières de Paris. Ah Paris, qu’elle est aimée cette ville, mais qu’elle est haïe par ceux qui veulent la tâcher de pourpre. Nous n’assisterons pas à l’horreur, nous n’en avons pas besoin. Nous suivons les étoiles qui se rendent à cette soirée qui devait être signe de fête et de rock’n’roll. De musique, de sueurs, de bières, d’instants partagés entre toutes les nationalités, les religions, les opinions, les couleurs de peau, les générations. Au moment où les portes se ferment, il en est de même pour le livre, ce n’est pas un secret, le choix de la vie se fait ici.
« Le concert commence.
C’est officiel, je vais être heureux. Je n’ai qu’à le vouloir. C’est ma vie, merde. Qui pourra m’en empêcher si je décide de ne plus me ruiner tout seul ? »
Le noir se fait, les lumières se rallument, la musique commence. Silence. Pour nous lecteurs, témoins silencieux et invisibles. Pour lui, auteur qui, tel un homme pudique, aurait omis de basculer du côté de la mort et du désespoir. Ou qui tout simplement a compris qu’il ne reste rien à dire de cette violence. Tout ça pour quoi ? Pour la vie. Oui, Ni le feu ni la foudre n’est pas un livre ordinaire. Vous pouvez aisément passer à côté. J’ai failli le faire. Ou vous pouvez choisir ces lumières de vie, ces espoirs, ces envies, ces décisions et résolutions. Regarder la lumière et l’avenir plutôt que l’ombre et la terreur. Écouter la musique ou le silence plutôt que l’enfer et la douleur. Julien Suaudeau, connu pour sa « drôle » de coïncidence avec le 13 novembre signe ici un livre qui rend parfaitement hommage aux victimes, dans un respect absolu, sans jamais nommer l’inévitable. Contourner le sujet pour mieux s’en approcher, y projeter ses personnages ou les éloigner. Laisser briller la lumière que ni le feu ni la foudre ne pourra atteindre.
Note explicative : Julien Suaudeau a écrit en 2014 Dawa, roman où, tel un visionnaire, il parlait d’attentats secouant Paris en un vendredi 13 novembre. Dans Ni le feu ni la foudre, il n’est plus utile d’explorer la violence et le fonctionnement des terroristes.
J’ai conscience que cette chronique n’a rien de traditionnel ou ordinaire, mais il ne pouvait en être autrement de ce livre. Lisez-le, prenez le temps de le digérer, comprenez la vie, choisissez là. Voyez comment il vous portera, mais je vous conseille, comme moi de le laisser décanter.
EN BREF :
Ni le feu ni la foudre tourne autour d’une journée unique qui a marqué les esprits, le 13 novembre 2015. En nous faisant suivre 5 personnages se croisant dans Paris, Julien Suaudeau nous montre l’avant et non l’après, la vie et non la mort. Difficile de ne pas angoisser pour nos personnages qui filent droit vers le drame, vers la lumière qui s’éteint. Une plume assurément brillante. Marquant, déconcertant.
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