Citations de Karel Capek (256)
Le jour est gris, la mer couverte des plumets blancs des vagues, est grise; une pluie froide tombe par instants.
Un bouquet de montagnes : impossible de le dire autrement; on voit bien ici que le granit a été le premier à fleurir dans le monde, bien avant le merisier ou le lilas.
Pendant ce temps, les chaînes de montagnes défilent dans toute leur splendeur; par ici, étincelantes comme des couronnes, par là, nuageuses et renfrognées; certaines, au caractère bien trempé, sont solitaires, d'autres se donnent la main, heureuses de former ensemble un massif.
Que c'est beau par ici; vois donc ce fjord silencieux, plein de lumière, pris entre les falaises du Nordhordland et les côtes de granit des îles nues; vois donc ce
coucher de soleil humide et rose, dilué dans le ciel tout entier, sur la vaste mer, entre des montagnes d'un bleu indigo et brumeux; et ce bateau de pêche qui nous frôle comme un spectre, avec son petit canal rouge, mon Dieu, quelle beauté!
Et cette vallée verte, avec son lac et ses gens, et ces montagnes et ce ciel; ainsi, n'y aurait-il jamais de fin du voyage, à la contemplation?
Voici déjà que prolifèrent les luxuriantes forêts scandinaves : des pins hauts comme des tours, ou comme des pins cembro, des myrtilles jusqu'aux genoux et des fougères jusqu'à la taille; plus bas, quelques chutes d'eau, des sapins et des épicéas, telles des cathédrales; puis, quelques cascades plus bas encore, nous voilà vraiment en bas, au milieu d'un moutonnement de sorbiers, d'aulnes, de saules et de trembles; ici, les frontières de la végétation sont si nettement marquées, si rapprochées les unes des autres qu'on en vient à se demander comment, en Norvège, la nature fait pour observer les lois fondamentales de la biologie et de l'écologie; mais ce doit être une question de culture générale.
Le bouleau, le saule, le lichen et l'homme : rien de plus résistant au monde.
La nature fait œuvre pierre, tandis que l'homme bâtit en bois; du moins en fut-il ainsi tant que régna sur le monde un ordre naturel des choses.
Chose curieuse : à peu près partout au monde, c'est dans les régions montagneuses que la tradition populaire de la sculpture, de la peinture et de la broderie est la plus répandue.
Puis, dans l'un des musées d'Oslo, j'ai trouvé, entre autres choses, un vieux tableau étrange, qui représente saint Jean-Baptiste baptisant le Christ dans un fjord glacé de Norvège; dommage qu'ils n'aient pas une fuite en Egypte à skis; du reste, les tableaux populaires représentent le Crucifié avec un visage serein, presque heureux; que l'on est loin du pathos catholique qui entoure les martyres et la mort!
Mais ici on croise aussi des lacs lisses comme des miroirs célestes, et des petits lacs insondables nichés au plus profond des bois, ainsi que des lacs longs et étroits comme des rivières, oui, on croise aussi des rivières, ou älver, lentes et fichées dans les bois noirs, charriant, avec douceur et une sorte d'éternité, des arbres abattus; et les bois se regardent défiler lentement, indéfiniment, irrésistiblement.
Finalement non, la Suède n'est pas hantée; on y rencontre peut-être quelques fantômes, quelques trolls et autres bestioles du même acabit, mais il me semble que l'homme y a confiance en son prochain.
Au crépuscule, ces fermes vermillon flamboient comme des poivrons dans le vert mousse des prés et des vergers; de-ci, de-là, elles forment des petits îlots incandescents d'humanité, éloignés les uns des autres, dispersés dans l'immensité de l'espace et du temps. Croyez-moi, le monde est beau.
Et le plus étrange, ce jour boréal qui n'en finit pas, et cette nuit blanche qui n'incite pas à aller se coucher, qui fait qu'on ne sait pas s'il fait déjà jour ou encore jour, si les passants sont déjà debout ou toujours debout : la nuit ne tombe pas, c'est tout juste si le ciel pâlit, l'air devient spectral et translucide; cela n'a rien à voir avec les ténèbres, c'est une lumière trompeuse et fantomatique, sans source et qui semble émaner des mur, des routes et des eaux...
Stockholm est une ville animée, avenante et qui arbore fièrement sa richesse : on y trouve une foule de rois en bronze, de cyclistes, de jolies jeunes filles tout en ambes et de gaillards à la taille quasi surnaturelle pour la plupart; bien qu'il s'agisse d'une race parfaite, personne, ici, n'a développé de théorie raciale.
Jamais je ne me suis lassé de vous, petites fermes suédoises rouges aux liserés blancs, si uniformes à travers ce vaste territoire, et pourtant si amusantes dans votre infinie diversité!
Les haies, de l'hièble et du genêt à balais, dans les prés, des aulnes et des saules; et au-dessus de chaque ferme, les couronnes lourdes et touffues d'arbres imposants comme des cathédrales.
Loués soient ces troupeaux, ces granges, ces pis gonflés, ces clochers émergeant de la cime des arbres, ces ailes des moulins qui tournent dans une brise fraîche...
Là-bas, ni lauriers ni oliviers, mais des aulnes, des bouleaux et des saules, des salicaires, de la bruyère, des campanules et des aconits, de la mousse et des fougères; près des torrents, des spirées, dans les bois, des airelles ; jamais aucun Sud brûlant ne sera aussi luxuriant, plantureux, gorgé de sève et de rosée, béni par le dénuement et la beauté, que le pays du soleil de minuit; et tant qu'à partir -- car voyager, ça nest pas rien, que de tracas et de soucis! -- tant qu'à partir, donc, autant que cesoit pour le plus magnifique des paradis; et dis-moi alors si ce n'est pas là ce que tu cherchais. Oui, Dieu merci, j'ai vu ce Nord que je voulais voir, et c'était bon.
C'est bien en cela que la grande littérature est étrange : elle est ce qu'une nation a de plus national, mais la la langue qu'elle parle est intelligible et familière à tous.