Kathleen Winter

Wayne ne connaît aucun autre adulte qui admette avoir besoin de réfléchir avant de répondre à une question. Les adultes ont toujours une réponse toute prête, même si elle n’a aucun sens.

-Non. Quand je chante, je le fais pour quelqu'un. Je ne sais pas encore qui, mais ce n'est pas M. Ollerhead.

Les aurores boréales offrent un spectacle inhabituel de rose assorti de turquoise et d'argent. En temps normal, Treadway garerait le camion sur le bas-côté pour descendre les admirer. Ses parents et ses grands-parents vouaient au mystère des aurores un respect qui a aujourd'hui disparu. Les anciens observaient les aurores avec la même attention que les enfants anglais qui, couchés dans les prés, observaient les nuages pour y lire le sens de leurs rêves. De la musique descendait du ciel à l'époque. Seuls les vieux l'entendent encore aujourd'hui. Treadway, même s'il a vingt ans de moins que la plupart de ceux qui n'ont pas perdu l'ouïe, a déjà entendu la complainte. Mais il ne l'entend pas cette nuit.

S'il y avait quelque chose de difforme, me suis-je dit en contemplant le koan que m'avait posé Sheena, c'étaient bien mes tentatives répétées de tracer la carte de ce voyage au lieu de prendre conscience que, la carte, c'était moi, que la puissante terre du Nord était déjà en train de se dessiner dans mon être.

Je me savais parvenue au coeur d'une présence, d'une majesté boréale libre de toutes choses inessentielles, cartes maritimes, commandements gravés dans la pierre, qui ne s'exprimait pas en prononçant des paroles.

Il suffit de poser les pieds dans l'Arctique pour y lire une multitude d'histoires, toutes visibles en même temps dans un présent qui ne connaît pas de frontières.

Pourquoi tant de passion pour un corps fluide comme celui de la mer? Parce que son lien avec elle, plutôt que de l'obliger à répondre à la mesquinerie humaine, le mettait en contact avec une profondeur qu'elle-même épousait.

Il y a quelque chose d'utérin à se nicher dans une cabine logée dans le ventre d'un navire, surtout la nuit, allongée sur sa couchette, en attendant le sommeil.

Se retrouver en présence de Wally lui donne l'impression qu'en cette même minute la vie vient de fleurir à l'intérieur de lui plutôt que de rester en dormance. Il perçoit la vibration électrique de sa propre existence et ne veut pas que cette vibration cesse même s'il sait qu'elle s'est déjà interrompue par le passé et qu'elle peut s'interrompre à nouveau.

Il n'a pas la moindre idée des circonstances ayant entouré sa naissance, mais il y a dans ses yeux une sagacité que les autres élèves, à l'exception de Wally Michelin, ne possèdent pas. L'âme d'un poète, ou d'un savant, ou de quiconque voit le monde sous un jour qui n'est pas celui qu'on a cherché à lui imposer, avec chaque chose déjà nommée et étiquetée.

"Gaetan Joseph lisait Plutarque et Aristote et les Pensées de Pascal, et Treadway garde quelques-uns de ces vieux bouquins dans sa propre cabane de trappeur; il en a d'autres qu'il lit jusque tard dans la nuit, quand il jouit de la solitude bénie de sa ligne de trappe. Bien des trappeurs font la même chose : ils quittent la maison pour piéger, méditer, s'instruire. Treadway est l'un d'entre eux, un homme qui étudie non seulement les mots, mais aussi les pistes des créatures sauvages, les pulsations des aurores boréales, la trajectoire des étoiles." (p. 19, Bourgeois 2013)
"Elle n'est pas de ceux qui classent mentalement le caractère des gens [...]. Pour Thomasina, les gens sont des rivières, toujours prêts à passer d'un état d'être à un autre." (p. 46)
" Il y a une divinité pour chaque caractère humain, et Thomasina les a tous repérés dans sa classe [...] jusqu'à [...] la présence d'un rejeton d'Hermès et d'Aphrodite, Hermaphrodite, chez Wayne Blake. " (p. 173
"La nuit ici est un collier de lumières flottantes, un monde de rêves, moitié cité, moitié océan, un hybride tout comme Wayne, croisement de la réalité ordinaire et de ces marges où respire et vit ce qui est mystérieux et indéfini." (p. 355)
"Bien des étudiants ont l'air, comme lui, à la fois masculins et féminins. Il n'y a pas ce clivage des sexes que l'on trouve dans le monde ordinaire, à l'extérieur du campus." (p. 448)