Citations de Kathleen Winter (61)
Entre les paupières de Wayne et la bouteille cassée, l'écart n'est pas plus large que l'épaisseur d'une autre paupière.
Ma propre vérité, qui je suis réellement.
J'ai trop compté sur vous pour m'apporter un minimum de réconfort. Vous l'ignoriez pendant un temps, pendant un très bref moment. Puis vous vous en êtes rendu compte. Mon entourage finit toujours par s'en apercevoir et par me considérer comme un puits sans fond, un gouffre où il déverse des océans d'amour pour les voir inévitablement se tordre en filaments de glace. Je vis dans une froideur infernale dont nul ne peut me sauver.
La tristesse qu’éprouve Wayne en quittant sa mère est celle que ressentent tous les fils et toutes les filles lorsque leur traversier s’éloigne du quai et que les parents restent plantés sur la jetée à faire des signes tandis que leur silhouette rapetisse. Une tristesse qui fait mal, puis qui s’évapore dans la brise fraîche.
Mais cela se passait à la saison des petits fruits, par une de ces journées chaudes et dorées où, dans le jus de chaque baie et la sève de chaque feuille, se concentre encore tout le soleil de l’été.
Vous n'êtes pas le fils que votre père aurait voulu avoir. Un fils qui aurait maintenu la tradition familiale. Un trappeur du Labrador, déterminé et cultivé, solitaire mais sachant diriger une meute. Vous êtes au contraire ambigu, féminin, indécis.
Assis l'un contre l'autre dans le fauteuil de Treadway, Jacinta et Wayne se lisent à tour de rôle des passages des livres de A.A. Milne et de Lewis Carroll que Jacinta a apportés au Labrador dans un recoin de sa malle. Ca doit ressembler à ça d'avoir une fille, songe Jacinta, mais elle enfouit cette pensée au plus creux d'elle-même. Elle ignore ce qui pourrait faire le plus de tort : laisser cette nappe souterraine jaillir librement à la surface ou la priver d'eau graduellement jusqu'à ce qu'elle finisse par se tarir.
Une différence signifie une tout autre manière d’être. Ça pourrait être fantastique. Ça pourrait être d’une incroyable beauté si les gens n’avaient pas si peur.
Le temps de vivre un ou deux mariages, de voir nos enfants devenir adultes ou presque, nous sommes passés à travers les rouages d'une machine qui avale les jeunes gens pour recracher des grandes personnes en bonne et due forme.
Proche de la soixantaine, elle sait que, dans la vie de quelqu'un, l'avenir à long terme ne dépasse pas ce pic. Ensuite, il y a une falaise, vous dégringolez et votre existence arrive à son terme. Il faut espérer que vous aurez réussi, au cours de cette existence, à toucher celle des autres par une forme ou une autre de tendresse constructive.
Qu'est ce qui, dans son image corporelle, correspond à ce qu'il est et qu'est-ce qui n'est qu'une construction à laquelle il en est venu à croire ? (p.353)
La nuit ici est un collier de lumière flottante, un monde de rêves, moitié cité, moitié océan, un hybride tout comme Wayne, croisement de la réalité ordinaire et de ces marges où respire et vit ce qui st mystérieux et indéfini. (p.367)
Des années d'hormones lui ont sculpté un corps anguleux, et l'idée de cesser de les prendre lui traverse l'esprit. Cesser de les avaler jour après jour, ne plus les laisser effacer ce que son corps aspire à être pour le rendre conforme à ce que le monde veut qu'il soit.
Il craint que ce ne soit à cause de lui que son père regagne sa ligne de trappe plus tôt que les autres et en revient plus tard. Il a peur que ce ne soit à cause de lui que Jacinta est triste , parce qu'il ne sera jamais un fils normal, quoi qu'il fasse. Un fils avec deux testicules, pas seulement un. Un fils dont le père n'a pas à vendre le chien à un homme qu'il n'aime pas.
Il attend, immobile, pendant plusieurs heures, l'orange est la seule tache de couleur sur l'herbe. La buse apparait soudain mais reste en altitude. C'est une buse à queue rousse dont le plumage se pare de reflets brun-rouge. Elle plane et Treadway s'adresse à elle comme il s'adresse à la nyctale boréale et à d'autres animaux sauvages du Labrador. Il n'a nul besoin de parler à voix haute et ne fait que lui décrire silencieusement le plan qu'il a concocté [...]. Treadway sait que la buse est un animal impitoyable. Il sait qu'une femme qui s’aventurerai ici pour cueillir des myrtilles ou des airelles avec un petit enfant, et surtout un bébé, devrait prendre garde à ce que la buse ne vienne pas le lui arracher. La chose est déjà arrivée, peut-être avec cette buse-là, et elle peut se reproduire [...].
Mais Treadway a lu Pascal, la Bible et les philosophes, et il a lu les poètes aussi, et bien malgré lui, c'est à eux que la buse le ramène. Ce n'est pas le discours d'un animal sauvage qu'elle lui sert, peut-être parce qu'elle a trop souvent survolé les clochers, les bibliothèques et les musées qui abritent les pensées des hommes civilisés. Il ne s'attendait pas à ça d'une buse. Et tandis qu'elle plonge et passe en vol rasant en direction des crêtes de Signal Hill dominant l'océan, là où vivent ses proies - capelans, jeunes morues et oursins à la laitance rose pêche -, cette buse lui parle et lui répète encore et encore un très ancien message. Mais ce n'est pas le message que Treadway aurait voulu entendre.
Je trouve fascinant d'observer à quel point la recherche d'un avantage personnel empêche les hommes de voir ce qu'ils ont devant les yeux.
Car, comme bien des fils, j'ai appris avec les années à ne dire à ma mère que ce qu'elle veut entendre.
Ce qui a privé Montcalm de ce qu'il lui aurait fallu pour triompher, c'est l'indifférence de la France.
Pourquoi appelle-t-on ça du maquillage ? Prétend-on ainsi maquiller les carences d’une personne, et si oui, comment nommer ça autrement que façade et mensonge ?
Quand, étendu sur le dos dans un champ, vous tendez vos yeux fermés au soleil, quand vous êtes jeune et que le monde ne vous a pas encore imposé de souvenirs impossibles à effacer, vibre contre vos paupières fermées un rouge-orange qui contient la chaleur de tous les étés à venir, et le rouge qui se rue contre les paupières fermées de Wayne tire lui aussi sur l’orange.