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Critiques de Kevin Lambert (122)
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Que notre joie demeure

* ALERTE DAUBE *



Ca y est, je la tiens, la fameuse daube encensée de la rentrée littéraire. Chaque année, il y en a au moins une, cette fois, là voilà ! Je devrais d'ailleurs cesser de dire DAUBE, car la daube, c'est quand même un bon ragoût alors que ce bouquin est proprement indigeste et sans saveur.

Qu'est-ce que je me suis emmerdée ! 355 pages sur 355. C'est pas qu'il y en ait une qui m'ait plus attirée que l'autre. C'est d'un plat.



Je vais quand même vous raconter ce qu'il se passe là-dedans.

Céline W. Est architecte. pas le petit architecte, non la superstar internationale de l'architecture qui possède sa société d'archi. Bref, la Calatrava de Montréal. Elle est hyper riche et a plein de copain, qui comme elle, sont super riches, connus, influents. Sa petite fête, elle est pleine de beau monde.

Un jour la société américaine Webuy lui demande de construire un building. On choisit Montréal pour faire ce joli bâtiment et patatras, c'est dans un quartier populaire. On va devoir exproprier 10 personnes pour construire.

S'ensuivent des manifestations, une diabolisation de Céline. Oui, apparemment au Québec quand ils ne sont pas d'accord avec le bâtiment, ils s'en prennent à l'architecte mais pas au maitre d'oeuvre.

Cette pauuuuvvvrrree pauuuvvvreeeee pauuuuvvvrrrrre Céline va se faire mettre à la porte de son entreprise par le Comité, et se faire ravager sa maison peuplée d'œuvres d'arts par des jeunes manifestants pendant sa fête d'anniversaire.



Pour faire nouvel auteur en vue adepte de Proust, on nous fait des phrases d'une page. Là où chez Proust c'est délicieux, ici on a la sensation du collégien qui confond les points et les virgules.



Niveau fond, je le cherche encore "TU ES OU ???? LE FONDDDDD ???? ALLEZ MONTRE TOI !!!!". J'avais pensé d'abord à la gentrification où l'on repousse les masses populaire à l'extérieur des villes. Si c'est ça c'est tellement mal traité que l'on n'en a rien à kicker. Ensuite vient la vie des hyper riches ("Pour rentrer tu peux prendre mon avion, ça me fera plaisir!") et la fameuse comparaison avec les personnages de Proust dans lesquels on ne travaille pas, mais que maintenant les très riches ils travaillent 12 heures par jour et donc ils ont perdu le goût de ne rien faire. Les pauvres....



Bref, le roman creux et ronflant qui permet de se passer Sediplus sleep forte. Mon seul bonheur concernant cette lecture est d'être arrivée au bout et de pouvoir passer à autre chose.
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Que notre joie demeure

« Nous devons protéger les intérêts des minorités, et les riches sont toujours moins nombreux que les pauvres ». Après deux romans pointant les inégalités du point de vue vengeur des perdants, le Québécois Kevin Lambert annonce la couleur dès cette épigraphe empruntée à John A. Macdonald : cette fois, nous voilà invités chez les nantis, ceux qui voudraient surtout que rien ne change, pour que leur joie demeure.





Céline Wachowski, célèbre et richissime architecte montréalaise désormais sexagénaire, se retrouve au coeur d’une polémique suffisamment violente pour la faire chuter. Elle, si sûre de sublimer la vie des gens par la grandeur de ses réalisations, est accusée de gentrification au cours de ce qui tourne peu à peu à un lynchage médiatique en règle. Mais cette violente remise en cause suffira-t-elle, sinon à la ruiner, au moins à ébranler ses certitudes ? Rien n’est moins sûr...





Comme une pièce en trois actes, le récit s’étage entre l’avant, le pendant et l’après de la crise. L’on découvre d’abord, à l’occasion d’une très mondaine fête d’anniversaire, un tableau tout en subtilité, jamais satirique ni caricatural, d’un sélect entre-soi d’artistes, de personnages politiques et de dirigeants de grandes entreprises, tous très en vue et influents, moulés dans les mêmes attitudes par les mêmes références, mais s’ennuyant ferme quand il ne s’agit plus directement de leurs ambitions personnelles et de leurs intérêts financiers. Une fois la mesure prise de cette caste de privilégiés si narcissiquement convaincue de ses mérites et de sa supériorité, il est maintenant temps de s’intéresser de plus près à l’une des invitées, cette « starchitecte » peut-être d’autant plus sanglée dans la suprématie de son autorité et de son prestige que d’extraction populaire – comme son bras droit gay et d’origine haïtienne – et en proie aux affres de la création artistique. Le temps de s’appesantir sur l’avantageuse image qu’elle se fait d’elle-même et sur la genèse de l’ultime projet qui doit couronner sa carrière en lui assurant enfin la seule consécration qui lui manque encore – fâcheuse vexation, sa propre ville lui boude encore la reconnaissance que le reste du monde lui accorde –, et là voilà, d’abord violemment confrontée à la contestation des Montréalais expropriés pour sa gloire, puis égratignée par des révélations médiatiques peu flatteuses pour son ego, enfin bien vite lâchée par ses pairs. Extirpée de sa bulle ouatée de privilégiée, son sentiment de toute-puissance écorné, tirera-t-elle les leçons de cette confrontation à la réalité existant au-delà de sa mégalomanie ? C’est une autre célébration d’anniversaire qui marque la dernière partie du roman. L’on s’apercevra que, loin de lui avoir ouvert les yeux, l’épreuve n’aura que trempé plus encore sa détermination à se refaire, quitte à mordre à son tour sans vergogne pour défendre son apanage.





Si terriblement ennuyeux soit-il, de molles longueurs en harassantes phrases serpentines se réclamant sans doute d’une influence proustienne – les références au grand œuvre de l’écrivain lui rendent un hommage appuyé –, le roman impressionne par la subtilité de ses observations. Se gardant de prendre parti, déjouant tout jugement politique, le texte préfère s’attacher au portrait, dans toutes ses nuances et ses complexités, surtout avec ses ressorts et ses raisons, de cette coterie de puissants qui ne fera jamais que tolérer, du haut de ses étroits remparts, une transfuge de classe et un gay à la peau noire. Ne parlons donc pas des revendications égalitaires qui peuplaient les précédents romans de Kevin Lambert : l’on comprend ici qu’elles sont totalement et désespérément hors sujet et que, contrairement à Proust qui croyait au déclin de la suprématie bourgeoise et aristocratique consécutivement à la première guerre mondiale, l'inébranlable pérennité des (dés)équilibres de la société garantit pour longtemps que la joie des plus puissants demeure.


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Que notre joie demeure

Des trois romans de Kevin Lambert, c’est sans doute celui que j’ai le moins aimé – ce qui signifie que je l’ai « juste » trouvé excellent : il faut dire que la barre était placée démesurément haut avec Querelle de Roberval, alias ma plus grosse claque littéraire de ces dernières années.



Céline Wachowski, célèbre architecte montréalaise, dévoile le projet censé être le couronnement de sa carrière : le complexe Webuy (équivalent d’Amazon dans l’univers du roman). Rapidement, la controverse éclate quant aux retombées sociales du projet – à la grande surprise de Céline qui, bien qu’ultrariche, se considère encore comme étant de gauche…



L’histoire se découpe en trois parties, qu’on pourrait très grossièrement résumer à « avant, pendant et après » le scandale. La première partie, qui décrit une fête mondaine sur près de cent pages, m’a d’abord parue moins forte et plus longue à démarrer que le plongeon brutal dans les deux romans précédents de l’auteur. Une impression d’autant plus marquée que Kevin Lambert, avec les très longues phrases de cette première partie, rend à l’une de ses autrices fétiches Marie-Claire Blais un hommage stylistique un peu trop appuyé pour mes goûts personnels.



Il m’a fallu arriver à la deuxième partie pour être véritablement rassurée – enfin, rassurée, façon de parler. Disons plutôt pour retrouver ce qui m’avait tant plu dans Tu aimeras ce que tu as tué et dans Querelle de Roberval : l’impression d’assister, phrase après phrase, à une implacable succession d’événements, marqueurs d’une violence sociale inouïe, jusqu’à un point insoutenable où le drame ne peut qu’éclater. La troisième partie renoue stylistiquement avec la première, mais cette fois, la lecture a coulé toute seule, soit parce que cet aspect est moins marqué, soit parce que j’étais véritablement rentrée dedans.



La plongée dans la psychologie des personnages et l’analyse sociologique est encore une fois incroyable et percutante. L’auteur a le don pour nous dépeindre la réalité intérieure des personnages, leurs failles, leurs distorsions cognitives, l’influence plus ou moins consciente et assumée de leur milieu social, et les idées toutes faites qu’iels ressassent et auxquelles iels se raccrochent en croyant mener de profondes réflexions intellectuelles sur la société (on se reconnaît parfois là-dedans et c’est assez embarrassant). On avait déjà cet aspect dans Querelle de Roberval avec des personnages issus des classes populaires. Mais ici, l’auteur nous montre que les classes supérieures, si instruites et éduquées soient-elles, n’échappent pas à ce travers – et c’est même pire, dans la mesure où leur instruction, leur éducation et leur richesse les amènent à se croire plus intelligent·es que les autres, alors qu’iels ont simplement plus de pouvoir. Et même leurs bonnes intentions et leurs bonnes actions ne suffit pas à compenser les ravages que cause le simple fait qu’iels soient si riches.



Avec le dénouement, Kevin Lambert semble vouloir éviter de faire redite avec ses romans précédents ou de tomber dans une surenchère grotesque après Querelle de Roberval. Les choses sont amenées plus subtilement, la violence est plus insidieuse, parfois même pas perçue comme telle par les personnages – et c’est là tout le point du roman. On gagne en finesse ce qu’on perd en catharsis. Étrangement, c’est une des raisons pour lesquelles je pense que des trois romans de l’auteur, c’est celui-ci le plus abordable pour le grand public, bien qu’il soit (à mon avis) le moins percutant.
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Que notre joie demeure

Architecte et femme d’affaires célébrissime, role-model pour plusieurs générations de femmes et star d’une série Netflix, Céline Wachowski est au sommet de sa gloire. Pourtant, son empire est sur le point de vaciller.



Dès les premières lignes, on sait qu’on a affaire à un roman très écrit : ces longues phrases tourbillonnantes qui semblent s’enrouler sur elles-mêmes, ce style tellement secoué de fulgurances qu’on peine à reprendre ses esprits. Les choix syntaxiques virevoltants de Kevin Lambert nous plongent dans un flux sans répit entre les chapitres, nous précipitant au cœur d’une fête capiteuse. Une vraie fresque, saisie dans l’instant, du monde des nantis avec leurs rôles et leurs apparences, leur satisfaction d’eux-mêmes et le vin qu’il faut boire jusqu’à la lie. J’ai lu les 80 premières pages d’un trait et mon malaise est allé croissant face à ces puissants obsédés par une chose : que rien ne change et que leur joie demeure.



Ensuite il y aura la controverse sur le nouveau projet de Céline, celui qui devait couronner sa carrière mais qui pourrait bien, finalement, la faire tomber. Elle s’est toujours appliquée à fermer les yeux sur le revers de la médaille de ses grands complexes élégants – édification de vitrines pour des clients peu regardants sur le plan éthique, rythme de travail stakhanoviste, gentrification, optimisation fiscale, etc. Mais ceux qui en souffrent vont se rappeler à elle de la manière la plus douloureuse possible.



Le troisième acte est une sorte de miroir du premier puisque nous assisterons à une nouvelle fête qui nous donne à voir les traces laissées par la tourmente.



J’ai aimé l’épaisseur des personnages, la restitution de l’autosatisfaction des hommes et femmes d’affaire, les forteresses justificatives qu’ils convoquent en défense de leurs privilèges. Céline, notamment, est tiraillée entre la fierté de l’empire construit à la force du poignet et la culpabilité qui la ronge, des réflexes bien entraînés de mise à l’écart du syndrome de l’imposteur et une sensibilité à fleur de peau, la rage de résister et la tentation d’emporter d’autres milliardaires dans sa chute. C’est prenant car nuancé, on ne sait pas dans quelle mesure les clameurs de protestation feront mouche et comment cela se terminera. J’ai trouvé l’épilogue saisissant.



Je serais plus réservée sur la crédibilité du scénario. J’ai pris ce roman comme une expérience de pensée parce que dans la vraie vie, la joie des riches se porte comme un charme, merci beaucoup. On imagine mal une femme d’affaires de l’envergure de Céline sérieusement affectée par les militants opposés à la gentrification et aux inégalités, qui prêchent dans le vide depuis des décennies. Ce n’est pas un sujet qui fait vendre des journaux ou qui génère du clic. Or dans le roman, les personnages semblent presque ne parler que de ça. Et je me suis lassée en lisant le dernier tiers. Ces pages m’ont appris une foule de choses passionnantes sur les réflexions artistiques, sociales et politiques qui traversent le travail architectural mais elles sont d’un sérieux à faire trembler un gratte-ciel.



Ce roman sort résolument des sentiers battus, il m’a séduite par sa plume trempée dans le vitriol qui montre si bien l’ambiguïté de l’art architectural et la manière dont le capitalisme trouble le discernement de celles et ceux qui en profitent. Mais j’imagine aisément que ce texte, en lice pour le Goncourt, ne fera pas l’unanimité.
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Que notre joie demeure

Un roman audacieux, une charge contre l’entreprise dont la seule morale devient la rentabilité pour les actionnaires.



Une première partie en un seul chapitre, dans une soirée pipole, mais décrite sur un ton tout à fait anti-pipole, hypocrisie et conventions sociales, vulgarité et excès de toutes sortes.



On y constate une ignorance envers les moins nantis et peut-être un certain mépris. (Comme dans l’actualité québécoise où une certaine ministre de l’habitation, devant les plaintes des gens qui peinent à trouver un loyer abordable, leur recommandait simplement « d’investir dans l’immobilier ». Des propos qui lui ont valu d’être qualifiée de Marie-Antoinette…)



Une seconde partie d’une écriture plus convenue, des chapitres et des péripéties. Une architecte mondialement célèbre, un projet controversé, elle devient un bouc émissaire. Comment réagir ? Que va faire le conseil d’administration ? Une victime à sacrifier ?



Une troisième partie reprend l’écriture continue de la première. On y trouve les magouilles financières, l’ironie cinglante face aux riches : « je me sens coupable, mais ça ne m’empêche pas de vous envoyer mon avion privé ».



Un roman fort (et fort intéressant), mais une forme complexe qui pourrait rebuter. De plus, bien que le propos ait une portée universelle (mondialisation oblige…), de subtiles références à des personnes ou des situations réelles que l’auteur québécois glisse dans son texte pourraient échapper aux lecteurs d’autres pays.
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Querelle / Querelle de Roberval

Je referme ce livre en ne sachant toujours pas si je l’ai trouvé original ou si je l’ai abhorré. Ou, pire, si je n’ai rien compris. Sans doute un peu de tout ça, alternativement. Quand un roman s’ouvre sur des exergues de Jean Basile et de Britney Spears, le lecteur comprend qu’il s’engage dans une expérience littéraire hors du commun. C’est exactement ce qu’est Querelle de Roberval, librement inspiré de l’autre, celui de Brest, écrit par Jean Genêt.



Au premier chapitre, le lecteur se fait servir la description des habitudes sexuelles de Querelle. Cette description est très, très crue. « Querelle en question aime les petits garçons », comprendre ici les grands adolescents, les jeunes hommes, qu’ils aiment se faire dominer, bander, se sentir uniques. Je vous épargne les détails. Ce court chapitre, ces quelques pages, elles donnent le ton. Ceci dit, Querelle n’est pas un roman trash non plus. La plume de Kevin Lambert est imaginative, presque poétique par moment. D’où mon trouble à classer ce roman.



Si Querelle est un personnage important, il n’est pas le seul dans ce roman foisonnant. C’est que, à Roberval, dans le nord du Québec, les ouvriers d’une scierie sont en grève. Ils exigent un meilleur salaire, un fond de pension respectable, des conditions de travail plus humaines, etc. L’habituel, quoi ! En face d’eux se trouve un employeur implaccable et machiavélique, Brian Ferland. Et les coups bas volent de tous les côtés.



Querelle de Roberval alterne entre un éditorial sur les conflits de travail et une chronique de la vie en région. Là-bas, la société est conservatrice (et virile) et les mœurs sexuelles du jeune homme détonnent, sont si différentes du modèle mis de l’avant que ça ne peut que créer des frictions. C’est comme s’il y avait deux conflits. Toutefois, au-delà du conflit et de l’histoire, il y a la plume de Kevin Lambert. L’auteur n’a pas peur des mots, encore moins de provoquer, à l’instar de ses personnages. Et tant pis pour ceux que ça choque ! Ceci dit, je me demande s’il décrit vraiment la réalité car le type d’homosexualité raconté semble plus se rapporter à la déviance et je trouve ça dommage. Surtout, je ne vois pas l’utilité, le lien avec le lock-out. Ça me semble un peu voyeuriste.



Et le parti pris de l’auteur contre le syndicalisme (à moins que ce ne soit une apparté ironique et sarcastique à laquelle je n’ai rien compris) me fait frissoner. Dans tout conflit employés-employeur, il y a des fautes des deux côtés. Du moins, c’est mon expérience. Ni l’un ni l’autre n’est blanc comme neige. Lancer la pierre au syndicalisme, à une époque où la compétition fait rage mais où les propriétaires continuent à engrenger des profits faramineux, me semble injuste. Ceci dit, je dois admettre que l’industrie du bois ne m’est pas vraiment connue.



Vers la moitié du roman, je commençais à m’ennuyer un peu. On plonge un peu plus dans la vie de quelques uns des employés, Jézabel, Jacques Fauteux, Pierre Larouche, etc. Puis, la mort d’un d’entre eux donne un nouveau souffle à l’intrigue, un souffle extrêmement dramatique. Trop, peut-être. Les ouvriers perdent la tête et la raison avec. La fin, magistrale et horrible à la fois, ramasse tout : le conflit syndical trouve une résolution et les mœurs dépravées de jeunes homosexuels. Certains aimeront, d’autres pas. Je suis très ambivalent. Cette fin, elle est à l’image du roman : troublante, déboussolante, provoquante ? Une sorte de fin du monde où tout le monde s’envoie chier.
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Tu aimeras ce que tu as tué

"Alors les adultes, il faut bien vous tenir, la colère des gosses est vraiment terrible", chantaient les Bérus. Et ce roman le démontre.

Faldistoire est un écolier -puis un collégien et un lycéen- qui s'ennuie dans la ville de Chicoutimi au Québec. Ses amis meurent les uns après les autres dans des circonstances tragiques, mais ils reviennent toujours sous forme de fantômes. Et la haine de Faldistoire à l'encontre de sa ville conservatrice et du monde hypocrite des adultes croît à mesure qu'il grandit ; où le portera-t'elle ?

C'est mon deuxième rendez-vous avec Kevin Lambert, après "Querelle" qui m'avait tant éblouie, mais "Tu aimeras ce que tu as tué" est son premier roman. J'y ai retrouvé tout ce que j'avais précédemment aimé : cet intense mélange de poésie et de réalisme, cette beauté trash teintée d'onirisme. On ne sait pas trop où on est, ni qui est vraiment Faldistoire, ce petit garçon qui raconte sa vie en ponctuant son récit de réflexions désabusées, de ricanements, de déclarations d'amour et d'appels à la révolte. Ce faisant, il décrit un univers étrange, peuplé d'enfants cruels, de mères sorcières et de pères assassins, de crapauds, de vipères, et de revenants, et où l'un des personnages porte le nom de l'auteur.

J'ai adoré ce voyage à Chicoutimi, je me suis laissé emporter par cette histoire bizarre, avec un sentiment de transgression enfantin -comme si, en serrant très fort la main de Kevin Lambert, je le suivais là où on n'a pas le droit d'aller. J'ai encore été envoûtée par son style, et scotchée par son culot et sa maîtrise. Et dire qu'il a écrit ce roman à 25 ans seulement ! (et je me réjouis à l'idée de tout ce qu'il devrait encore écrire).

C'est donc une lecture particulière, mais ô combien belle et puissante, et que je recommande à ceux que l'insolite attire, pour pouvoir leur prédire : "Tu aimeras ce que tu as lu".
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Querelle / Querelle de Roberval

Crisse ! Après avoir refermé ce livre, je ne sais pas de qui je suis le plus amoureuse : Kevin Lambert ou Querelle de Roberval, son héros flamboyant qui fait écho au "Querelle de Brest" de Genet.

Ca se passe donc à Roberval, commune du Québec en bordure du lac Saint Jean, où les ouvriers de la scierie se mettent en grève pour obtenir de meilleures conditions de travail. Parmi eux, Querelle, 27 ans, beau comme un dieu, et amant magnifique qui fait rêver des kyrielles de jeunes hommes.

Ce court roman se lit comme on traverse un rêve, il est parcouru de phrases comme des diamants qui fondent dans la bouche. J'ai rarement lu quelque chose d'aussi poétique et cru -mais tellement beau ! L'auteur précise que "Querelle fascine ou choque les gars de l'usine tant la déviance, dans sa bouche, semble honnête et naturelle", mais cela vaut aussi pour lui et pour moi : j'ai été fascinée par ses propos d'un caractère déconcertant, et j'y ai rapidement succombé. D'aucuns pourront trouver son récit vulgaire, mais Kevin Lambert n'avilit son écriture que lorsqu'il raconte la laideur des pensées et des comportements. En outre, il dresse un constat juste de la lutte des classes actuelle et de la gentrification en cours.

Je sors donc étourdie et amourachée de cette lecture, saisie par la beauté d'une langue ponctuée d'expressions québécoises qui claquent et d'images héroïques oniriques, et bouleversée par la magnificence de Querelle. Ce livre est une expérience fabuleuse, écrit par un gamin de 26 ans ( ! ). Je ne peux que le recommander à tous ceux qui ont besoin de héros (les vrais, ceux qui font rêver, vibrer et aimer), qui n'ont pas peur d'être bousculés dans leurs certitudes, et qui se pâment devant un style qui fait décoller direct vers les étoiles.

Un roman intense et fiévreux, qui réchauffe le corps et l'âme en cet été monotone ; n'hésitez pas à céder à la tentation, et rappelez-vous : on ne vit qu'une fois.
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Que notre joie demeure

Tiens, la dernière fois, dans un post IG France Inter, j’entends Laure Adler, sourire radieux et lunettes noires, affirmer au sujet du roman de Kévin Lambert : « C’est un livre qui m’a donné de la joie, de l’oxygène, de la vitalité et de l’énergie blabla… c’est de la grande littérature blabla… absolument magnifique blabla… Je l’ai lu sur le tarmac d’un avion, sur mon portable blabla... véritable thriller blabla... »

Bon et bien moi, c’est simple, c’est EXACTEMENT l’inverse !

D’abord, je lis au lit et dans un livre. Ensuite, pour être franche, je ne me suis presque jamais autant ennuyée en lisant un roman, j’ai même cru étouffer tellement les phrases à rallonge obligent à une lecture en apnée. Et plus le temps passait, plus je me réfugiais dans d’autres activités plutôt que de lire. Bref, le cauchemar. Mais, je ne veux pas en rester là. J’aimerais tenter de me justifier et de dire pourquoi je n’ai pas aimé et pourquoi d’autres ont adoré (s’ils sont honnêtes dans leur critique.) Ce livre a été primé. Il a donc été apprécié. Voyons voyons…

Pour tout dire, ce n’est pas ma première expérience malheureuse avec Kévin Lambert. J’ai tenté, autrefois, de lire « Querelle de Roberval » : en vain. J’avais trouvé ce texte sans intérêt et je n’en comprenais absolument pas le propos.

« Que notre joie demeure » se présente comme un texte très serré : pas de dialogues ou très peu, beaucoup de descriptions ou de considérations sociologiques, des phrases très longues – mais pourquoi pas. Le problème, c’est qu’à chaque page, il me semblait voir les coutures du texte, le mode de fabrication, l’effet recherché, comme si les procédés mis en œuvre n’avaient rien de digéré (alors évidemment, quand on en est arrivé aux multiples références à Proust, j’ai éclaté de rire!) (on avait compris Kévin, n’en fais pas trop quand même!) Continuons. La dimension cinématographique est omniprésente (là aussi, le procédé est très appuyé) : au début du roman, dans un très long plan-séquence, la caméra semble constamment tourner autour des personnages réunis pour une réception chez les ultra-riches. On survole tout ce beau monde, allant de l’un à l’autre et chopant ici et là des bribes de conversations. C’est une soirée d’anniversaire, les gens (qu’on ne connaît pas, donc on essaie péniblement de repérer qui ils sont …) sont tous vaguement bourrés et les conversations sans grand intérêt (ce n’est pas moi qui le dis mais le texte) se prolongent sur quatre-vingt-neuf pages.

Jusque là, il serait malhonnête de dire que cela nous donne de la joie, de l’oxygène, encore moins de la vitalité… Quant à parler de thriller… Mais bon, ce n’est que le début, on y croit encore...

Ensuite, on apprend que le personnage central du roman, une architecte hyper-friquée, Céline Wachowski, a conçu un bâtiment pour le siège social d’une entreprise Webuy à Montréal. Pour différentes raisons, elle ne pourra élever le bâtiment de ses rêves, comme toujours j’imagine quand un archi a un projet grandiose en tête et que des contraintes économiques le ramènent sur terre. Les travaux commencent. Or, un beau jour, elle découvre qu’un article paru dans le New-Yorker attaque son travail, l’accusant, entre autres, de favoriser la « gentrification ». Évidemment, ladite architecte en prend un coup. Il est vrai qu’elle nous avait été décrite p 94 comme une femme persuadée de pouvoir, grâce à son travail, changer la vie des gens, alléger leurs souffrances et leur donner l’impression de faire partie de quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes. Franchement, est-ce ironique ? Eh bien, je n’en sais rien car il ne me semble pas y avoir beaucoup d’humour dans ce texte… Donc faisons le point. CW a des problèmes. Mais comme CW n’est pas spécialement un personnage attachant, on peine à avoir la moindre empathie pour cette dame.

De la joie, de l’oxygène, de la vitalité… toujours pas. Et pas l’ombre d’un thriller (je n’ai jamais vu une intrigue aussi plate!)

Partie 3 : un long passage plus ou moins sociologique sur le fait qu’il est difficile de se loger à Montréal. CW et deux autres personnages (deux homos dont un noir, personnage pour lequel il a fallu avoir recours à un sensitivity reader pour être sûr de ne pas dire trop de conneries à son sujet) fument sur une espèce de rooftop en regardant le ciel. Puis, comme CW est dans la misère, elle marche dans les rues de Montréal au lieu de rentrer directement chez elle. Elle se dit dans une espèce de stream of consciousness que le monde est vraiment pourri. Elle repense à son enfance (elle était pauvre avant… ) (tiens, on l’attendait le coup de la transfuge de classe …) (elle est de gauche, hein, c’est quelqu’un de très bien... tout ce qu’elle fait de mal, ce n’est pas de sa faute hein...) et elle lit Proust (ça n’en fait pas un personnage plus profond pour autant mais bon…) et on arrive ENFIN à la scène finale (scène de réception pour l’équilibre de la construction narrative - je le précise au cas où...) archi-ridicule dans laquelle des manifestants rentrent chez l’archi pour tout péter mais cette dernière renvoie la police parce qu’elle comprend dans le fond les agissements de ces gens-là (elle est de gauche vous dis-je) (et tant pis pour le Bruegel qu’ils ont mis en pièces). Ces manifestants, on ne les a jamais entendus dans l’oeuvre qu’en bruit de fond, à l’exception d’une certaine Marion qui dans la scène finale participe à la soirée et trouve CW franchement très bien...

Moi à ce stade, j’ai perdu toute énergie, je suis épuisée par tout ce bavardage qui part dans tous les sens, j’ai l’impression d’avoir perdu mon temps en lisant le texte de quelqu’un qui tente de se faire passer pour le nouveau Proust, qui confond sociologie et littérature, qui surfe sur les thèmes à la mode en actionnant toutes les ficelles et dont les personnages manquent singulièrement d’âme. On lit ce texte froid et ennuyeux comme on feuillette un magazine people aux pages glacées. Et finalement, on ne sait pas quel est le sens de tout ce fatras…

Être un jeune auteur canadien dans l’air du temps et titulaire d’un doctorat de création littéraire qui fait la part belle aux minorités et aux femmes modernes qui en veulent. Peut-être est-ce là la clé de la réussite...

Allez, je vais citer un article de Marceau Cormerais dans Les Échos qui résume parfaitement ce que je pense : « Il s’agit d’un roman à la construction lourde dont la langue empruntée sonne faux et où les personnages réduits à la simple allégorie de leur ethnie ou de leur sexualité, voguent sur une intrigue sans force. »

Merci Monsieur, je me sens moins seule.
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Que notre joie demeure

Que notre joie demeure. tel est le titre du roman de Kevin Lambert. On ne peut pas dire que ce soit la joie qui l'emporte.

J'avais oui dire que le livre faisait face à des polémiques concernant les "sensitivity readers ", ces correcteurs de différences et de sensibilité mais aussi concernant la qualité du livre. Certain portant le livre au pinacle , d'autre parlant de daube littéraire.

Il me semble que pinacle et daube sont des termes inappropriés. La flèche de ma balance irait plus vers la daube que le pinacle mais le terme de daube n'a pas lieu d'être.

Le livre a du fond et une cohérence. On apprécie ou pas.

J'ai eu beaucoup de mal avec la forme et l'écriture.

Un premier chapitre de 89 pages, puis 10 petits chapitres et enfin un chapitre final d'environ 200 pages. Tout les chapitres étant fait d'un texte concentré sans paragraphes. L'auteur faisant volontiers des phrases de plus de 200 mots. Les phrases peuvent être parsemées de locutions canadiennes ou de quelques mots d'anglais.

A la fin du premier chapitre , j'ai longuement hésité avant de continuer la lecture. Je n'ai pas l'habitude d'abandonner un livre et malgré l'exigence de la lecture j'étais curieux de comprendre le propos de l'auteur. J'ai donc lu en entier Que notre joie demeure.

J'en ressort avec un sentiment d'inanité. Tout çà pour çà !

Un petit résumé.

Céline Wachowski est une architecte ultra riche , au fait de sa gloire professionnelle. Elle est choisie pour un projet ambitieux sur Montréal. de la va naître une polémique qui va se transformer en violence, manifestation, perte d'emploi, renvoie d'une société.

Kevin Lambert va condenser l'histoire entre une fête d'anniversaire ( 1er chapitre ) la descente aux enfers ( les 10 chapitres centraux ) et une nouvelle fête d'anniversaire ( le dernier chapitre de 200 pages ).

Ces fêtes nous permettront de connaître le monde ultra riche que côtoie Céline. Que du beau monde ! Mais avec tout de même quelques tensions conjugales, raciales et homosexuelles.

Tout cela afin que Céline nous fasse part de son sentiment de culpabilité.

J'espérais dans le dernier chapitre autre chose que cette explosion de violence qui fut aussi rapide que le traitement de la gentrification, du réchauffement climatique ou de la culpabilité.

A la fin du livre que reste t'il ?

Les personnages ? Aucun ne retient longtemps l'attention

Les thèmes abordés le sont bien rapidement dans un monde du luxe et si tout devait se résoudre comme dans le roman ....

Ce roman doit avoir son public. Je n'en fais pas partie.







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Que notre joie demeure

Elle s’appelle Céline Wachowski.

Elle a le prénom d’une vedette de la chanson francophone et le nom d’un réalisateur transgenre avant-gardiste. Une starchitecte, une vraie, qui croit en son métier (p94).

Elle a aussi la morgue d’Anna Wintour, la froideur de Lydia Tár, le génie de Zaha Hadid et probablement (c’est mon fantasme), le magnétisme de Tilda Swinton.

Mais qui est-elle vraiment ? Le roman consiste à résoudre son énigme, à percer ses secrets par le prisme des évènements dont elle occupe le premier plan.

Une fête en son honneur d’abord, première partie du livre époustouflante, qui rappelle « La Grande Bellezza » pour son intelligence et son intensité, le délire à la Fellini en moins.

Une analyse lucide et implacable de sa déchéance, ensuite. Céline est sacrifiée sur l’autel médiatique, malmenée par cette jeune génération qui a « une belle conscience mais une tête vide », trahie par des collaborateurs qu’elle a bousculés, des audaces devenues intolérables, des politiciens véreux qui la vénéraient, des soi-disant pactes faustiens, ce qui fait la précarité d’une cheffe d’entreprise obligée d’écorner sa conscience pour réussir (pages 188-189).

Une fête d’anniversaire, enfin, qui peut, à tout moment, virer au règlement de comptes ou à la cérémonie funéraire.

Le milieu professionnel choisi par l’auteur est celui de l’architecture : idéal pour évoquer les enjeux culturels, l’emprise du capitalisme néo-libéral et la désagrégation d’une société qui perd ses repères.

Il faut aussi parler du style, fougueux, fourmillant, fouillé, rappelant Marcel Proust auquel l’auteur rend hommage par la voix de ses personnages.

C’est ce que j’appelle un roman « total », un livre qui, en suivant la trajectoire d’un monstre sacré, entend comprendre les choix d’une vie et palper le pouls d’une époque. Une réussite.

Bilan : 🌹🌹🌹

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Querelle / Querelle de Roberval

Un roman étrange, mélange de sexe, d’horreur et de discours sur la société.



Un début choc, un roman qui commence pas une séance de baise homosexuelle. Et par la suite, ici et là, on remet ça. Comme dans un film porno, ça prend des scènes de sexe pour ponctuer le récit, sans qu’on sache vraiment si le récit n’est qu’un prétexte pour ces ébats.



Querelle, ce n’est pas le conflit syndical, c’est le surnom d’un personnage (le héros?) du roman. C’est un jeune homme, athlétique et beau gosse, homosexuel et bête de sexe. Il travaille dans une scierie de Roberval depuis peu. Il est solidaire des autres grévistes, mais n’a pas vraiment d’idée à lui.



À côté des aventures des figurants, on a droit à des descriptions de la misère sociale et des discours syndicaux ou antisyndicaux. L’auteur intervient lui-même au milieu du roman pour affirmer qu’il n’est pas anti-entrepreneur, une rupture du récit plutôt malvenue à mon avis.



Le côté noir du roman, c’est l’escalade des moyens de pression qui dégénère jusqu’aux meurtres. (On basculera même dans la mythologie avec un chœur de pleureuses pour saluer le mort au combat.)



D’autres critiques ont relevé une parenté avec un Querelle de Jean Genest. Je ne connais pas cette œuvre et probablement que d’autres clins d’œil littéraires m’ont échappé qui m’auraient permis d’apprécier davantage le roman.



Je reconnais l’audace et l’imagination de l’auteur, mais je n’ai pas accroché à ses personnages et son histoire. Une lecture que j’ai peiné à poursuivre.

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Que notre joie demeure

Ce troisième livre de Kevin Lambert se classe, pour ma part, au deuxième rang, juste derrière Querelle de Roberval. On y retrouve le style unique, agile et habile de l’auteur pour notre plus grand plaisir. Cette fois, après avoir flirté avec le syndicalisme, Lambert nous amène dans les hautes sphères de la société, dans l’architecture de luxe et la richesse à profusion. On assiste, impuissants, à la descente aux enfers de Céline, PDG des ateliers C/W qui comme plusieurs, deviendra la cible d’un tribunal populaire (encore une fois, l’auteur parvient à être fortement d’actualité). Malgré toutes ses forces, j’ai trouvé que le livre avait certaines longueurs (2 en fait) au début et à la fin, toutes deux lors de fêtes, qui m’empêchent d’y coter 5 astres. 4 étoiles et plusieurs heures de plaisir. Une valeur sûre.
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Tu aimeras ce que tu as tué

Un roman noir, mélange d’odeurs d’enfance et de mort.



Le livre commence simplement par la narration d’un jeune garçon qui parle de son quotidien, de l’école, de ses profs et de ses compagnons de classe.



Puis, le ton change peu à peu, avec une petite voisine avalée par un chasse-neige, l’activité l’homosexuelle, le grand-père qui se prend pour un fantôme…



Puis encore des morts et des fantômes, ainsi que la critique de la petite ville tranquille toujours muette sur les violences qu’elle cache dans ses entrailles.



Un roman étonnant, une écriture évocatrice qui navigue entre le quotidien et le fantastique, entre des victimes innocentes et de la rage qui bouillonne…

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Que notre joie demeure

Quel plaisir de lire enfin un roman indéniablement ambitieux, dans son propos comme dans son écriture !

Le Québécois Kevin Lambert y poursuit son projet de peinture sociale, après Querelle, consacré à une grève dans une scierie : il se place ici à l’autre bout de l’échelle, celui des privilégiés, des hyper-riches dont la réussite couronne leur carrière à la tête des grandes compagnies internationales, en faisant le portrait d’une femme de génie œuvrant à la charnière entre création artistique et entreprise privée. Car Céline Wachowski, brillante architecte montréalaise, issue d’un milieu modeste, s’est hissée au rang des plus grands par sa volonté, son habileté, sa puissance créatrice, elle dont des centaines de bâtiments prestigieux portent la signature de par le monde, ce qui ne va pas sans compromis avec les diverses formes de pouvoir.

La « geste » de Céline s’ouvre par une fête fastueuse et mondaine réunissant tout le gratin de Montréal, politiciens et hommes ou femmes d’affaires, bien souvent toutefois des êtres prétentieux et vides, parmi lesquels Céline, figure mythique de 67 ans, paraît à l’apogée de sa gloire. Mais c’est sans compter les revirements de l’opinion publique, après un article malveillant paru dans la revue élitiste du New Yorker, suivi d’un campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux qui dénoncent cette réussite insolente, forcément fondée sur l’exploitation et les abus de pouvoir, voire d’autres crimes rédhibitoires. Brutalement congédiée par son C.A. Céline est-elle coupable de tout ce dont on l’accuse ? Elle qui voulait par ses ouvrages apporter de la beauté au monde, n’est-elle pas complice de la gentrification et de l’insupportable crise du logement qui expulse et broie les plus modestes ?

Un roman remarquable par sa plongée au cœur même de l’élite de l’argent et du pouvoir, dans son intimité et ses réflexes de préservation, alors que leur fortune et leur mode de vie luxueux ne permettent même plus à ses membres de comprendre les gens ordinaires, a fortiori les pauvres, quelles que soient leurs bonnes intentions ou leurs œuvres caritatives (on pense à Melinda Gates). Toutefois l’auteur refuse un manichéisme simplificateur et reste volontairement dans l’ambivalence : rien n’est tout blanc ou tout noir, et les militants qui s’acharnent contre Céline apparaissent moutonniers, naïfs ou manipulés.

Dans la ligne des grands romanciers français, Balzac et surtout Proust, il veut peindre de l’intérieur ce milieu des privilégiés, entre fascination et répulsion, entre dénonciation et une forme de sympathie. Il prend avec originalité le contrepied des stéréotypes avec son héroïne qui n’est pas un mâle blanc âgé mais une femme énergique, dont le plus proche collaborateur, Pierre Moïse, est un architecte haïtien gay, un peu trop lisse et trop parfait, sans vraie complexité, après que la relecture du manuscrit par une « lectrice sensible » (sensitivity reader) en a sans doute gommé les aspérités.

Ce qui frappe surtout c’est la richesse rare du style : de magnifiques phrases amples, complexes, denses se déploient pour décrire, analyser, dénoncer, suggérer. Enfin une écriture littéraire digne de ce nom ! C’est si exceptionnel qu’on en ressent une profonde gratitude envers l’auteur.

Bien que le roman comporte peu de péripéties et encore moins de dialogues (où le parler québécois fait des apparitions voulues), les pensées des personnages étant exprimées au style indirect, il se lit d’une traite. Le lecteur reste fasciné par ce récit d’une chute après les cimes de la réussite, suspendu à ce fil narratif dans l’attente d’une résolution de l’énigme sociale et humaine, car le secret du personnage ne se révèle qu’en toute fin, dans un clin d’œil à Citizen Kane.

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Que notre joie demeure

L'auteur nous sort de sa région natale (Sagunay-Lac St-Jean) pour nous apporter à Montréal. C'est l'histoire de Céline, architecte réputée à l'Internationale qui se trouve prise dans un scandal bien malgré elle. Il est question de sujet d'actualité avec l'embourgeoisement de quartier, la monté des prix pour les logements et l'impunité des riches. Même si Céline représente cette classe bourgeoise, il a réussit à créer un personnage beaucoup plus nuancé. En effet, il met de l'avant son désir de laisser sa marque dans un Montréal qu'elle aime tout en respectant l'historique des quartiers. Céline n'est donc pas un personnage démonisée malgré ce qu'elle représente.

L'écriture est encore une fois magnifique. Pour moi, ça reste le force de l'auteur. Il y a moins d'élément de réalisme magique, mais des grandes scènes importantes de rassemblement et de fêtes dans lesquelles les dynamiques entre les personnages et leur ambitions sont bien campés. Il parvient a faire le portrait des différents personnages en les positionnant par rapport à Céline. En leur permettant de démontrer l'opinion qu'ils ont d'elle. J'ai aussi bien aimé les références envers des personnalités publiques. En quelques mots, la référence est claire dans qu'aucun nom ne soit nommé.
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Que notre joie demeure

Chronique d'une architecte renommée de Montréal ultra-riche qui connaît un retour de bâton , le livre a été encensé par la critique et auréolée de deux prix littéraires importants...On a du mal à comprendre ce triomphe cet engouement pour ce roman interminable, assez plat stylisquement, qui veut parler de l'époque mais qui s'avère finalement assez peu percutant sur le fond...
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Que notre joie demeure



Ce roman est le recit intense d'une chute, celle d'une architecte, star internationale du système capitaliste,  ou comment sonder intelligemment les travers de notre société capitaliste.



Un livre essentiel, subtil, qui jamais ne prend parti avec une écriture rare et dense qui parfois peut faire penser au style de Thomas Bernhard.



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Que notre joie demeure

Chronique vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=t8OVKL4f2I4&ab_channel=YasminaBehagle



Céline Wachowski, architecte à la renommée mondiale fait partie de ce qu’on appellerait une élite hors-sol, faite de complaisance, d’autojustification et de diners mondains ; sa vie bascule lorsque son nouveau projet est accusé de gentrification. Elle servira d’exemple et sera montée au pilori par toute une société québécoise, ce qui permettra à l’auteur une dissection fine et jouissive de son pays.





Mon avis

C’est un livre que je recommande. Déjà pour l’intelligence de Kévin Lambert, qui grâce à une jeu malin de point de vue parvient toujours à cacher sa propre position et donc, à épouser chacune d’entre elles avec abnégation.

Et je crois que c’est une qualité à laquelle on ne pense pas forcément pour décrire un bon romancier, et pourtant, elle est essentielle : pouvoir s’effacer devant son roman, c’est donner la possibilité à ses personnages de gagner en crédibilité, de ne pas être des sortes de repoussoir sur lesquelles on place toutes les tares d’une classe qu’on veut décrire, mais au contraire poser les armes, mettre à côté ses a priori, avec un regard neuf et presque naïf j’ai envie de dire.

Le regard qu’il a est acéré, bien entendu, mais sans jamais nous tenir la main, sans jamais souligner par le texte-même ce que l’on doit penser. Ou plutôt, le texte le fait avec suffisamment de subtilité. Bien sûr que ces ultra-riches sont écoeurants, bien sûr que la chasse aux sorcières que subit Céline à un côté jouissif pour le lecteur, mais il ne sont pas que ça — est jetée sur la table le dé de la rédemption, est-ce que Céline peut changer, est-ce qu’elle peut prendre conscience des conséquences de son pouvoir ? Et la réponse, alors que Kévin nous laisse croire quelques instants que c’est possible est finalement négative.

Céline et sa troupe sont trop obnubilés par eux-mêmes pour prendre réellement conscience de leur position, de leur place de privilégiés. Et rien que chacun vis-à-vis de l’autre, ils sont toujours à vouloir tirer leur épingle du jeu, à vouloir avoir la place la plus confortable, quitte à trahir, ce qui montre avec cruauté un visage pas très éthique, puisque c’est le genre de mot qu’ils aiment bien employer.



Pour ce qui est du style, si au début Lambert nous étouffe un peu avec ses phrases à rallonge (mais je pense que ce procédé cherche à provoquer cette suffocation que notre entrée dans le monde des ultra-riches engendre), on en tire beaucoup de plaisir, on se sent stimulé, avec un partenaire qui mène la danse. J’aime quand je lis un livre me dire que je n’arriverais pas à écrire aussi bien, c’est le cas ici — le livre et le style est vivant, bouge et change avec les différentes focalisations. C’est jamais statique, l’exemple le plus flagrant est la reproduction de plusieurs niveaux de langue, où l’on observe que plus le personnage est d’un milieu social élevé plus le français qu’il parle est standard, et plus les particularismes de la langue se cachent, comme s’il fallait parler une langue mondialisée (on remarque d’ailleurs que plus le livre avance, plus Céline perd son sang-froid et plus le québécois ressort). Lambert prend même le temps de nous écrire un petit conte aux accents sud-américains, qui m’ont fait penser à Gabriel garcia Marquez. Ce moment où Céline lit cette histoire à un enfant, où perce enfin une fragilité, une humanité, fait qu’on ne sait jamais sur quel pied danser, ce qui est déstabilisant dans le bon sens — ce moment dans le récit est comme hors du monde, comme hors du cadre de notre histoire, suspendu à en être presque ridicule — le côté adouci, bête blessée de l’architecte en devient presque trop feutré … et amorce la suite, le grand chaos final.



Le motif du camélia, qui apparait à l’enfance de Céline et lors de sa chute, un camélia qui fleurit là où il ne devrait pas fleurir, et dont la flétrissure embaume et s’inscrit en elle, fleur de l’origine du mal. On ne peut s’empêcher de penser au fait que le camélia, c’est le luxe, l’emblème d’une marque comme Chanel — quelque chose d’éthéré, ramené ici à sa matérialité. Le symbole d’un ultra-luxe putride, qui m’a évoqué une vidéo sur laquelle je suis tombée il y a peu, vidéo qui ne dépareillerait pas dans un film d’Ostlund. C’est une chaine qui interroge les femmes sur leur tenue du jour, et étonnamment ne tombe que sur des personnes qui accumule les bracelets Cartier, Chopard, Van Cleef, Tifanny’s. Mis à part le fait qu’on s’aperçoit que les ultrariches portent tous les mêmes bijoux et le même sac, le Birkin d’Hermès, comme une sorte de signe de reconnaissance et d’appartenance à leur classe, il y a cette scène ahurissante, que je vous mets ici : (double vanilla — Montréal)

Alors que la femme interrogée détaille chacun de ses gris gris, un homme, comme en voit dans toutes les grandes villes se met à hurler. La femme sursaute, rit nerveusement, puis se remet à parler de ses bijoux comme si de rien n’était. Et on se demande qui est le plus fou. C’est représentatif des dominants, qui face à l’adversité du monde réel, à la souffrance d’autrui, de qui n’appartient pas au même monde, ferment les yeux et reprennent la vacuité de leur vie.

Je crois que c’est ce que j’aime dans ce type de récit, c’est que la situation de départ est comparable au paradis originel, un éden sans contrainte, et que voir ces personnages chassés, forcés de s’adapter au monde réel, à passer par un chemin de croix qui les associe au reste du monde, ça devrait être une leçon d’humilité, sur le papier, mais Kévin Lambert montre avec son regard acéré et ses discours indirects libres qu’au contraire ils se vautrent dans l’autojustification et la complaisance.

Et la fin, où Céline retourne sa veste pour crier contre les millionnaire montre de la part de l’auteur un refus de la facilité : une méfiance par rapport à cette esthétique eat the rich, qu’on peut voir fleurir depuis quelques temps (je pense par exemple à des séries comme Succession ou la dernière saison de You, où même la série Painkiller où le milliardaire est le nouvel antagoniste à la mode). Pour analyser le message politique d’une œuvre, il faut toujours s’interroger d’où vient le message, et se dire que c’est une grande multinationale comme Netflix qui le porte à travers ces fictions, ça en rabote, selon moi, la portée anticapitaliste. Comment, finalement, en se gaussant du riche, on noie pas le poisson sur le système qui le légitime.

Bref, je crois qu’il y a là de la réflexivité sur son propre bouquin, la question, avec Céline qui fait des ted talks sur le sujet, semble être la suivante : n' est ce pas facile de s'attaquer aux ultra-riches de nos jours par la fiction ? Et le livre y répond de manière très maligne : en permettant l'empathie pour Céline dans une dernière partie puis en remettant sa sincérité en doute au moment où elle se fait la portevoix de ce mouvement eat the rich, il montre la méfiance légitime qu'on se doit d'avoir pour les trop belles rédemptions — toujours se demander qui est l’émetteur, et pourquoi il porte ce message.


Lien : https://www.youtube.com/watc..
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Que notre joie demeure

Suite aux articles parus dans la presse, j'ai acheté ce livre. Je le regrette profondément. C'est plat. C'est nul, nul, nul. ça s'étire et c'est ennuyeux. Vu que j'ai payé ce livre, j'ai été jusqu'au bout en me faisant mal. Franchement, je déconseille. Je suis désolée, il y a tellement d'autres livres à lire.
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