Citations de Laurence Devillairs (276)
Il faudrait ainsi qu'on ait la force de convertir nos regrets en actes, nos remords en affirmations : ce que j'ai fait, je l'ai fait. Même si j'y ai laissé des plumes et des illusions, c'est le chemin que j'ai pris. Je fais de ce moment de ma vie, de ce virage et de mes erreurs, mon parcours.
C'est une page de ma vie, pas un raté ; c'est une étape que j'ai vécue, pas une absurdité. Il ne s'agit pas de s'aveugler ou de se chercher de fausses excuses, mais d'inclure les manqués dans le scénario, de les intégrer au récit : oui, cela aussi, je l'ai fait. Je n'aurais peut-être pas dû, mais ce fut quand même mon voyage. Non pas la somme de mes remords, un poids mort de regrets, mais un cap que j'ai bel et bien pris. Aller aux vents mais confiants.
p. 19
On veut détruire ce qui nous détruit, rendre le mal pour le mal, mais l'offense est faite, rien ne l'effacera. Qu'elle soit froide où brûlante, la vengeance ne peut que laisser sur sa faim.
La belle vie n'est pas le divertissement, qui consiste le plus souvent à tromper une angoisse, celle de ne pas réussir à faire quelque chose de sa vie et de se retrouver sans ordre du jour ni agenda. Mais quel risque encourt-on à ne rien faire? Le pire de tous: se retrouver face à soi. De quoi fait-on alors l'expérience? Non pas de ce doux sentiment d'exister dont parle Rousseau, mais du vide, qui est le fond de toute existence, et que l'on passe son temps à combler au moyen de toutes sortes d'occupations.
"Au bonheur des philosophes", Magazine Sciences Humaines n°302, 04/2018
Le temps de la mer, quand on prends le pouls de ses mouvements depuis le rivage, c'est celui de l'infini recommencement.
Continuer sur sa lancée n'est pas la panacée. C'est, en réalité, le meilleur moyen... de ne plus avancer du tout.
On mène trop souvent une vie casanière, où l'on s'interdit plus qu'on espère. On ne voit jamais assez grand pour soi, jamais assez large. On manque d'audace. C'est ce que nous souffle la trépidante vie maritime, celle des matelots, des navigateurs, des moussaillons, des fiancées de l'Atlantique, des marins. S'ils ont parcouru les mers, c'est sans fanfaronner ni se vanter, simplement parce que pour eux, la vraie vie était là, loin des côtes. Une vie à la proue, sans adresse ni attache.
La plupart du temps nous ne pensons pas par nous-même mais par les autres (...) impacter, solutionner, prioriser, débriefer, ressenti, vécu. Pour lutter contre cette nourriture industrielle, il faut cultiver la curiosité qui consiste à refuser les automatismes de pensée et à privilégier ce qui déconcerte.
Je pense, donc je suis » est sans doute la phrase la plus célèbre de l’histoire de la philosophie. Qu’elle ait été critiquée par son auteur lui-même est significatif du destin de la philosophie cartésienne, dont on a la plupart du temps retenu ce qu’elle avait de moins cartésien, de moins subversif. Il y a donc de fortes chances que ceux qui se déclarent cartésiens soient le plus éloignés de Descartes. Ils l’associent en effet à une forme de scientisme buté, arrimé à la seule certitude du « 2 + 2 = 4 » et rejetant comme irrationnel tout ce que la science ne démontre pas. Or, la philosophie cartésienne n’est peut-être pas même un rationalisme ou alors jusqu’à un certain point seulement, tant elle échappe à toute catégorisation. Descartes est rarement là où on l’attend.
Les marins comme les requins nous enseignent un art de vivre heureux.
Nous devons consentir à ce qui ne demande pas notre consentement. Accepter ce qui ne laisse pas le choix (...) Si nous ne sommes pas maître du "destin", nous le sommes de nous-mêmes, et de la façon dont nous accueillons ce qui survient. (...)Ce qui nourrit la peur, c'est la peur, et non l'objet de la peur. (...) si nous ne décidons pas des évènements nous décidons toutefois de l'importance que nous leur accordons.
Il faut se rebeller contre les étiquetages et les catégorisations ! Qu'on se le dise et qu'on le fasse savoir : aucun être humain n'est figé pour toujours en des caractéristiques fixes. Nous ne sommes pas une fois pour toutes ce que nous sommes, nous avons le don des métamorphoses, le talent des renouvellements.
p. 14
Ceux qui ont enduré la souffrance savent qu'on n'en fait rien. Si souffrir est l'envers exact d'agir, l'expérience d'une impuissance radicale, la plainte est au sein de cette impuissance une tentative d'action, une volonté de rompre l'exil où je me trouve (...) Il n'est pas question ici, des geignards ou des hypocondriaques, des douillets que tout agresse, des pleureurs et des pleureuses qu'un rien endeuille et qui se complaisent dans le métier de victime. Il s'agit d'une plainte parcimonieuse et sobre, celle qui dénonce la violence de l'existence : pourquoi moi ? jusqu'à quand ? pourquoi maintenant ?
Accueillir ce qui vient comme il vient. Ne pas s'épuiser à vouloir arrêter les marées, à tenter de changer ce qu'on ne changera pas, mais vouloir ce qui arrive de la manière dont il arrive. Jouer sa partition du mieux que l'on peut, même si l'on n'a pas écrit la symphonie; naviguer sans faillir alors qu'on n'est pas maître des flots. L'océan a ses marées, la vie a ses hauts et ses bas. Il est préférable d'accompagner le mouvement plutôt que de s'y opposer.
p.23-24
C'est une souffrance à peine supportable que celle qui naît du regret. Elle instaure entre soi et sa vie une distance, que rien ne pourra combler, car ce qui est fait est fait, et ce qui n'a pas été fait ne pourra plus l'être.
Il y a en nous un espoir qui ne veut pas être déçu, qui nous fait voir plus loin, croire en l'incertain et tabler sur demain. L'espoir a toujours raison.
Elle [la mer] encourage à apprivoiser nos peurs pour prendre le large et savourer le sel d'une vie. Elle dit l'art des métamorphoses,la possibilité des recommencements, les ressources insoupçonnées et la lumière d'été. Avoir peur mais oser, fendre les flots pour regarder droit devant. Et toujours, être le maître de son destin, le capitaine de son âme.
Dans l'hostilité comme dans l'indifférence, ce que nous éludons et bafouons, c'est le face-à-face moral avec nous-mêmes, et avec ce que nous savons très clairement devoir faire. Nous nous accordons une dispense, nous nous achetons une bonne conscience ("On ne va pas changer les choses", "ce n'est pas à moi de le faire", "trop bon..."). Tel est l'athéisme moral, qui relègue l'injonction à bien agir dans les coulisses et les dimanches, loin des scènes majeures de l'existence. Telle est la méchanceté ordinaire qui habite un monde où la morale est secondaire, où le monde n'est pas un monde, habité et partagé, mais simple décor à ses activités.
Le traitement philosophique de choc consiste à refuser toute excuse : nous sommes totalement responsables de la vie que nous menons parce que nous sommes entièrement libres.
La prudence est en certains cas le plus grande des audaces. S'économiser et non s'abîmer, prendre de la hauteur -là-haut, dans les haubans de la misaine- et non aller répandre sa queue et son sang sur le sable de l'arène.
Notre présent est toujours chargé à la fois d'espoir et de regret, retenant le souvenir de paradis anciens et devinant la saveur de ceux que nous voudrions voir venir.