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Critiques de Laurent Binet (1077)
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La septième fonction du langage

L'éclate absolue!



Quel romaniste, quel linguiste, quel philologue n'a pas rêvé dans son moi le plus intime, dans son for le plus intérieur, dans son jardin le plus secret, de mettre aux prises les descendants de Jakobson dans un jeu de massacre bien ordonné et de les envoyer se faire ...lanlaire avec les fonctions référentielle, expressive, phatique, métalinguistique, conative (non, ce n'est pas une grossièreté!) et enfin poétique du langage...quitte à en imaginer une septième, de fonction, qui les sublime toutes: la fonction "magique" qui confère à son utilisateur la maîtrise absolue dudit langage.



Le pouvoir par le verbe. L'arme de séduction massive, la bombe H (HhH) des politiques aux dents longues...ou limées!!



Grâces soient rendues à Laurent Binet qui dans ce thriller parfait, tordant, bourré de malice, truffé de pastiches, sautillant gaiement d'une citation détournée à une allusion épicée, nous mène grand train dans le microcosme allumé des structuralistes en pleine déconfiture!



Voyons plutôt les protagonistes :



-à ma gauche, l'élite intellectuelle de l'époque: Barthes, fraîchement écrasé- mais est-ce bien un accident, cette camionnette conduite par un Bulgare qui roule si visiblement les rrr qu'on ne peut ignorrrrer son orrrrigine?- Foucault, chaudement sorti des back doors des saunas qu'il affectionne ( une des scènes les plus hilarantes du livre, qui n'en manque pas!!) - Kristeva, sacrificatrice aux yeux noirs, Sollers, bouffon pathétique et cocasse -ah, ah, oh oh, - sautant du coq à l'âne sans effort et sans vergogne ( zeugma)- BHL, (mais oui, BHL: "Le lecteur, glisse Binet, s'étonnera peut-être de la présence de BHL mais déjà à cette époque, il est dans tous les bons coups" , et quand il ne veut pas se faire remarquer -rareté!- il déboutonne une chemise noire, incognito...). J'allais oublier Althusser qui rêve d'étrangler sa femme...et va bientôt passer aux actes, Derrida qui fait cavalier seul, Deleuze, le sémillant sémiologue, maître Ecco, grand ordonnateur de débats rhétoriques digitophages ( comprenne qui lira...), sur fond d'attentat fasciste en gare de Bologne... Rien que du beau linge, on vous dit!!



-à ma droite, les politiques : Giscard , tout chuintant de suffisance aristocrate et auvergnate, mais pas sûr de battre encore une fois le candidat malheureux de la gauche, aux dents pas encore limées: Mitterrand, cet "homme du passé" qu'il a si bien mouché aux élections précédentes...



Voilà pour ceux que l'on a déjà "vus dans de précédents épisodes "et qu'on reconnaît au passage, pour notre plus grande délectation..



Mais il y aussi les deux enquêteurs- on vous l'a dit, c'est un polar, il y a mort d'homme- le couple classique des policiers, Double-Patte et Patachon, le petit méchant et le grand gentil, le bas-du-front -presque -national et le sémiologue distingué , assistant à Vincennes. Il y a celui qui devient un as du Rubikube et celui qui décode signes et faux-semblants avec la dextérité d'un Sherlock Holmes...



Double enjeu:

-qui mettra la main sur le billet où Barthes a consigné cette 7ème fonction mythique que tous recherchent et qui déclenche une avalanche proprement impressionnante de morts violentes dans le Landernau structuraliste?

-qui gagnera les élections présidentielles de 81?



D'accord, ce deuxième suspense n'en est plus un pour nous...mais quelle formidable idée d'avoir mêlé l'un à l'autre...et de voir les rivalités intellectuelles et politiques régies par la même sauvagerie, la même soif de reconnaissance, les mêmes dévouements zélés ou serviles...



J'avais déploré dans HHhH que Binet se soit un peu emmêlé les pinceaux dans le récit et le méta-récit, pour reprendre le jargon structuraliste à l'honneur, mais ici l'ironie ne nuit en rien à la poursuite de l'intrigue, elle s'y intègre merveilleusement au contraire: on se régale, on rit, on est épaté de tant de pertinence et d'impertinence, ravi de revisiter sur le mode parodique ces "maîtres-penseurs" des années 80, de parcourir avec alacrité et une joyeuse férocité les grands événements politiques de ce début de décennie...



Un livre formidable de drôlerie, d'intelligence et d' inventivité!!



J'ai vraiment adoré (fonction expressive ou émotive) et je vous le recommande chaudement (fonction conative), si vous voyez ce que je veux dire (fonction métalinguistique)?
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Civilizations

Comme dit l’adage, avec des si on mettrait Paris en bouteille. Dans Civilizations de Laurent Binet c’est l’ordre du monde qui est revisité à travers un jeu de trônes fantasque et addictif.



Et si les Indiens avaient résisté aux conquistadors... Et si, en plus d’y résister, ils étaient devenus eux-mêmes envahisseurs... la face du monde eût été changée. C'est le point de départ de Civilizations de Laurent Binet.

Après tout, en 1492, qu'avaient les civilisations d’Europe de plus que celles des Indiens ? « Donnez-leur le cheval, le fer et les anticorps, et toute l’histoire du monde est à refaire. » : partant de ces postulats, tout est possible. C’est d’ailleurs le principe même de l’uchronie, genre majeur de la science-fiction qui travestit le passé pour réécrire le présent. Cette expérimentation fictive d’anticipation est avant tout un exercice littéraire auquel Laurent Binet excelle dans ce nouveau roman.

Son récit commence comme une saga scandinave, dans laquelle l’auteur imagine la fondation d’une colonie par les Vikings, point de départ capital puisqu’ils laisseraient aux autochtones américains (qui ne porteront d’ailleurs jamais ce nom), aux populations mayas, le cheval, leur apprendront à travailler le fer, et leur transmettront des microbes et autres joyeusetés bactériennes contre lesquelles ils finiront par s’immuniser. Le roman se poursuit avec le vrai-faux journal de bord de Christophe Colomb, promis désormais à un avenir sombre, puis prend de l’ampleur avec la chronique médiévale d’Atahualpa, Septième Sapa Inca et conquérant de ce Nouveau-Monde qu’on appelle Europe. La dernière partie donne à voir un pastiche du roman picaresque espagnol dans lequel on retrouve Cervantès lui-même en lieu et place de Don Quichotte.

Truculente et fantasque, l’expérience narrative est aussi l’occasion de redessiner les cartes de la géopolitique et de nos sociétés.



Ma chronique complète à retrouver sur Fnac Conseils Libraires :
Lien : https://www.fnac.com/Laurent..
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Perspective(s)

1er janvier 1557. Le peintre Jacopo da Pontormo a été retrouvé assassiné «  un ciseau fiché dans le cœur » au pied de la fresque sur laquelle il travaillait dans la chapelle majeure de San Lorenzo, au service du duc de Florence. Celui-ci confie l'enquête à son homme à tout faire, Giorgio Vasari ( peintre, architecte, historien de l'art ).



Qui a tué Pontormo ? Laurent Binet reprend les codes du classique whodunit et s'amuse comme un fou dans ce savoureux jeu de dupes : tout le monde est suspect, avec un large spectre sociologique allant de l'ouvrier broyeur de couleurs protomarxiste à la rigoriste dévote duchesse, en passant par une floppée de peintres à l’affût de reconnaissance et même, un improbable duo de nonnes savonarolistes abhorrant ces derniers, « sodomistes dégénérés aux mœurs bestiales dont l'âme doit rôtir en enfer ».



Et il s'amuse d'emblée avec une délectable préface, pastiche stendahlien de celle de La Duchesse de Palliano. Et puis, c'est parti pour un polar épistolaire composé de 176 lettres datées du 1er janvier 1557 au 10 août 1558. Rien de moins qu'une vingtaine d'épistoliers qui s'écrivent comme on le fait aujourd'hui sur un groupe WhatsApp, non-stop … procédé idéal pour démultiplier les narrateurs et donc les versions des faits, ce qui place le lecteur direct au centre de l'enquête car il sait qu'il ne peut faire confiance à personne, que derrière le « je » de chaque épistolier peut se cacher un mensonge. Chaque lettre est remplie de chausse-trappes, de conspirations, d'intrigues, de ruses et d'alliances cachées.



On se régale à chercher le coupable dans une Renaissance italienne propice à stimuler l'imagination. Laurent Binet reprend la méthode Alexandre Dumas concevant ses Trois mousquetaires : intégrer son récit dans le contexte historique réel, puis s'insérer dans ses silences pour construire une histoire fictive la plus plausible possible à partir de personnages quasi tous historiques.



C'est très érudit mais sans qu'on voit les coutures. On apprend plein de choses, l'air de rien, sur l'époque : la onzième des guerres italiennes, un pape Paul IV ancien inquisiteur s'alliant aux Français contre les Habsbourgs d'Espagne, une Catherine de Médicis qui rêve de reprendre le duché de Florence des mains de son cousin en s'alliant avec le républicain Strozzi. Et une Contre-Réforme catholique rigoriste et prude condamnant la nudité en peinture au point que Michel-Ange galère à imposer ses fresque de la Chapelle Sixtine.



Les protagonistes épistoliers sont tous excellemment campés, avec un humour souvent ironique voire cynique qui fait mouche. J'ai particulièrement adoré la correspondance très Liaisons dangereuses entre Maria de Médicis ( fille du duc de Florence, pauvre pion naïvement amoureux à la Cécile de Volanges ) et sa machiavélique cousine Catherine, version royale de Mme de Merteuil ). Et évidemment, le truculent orfèvre sculpteur Benvenuto Cellini, aventurier à la Casanova qui traverse les lettres avec un aplomb et un sens de la survie assez exceptionnel.



Bref, je me suis éclatée avec ce divertissement érudit haut de gamme. Et me serais encore plus régalée si l'auteur avait singularisé les façons d'écrire des épistoliers. Le narrateur de la préface le dit bien ( il a retrouvé cette liasse de lettres chez un brocanteur d'Arezzo et les a lui-même traduite du toscan, s'excusant à l'avance tournures choisies ), cela aurait été encore plus savoureux si le duc de Florence ne s'exprimait pas de la même manière que l'ouvrier artisan ou la candide jeune fille de dix-sept de la même façon qu'une vieille nonne se prenant pour sainte Catherine de Sienne.





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Civilizations

Civilizations est une gigantesque fresque historique inversant complètement la conquête du Nouveau Monde, faisant débarquer les Incas à Lisbonne puis, en quelques années, les amènant à prendre le pouvoir sur une grande partie de l'Europe. de plus, Laurent Binet a saupoudré son roman de références et de personnages historiques bien réels ce qui n'a pas manqué de me faire sourire tout au long de ma lecture.



Avant de nous mettre dans les pas des adorateurs du Soleil, l'auteur commence avec des bannis d'Islande qui, de fuite en poursuite, arrivent sur ce qu'on appelle aujourd'hui l'Amérique. C'est ensuite Christophe Colomb et son expédition qui va d'échec en déconvenue pour se terminer lamentablement. Tout cela, comme tout au long du livre, est bien argumenté, détaillé, expliqué, rendant l'histoire plausible.

Enfin, commencent les aventures d'Atahualpa, en lutte contre son frère, qui n'a d'autre échappatoire que de prendre la mer pour Cipango (Cuba) où il rencontre la belle Higuénamota qui l'accompagnera longtemps.

De batailles en massacres, sans compter les trahisons, c'est au Portugal où un terrible tremblement de terre a tout bouleversé, que les Incas s'installent et découvrent la vie européenne et la religion du « dieu cloué » avec ces « tondus » qui les reçoivent.

J'ai beaucoup aimé les commentaires, les appréciations du narrateur devant les incohérences d'une religion qui n'hésite pas à tuer, à brûler celles et ceux qui ne conviennent pas. L'inquisition est dans son âge d'or ou plutôt de sang et ceux qui vénèrent le Soleil sont terriblement choqués par ce qui se passe.

Pour mener à bien cette uchronie, Laurent Binet sait varier les types de récit utilisant à plusieurs reprises l'échange de courrier ce qui permet d'apprendre ce qui se passe en Angleterre, en Espagne, en Allemagne. La France reste un peu en dehors du jeu car François 1er, ennemi de Charles Quint, est plutôt un allié d'Atahualpa.

J'ai lu avec beaucoup d'intérêt toutes les améliorations apportées par ceux qui conquièrent le Cinquième Quartier, comme ils nomment leur territoire européen, les quatre premiers étant de l'autre côté de l'océan Atlantique. Tolérance, partage des richesses sont à l'honneur pour lutter contre les massacres et la famine.

J'ai eu de la peine parfois à m'y retrouver entre tous les personnages évoqués : soeurs, frères, demi-frères, demi-soeurs, épouses, maîtresses, concubines mais je me suis laissé porter par cette saga incroyable.

L'Espagne se révèle vite trop petite et l'auteur nous promène jusqu'aux Pays-Bas en passant par Gand, Bruxelles, en Allemagne, en Italie, après avoir conquis Tunis et Alger. J'ai aimé la partie traitant du problème posé par Luther et l'évocation de Thomas Müntzer mis en valeur par Éric Vuillard dans La guerre des pauvres.

Hélas, le temps passe et les plus belles utopies sont menacées. Des Mexicains débarquent et le sang coule à nouveau. Il y a aussi la bataille de Lépante dans une dernière partie qui met en scène Miguel Cervantès et un grec, catho intégriste. Je n'y ai trouvé d'intérêt que pour l'épisode se déroulant chez Michel de Montaigne, près de Bordeaux, avec des débats intéressants à propos, encore, de religion.

Comment terminer une histoire aussi folle qu'instructive ? Laurent Binet a choisi une fin assez énigmatique revenant presque au point de départ mais y avait-il une autre issue ? Cela n'enlève rien à tout l'intérêt d'un roman hors normes qui a le mérite de décrypter l'histoire officielle en la décortiquant, la passant par le prisme de regards complètement neufs. Réflexion salutaire s'il en est sur le poids des religions et le rôle des puissants.



Si tout cela était arrivé, je me demande si nous serions plus heureux. En tout cas, peut-être que ce Soleil adoré aurait permis d'éviter les plus grands drames qui ont endeuillé l'Europe ? le rêve est permis et merci à Laurent Binet d'avoir osé nous entraîner dans cette folle utopie de Civilizations, livre justement couronné par le Grand Prix du Roman 2019 de l'Académie française.


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Perspective(s)

La censure de la nudité artistique n’est pas une nouveauté, preuve en est ce tout dernier roman de Lauret Binet, un polar historique épistolaire qui nous projette de plain-pied dans la Florence de la Renaissance, en une Italie dont l’effervescence artistique côtoie les déchirements politiques.





En 1557, tandis que la onzième guerre d’Italie place plus que jamais la péninsule au coeur de l’affrontement entre la France et l’Espagne, le pape Paul IV à Rome et le duc Cosimo de Médicis à Florence ont fort à faire pour espérer tirer leur épingle des luttes politiques en cours. Dans ce contexte de crise mais aussi de brassage d’idées – artistiques avec la récente découverte de la perspective en peinture, ou idéologiques avec notamment l’émergence de concepts républicains mais aussi la trace laissée par les prédications de Savonarole –, tout se fait enjeu de pouvoir et objet de sombres manipulations. Surfant sur la polémique née des exigences papales d’habiller de voiles les nus « impies et obscènes » de Michel-Ange, voilà qu’on a osé peintre un nu lascif affublé du visage de Marie de Médicis, le fille du duc de Florence. Au même moment, l’infamant tableau étant déjà devenu l’enjeu d’un combat politique, Pontormo, qu’on savait déjà torturé par la prévisible condamnation des fresques très dénudées, qu’après onze ans d’un travail titanesque, il s’apprêtait à achever, est retrouvé mort au pied de son grand œuvre, un poinçon en plein coeur. Soucieux d’identifier le meurtrier et, peut-être plus encore, de récupérer l’odieux et vexant tableau, Cosimo de Médicis charge Giorgio Vasari, peintre lui aussi en même temps qu’homme de confiance, de mener une double enquête.





Sur la toile de fond solidement tissée de leur contexte historique, Laurent Binet s’empare des points d’interrogation de l’Histoire pour camper, sous un format original, un récit réjouissant et addictif. Des fresques dont Pontormo avait revêtu la chapelle San Lorenzo à Florence ne nous sont parvenus que leurs cartons préparatoires. De la mort du peintre, l’on ne sait rien, même pas précisément la date. Quant à Marie, la fille aînée de Cosimo de Médicis, sa disparition à dix-sept ans est restée l’objet de diverses légendes peu vérifiables. Il n’en faut pas plus à l’écrivain pour nourrir une fiction aussi récréative qu’édifiante, truffée de clins d’oeil, tant à la littérature lorsque sa Catherine de Médicis se prend des airs de Madame de Merteuil, qu’à un certain monde contemporain criant à la pornographie devant le David de Michel-Ange. Rétrospectivement heureux de savoir les fresques de la chapelle Sixtine sauves, l’on en vient à s’affliger de la disparition de celles de Pontormo, peut-être en effet aussi sublimes. Surtout, l’on se régale de cette intrigue pleine de rebondissements et de suspense qui se laisse découvrir au long des pointillés chronologiques laissés par un paquet de 176 lettres échangées, avec toutes les tournures de l’époque, par une vingtaine de protagonistes. Le seul, contrairement aux auteurs des missives, à avoir accès à toutes, le lecteur, dans sa position ex machina, se retrouve en situation de rire – ou de frémir – des tâtonnements, erreurs et quiproquos dans lesquels, avec une malice jubilatoire, l’écrivain s’amuse à égarer les personnages.





Erudite, bien écrite, drôle, cette gourmandise historique s’assortit d’autant d’intelligence que de fantaisie, pour la défense des peintres et des artistes, à commencer par ceux de la Renaissance, contre la censure de tout poil. « La perspective nous a donné la profondeur. Et la profondeur nous a ouvert les portes de l’infini » « Nous sommes les fenêtres de Dieu. » « C’est pourquoi nous ne devons pas mésestimer nos œuvres mais au contraire les respecter, en prendre soin et les défendre contre quiconque. Les nôtres et celles des autres, quand elles en valent la peine. » Coup de coeur.


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Civilizations

L’idée de départ était originale, et inventive : l’exploration des océans par les portugais et espagnols au 15è siècle, à la recherche des Indes, se serait soldé par un échec cuisant et un revers de médaille inattendu, puisque l’invasion ratée des territoires outre-atlantique aboutit à l’invasion réussie des territoires de ce qui n’était pas encore l’Europe par les Incas. Ce qui change la donne! Il faut bien sûr une série d’événements de hasard (l’abord de la capitale portugaise alors qu’une terrible tremblement de terre a déstabilisé le peuple et ses dirigeants , la complicité des hérétiques chassées par l’inquisition..). Peu à peu, l’identité religieuse de nos contrées se modifie, non sans grincement de dents, grâce à l’apport du culte des conquérants, à savoir le Soleil.





On a bien envie d’en savoir plus, après s’être un peu ennuyé sur la partie invasion des Vikings, et beaucoup sur les aventures de Christophe Colomb. Et c’est là que réside la déception : le récit s’attache davantage aux compte-rendus de batailles, et à l’avancée des troupes, avec bilans des pertes en hommes et en biens, qu’aux conséquences tangibles sur la vie des peuples. Certes sont évoqués l’évolution des moeurs en insistant sur la polygamie, mais c’est une dystopie dans laquelle on se borne à mettre en place les faits sans se pencher sur le résultat. Et l’on aurait bien aimé savoir ce que devient cette civilisation alternative 500 ans plus tard.



Cela rend la lecture peu attractive, sauf si l’on est amateur de faits historiques, et le roman passe à côté de son but.



Cela ressemble un peu en effet au jeu de stratégie qui donne son titre au roman, sans le compte des points, mais bien avec juste une évocation des performances des adversaires.







Déception. Idée à reprendre?
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Perspective(s)

Pour les nostalgiques du timbre : un polar épistolaire.

On se calme les philatélistes à double vitrage, je sais qu’en 1557 à Florence, on ne léchait pas encore le timbre-poste comme un sorbet citron, et que c’est à dada que les correspondances partaient en recommandé avec un trait d’arbalète comme accusé de réception.

Laurent Binet, rarement épargné par la critique, a le mérite d’explorer des genres littéraires différents et même d’en inventer certains. Il avait ainsi imaginé dans « Civilizations », des Incas envahissant l’Europe suite à une panne de GPS de Christophe Colomb, il avait rendu presque trépidante la campagne de François Hollande en 2012, ce qui relevait de l’exploit, dans « Rien ne se passe comme prévu », coécrit un « dictionnaire amoureux du tennis » et comploté autour de la mort de Roland Barthes dans « La septième fonction du langage ». Ma préférence va à son « HHhH » qui retrace l’histoire de deux parachutistes chargés d’assassiner en 1942, Reinhard Heydrich, dont le CV mentionnait la planification de la solution finale et la direction de la Gestapo.

Dans Perspective(s), un peintre, Pontormo, est retrouvé en petite forme, dans la mesure où il est mort, un ciseau planté dans le cœur devant la fresque monumentale qu’il réalisait sur commande du duc de Florence. Comme ce dernier est un Médicis, famille portée sur la conspiration, les vases et l’herboristerie, il charge Giorgio Vasari, premier historien d’art, peintre, architecte, écrivain et sorte de Machiavel Toscan du pinceau de trouver un coupable.

Ce crime va permettre à une vingtaine de personnages plus ou moins illustres, de correspondre discrètement sur l’enquête, de répandre des rumeurs, de comploter, de pleurer sur leur sort, de suspecter tout le monde, de s’allier au gré des circonstances et des opportunités politiques. Sans le savoir, ils inventaient les groupes Whatsapp !

Parmi eux, excusez du peu : une Catherine de Médicis qui n’a pas l’esprit de famille et un Michel-Ange fatigué de lever la tête et le doigt et dont l’âge change les perspectives.

Au-delà de l’intrigue, originale et bien ficelée, Laurent Binet oppose habilement les pouvoirs temporels et spirituels à travers la représentation du nu dans les peintures religieuses. ll s’intéresse aussi à la politique, à la condition féminine de l’époque et à ces artistes officiels, intermittents de l’audace, dont la créativité était bridée par des clients qui étaient vraiment des rois ou des commerciaux zélés de Dieu.

Le roman est foisonnant, documenté et très habile dans la construction, mais j'ai trouvé certains passages un peu ennuyeux et redondant.

Mon principal reproche à l’auteur est de n’avoir pas fait le choix de distinguer les personnages dans l’écriture. Pourquoi choisir le roman épistolaire si tous les protagonistes s’expriment de la même façon ? Reine, voleur, nonne ou peintre, partagent ici la même rhétorique soignée. Correspondance de clones.

Néanmoins, j’ai trouvé cette lecture divertissante et sans atteindre la magie perverse des « Liaisons dangereuses », cette histoire m’a donné envie de revoir Florence et d’envoyer des cartes postales.

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HHhH

Rien compris au dernier Binet moi 

Aucune image , aucun running gag ! Quid de ces héros des temps modernes que furent Robert et Raymonde , cédant désormais la place à cet obscur Heydrich qui , lui , ne me titilla jamais l'ombre d'un zygomatique ! C'est fort de ce constat amer - Michel - que je refermais ce bouquin , frustré et désappointé , quand la vérité dans toute sa simplicité m'apparut enfin ! Allez mettre ça sur le compte du gars enfin touché par la grâce - nan , pas dit la graisse – voire sur celui de mon exceptionnelle perspicacité toute Holmésienne ! Quoi qu'il en soit , et si tout bonnement je ne faillis pas en faisant bêtement preuve d'homonymite aigüe ? Là , ça changeait forcément la donne !



Pas fou-fou des bouquins historiques à la base , j'y ai ici trouvé largement mon comptant ! Un complot visant à supprimer l'éminence grise d'Hitler , une écriture originale ou l'auteur nous fait régulièrement part de ses doutes quand à la véracité des faits énoncés , de ses angoisses de la page blanche et c'est un lecteur heureux d'avoir découvert le premier écrit de ce tout jeune prof de français auréolé fort justement du Prix Goncourt du premier roman . Même si les prix , hein , bon...

" Le bourreau de Prague " , "la bête blonde " , " l'homme le plus dangereux du IIIe Reich " , voici quelques uns des plus doux sobriquets accolés à ce joyeux drille , planificateur de la solution finale , qu'était Heydrich ! Juste retour des choses que l'opération «  Anthropoïde «  visant à éradiquer cette bête sans nom , alors 3e dans le monstrueux organigramme du Reich et possiblement appelée à devenir calife à la place du calife !



Historiquement passionnant , humainement terrifiant . Binet , tout en s'interrogeant continuellement et en invitant implicitement le lecteur à en faire de même , parvient à trouver le juste équilibre entre histoire avec un grand H et l'interaction que cette dernière provoque avec son quotidien . Au-delà de ça , l'écriture interactive ne fait pas dans le cours magistral , dans le rébarbatif factuel mais vous entraine dans les nauséabonds méandres de l'Histoire tout en tentant , en plus de vous instruire  , de vous faire réfléchir ! Objectif osé s'il en est mais pleinement atteint ! Avant d'en arriver au dernier tiers addictif du bouquin majoritairement consacré à la tentative d'assassinat proprement dite , Binet pose les jalons de l'histoire dans l'Histoire , en en présentant les tenants et les aboutissants , des prémices d'un Nazisme encore balbutiant jusqu'à son funeste destin apocalyptique !



HHhH ,Hemballant Hexaltant hinstructif Hentousiasmant !

Un grand merci à Robert B. pour les quatre derniers adjectifs qui ne me seraient pas venus à l'esprit , là , tout de suite , dans l'immédiat instantané et imminent...
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La bataille du rail : Cheminots en grève, écriv..

36 auteurs pour autant de nouvelles, illustrés par les dessins de Mako.

36 auteurs engagés, car cet ouvrage polyphonique n'a qu'une seule ligne éditoriale : celle de défendre les services publics, un certain « idéal de solidarité »

concrétisé ici par le train dans la tourmente de cette nouvelle « bataille du rail ».



36 pierres apportées à l'édifice d'une lutte, puisque les droits d'auteurs sont entièrement reversées aux caisses des grévistes contre cette réforme ferroviaire 2018.

À chacun d'en juger la nécessité bien sûr, mais il fallait le préciser, car il ne s'agit pas ici d'un don seulement caritatif, mais profondément politique.



Bien sûr, ces nouvelles sont très différentes, et parfois inégales, mais toutes réussissent la gageure de parler à nous tous, qui avons en commun cet « imaginaire du rail».

Comme Didier Daenincks dont « le sang noir du monde ferroviaire coule dans [s]es veines. »



Lu en juillet 2018.
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La septième fonction du langage

Quelle déception ! Mais quelle déception !!

Et pourtant, je vous assure, tous les ingrédients étaient là pour me le faire aimer, ce livre :

- L'enthousiasme débordant de François Busnel (« Gourou de la lecture, dis-moi ce qui manque à ma PAL ? Quelle petite perle d'inventivité m'as-tu dégotée dans cette montagne immense des nouveautés de la rentrée littéraire 2015 ? Dis-moi quel sera le nouveau compagnon de mes nuits d'insomnie ? »)

- L'éloge de Baptiste Liger dans le numéro de septembre de Lire : rythme effréné, approche ludique d'un sujet au combien théoriquement pointu, duo de choc qui fait mouche, Venise, Foucault, Mitterrand, Eco, et bien d'autres... enfin, la moitié de ça aurait suffit à mettre l'eau à la bouche de la lectrice curieuse et avide que je suis ! (« Doucement Dixie, pense à tes chevilles ! »)

- La sémiologie ! Ah ! Que de souvenirs de l'époque bénie où je trainais mes Kickers bi-color rose bonbon/bleu roi et mes jeans râpés sur le perron de la Fac ! Saussure, Peirce, Jakobson... : Attendez-moi ! J'arrive pour la piqure de rappel ! (« Attention là ! J'avoue ! Rien à dire ! J'ai eu ma piqure ! Et j'ai pas moucheté !! Chapeau bas, Monsieur Binet !»)

- les 70 premières pages, où je me suis délectée de toutes les promesses de cette 7ième fonction, en frétillant à l'idée de tenir là, une « bombe » (dixit mon post du club de lecture « pioche dans ma PAL » qui a permis à Myriam de me choisir ce dernier né de Binet.)



Heureuse Lectrice ! Heureux lecteur ! Toi qui a apprécié la 7ième fonction du langage de Laurent Binet ! Comme j'aurai aimé, moi aussi, brandir mes 5 étoiles, allez ! Je me serais contentée de 4 ! (parfois, il faut avoir le triomphe modeste...) ! Comme j'aurai aimé venir vous parler avec emphase et contentement de ce précieux moment de lecture !

Nenni ! Je reste là, comme une étudiante raillée par le professeur du haut de sa chaire, blême et déconfite de s'être plantée !

Car voilà ! Tout est retombé comme un soufflet ! Trop de longueurs, trop d'insistance sur les travers des VIP de l'intellect transformés en personnages fictifs (quoi que ?) et encore tellement de choses si subjectives que je ne vais pas épiloguer.



En conclusion je dirais : le dernier Binet, c'est « à la folie » ou « pas du tout » ! D'aucuns disent que c'est souvent le signe des grands... Signe, Folie, Tout, Dernier : Vous me suivez ?
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HHhH

L’église orthodoxe Saints-Cyril-et-Méthode à Prague est devenue un lieu de recueillement un peu particulier. C’est dans sa crypte, aujourd’hui transformée en musée, que s’acheva, le 18 juin 1942 à midi, un acte de résistance parmi les plus audacieux de la seconde guerre mondiale.



Trois semaines auparavant, à cinq kilomètres de là, trois parachutistes de l’armée tchécoslovaque en exil à Londres attentèrent à la vie d’un des dignitaires les plus haut placés du Troisième Reich : Reinhard Heydrich. Mais le grain de sable du destin vint, au moment le plus critique, contrecarrer la bonne marche de “l’opération Anthropoïde” si bien qu’il s’en suivi un certain nombre de revirements de situations dignes d’un scénario hollywoodien...



De nombreux écrits relatent ce haut fait d’armes et mettent en avant l'esprit sacrificiel de Gabčík, Kubiš et Valčík, ces trois soldats dont l’héroïsme bouleversa et ragaillardi tout un peuple.



Un jeune auteur français passionné d’Histoire, Laurent Binet, en a tiré en 2009 un livre au titre bien singulier : ''HHhH''.

Un long travail de repérages dans la capitale tchèque, la consultation d’une énorme quantité de documents d’archives et une rigueur d’écriture presque maladive accouchent au final d’un roman composé de 257 chapitres dont la brièveté favorise une fluidité de lecture du plus bel effet.

Outre l’attentat de Prague et les représailles SS, “HHhH” retrace la montée du nazisme depuis les années 20 jusqu’au printemps 1942 où l’hitlérisme était au faîte de sa puissance. Les accords de Munich et la crise des Sudètes, évoqués longuement, permettent au lecteur d’appréhender graduellement l’escalade mortifère au cœur de l’Europe.

Laurent Binet voulait un roman le plus factuel possible. Force est de constater l’authenticité qui s’en dégage !

La participation de l’auteur en tant que personnage à part entière est une belle trouvaille surtout dans un contexte aussi peu évident. Ses attaques à l’encontre de protagonistes ayant un rôle marginal dans cette époque troublée, le diplomate et poète Saint-John Perse notamment, sont par contre étonnamment virulentes pour ne pas dire excessives.



Concernant le personnage central Reinhard Heydrich, il vaut mieux faire court ; rien que d’écrire son nom une seconde fois me hérisse le poil. C’était un criminel de guerre de la pire espèce. Hitler l’appréciait beaucoup car il trouvait que sa férocité n’avait d’égal que son efficacité : c’est tout dire !

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La septième fonction du langage

Je vous parle d'un temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître.... L'année 1980. Björn Borg, Mourousi, une cassette de Supertramp, une bouteille de Banga, les R16 mais surtout, une pléiade de penseurs français dominant le champ intellectuel. Branchez votre Walkman et débutez ce « Retour vers le futur » au sein des eighties…



« La septième fonction du langage » se présente à la fois comme un pastiche du genre policier, un exposé sur les différents courants de pensée de la « French theory » et une réflexion sur le roman et le langage. le 25 février 1980, Roland Barthes au sortir d'une repas avec François Mitterrand, est renversé par une camionnette alors qu'il transportait - peut-être - un document sur la septième fonction du langage, une fonction qui permet de convaincre n'importe qui de n'importe quoi. Ce document a donc une importance capitale qui suscite bien des convoitises. Un duo improbable va enquêter sur ce document disparu. Jacques Bayard, commissaire des Renseignements généraux, est chargé de mener une enquête de routine pour voir si un élément dans ce drame peut compromettre le candidat socialiste probable. Bayard a tout du beauf de Cabu, le physique et les opinions. Perdu dans les méandres de ces théories et dans la faune de l'intelligentsia parisienne, il va quérir l'aide d'un étudiant de la fac de Vincennes, Simon Herzog, qui prépare une thèse de linguistique. L'affaire se corse, l'histoire s'épaissit et le roman prend les allures du film « le grand blond avec une chaussure noire » : affrontements de services de renseignements rivaux, sociétés secrètes, énigme policière... L'enquête se mue en quête, si tout le monde cherche un document secret, tout n'est que prétexte à une initiation aux théories du langage. Car dans ce roman, le véritable héros est le langage et ses pouvoirs.



Le roman est aussi une plongée dans le milieu intellectuel du début années 80. Il y a pléthore de penseurs à cette époque : Foucault, Lacan, Bourdieu, Derrida, Althusser, Barthes, Lévi-Strauss, Deleuze, Guattari, le jeune Bernard-Henri Lévy , le couple Sollers & Kristeva, etc. On retrouve également des hommes politiques : le Président Giscard accompagné des deux Michel : Poniatowski et d'Ornano ; Mitterrand, pas encore candidat, et sa garde rapprochée : Lang, Moati, Fabius, Attali, Debray, Badinter. Laurent Binet traite toutes ces personnalités sous le trait de la caricature, les petits défauts sont agrandis au centuple. C'est souvent efficace, drôle, irrévérencieux, parfois non. Dans cette histoire, si Althusser étrangle son épouse, Hélène, ce n'est pas dans un accès de démence, mais c'est parce qu'elle a jeté par mégarde une copie de la « septième fonction ». Il est vrai qu'avec Laurent Binet, la frontière entre la fiction et la réalité est souvent floue. Il joue avec ses personnages, fictifs ou réels, vivants ou morts, et n'hésite donc pas à détourner des faits avérés d'une biographie. L'événement qui lance le roman en est la preuve. Si Barthes a bien été victime d'un accident de la circulation, l'auteur y voit une faille dans laquelle projeter ses hypothèses et un début d'intrigue. La fiction est grossie et veut apparaître en tant que telle. L'auteur joue avec ses personnages fictifs, principalement Simon, qui prend parfois conscience d'être enfermé dans un roman, sentiment si angoissant qu'il en arrive à défier son romancier/créateur. le roman est rédigé sous le patronage d'Umberto Eco dont il reprend le terme de « surnuméraire ». Les personnages ont une existence fictive mais non réelle, même s'ils sont inspirés de personnalités réelles…



« La septième fonction du langage » un roman brillant, léger et érudit, qui a le mérite de divertir son lecteur en dissertant sur l'illocutoire et le perlocutoire. C'est la nostalgie d'une époque où les intellectuels étaient à l'avant-garde de la pensée, où les débats étaient nombreux et riches.C'est aussi un rappel sur les pouvoirs du langage et ses dangers : (Renaud cite Binet qui fait parler Eco qui fait parler Machiavel...) ""Machiavel explique au Prince que ce n'est pas par la force mais par la crainte qu'on gouverne, et ce n'est pas la même chose : la crainte est le produit du discours sur la force. Allora, celui qui maîtrise le discours, par sa capacité à susciter la crainte et l'amour, est virtuellement le maître du monde.""



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Perspective(s)

Savoureux ! Truculent !

De par sa splendide couverture, sa forme et son style, Perspective(s) est un coup de coeur.

Un roman foisonnant, bouillonnant, de nombreuses perspectives s'offrent à nous.

Florence, les Médicis et ces enfants terribles que sont les peintres.

Pontormo est retrouvé mort, sa fresque est saccagée et un tableau qui déshonore la fille du Duc est trouvé. Cosimo de Médicis doit trouver le coupable car : « Un prince dans le noir est un prince en sursis ».

Va s'ensuivre un incroyable échange de 176 lettres équivoques. Tout le monde y va de ses doutes, de ses hypothèses, de ses commérages, de ses secrets.

L'auteur a pris des risques car lisant un extrait j'ai eu des doutes sur la qualité du texte mais dès le début il s'explique :

« Toutefois, s'il voit des fautes, ou s'il s'étonne d'une expression triviale, que le lecteur ait la bonté de penser qu'elles ne sont peut-être pas de mon fait, ou bien qu'elles sont volontaires, car il s'agissait aussi de rendre lisible une correspondance du XVIème siècle toscan au lecteur français d'aujourd'hui, sans doute peu familier d'une époque lointaine et, j'ose le dire, trop oubliée. »

nous voilà avertis.

Alors tenons-nous prêt à toute éventualité et découvrons une époque, une société, des suspects et un coupable.

Merci aux éditons Grasset.

#Perspectives#NetGalleyFrance

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HHhH

Comment cet ouvrage a-t-il pu obtenir le Prix Goncourt du premier roman en 2010 ?



Certes, c’est une étude sur Heydrich et la solution finale, la résistance tchécoslovaque et le rôle des services britanniques durant la seconde guerre mondiale, mais, à mon avis, « Sept hommes à l'aube », publié en 1962 par Alan Burgess, est et reste incontournable sur l’ attentat du 27 mai 1942.



J’étais à Prague et à LIdice en 1967, année du XXV anniversaire de l’opération Anthropoïde, et les autorités communistes occultaient l’intervention des alliés occidentaux et le rôle des Anglais et du gouvernement tchécoslovaque exilé dans cette action. La population, nombreuse à pratiquer le français à l’époque, n’était pas dupe et déposait symboliquement des roses rouges devant l'église Saints-Cyrille-et-Méthode. Laurent Binet, qui a enseigné en Slovaquie dans les années 90, ne dit pas un mot sur la façon dont le régime communiste a réécrit l’histoire de la résistance.



Par ailleurs, il se permet d’attaquer Alexis Léger (Saint John Perse), qui ne faisait, en temps que fonctionnaire, qu’exécuter la politique du gouvernement résultant des élections législatives des 26 avril et 3 mai 1936. Législature du front populaire, de la guerre, de la déroute de 1940, qui donna tout pouvoir au Maréchal Pétain, et dont les députés continuèrent à toucher leurs indemnités durant tout le conflit.



Il dénigre Flaubert, Houellebecq, qui n’ont évidemment rien à voir avec cette intrigue et part dans des digressions personnelles qui n’ont aucun intérêt et sont aussi lassantes que mièvres. Ces errements font de l’ombre au sujet traité et coulent malheureusement l’ouvrage.



D’où ma déception et mon incompréhension du choix des jurés qui ont distingué ce roman.
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La septième fonction du langage

J'ai été enthousiasmé par ce roman, qui est très drôle tout en étant documenté et même instructif. Il se présente d’abord comme un polar, la mort accidentelle de Roland Barthes étant considérée comme un meurtre qui va en entraîner bien d'autres et une enquête policière atypique.



Laurent Binet ajoute à cette trame policière une reconstitution du début des années 1980, avec comme sommet le débat télévisé entre Giscard et Mitterrand. Il nous dresse le portrait de l'intelligentsia et des figures politiques parisiennes, peint les luttes politiques sanglantes en Italie et un monde universitaire américain. Bien documenté et quasi vraisemblable, il accumule canulars et caricatures, dans un bain souvent très sex, drugs and rock&roll.

Les cercles politiques proches de Giscard et Mitterrand sont peints en quelques conversations où en peu de phrases Ponia, Fafa, Lang etc paraissent aussi vrais que nature, mais dont les raccourcis et quelques notations de contexte font une narration hilarante en simplifiant à outrance leurs motivations.

Le vrai héros du roman est peut-être le langage, c'en est au moins le sujet. Politiques et intellectuels voudraient le maîtriser grâce à une septième fonction imaginaire, sortie d'une théorie linguistique cachée que tous s'arrachent, prêts aux pires crimes pour sa possession. Les linguistes et sémioticiens sont au premier rang, les rhéteurs, orateurs, littérateurs, provocateurs (Hallier, Sollers), et débatteurs (politiques ou pros de l'éloquence) les poursuivent. Tous font l'objet de caricatures, où il y a besoin de peu de déformation (sauf pour Sollers qui est l'objet de moqueries incessantes et BHL écrasé de mépris silencieux) : beaucoup de raccourci et un peu d'exagération suffisent à me faire rire franchement. Il s'agit d'une période où j'étais jeune adulte et dont je me souviens de faits parfois anecdotiques (tout de même, est-il anecdotique qu'Althusser tue son épouse dans une crise de démence?), et je ne suis pas sûr que des lecteurs plus jeunes en profitent aussi bien. (J'ai quand même révisé : la gare de Bologne ne m'a pas immédiatement rappelé un attentat fameux, je ne l'ai vu venir qu'avec peu d'avance sur le récit).



Après le polar et le portrait de classe, une troisième couche de sens est introduite par un jeune universitaire dont le policier s'est adjoint les services, tellement le monde du structuralisme lui est étranger. Nous bénéficions de ses explications, d'extraits de cours, de lectures et de colloques (dont certains tournent de nouveau à la caricature, sans pour autant cesser d'être instructifs). Ici encore, ma position est privilégiée : je me suis assez intéressé à la linguistique et assez peu à la sémiotique pour me sentir à l'aise dans ces explications et en apprendre beaucoup, mais il me semble que de plus profanes ou plus experts en profiteront bien aussi, apprenant plus sur le fond ou riant plus du mode de présentation.



Le quatrième thème est absolument enchanteur : comme dans HHhH, Binet ne se contente pas d'écrire, il nous fait réfléchir à cette action d'écriture. Il s'interroge sur la liberté de l'écrivain. Il n'a pas peur (malgré les exhortations de son éditeur, explique-t-il ailleurs) de donner un autre sens au meurtre commis par Althusser, à en inventer d'autres parmi les personnages célèbres, dont certains ont heureusement survécu bien après (Derrida, Searle...). Le jeune universitaire, héros apparent du récit, revenant sur la totale improbabilité de ce qui lui arrive, conclut que de telles coïncidences ne sont possibles que dans un roman : ce passage est extrêmement jouissif, il a d'ailleurs été recopié plusieurs fois sur ce site, allez voir. Bref, Binet s'amuse encore à penser, tricote ses personnages de couches de réel et de fiction, et nous invite, admirant cet écheveau, à nous demander : qu'est-ce que la littérature ?



J'espère que je n'en dévoile pas trop en concluant : le troisième héros est Umberto Ecco, roi du langage en théorie et en pratique, qu'on nous donne à admirer, sans trop se moquer de lui sauf un jeu de mot facile mais amusant, sur son nom.



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Civilizations

Un roman qui défrise la chronologie du monde !



Dans son excellent premier roman « HHhH», Laurent Binet avait déjà démontré son goût pour l’histoire. Il racontait l’opération visant à assassiner le « boucher de Prague », Reinhard Heydrich, durant la seconde guerre mondiale. Au-delà du récit que j’avais trouvé passionnant, le livre soulignait les hésitations de l’auteur à romancer la réalité historique. Je garde un souvenir vivace de cette lecture qui date de 2010 tout en ne partageant pas la critique formulée par l’auteur à l’encontre de Jonathan Littell qui aurait travesti l’Histoire et son grand H dans « les Bienveillantes ». Je pense que le roman doit rester un espace de liberté et je considère "Les Bienveillantes" comme l’un des romans les plus précieux de ces 20 dernières années.



Pour Civilizations, l’auteur s’est posé moins de questions déontologiques et il a sauté, les deux pieds dans la flaque de l’histoire globale. Et c’est tant mieux, car il a laissé de côté une certaine préciosité, observée également dans «La septième fonction du langage», son deuxième roman.



Il décide ici de renverser les lois de la gravité historique et fait du Vieux Continent, le Nouveau Monde. Un effet miroir déformé de notre ethnocentrisme.



A changer le cours des choses, autant détourner de son lit un océan plutôt qu’un petit torrent. Le roman s’ouvre sur l’amarrage douloureux des vikings, plaisanciers un peu rustres, sur les côtes américaines en l’an mil. Comme le viking n’a pas l’âme sédentaire mais possède la curiosité d’un étudiant Erasmus, la fille d’Erik le Rouge partage avec les autochtones ses défenses immunitaires et la métallurgie du fer.



La seconde partie présente le carnet de voyage raté de Christophe Colomb dont l’expédition échoue misérablement en 1492, faute de GPS et à cause d’un évangélisme intolérant et d’une avidité sans limite.



En 1531, les Incas envahissent l’Europe. Ils débarquent à Lisbonne juste après un grand tremblement de terre. Comment Atahualpa, empereur d’une armée de quelques centaines d’hommes va parvenir à conquérir l’Europe, défaire Charles Quint, convaincre la population d’abandonner la religion du « Dieu cloué » pour celle du Dieu Soleil en pleine période d’Inquisition ?



Laurent Binet réussit à rendre crédible cette conquête par une bonne dose d’utopie qui accompagne cette réécriture de l’histoire. L’Inca obtient l’adhésion du peuple par la redistribution équitable des récoltes et la substitution de l’impôt par des travaux d'intérêt généraux. Un empereur communiste… mais également capitaliste puisque il inonde l’Europe de l’or qu’il fait venir par bateau depuis les Amériques pour acheter le pouvoir.



J’ai également été convaincu par la description de la diplomatie déployée par cet empereur Inca, qui lit Machiavel et applique à la lettre la devise « Diviser pour mieux régner », jouant des rivalités séculaires des dynasties régnantes.



Dans cette aventure qui donne le tournis au globe terrestre, l’empereur croise les grandes figures intellectuelles et artistiques : Thomas More, Erasme, Luther, Titien…. Autant d’occasions pour évoquer le pouvoir de l’art, l’intolérance religieuse et les inégalités.



J’ai vu que certains billets présentaient des avis plus mitigés. Pour ma part, comme l’Europe, j’ai été conquis par cet Inca et si la Terre tourne autour du soleil, il est heureux de voir que certains romans ne tournent pas seulement autour du nombril de leurs auteurs.



S’agissant de l'exercice uchronique, je pense que « Le complot contre l’Amérique » de Philip Roth est plus maîtrisé que « Civilizations », mais ce roman, qui est aussi un conte philosophique, est une belle réussite. Si Fernand Braudel a construit la « grammaire des civilisations », Laurent Binet se permet avec un certain brio de changer les règles de conjugaison en s’inspirant aussi des théories de Jared Mason Diamond sur l’ « Effondrement » des civilisations.



Prochain challenge uchronique ambitieux : Et si Adam n’avait pas croqué dans la Pomme ?

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HHhH

En 1942 à Prague l'opération Anthropoid est destinée à éliminer celui que les Tchèques ont surnommé, au vu de son extrême férocité, « le boucher » ou le bourreau de Prague, Reinhard Heydrich. Un homme d'autant plus dangereux qu'il concentre de nombreux pouvoirs. Bras droit de Heinrich Himmler il est à la fois le chef de l'Office central de la sécurité du Reich (RSHA, qui pilote notamment la Gestapo), le « vice-gouverneur de Bohême-Moravie » et le commandant opérationnel des Einsatzgruppen, les unités mobiles de tuerie de masse en Europe de l'Est. Il a également en charge d'organiser la solution finale de la question juive. L'attentat se déroule le 27 mai et Heydrich meurt huit jours plus tard. Planifié par le Special Operations Executive, une branche du service secret britannique, il est perpétré par deux soldats tchécoslovaques, parachutés sur le territoire du protectorat de Bohême-Moravie.



Un roman passionnant pour lequel Laurent Binet a choisi une forme originale puisque tout son récit, de la montée du nazisme à la mort d'Heydrich et aux représailles violentes contre les populations civiles de la région, notamment dans le village de Lidice, est ponctué de ses réflexions et interrogations sur l'écriture de son livre. Un procédé que j'ai beaucoup aimé mettant en lumière la difficulté de choisir entre vérité historique et fiction romanesque dans le roman historique. Toutefois je mettrais un bémol à ce premier roman très réussi : la violence des attaques à l'encontre de certains diplomates qui m'a semblé très excessive, une erreur de jeunesse peut-être...
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HHhH

Pince-moi je rêve !

Ai-je bien lu ce que je viens de lire ? Je ne sais même pas par où commencer ...

Laurent Binet veut écrire un roman historique sur l'assassinat de Reinhard Heydrich à Prague le 27 mai 1942 par trois résistants tchèques et slovaques...Jusque là, d'accord. Un roman, pas un essai historique. Donc, dans un roman, il y a une part de fiction, de reconstitution, dialogues, vie privée des personnages etc...Mais cela, Laurent ne l'accepte pas, non non non ...Il se pose des questions, il faut que tout soit juste...Déjà, ça part mal. Dans ce cas, on écrit un article dans Histoire, un essai, une thèse...Pas un roman. Donc, je ne vois pas du tout l'intérêt ni l'enjeu de l'écriture, parfaitement vains...Mais le pire est à venir. Laurent va se mettre en scène avec ses hésitations purement géniales...Je ne dis pas géniales gratuitement, l'auteur vise haut, très haut, comme je vais le montrer.

D'abord, la mise en scène du moi écrivant torturé : "Le Slovaque, le Morave et le Tchèque de Bohème attendent eux-aussi et je donnerais cher pour ressentir ce qu'ils ont ressenti alors. Mais je suis bien trop corrompu par la littérature : "je sens monter en moi quelque chose de dangereux" dit Hamlet, et dans un moment pareil c'est encore une phrase de Shakespeare qui me vient à l'esprit. Qu'on me pardonne, qu'ils me pardonnent, je fais tout cela pour eux. Il a fallu démarrer la Mercedes noire [d'Heydrich], ça n'a pas été facile. Tout mettre en place, s'occuper des préparatifs, d'accord, tisser la toile de cette aventure ..." Oui, vous avez bien lu, l'auteur compare son travail d'écriture avec la préparation et les courage des Résistants, et se plaint à eux des difficultés qu'il a...En passant, il se compare à Hamlet et Shakespeare. Les deux, tant qu'à faire. J'ai envie de lui dire ce que j'ai entendu un élève répondre à un autre qui s'énervait tout seul contre lui : "OK, mec"

Dur est le génie qui pèse sur notre auteur : "Pendant quinze ans, j'ai détesté Flaubert, parce qu'il me semblait responsable d'une certaine littérature française, dénuée de grandeur et de fantaisie...S'abîmant avec délice dans le réalisme le plus emmerdant..." OK, mec.

"...Et puis j'ai lu Salambô, qui est immédiatement rentré dans la liste de mes dix livres préférés." Flaubert te remercie ,mec.

Ensuite, bon, Laurent a aussi ses idées à lui sur la littérature contemporaine. A propos de Littell et de ses Bienveillantes, du narrateur Max Aue : "En revanche, ce détachement qu'il affiche, cet air blasé revenu de tout, ce mal-être permanent, ce goût pour le raisonnement philosophique, ce sadisme maussade...Mais bien sûr, soudain, j'y vois clair : les Bienveillantes, c'est "Houellebecq chez les nazis, "tout simplement." Tout simplement, mec. Laurent s'inquiète que les Bienveillantes puissent faire de l'ombre à sa grande oeuvre. T'inquiète pas, mec, elles ne te feront pas d'ombre. Elles planent dans les hautes sphères, beaucoup trop haut.

Ensuite (oui, je sais, c'est décousu, mais je pense à Shakespeare, à Hamlet, à Rimbaud, et je souffre beaucoup d'écrire mieux que Flaubert, alors pouët pouët) ensuite Laurent veut reconstituer le passé, oui, il recherche le temps perdu, il le veut tel qu'il fut, il veut la couleur exacte de la Mercedes d'Heydrich : noire, vert foncé ? Ca revient tout le temps...Il l'a vue noire, Natacha (Ah ! Natacha ! ...) aussi...Mais on dit aussi qu'elle était vert foncé...Et en même temps, en même temps, voilà notre génie qui se lance dans une reconstitution de la conférence de Münich, terrible, où la France et l'Angleterre lâchèrent la Tchekoslovaquie à Hitler. C'est parfaitement vrai. Néanmoins, visiblement, si Laurent avait été là avec Daladier et Alexis Léger, alias Saint John Perse, ça se serait beaucoup mieux passé. Donc Saint John Perse se fait traiter de "sac à merde". Moi, je veux bien qu'on s'interroge sur la couleur de la Mercedes, mais il me semble qu'il faudrait d'abord se replacer dans le contexte, et que traiter les diplomates de sacs à merde en 2008 est très facile. Je me souviens de ma professeure d'histoire en khâgne qui nous disaient : "n'oubliez jamais qu'entre les deux guerres, il y a vingt ans, et que vingt ans, ce n'est rien". Avec tout ce qu'on sait et peut lire aujourd'hui sur la première guerre mondiale, je pense qu'avant de traiter la diplomatie de sac à merde, il faut bien se rendre compte que ces hommes qui avaient déjà vécu la première guerre ne voulaient pas y retourner, pour rien au monde. Daladier pouvait-il revenir en France et dire : "c'est reparti les gars, prenez vos baluchons, vos pelles et vos masques à gaz, j'ai signé pour une nouvelle guerre avec l'Allemagne." Moi, avec tout ce que j'ai lu, ça me paraît impossible. Je pense donc qu'il est très malvenu de juger, surtout quand on professe une telle rigueur dans la reconstitution. Pour moi, cela enlève toute crédibilité à ce texte.

Voilà, je pourrais continuer des heures tant ce texte m'a excédée par son arrogance et sa vanité. Les femmes, Aurélie, Natacha, si splendides, qui accompagnent notre grand génie dans sa quête arthurienne. Ah oui, ce passage encore. Spéciale dédicace à mes congénères féminines : "je me demande comment les nazis accommodaient leur doctrine à la beauté des Slaves : non seulement on trouve en Europe de l'Est les plus belles femmes du continent, mais en plus elles sont souvent blondes aux yeux bleus." Je crois qu'on explose tout, là :

-Laurent dénonce les nazis et fait la même chose : les Slaves ont des caractéristiques physiques, elles sont plus belles que les autres.

-Et les Juives et les Tsiganes ? Elles sont pas belles ?

-Et tu fais ton marché ?

-Et merci pour les autres.

Bref, je vais m'arrêter là. Au secours !!!!!!!

Ah oui, aussi, le monsieur parle tellement de lui qu'à la fin, j'ai été obligée d'aller me renseigner sur Wikipédia tellement je n'avais rien appris sur les personnages historiques. Par contre, j'en sais beaucoup trop sur le sieur Binet.

Quelques passages bien écrits.
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Perspective(s)

Le peintre Pontormo a été tué, ce qui, pour un thriller, n’a rien d’original. Dans la Florence de Cosimo de Médicis, d’ailleurs, tout le monde s’en fout.

Pour la forme, et sans perspective de résolution, ce dernier charge Vasari, le père de l’histoire de l’art, d’élucider, non pas le meurtre mais le lieu où se trouve un dernier tableau du peintre : Cupidon et Vénus, déjà peint par Michel-Ange, donc presque recopié (je sais, c’est pas beau de copier) sauf le petit pied de Cupidon ce gredin, juste sur le sexe de Vénus. Et, surtout, la tête de Marie de Médicis, peinte sur la gorge de Vénus dont elle n’a rien à envier, de toute façon, côté s’envoyer en l’air. Non, non, cette Marie délurée n’est pas celle qui fut reine de France, c’est la fille de Cosimo, ou Cosme 1er, duc de Florence.

Scandale en vue, puisque l’inquisition a mis fin aux années de licence où les nus ne choquaient pas. Les lettres s’échangent bon train, entre les peintres, Michel-Ange et Vasari, qui reproche à Pontormo de ne pas tenir compte de la perspective. Eh oui, la perspective, découverte pas Brunelleschi, l’architecte du génial dôme de Santa Maria del Fiore de Florence, peint par Vasari.

Vasari en rajoute une couche : la fresque endommagée avant le meurtre était atroce. Il ne se réjouit pas du tout de la mort de ce mauvais peintre, n’est-ce pas, il note, tout simplement, d’ailleurs, c’est son job.

Maria, dont la tête remplace celle de Vénus, écrit à sa tante Catherine de Médicis, reine de France, pour lui dévoiler ce qui l’est de toute façon. Cette dernière, obligée (si tant est que beaucoup de femmes choisissent) de vivre en polygamie avec Diane de Poitiers, délaissée par son époux le roi Henri II en faveur de sa « putain » (dixit la reine), et par ailleurs voulant affaiblir son cousin Cosme, demande à Piero Strozzi, son autre cousin, de s’emparer du tableau… pour le diffuser à partir de Venise dans toute l’Italie.

Car elle hait ce Cosme qui prétend s’emparer de la Toscane, faisant ainsi de l’ombre au pouvoir de Philippe II d’Espagne, fils de Charles Quint, et de Henri II de France, fils de François 1er.



La mort de ce mauvais peintre n’est pas seulement sans intérêt : elle apparait aussi comme plus que souhaitable, y compris par les âmes pieuses : les sœurs du couvent San Vincenzo se réjouissent de la mort du sodomite, et de plus protestant. Nous, lecteurs, comprenons bien que ces deux tares rendent gloire à l’assassin (que personne ne recherche) et, subsidiairement, à Dieu. Éléonore de Tolède, épouse de Cosme, prude comme une espagnole, puisqu’elle l’est, écrit au pape «  la mort providentielle, (de Pontorno) certes advenue dans des circonstances regrettables »

Circonstances regrettables ! Sa fille ! si le tableau honteux apparaissait, le mariage de Maria avec le fils du duc de Ferrare pourrait être remis en cause. Elle sait parfaitement que ce rejeton a très mauvaise réputation, « castrat doublé d’une brute » reconnait-elle, mais il faut vendre.

Pour Catherine de Médicis, le sort donné à cette idiote constitue une aubaine, et subtilement elle lui présente la condition des femmes à la manière islamiste : « Vous souffrirez en silence les caprices de votre maitre, ses emportements et ses infidélités, et si dieu le veut, il vous traitera bien, quoique ce qu’on me dit du caractère du jeune prince ne m’incline pas trop en faveur de cette hypothèse. »

En termes clairs, faites des folies de votre corps au lieu de vous enterrer dans le mariage. Ce que Maria, fera, se précipitant dans une histoire d’amour avec un page, jusqu’à être enceinte.

Autre scandale en vue.

Et Vasari commente : « Quant à la fille, je crois comprendre que le trésor de sa virginité n’est plus à prendre, ce qui, en un sens, lui ôte un poids, en même temps qu’une partie de sa valeur. »



Si ce roman, sous forme de lettres cyniques écrites de l’un à l’autre, se bornait à nous donner un aperçu de la vie à Florence, à nous faire sourire devant les ragots et les hypocrisies multiples, à nous faire peur avec les trois puissances prêtes à entrer en guerre pour le pouvoir, sans compter le pape pro inquisition « ennemi juré des protestant, des juifs, des artistes et des livres » qui se rapproche de l’Espagne, et retient Michel-Ange prisonnier à Rome pour terminer la chapelle Sixtine, je crois que nous n’aurions compris qu’un dixième du message de Laurent Binet.

Car l’auteur, avec une connaissance parfaite de la Florence de 1557, évoque le concile tenu à Trente , où il s’agissait de se dédouaner des thèses de Luther, la crue de l’Arno, l’importance de la perspective, qui, pour Michel-Ange, en donnant de la profondeur, ouvre les portes de l’infini, ce qu’aucun prêtre ne peut prétendre. On peut « voir au-delà » grâce à la perspective.

N'oublions pas le « s » du titre, les points de vue différents à la faveur d’un meurtre, sur la religion protestante, sur l’art en général, et sur Florence après la fin du Moyen-âge.

Et l’humour toujours présent.

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La septième fonction du langage

Alors là, je dois dire que je n’avais jamais lu un texte de cette nature ! Intelligent, original, dense et drôle à la fois, il est aussi brillamment maîtrisé que complètement déjanté !



Par où commencer pour vous le présenter ?

Disons d’abord qu’il s’agit d’un hilarant pastiche de roman policier, qui se joue de tous les codes du genre : l’enquête y est menée par un attelage hautement improbable, composé d’un commissaire réactionnaire s’intéressant assez peu à tout ce qui s’apparente à la culture et d’un maître de conférence en linguistique gauchiste enseignant à la fac de Vincennes, embarqué bien malgré lui dans l’aventure. Nous sommes en 1980, Mitterrand est à la veille de gagner les présidentielles, et les sémioticiens tiennent le haut du pavé dans les milieux intellectuels parisiens. Voilà pour le décor.

Quant à la mission confiée à nos deux compères, le commissaire Bayard et Simon Herzog, elle consiste à retrouver l’assassin de Roland Barthes. Car vous croyiez sans doute que l’auteur des Fragments d’un discours amoureux était mort accidentellement... Mais pensez-vous que se faire renverser par une voiture au sortir d’un déjeuner chez le candidat socialiste en passe de remporter des élections historiques peut vraiment être le seul fruit d’un malheureux hasard ?



Laurent Binet est quant à lui doué d’un sens du romanesque et du rocambolesque suffisamment aiguisé pour trouver matière à la plus réjouissante des intrigues policières. Roland Barthes aurait en effet été en possession d’un document potentiellement capable de donner un pouvoir insurpassable à celui qui en prendrait connaissance : il révélerait la nature de la septième fonction du langage, suggérée par Roman Jakobson dans son ouvrage de référence, Essais de linguistique générale, fonction qui permettrait à celui qui la maîtrise de prendre l’ascendant sur son interlocuteur... et sur le monde. La maîtrise du discours, à l’origine était le Verbe : tel est bien le coeur de toute forme d’organisation sociale et de toute prise de pouvoir. C’est bien pour cela que la sémiologie acquit une telle importance dans les années 70-80 : si la rhétorique, qui vise à convaincre, s’exerce depuis l’Antiquité, la sémiotique, qui permet d’analyser et de décoder toute forme d’expression et de création, prétendait enfin lever le voile sur les mécanismes à l’oeuvre et, du coup, de les neutraliser et de n’en être plus le jouet. D’où peut-être une forme d’ivresse du pouvoir des mots (tant il est vrai que le discours de certains sémioticiens est abscons), que Binet met en scène de manière totalement délirante.



Ce document, dont on comprend toute la valeur, va bien entendu exciter la convoitise tant des milieux politiques, qui y voient l’instrument permettant d’établir définitivement leur domination, que des intellectuels qui veulent toucher au plus près du secret de la maîtrise du verbe, au coeur de leur activité.



L’enquête se déroule donc dans ces deux milieux. A l’exception des deux héros, on n’y rencontre que des personnalités existant ou ayant existé, tels Foucault, Derrida, Sollers, Kristeva, BHL, Umberto Eco, mais aussi Jack Lang, Laurent Fabius, Serge Moati, Régis Debray, Mitterrand, Giscard et bien d’autres. Ce qui est d’un premier abord assez déroutant - mais néanmoins extrêmement jubilatoire - c’est que tous ces protagonistes sont traités comme des personnages de pure fiction: contrairement aux conventions généralement admises dans un roman mettant en scène des personnages publics, ils commettent des actes et se trouvent confrontés à des situations dénués de toute espèce de vraisemblance (heureusement d’ailleurs pour Sollers, qui a dû beaucoup souffrir s’il a lu ce livre, et pas uniquement dans son amour-propre !). Et pourtant, malgré tous les excès, grâce à bien des petites touches qui fonctionnent comme des signes, le portrait des différents personnages est saisissant de ressemblance, ce qui n’est pas le moindre des talents de Binet que de parvenir à cet exploit !



Ce qui est particulièrement savoureux avec ce livre, c’est la manière dont il adopte peu à peu une démarche métadiscursive. Tandis que l’intrigue se déroule, le texte s’interroge sur sa propre nature, dans une démarche digne des analyses qu’auraient pu faire les héros de ce livre (et qui n’est pas sans rappeler les écrits d’un certain Pierre Bayard, professeur de littérature... à Paris VIII-Vincennes, tiens, tiens!). Ainsi Simon Herzog finit-il par s’interroger sur lui-même : se trouve-t-il dans la vraie vie ou dans un espace romanesque ? L’auteur va-t-il le tirer du mauvais pas où il se trouve, ou bien sa dernière heure a-t-elle sonné ? Cela ne l’empêche pas de songer qu’«un personnage comme Sollers ne peut exister en vrai» !

Bref, l’auteur joue avec son lecteur avec une habileté dont les quelques mots produits ici ne sauraient totalement rendre compte.

A l’exception peut-être d’une légère baisse de régime vers le milieu du livre, dans la partie où les protagonistes se rendent aux Etats-Unis pour un séminaire, je me suis régalée de bout en bout avec ce livre offrant de nombreux niveaux de lecture. Pour conclure, je dirais qu’au-delà du contexte historique qui fait le cadre de ce roman et de la qualité réflexive de l’exercice, au-delà également de tout l’ancrage théorique qu’il nous permet de réviser, Binet réussit à faire monter une véritable intensité dramatique, ce qui n’était pas donné d’avance.

Un régal de lecture, donc, dont on ressort avec le sentiment d’être plus savant tout en s’étant énormément amusé !


Lien : http://delphine-olympe.blogs..
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