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Citations de Laurent de Sutter (92)


Nous sommes entrés dans une époque perdue, dont nous ne cessons de tenter de percer les murailles, sans parvenir à nous rendre compte que la plus importante d'entree elles est invisible : celle qui a été construite à l'intérieur de nous, avec notre concours. Cette muraille n'est pas celle de l'inconscience ou de la servitude volontaire, cette catégorie policière pour moralistes en mal de coupables ; elle est celle que la chimie de notre cerveau réclame avec toujours plus d'ardeur ; elle est la barrière du off. Confrontés à un monde dans lequel nous ne reconnaissons plus qu'angoisse, nous tentons de surnager à l'aide des remèdes qui, nous dit-on, nous soulageront et nous permettront de continuer à jouer notre petit rôle dans sa danse folle. Ce que nous ignorons, c'est à quel point ces remèdes sont anciens, à quelles étrangers familles ils appartiennent et quels sont les enjeux qui en ont motivé la popularité ; ce que nous ignorons, c'est la nature même de ce qui nous fait vivre. Nous le subodorons, cependant : la vie dont il est question, lorsque nous dépendons d'antidépresseurs pour nous maintenir à flot, de somnifères pour nous plonger dans le sommeil, d'excitants pour nous en tirer, de drogues diverses pour faire la fête, quelle est-elle ? Ce long dialogue avec notre pilulier peut-il vraiment être nommé "vie" - ou bien ce que nous entendons par là n'est-il pas ce à quoi nous devrions à tout prix échapper ? De quelle "vie" parle-t-on, dès lors que chacune de ses dimensions, du travail au loisir, de la veille au sommeil, de la joie à la paix, se trouve paramètrée en microcosmes à administrer à heure régulière ? Peut-être est-ce là que se situe la perte définissant notre présent : nous vivons une époque perdue dans la mesure où elle est une époque qui produit tous les moyens permettant de la fuir - de n'en ressentir que le plus insignifiant. Notre époque est une époque perdue, car son combat est celui de la mise sous tutelle de nos émotions, de nos sentiments, de nos excitations - de leur enfermement à l'intérieur d'une camisole chimique réduisant nos peurs au silence. Mais pourquoi les taire ? La réponse est sans doute la suivante : parce que nos peurs font peur - elles nous font peur à nous-mêmes, d'abord ; et puis elles font peur à ceux qui craignent qu'elles ne nous mettent en mouvement, qu'elles ne nous poussent à nous rassembler. Car la peur, comme toutes les émotions, est contagieuse : elle est le premier véhicule de tout changement, qu'il soit personnel ou collectif - l'affaire est entendue depuis que Nicolas Machiavel, au XVIe siècle, la définit comme un des deux affects que tout prince se doit de maîtriser. Sur ce point, les princes d'aujourd'hui ne sont guère différents de ceux d'hier : à leur yeux aussi, la peur doit rester un objet de management, une émotion qui soit à leur service quand ils en ont besoin - or, aujourd'hui, ce service passe par notre anesthésie.
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Tel était, aux yeux de certains, ce qu’il était raisonnable d’attendre de la révolution sexuelle : que l’on puisse inviter chez soi la personne que l’on désirait sauter. Il s’agissait-là d’un but petit-bourgeois ? L’époque n’en avait cure.
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L'humanisme est donc un engagement en faveur de l'humanité, mais pour le comprendre, nous devons examiner ce qu'est un engagement, ce qu'est l'humain, et ce qu'implique leur combinaison. (Reza Negarestani)
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Chaque jour, presque chaque moment, livre une cause à notre indignation, tantôt écologique, tantôt politique, tantôt alimentaire, tantôt morale, sans qu’aucune d’entre elles ne finisse par constituer un tout avec les autres, dès lors que l’arrivée d’une isole les précédentes dans un passé flou. C’est la raison pour laquelle, de manière inattendue, l’indignation est l’affect premier de l’âge de l’anesthésie ; il est ce qui accompagne dans le champ affectif l’organisation générale de la dépression de nos sociétés, en ceci que nous scandaliser est ce qui nous reste pour nous donner la sensation que nous sommes en vie.
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Entre ces deux périodes de condamnation de la prostitution, la 'politique du moindre mal' s'appliquait. Les prostituées permettaient d'éviter un mal plus grand : l'adultère ou la sexualité non reproductive.
- Saint Augustin [fin du IVe siècle] : « Supprimez les prostituées, vous troublerez la société par le libertinage. »
- Saint Thomas [XIIIe siècle] : « Cela sent mauvais mais sans elles, c'est partout dans la maison que cela sentirait mauvais. »
Malgré la tolérance dont elles bénéficiaient, les prostituées devaient pouvoir être distinguées du reste de la population ; de même que leurs collègues romaines n'avaient pas le droit de porter la robe de la matrone, la coiffe et le voile de la femme honnête leur étaient interdits.
Les ordonnances de Saint Louis [XIIIe siècle] y ajoutèrent l'obligation d'arborer une aiguillette de couleur vive tombant sur l'épaule.
L'aiguillette signalait la prostituée, comme la rouelle le Juif et la crécelle le lépreux.
(p. 43)
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S’il y a un système qui s’est trouvé associé aux idées d’accélération, c’est bien le capitalisme. Son métabolisme essentiel repose sur la croissance économique, la compétition entre les entités capitalistes individuelles mettant en mouvement des développements technologiques toujours plus poussés, sous l’aiguillon de l’avantage compétitif, entraînant toujours davantage de dislocations sociales. Sous sa forme néolibérale, son idéologie se présente comme libérant les forces de destruction créatrice qui entraînent des innovations technologiques et sociales en accélération constante. (Nick Srnicek et Alex Williams)
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Le choix auquel nous devons faire face est dramatique : soit un post-capitalisme globalisé, soit une lente fragmentation vers le primitivisme, la crise perpétuelle et l’effondrement écologique planétaire. (Nick Srnicek et Alex Williams)
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Ce vers quoi nous pousse l'accélérationnisme, c'est vers un avenir qui soit plus moderne et d'une modernité alternative que le néolibéralisme est intrinsèquement incapable d'engendrer. (Nick Srnicek et Alex Williams)
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Personne ne s'y attendait. Après tout, Nick Srnicek et Alex Williams n'étaient que deux thésards comme les autres, tenant vaille que vaille d'avancer dans leurs recherches, tout en tâchant de constituer un curriculum vitae susceptible de leur valoir une carrière universitaire ultérieure. À la London School of Economics, Srnicek préparait une thèse en relations internationales sur la "construction matérielle de la politique mondiale", tandis que que Williams, à l'université of East London, travaillait sur les liens entre "complexité et hégémonie" en politique. Ils n'étaient ni membres de groupes militants ni impliqués dans de vastes réseaux de chercheurs ; pourtant, lorsque le 14 mai 2013, ils firent paraître un petit article en commun, sur le site Critical Legal Thinking, celui-ci fit aussitôt le tour du monde. Son titre avait beau être énigmatique - "#Accelerate. Manifesto for an Accelerationnist Politics" - , il n'expliquait pas pourquoi, soudain, les réseaux sociaux, la blogosphère et les médias de gauche radicale se mirent tous à lui consacrer des pages furieuses. Du jour au lendemain, il n'y en eut plus que pour Srnicek et Williams, comme si leur texte avait matérialisé les espoirs les plus secrets et les peurs les plus inavouables de la pensée de gauche contemporaine - et qu'on ne leur pardonnerait pas.

Laurent de Sutter
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La coquetterie est l'assomption de la théâtralité fondamentale de la séduction, de sa dimension de pur jeu, ainsi que l'acceptation que, de ce jeu, l'homme n'est pas le maître, ni même l'acteur, mais le simple spectateur passif, la simple victime volontaire, toujours privée de sa récompense.
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La naissance du concept de "lien social", et sa reprise ultérieure par la sociologie, s'inscrivaient donc dans une stratégie d'appréhension du tout: une stratégie d'appréhension du collectif comme tel, et non seulement comme simple somme, agrégat ou ensemble d'individus. Sans "lien social", il n'y avait que la rencontre plus ou moins aléatoire, plus ou moins hasardeuse, de monades liées par le caprice ou la force de l'une ou de plusieurs d'entre elles - telle était, du moins, la vulgate sociologique, qui naquit au début du siècle passé.
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En autorisant que l’on puisse pénétrer, la nuit, dans la chambrette d’un partenaire, [la révolution sexuelle] n’avait guère fait que généraliser une conjugalité des plus traditionnelles. Or, l’on sait que la conjugalité est la conjoncture la plus hostile au bonheur sexuel […]. […] Il n’est donc guère surprenant que l’après de la révolution sexuelle se caractérise lui aussi par la misère. Cette misère, toutefois, a changé de signe : de misère de rareté, elle est devenue misère d’abondance – ce que l’on peut appeler « théorème de Houellebecq ».
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Ne plus lier de manière matérielle, mais lier de manière intellectuelle: telle était la maxime gouvernant à la fois la définition du "lien social", la formulation du "pacte fondamental", et le déploiement de la "volonté générale" qui en aménageait la mise en oeuvre pratique.
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1. La pop’philosophie est un style
2. La pop’philosophie est intensification du dehors
3. Le style pop’philosophique est le style de n’importe quoi
4. La pop’philosophie est la pratique philosophique de transformation de n’importe quoi en quelque chose
5. La pop’philosophie est l’étranglement de la philosophie
6. La pop’philosophie est ascèse de n’importe quoi
7. La pop’philosophie est la reddition à la séduction de ce qui est
8. La pop’philosophie est défaite de la philosophie comme dispositif de victoire
9. La pop’philosophie est l’être-affecté de la philosophie
10. « Pop’philosophie », ça ne veut rien dire

Appendice. Dix thèses sur la pop’philosophie, p.107
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Ni coupables, ni victimes de la prostitution, donnez-nous le choix.
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Le kamikaze est un être esthétique : il appartient au régime des apparences, dont il sature pour un moment l'écologie entière, rendant invisible tout ce qui n'est pas le flash de l’explosion supposée l'emporter dans une apothéose de lumière. Le nombre de victimes causées par l'attentat, ou l'ampleur de la destruction des bâtiments qu'il a entrainée, n'est que l'instrument de mesure de l'intensité de cette saturation ; en soi, elle n'en forme qu'un des moyens - mais à aucun titre la fin. Ce dont il s'agit, pour un kamikaze, c'est de parvenir à ce que l'image de l'attentat devienne l'image définitoire du moment de son occurrence - qu'elle en devienne l'icône, entrainant le gel de toutes les perceptions qui ne sont pas dirigées vers elle.
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L'angoisse peut être considérée comme l'affect des affects, celui qui en incarne de la façon la plus forte la tendance à porter à conséquence - la où la sécurité, au contraire, incarnerait la tendance à l'évitement de toute conséquence.
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Dans la pornographie, la gymnastique des organes génitaux s’opère pour elle-même, en dehors de tout souci de santé, en-dehors de tout souci d’amour. Qu’elle puisse être opérée pour elle-même est considéré par l’époque comme une catastrophe, puisque la nécessité présidant à l’événement de l’orgasme s’y évanouit. Or si cette nécessité s’évanouit, c’est la possibilité érotique d’une intensification de la vie qui disparaît avec elle. La pornographie est une désintensification de la vie. Par conséquent, « pornographie » est aussi le nom que reçoit tout barrage sur le chemin de la connaissance du point d’éternité de la sexualité propre à l’époque. La pornographie, parce qu’elle ne s’intéresse à l’orgasme qu’en soi, rompt la solidarité du sexe avec l’époque – ce qui, à ses yeux, est impardonnable.
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p.67.
Plutôt que vivre leur vie enfermées, et soumises à un mari qu'elles n'avaient pas choisi, des femmes préféraient encore se faire inscrire sur les registres de la prostitution, retrouvant ainsi sans le savoir la pratique de certaines aristocrates romaines.
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Je voudrais ici avancer trois propositions :
- Nous sommes tous accélérationnistes.
- L'accélérationnisme n'est jamais apparu.
- Le marxisme n'est rien s'il n'est pas accélérationniste.
(Mark Fisher)
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