Citations de Laurie Cohen (83)
De nombreux poètes se sont battus pour des causes, à travers l’impact des mots. Une forme de guerre pacifiste.
Je regardais les femmes qui ouvraient leur parapluie, celles qui rabattaient leur capuche, les hommes qui couraient avec leur veste posée au-dessus de leur tête, et puis ceux qui s’en foutaient, qui marchaient simplement. Et les enfants, qui riaient, qui sautaient dans les flaques d’eau. Et qui, parfois, levaient la tête vers le ciel et tiraient la langue, pour boire la pluie.
Ce n’est pas la portée de mes mots. C’est l’écoute. Elle rêvait d’une oreille. Une oreille sourde. D’une personne qu’elle ne reverrait peut-être jamais pour ne pas ébruiter ses états d’âme.
Quelqu’un comme moi.
Mon regard sur elle a changé.
Le temps d’une escapade.
Elle n’a rien contre moi. Ce qu’elle jalouse, c’est ma grossesse. Parce que c’est venu naturellement. Je n’ai pas eu à trafiquer quoi que ce soit, à attendre des mois, des années, pour avoir la chance de concevoir. C’est même l’inverse. Je ne l’attendais pas. Je n’étais pas sûre de le vouloir. Elle doit trouver ça injuste.
J’aimerais qu’il suce la pointe de mes seins tendus, qu’il laisse sa main vagabonder sur mon ventre et entre mes cuisses, et qu’il morde l’intérieur de mon cou avec avidité.
Il me regarde. Il doit penser que c’est original d’avoir une première grossesse en prison. Mais je n’ai rien programmé. Enfant, on imagine à quoi ressemblera notre vie. Et dans la réalité c’est très différent.
Ça me fait tout drôle qu’un homme me touche. J’admire ses traits. Son visage est creusé de légères rides. Je regarde ses sourcils harmonieux, sa bouche. J’ai chaud. Entre les jambes. Dans mon corps. Une pulsion. Sa blouse. J’imagine. Que j’ouvre les boutons de sa chemise. Qu’il m’embrasse en harponnant mes lèvres, fait tomber son pantalon et me prend, sans autre précaution, jambes béantes, faisant chanceler le lit.
Je partais en pleine nature. Ivoire était sauvage, libre. Instinctif. Il frappait la terre avec vigueur, et je ressentais en lui la joie, la rage même, de retrouver la terre et la forêt.
Là, tout de suite, j’ai peur. J’ignore tout de lui. Ou d’elle. Ce qu’il est. Ce qu’il va devenir. Et, en fait, je n’y crois pas vraiment. Ce n’est pas possible. Il faut que je le voie. Est-ce que je peux être mère ? Être à la hauteur ? Quelle vie pourrais-je lui offrir ? Dehors, il n’y a personne pour l’accueillir.
Est-ce qu’il aurait voulu le garder ? Le garder, l’aimer, l’instruire.
Cinq ans plus tôt, en Thaïlande. La jungle. Le vert à perte de vue. Les serpents colorés enroulés au sommet des troncs. Les radeaux de bambou qui descendent sur la rivière Kwai Noi. On dérive. Le courant nous emporte. Au hasard des chemins sauvages. Mon visage brûle au soleil. Mes joues sont rouges. Mais je suis bien.
On est toujours en attente, comme dans un village isolé en haute montagne, du petit événement qui troublera la journée.
Parfois, on rêve de retourner en cellule, pour s’isoler, et rêver. Ne plus se confronter au regard, à la vie des autres, à l’image des murs immenses et des barbelés. La cellule devient une échappatoire.
Sa mémoire défile comme un diaporama : bancs de sable, cocotiers, marécages, mangroves, et bunuk, un vin de palme. Son père était pêcheur en pirogue. Il utilisait des nasses ou des filets. Et sa mère cueillait des huîtres sur les racines des palétuviers à la saison sèche. Ils parlaient le wolof, et le diola.
Comment vais-je tenir des années sans sentir un homme, sans la frénésie des mains sur mon corps, la dureté d’un sexe heurtant ma chair, l’ébranlement et l’exaltation d’un instant ?
Je ne peux pas le croire. Je vais rester ici. À l’extérieur du monde. Dehors, tout va se métamorphoser. Les gens, la rue, les quartiers, les pancartes, les journaux, le climat, les espèces animales, les maladies, les vaccins, les livres, les films, et peut-être même les planètes dans l’univers. Et moi, je serai à côté. Décalée.
On ne peut pas ouvrir la porte de notre cellule comme bon nous semble. On doit attendre les heures de promenade, et les activités. C’est quelqu’un d’autre qui décide du timing. En attendant, on parle aux murs. Certaines deviennent folles. Voilà ce qu’on est, en prison : des putains d’assistés.
Ma bague de fiançailles miroite dans la faible lueur du jour. Un solitaire. Le seul bijou qu’on m’ait autorisée à garder. On m’a dérobé le reste. Dans une grande valise noire. Entreposée au-dessus d’une étagère colossale, enveloppée de poussière.
J’aimerais revenir en arrière. Effleurer sa joue. L’embrasser. Mordre ses lèvres avec avidité. Humer longuement son odeur. Poser ma tête sur sa poitrine pour écouter battre son cœur. Qu’il me serre fort. À m’étouffer. Ses doigts entre mes cheveux. Un réflexe.
On m’a ordonné de me déshabiller. On m’a fouillée intégralement. De la tête aux pieds. Nue. Une femme en uniforme. Froide. Distante. Un robot. L’humiliation profonde.
Oui, si Jean osait lâcher un bon gros pet... Alors probablement la Terre éclaterait en mille morceaux. Et ce serait la fin du mone et même de l'univers !