Lee Child

— Notre espion s’est donné beaucoup de mal et a trouvé un autre fichier.
— À savoir ?
— Une liste.
— Une liste de quoi ?
— Des informateurs confidentiels les plus fiables des services de police.
— Et ?
— Il y avait quatre noms sur la liste.
— Et ?
— Deux d’entre eux étaient des gars à moi.
Personne ne dit mot.
Finalement, Dino demanda :
— Qu’avez-vous fait d’eux ?
— Je vous laisse imaginer.
Encore une fois, personne ne dit mot.
Alors Dino demanda :
— Pourquoi me dites-vous ça ? Qu’est-ce que ç’a à voir avec moi ?
— Les deux autres noms sur la liste font partie des vôtres.

— Que me vaut ce grand plaisir ?
Les bonnes manières sont les bonnes manières.
Gregory répondit :
— Il va bientôt y avoir un nouveau commissaire de police en ville.
— Nous le savons.
— Promu de l’intérieur.
— Nous le savons, répéta Dino.
— Il a promis de sévir, contre nous deux.
— Nous le savons, dit pour la troisième fois Dino.
— Nous avons un espion dans son bureau.
Dino garda le silence. Il l’ignorait.
— Notre espion a trouvé un fichier secret sur un disque dur dans un tiroir, reprit Gregory.
— Quel fichier ?
— Son programme pour sévir contre nous.
— À savoir ?
— Ce n’est pas très détaillé. Par endroits, c’est même extrêmement sommaire. Mais patience. Au fil des jours et des semaines, il assemble de plus en plus de pièces du puzzle. Parce qu’il obtient un flux constant d’informations en interne.
— Par qui ?

Les négociations avaient été tendues. Il y avait eu de petites guerres de territoire. Et quelques désagréments. Mais finalement un accord avait été trouvé et l’arrangement semblait fonctionner. Chaque camp se tenait à l’écart de l’autre et pendant longtemps il n’y avait eu aucune friction notable entre eux.

Elle était assez grande pour employer mille deux cents policiers.
Et assez grande aussi pour que le crime organisé y soit divisé en deux clans distincts : l’ouest de la ville dirigé par les Ukrainiens, l’est par les Albanais, avec une ligne de démarcation tracée aussi arbitrairement qu’une circonscription électorale. En principe, cette frontière suivait Center Street, qui courait du nord au sud et partageait la ville en deux, mais en zigzaguant pour inclure ou exclure certains pâtés de maisons et des portions de quartiers bien précis, partout où l’on estimait que les précédents historiques justifiaient des conditions particulières. Les négociations avaient été tendues. Il y avait eu de petites guerres de territoire.

La ville paraissait petite sur une carte des États-Unis. Juste un point poli, près d’une route rouge étriquée qui s’étirait tel un fil sur à peine plus d’un centimètre de papier sans la moindre trace d’autres localités. Mais vue de l’intérieur et depuis le sol, elle comptait un demi-million d’habitants. Et couvrait plus de deux cent soixante kilomètres carrés. Près de cent cinquante mille familles y résidaient. Elle possédait plus de huit cents hectares de parcs. Dépensait un demi-milliard de dollars par an, et en récoltait presque autant en impôts, taxes et redevances. Elle était assez grande pour employer mille deux cents policiers.
Et assez grande aussi pour que le crime organisé y soit divisé en deux clans distincts : l’ouest de la ville dirigé par les Ukrainiens, l’est par les Albanais, avec une ligne de démarcation tracée aussi arbitrairement qu’une circonscription électorale.

Je ne sais pas encore. Ils jouent les insaisissables. Ils font tout un plat de l'accès aux informations. Le dossier dans lequel elle est mentionnée est apparemment super toxique. De la plus haute importance, la plus grosse affaire au monde. Des conneries de ce genre. Mais la rumeur évoque un énorme scandale qui aurait eu lieu il y a à peu près cinq ans. L'histoire, c'est que Deveraux a fait virer un autre policier militaire des Marines sans raison. La rumeur veut que c'était par jalousie.

Les flics des petites villes s'intéressent toujours à la présence inexpliquée d'étrangers sur leur territoire.

Les fraternités leur lancent des défis. Ils nous volent nos panneaux tout le temps. Et puis, ils ont eu une autre idée. Une sorte de rite d’initiation. Ils devaient tout voler dans une chambre de motel pendant que le client était temporairement absent. C’est stupide, mais bon, c’est comme ça. On pensait que c’était fini depuis quelques années, mais visiblement, ils ont recommencé. J’ai trouvé vos affaires dans la haie, au bord de la route. C’est la seule explication possible.

Son accent donnait l’impression que l’endroit d’où il venait méritait un nom comme Macédoine. Europe de l’Est, pensa Patty. Ou centrale. Quelque part entre la Grèce et la Russie. Le genre de type qui aurait dû se raser deux fois par jour, mais ne le faisait pas. Comme le méchant effrayant dans les films. Sauf que sa voix était amicale. Douce. Aimable, et pleine de bienveillance. Énergique, aussi, dès le matin.

Surprendre était toujours bon. Un homme avisé ne compte jamais jusqu’à trois.

Et la question est sensée. Quand on coupe le moteur, on arrête le ventilateur du radiateur et la pompe à eau. Donc le système de refroidissement s’éteint et l’eau ne circule pas. Et la plus chaude monte tranquillement jusqu’en haut de la culasse. En fait, la température à la surface peut augmenter pendant une heure. Et un fil a peut-être touché le métal.

La porte était bloquée. Peut-être n’avait-elle pas été ajustée correctement après l’installation ? Ou peut-être avait-elle gonflé avec la chaleur de l’été ?
Stupide. Vraiment stupide. C’était la seule fois où elle pouvait avoir recours à Shorty. À un gars solide, et costaud à force de remuer des sacs de pommes de terre de cinquante kilos. Mais le réveiller et lui demander d’ouvrir ? Trop risqué. Elle se glissa à nouveau dans le lit, s’allongea à côté de lui et fixa le plafond bien de niveau, d’aplomb et solide.

Elle ne se sentait pas bien, et elle ne savait pas pourquoi. Ou peut-être qu’elle le savait. Peut-être qu’elle ne voulait tout simplement pas l’admettre. Peut-être que c’était ça, le problème. En vérité, au fond, elle devait en vouloir à Shorty. À cause du trajet. La partie la plus importante de leur plan secret. Il était parti dans une voiture en mauvais état. Il était idiot. Dans ce champ-là, la patate, c’était lui. Ne pouvait-il pas investir un dollar par précaution ? Qu’est-ce que ç’aurait coûté, dans un garage avec un bon de réduction ?

Le repas s’était déroulé bizarrement, dans une vieille résidence sombre, avec Shorty, le gars et trois autres types semblables en tous points. Même âge, même apparence, visiblement sur la même longueur d’onde. Comme s’ils étaient tous en mission. On les sentait un peu nerveux. Au cours de la conversation, Patty avait rapidement conclu qu’ils avaient tous investi toute leur épargne dans une entreprise risquée. Le motel, avait-elle présumé.

Elle avait dormi quatre heures, puis une sorte d’agitation dans son subconscient avait fait irruption dans sa conscience et l’avait tirée du sommeil. Elle ne se sentait pas bien, au plus profond d’elle-même, comme elle aurait dû. Elle s’inquiétait de leur retard. Dans le meilleur des cas, ils atteindraient la ville en milieu de journée le lendemain. On faisait mieux comme horaire pour une négociation.

De nos jours, peu de sons sont associés au cerveau reptilien. Les pas feutrés ou le sifflement d’un prédateur de longue date étaient peu probables. Les brindilles de la forêt la plus proche qui, écrasées, pouvaient produire un bruit inquiétant se trouvaient à des kilomètres, au-delà de la limite de la ville. À part cela, il n’y a pas grand-chose qui engendre la peur dans le cortex primitif. Pas au royaume des sons. Les plus récents sont traités ailleurs, dans une partie antérieure du cerveau très attentive aux grattements et aux cliquetis des menaces modernes, mais qui ne possède pas l’ancienneté nécessaire pour tirer quelqu’un d’un sommeil profond et bienfaisant.

Une fois, en Californie du Sud, après s’être endormi comme une masse, les fenêtres grandes ouvertes par une belle nuit, il s’était réveillé instantanément parce que dans son sommeil il avait senti une légère odeur de fumée. Pas celle d’une cigarette ou d’un bâtiment en flammes, non, celle d’un feu à flanc de colline à soixante kilomètres de là. Une odeur primitive, telle celle d’un feu de forêt se propageant dans la savane en des temps reculés. Comme si la survie de ses ancêtres dépendait de celui qui se réveillerait le plus vite et réagirait le plus tôt. Opération répétée sur des centaines de générations.

— Descends-le si tu le vois.
— Entendu.
— Rate pas ton coup.
— Ça me serait arrivé ? répliqua Tyler.
Il coupa l’appel, rebalança le téléphone sur le tableau de bord et continua de rouler, les chaussures neuves de la fillette allant et venant dans son rétroviseur, des champs sans vie devant lui, des champs sans vie derrière lui, les ténèbres à sa gauche, le soleil se couchant à sa droite.

— Signalement ?
— C’est un grand costaud, dit la voix. Plus d’un mètre quatre-vingt-dix et dans les cent vingt kilos. La dernière fois qu’on l’a vu, il portait une vieille parka marron et un bonnet de laine. Il a une drôle de manière de se déplacer. Comme s’il était tout raide. Comme s’il avait mal.
— D’accord, dit Tyler. Et donc, où et quand ?
— On veut que tu surveilles la grange. Demain, toute la journée. Pas question de la lui laisser voir. Pas maintenant. Si on ne réussit pas à l’avoir ce soir, il va finir par piger. Et par venir y jeter un coup d’œil.
— Et il va y rentrer juste comme ça, en se baladant ?
— Il croit qu’on est quatre. Il ne sait pas qu’il y a un cinquième.
— C’est bon, ça.

— Des relations ?
— Aucune, apparemment. Il ne va manquer à personne. C’est un mec à la dérive. Un genre de vagabond. Il a déboulé ici comme l’amarante poussée par le vent. Ce serait bien qu’un autre coup de vent l’emporte ailleurs.