Non qu'il ait regretté longtemps la terre. La mer était une planète en elle-même. Comme Conrad, Loti parcourut les sept mers et écrivit sur sa vie de marin. Tout ce qu'il avait vu, connu, craint et aimé dans cette vie monte de ses pages avec une telle force que le lecteur a l'impression de goûter les embruns salés, d'être soulevé avec lui sur la houle, d'entendre les grands mâts et les cordages lutter avec les vagues qui les assaillent. Loti a le pouvoir d'impliquer physiquement ses lecteurs, aussi bien que sur le plan émotionnel. Avec lui, nous sentons véritablement le grand cercle bleu autour de nous, nous voyons "ce miroir illimité".
Mais la plomberie fonctionnait et Romain pouvait s'offrir ce qu'il considérait comme le comble du bonheur: se tremper interminablement dans un bain chaud, tandis qu'il préparait un livre en griffonnant des notes sur la paroi de la faïence au moyen des rares tubes de rouge à lèvres qui me restaient.
Mais quand il s'agissait de tenir un porte-plume, elles (les mains de Romain GARY) prenaient une vie toute particulière, labouraient la page avec les mots, frappant comme autant de coups de poignard sous l'effet de la furie, transperçant le papier dans une course rageuse, sans la moindre hésitation: une coulée de mots à peine lisibles, griffonnés avec rage par ces mêmes mains apparemment si maladroites.
A première vue, je me suis dit qu'il avait l'air d'un ours avançant lourdement sur ses pattes de derrière - un ours brun maladroit, engoncé de façon plutôt négligée...
...Ainsi, l'ours était de surcroît un ours de Russie...
...Telle fut ma première rencontre avec l'homme qui allait se faire connaître sous le nom de Romain Gary , l'écrivain...
Durant toute sa vie, les choses seraient une barrière entre lui et le néant qui s'étendait devant lui, qui l'attendait, et peu à peu cet attachement obsessionnel pour les objets atteignit les proportions d'un fétichisme. Tous ces objets jalousement conservés, de peu de valeur en général, sauf par leurs associations, finirent par être investis d'une vie — voire d'une âme. Pour lui, ils étaient vivants et lui parlaient d'un passé qu'ils avaient connu ensemble. Chacun avait sa place dans son souvenir ; c'était, en fait, un mémorial de ce passé qu'il chérissait, et chacun nourrissait la nostalgie qui allait devenir pour lui une drogue.
Elle s'appelait Molly, Molly Keane, un nom que je n'ai curieusement jamais oublié, de même que je n'ai jamais oublié à quel point elle était malheureuse.
Je suis la seule a être vivante aujourd’hui et je me rappelle ces jours heureux avec tendresse, les larmes aux yeux.